Affaire Bild - suite
Korinna Hennig: Avant de commencer, [reparlons de la « Bild » qui] s'est également adressé à vos collègues européens. De quoi s'agit-il?
Christian Drosten: Oh oui, il y a eu deux autres attaques contre moi ou l’étude. La première a eu lieu hier. Ils ont fait appel à un statisticien anglais de renom [David Spiegelhalter] qui a commenté notre étude. Ce qu'il écrit est correct, et ça correspond à ce que j'ai dit auparavant. Nos méthodes statistiques dans cette préimpression sont approximatives, car nous savons que [l’analyse statistique ne changera pas nos conclusions] David a été horrifié de voir ce qui se passait dans les médias. [...] L'autre attaque, qui était vraiment perfide, a été lorsque des journalistes ont tenté d'appeler mes partenaires en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre etc. [Et] un journal belge en a conclu: Il y aurait eu une polémique à propos de mon étude à la Commission européenne, dans laquelle je serais également impliqué, ce qui est faux. Ce n'est pas la Commission européenne, mais le comité directeur d'une association de recherche européenne. Ce sont des scientifiques de plusieurs pays européens qui ont conjointement sollicité et reçu un financement de l'UE pour un projet qui est en cours. Il y a des vidéoconférences régulières [et] une semaine après la mise en ligne du preprint, nous avons discuté de ça.[...]
Nous devons rassembler des données dans des délais très courts. […] Notre étude a rassemblé des données préliminaires hétéroclites, mais nous nous sommes dit qu'il y a tellement de données que toutes ces perturbations sont en quelque sorte lissées. [...] Nous avons discuté de cela: faut-il faire ces analyses statistiques ou non? C'était le cœur de notre discussion. Et toutes ces déclarations qui sont maintenant dans "Bild", "Christian, tes conclusions sont prématurées", ou "tes statistiques influencent la politique", n'ont pas été prononcées durant cette vidéoconférence. Nous savons tous que ce que nous faisons a une influence politique. Les membres de ce comité sont des scientifiques de haut niveau et tous conseillent leurs propres dirigeants. Et tout le monde est dans la même incertitude. Mais ce n'est pas vendeur pour un journal. […] Je pense qu'il est clair que les statistiques sont importantes dans les études scientifiques et qu'il est clair que les statistiques que nous avons établies dans notre étude sont vraiment approximatives. [...] Mais on ne peut en aucun cas dire que l'étude est erronée en raison de la faiblesse de cette analyse statistique. Nous allons retravailler cet aspect et mettre une version préliminaire en ligne, probablement aujourd'hui, mais ça ne sera certainement pas la version finale du manuscrit [car] cela prend du temps. Cette semaine, je ne [me suis occupé] que de "Bild", ça m'a coûté énormément de temps et cela retarde considérablement la science. [Nos données montrent, même sans analyse statistique], que la charge virale des enfants présymptomatiques est tout aussi élevée que celle des adultes dans la même situation.
R et k
Hennig: Abordons un sujet complètement différent, à savoir: Quelle importance ont les super-spreaders et les super-spreading events pour la dynamique de l'épidémie? [...]
Drosten: Ce n’est pas parce qu’il y a un grand foyer épidémique quelque part, une célébration, pub ou répétition de chorale, qu'il s'agit d'un virus qui se diffuse par superspreading. Le superspreading est autre chose.
Au début de l'épidémie de SRAS-2, on ne savait pas si ce virus se propageait par superspreading, on avait de bonnes raisons de penser que ce n'était pas le cas, car il était très différent du SRAS-1, dans sa réplication. Le terme de superspreading s’est imposé pendant l'épidémie de SRAS-1 en 2003, alors qu’on connaît ce phénomène depuis plus longtemps. Superspreading signifie qu'il y a de grands foyers épidémiques et que les petits clusters ou les petites chaînes de contaminations ne se prolongent pas dans le temps, de sorte que toute l'épidémie est portée par des événements de superspreading. [...] Il existe un certain nombre de personnes infectieuses qui contaminent un nombre élevé de personnes.[…] Pour le dire simplement: peu de gens en contaminent beaucoup d'autres et la plupart n'en contaminent que quelques-uns ou aucun. [...]
Le R a une certaine valeur. Par exemple, dans SARS-2, nous pensons que R=2. Diverses études indiquent qu'il se situe entre 2 et 3,5. Cela dépend un peu de l'environnement, mais disons 2. Autrement dit, celui qui est infecté en contaminera deux autres dans la prochaine génération. Ainsi, tous ceux qui sont infectés en infectent deux autres. Il n'y a personne qui en contamine 4 et il n'y a personne qui n'en infecte qu'un, donc pas de dispersion. Une surdispersion signifie qu'il y a un écart excessif par rapport à cette moyenne. Tellement excessif qu'il y a des valeurs aberrantes. Ce sont les événements de super-spreading. Cela peut signifier que nous avons également un R de 2, mais avec un comportement infectieux complètement différent. Tout simplement parce que quelques-uns en infectent beaucoup et la plupart n'en infectent pas ou n'en infectent que quelques-uns. Mais en moyenne, c'est toujours R=2. [...] Avec SARS-2, nous ne savons pas encore ce qu’il en est exactement. Il existe diverses études, que je mentionnerai brièvement, qui suggèrent des valeurs différentes. Mais d'abord, je veux introduire une valeur, c'est ce facteur de dispersion.
Hennig: k.
Drosten: Kappa, c'est-à-dire en grec K. Vous pouvez également l'écrire comme un K normal, cela n'a pas d'importance. Donc le facteur de dispersion. Si k=1, la distribution est complètement uniforme. Si k=0: tout va mal. Mais si nous avons un facteur de diffusion compris entre 0,1 et 0,7 ou 0,8, alors vous êtes davantage dans une gamme réaliste.[…] Plus la valeur est petite, plus le déséquilibre dans la distribution est important. Avec une plus grande valeur, nous avons une distribution uniforme. Avec SRAS-1, nous savons que ce facteur de dispersion est d'environ 0,1. Cela signifie que 73% de toutes les personnes atteintes du SRAS contaminent moins d'une personne, mais 6% en contaminent plus de 8. Il y a une bonne explication de ce très faible facteur de dispersion. Ce virus du SRAS doit pénétrer dans les poumons pour déclencher l'infection, et ne se réplique pas dans les voies respiratoires supérieures, mais seulement dans les poumons. Vous pouvez imaginer que si vous avez un virus dans vos poumons, vous êtes très malade et allez à l'hôpital et n'infectez probablement personne d'autre. Mais il y a quelques patients qui ont des poumons pleins de virus et qui ne se sentent pas malades, toussent et circulent alors qu'ils sont malades. Bien sûr, ils contaminent beaucoup d'autres personnes.
Hennig: Mais c’est un peu différent avec ce coronavirus parce qu'il se réplique dans les voies respiratoires supérieures?
Drosten: C'était la découverte fondamentale de fin janvier, qui est toujours vraie aujourd'hui et qui devient de plus en plus claire. Soit dit en passant, il y a une nouvelle étude intéressante dont nous pourrons discuter la semaine prochaine, qui confirme très bien que, contrairement au SRAS-1, ce virus se réplique fortement dans les voies respiratoires supérieures. C'est pourquoi tout le monde pensait initialement que la dispersion dans l'infection par le SRAS-2 est probablement très différente. Parce qu'un virus qui se réplique autant dans les voies respiratoires supérieures se propagera de manière très uniforme, c'est imparable, tout le monde l'a dans la gorge et personne ne remarque au début qu'il est infecté. […] En raison de la réplication dans les voies respiratoires supérieures, tout le monde pensait que la distribution serait beaucoup plus uniforme.
Dans une prochaine étape, je vais essayer d'expliquer pourquoi nous avons un avantage de contrôle et un avantage épidémiologique ici.
Petits calculs...
Nous devons faire un petit calcul. Admettons que nous avons une maladie infectieuse dans laquelle nous avons une distribution inégale ; 10 patients dont 9 qui n'en infecteront qu'un seul autre. Cela ressemble à R=1. Et le 10e infecte 10 autres. Cela signifie que dans la prochaine génération, nous n'aurons pas 10 cas, mais 19. […] Si nous n’avons qu’un seul cas à un endroit, la probabilité la plus élevée est qu'il n'y aura qu'un seul cas subséquent. Autrement dit, si nous disons que la durée de la série de la maladie est de six jours, soit environ une semaine, la première semaine, nous n’avons qu’un patient. La deuxième semaine, nous n'avons encore qu'un seul patient. La troisième semaine, nous avons encore un patient. Il y a toujours de nouveaux patients, de nouvelles infections, mais on ne s'en aperçoit pas.[...] Peu importe si les infections précédentes ont déjà guéri. Nous voulons simplement calculer combien de nouvelles personnes sont infectées chaque semaine, et ce n'est qu'une par semaine. Cette asymétrie de la distribution inclut en fait des valeurs inférieures à un. Par conséquent, à un moment donné, cela peut ne pas aller plus loin, c'est ce qu'on appelle l'extinction. Nous en parlerons ensuite. Nous avons là une situation calme, un seul nouveau cas par semaine que nous ne remarquons pas. Nous jouons un peu à la roulette russe, à un moment donné, on tombe sur celui qui en infecte 10. Nous avons 10 nouveaux cas de semaine en semaine. Ça peut démarrer sans qu’on s’en rende compte. [...] Et avec ces 10 cas, il est possible que ces 10 n'en infectent qu'un de plus et qu'il n'y ait personne qui en infecte 10 autres. La semaine d’après, nous n'aurons que 10 nouveaux cas, 10 qui n’en donneront qu’à nouveau 10. Il peut également arriver que nous ayons 9 qui n’en infectent qu’un et un qui en infecte dix. Cela signifie que les dix deviendront 19 la semaine suivante. Et sur cette vingtaine, nous n'avons qu'un seul qui en infecte dix. Donc 18 cas plus dix d'un super épandeur, soit 28. Nous sommes déjà proches de 30. Continuons le calcul: 3 en contaminent 10, et 25 n’en contaminent qu’un. Donc 10+10+10+25 = 55. Dans la génération suivante, nous en sommes à environ 100. Ensuite, ça explose. […]
Il peut toujours arriver qu'une telle chaîne d'infection (un, puis un, puis un), ne se poursuive pas à un moment donné, car la personne reste chez elle ; c'est l'auto-extinction. Avec ces distributions asymétriques, cela est beaucoup plus probable que si deux nouveaux cas surgissaient d’un cas à chaque génération. Néanmoins, nous aurions le même R, à savoir 2. […] Avec la même valeur R, mais avec une distribution inégale, nous avons cette phase de démarrage lente et bégayante, où rien ne se produit au début ou même s'éteint. Ensuite, nous arrivons inévitablement au patient numéro dix - c'est de la pure stochastique. Ce n’est pas nécessairement le dixième, cela peut se produire avec le troisième. C’est la bille rouge dans une boîte de billes jaunes, on peut avoir la rouge dès le premier tirage. C'est une coïncidence. Cette bille rouge, ce patient contaminant dix patients, amorce le cluster. Alors on en a 10, puis 19, 28, 55, 101, ce qui double encore. C'est à nouveau une cinétique exponentielle régulière et vous ne pouvez pas faire grand-chose, cela ne disparaît plus de lui-même.[…]
Avec la même valeur R, on peut avoir une situation où une personne infectée quelque part, par exemple dans une école, provoque directement une épidémie exponentielle. Ou [alors une situation où il ne se passe rien pendant] des semaines, voire plus d'un mois ou deux mois. Si on testait chaque élève de cette école avec la PCR, on trouverait ce cas, mais nous ne pouvons pas le faire pour le moment. Cependant, une fois qu'un cluster apparaît, il faut intervenir.
[…] Mais il y a autre chose qui est très important. Il y a une différence de contrôlabilité et cela dépend aussi de la dispersion. En termes simples: nous savons maintenant que cette bille rouge, ce patient très contagieux, contribue de manière significative au processus d'infection. Si nous savions à l'avance quel patient est le plus contagieux, ce serait facile à contrôler, nous n'aurions plus à nous soucier de toute cette pandémie.
Hennig: Mais nous ne le savons pas.
Drosten: Le seul problème est que ce n’est pas écrit sur son front. Voilà le gros problème. Maintenant, il existe un moyen de cibler les situations les plus susceptibles de produire un superspreading event. Le patient qui en infecte dix autres n'est pas forcément aussi contagieux à cause d’une plus forte charge virale. C'est peut-être le cas, mais une autre raison peut également être qu'il se trouve dans une situation sociale dans laquelle il peut infecter tant de personnes. Si vous supprimez ces situations sociales, vous supprimez également les événements de superspreading.
Superspreading events
Hennig: Il existe diverses études à ce sujet. Par exemple, un groupe de chercheurs des États-Unis, du Canada et d'Australie a étudié cette stochastique. Ils nomment quatre catégories d’événements, la chorale, le bateau de croisière, les conditions de travail (abattoirs, hébergement en dortoir), mais aussi des comportements sociaux. Et puis il y a aussi ce que vous venez de dire, les facteurs biologiques qui sont probablement les facteurs les moins connus.
Drosten: Exactement. Soit dit en passant, je veux dire que j'ai été guidé par un superbe article dans "Science" de Kai Kupferschmidt, sans aucun doute l'un des meilleurs journalistes scientifiques que nous avons en Allemagne. Il écrit beaucoup pour "Science". Il a fait une très belle revue sur ce sujet complexe, disponible gratuitement. [...] Il y a une considération très intéressante pour le contrôle d’une épidémie dans une étude fondamentale de Lloyd Smith, dans "Nature" en 2005. Ce sont des modélisateurs mathématiques qui tentent de cartographier la réalité. […] On peut éviter les situations sociales dans lesquelles les patients infectieux peuvent en infecter plusieurs […]
Hennig: Par exemple, empêcher les rassemblements, fermer les entreprises ...
Drosten: Oui, ou simplement un masque [...] cela suffit pour arrêter une épidémie qui a un R de 3 et un facteur de dispersion de 0,1. Et c'est le SRAS-1, ce sont les chiffres pour le SRAS-1. […] Vous avez une mesure de contrôle qui n'est efficace qu'à 30%, mais la moitié de sa puissance se reflète dans les événements de superspreading. Et l'épidémie s'arrête. Je ne veux pas dire que cela s'applique également au SRAS-2, car nous ne connaissons pas le facteur de dispersion du SRAS-2. Je pense qu'il est en fait supérieur à 0,1. Je serais très surpris si c'était comme le SRAS-1.[…]
[Il y a] des études qui ont déjà été faites sur le facteur de dispersion du SRAS-2. L'une a été réalisée relativement tôt, une étude de modélisation de Berne. Sur la base d'une post-analyse des incidences signalées à Wuhan, les auteurs arrivent à une estimation qui se situe entre 0,3 et 0,6, avec une médiane à 0,54. C'était une première estimation que beaucoup de ceux qui étaient intéressés utilisaient. [...] D'autres études sont ensuite apparues.
Une étude vient de Londres. Il estime quelque chose entre 0,1 et 0,3. On dit que 10% des personnes infectées représentent 80% de toutes les infections. Cela signifierait que c’est très facile à contrôler. Cependant, il y a un problème avec cette étude, que les auteurs soulèvent eux-mêmes, c'est la base de données [qui est] incertaine, hétérogène et fragile. Vous pouvez y avoir les meilleures statistiques et les résultats peuvent être trompeurs. [...] Nous savons tous à quel point la détection des infections était hétérogène et incomplète en janvier et début février, à l'époque, la plupart des pays n'avaient aucune possibilité de tester. Il se pourrait donc que cette valeur, qui est estimée ici, ne soit pas correcte. Néanmoins, il s'agit d'un excellent travail méthodologique et, pour cette seule raison, il devrait être publié.
Il y a une autre étude qui vient d'un groupe chinois. La valeur estimée est de 0,45, mais là, le facteur de dispersion n'était qu'un aspect secondaire. Ensuite, il y a une autre étude d'Israël qui estime sur une base différente, à savoir le séquençage, qui [donne] quelque chose de similaire: qu'environ 1 à 10% de tous les cas conduisent à 80% de tous les cas secondaires. Les auteurs le répètent ouvertement et franchement, le tout n'est basé que sur 212 séquences. De plus, l'évolution de ce virus est un peu trop lente pour voir une mutation dans les cas de transmission. Il y a d'autres virus à ARN, où c'est comme ça, où on peut voir au moins une mutation à chaque processus de transmission. Vous savez toujours qui a infecté qui.[…] Vous ne pouvez pas faire cela avec ce virus. C'est pourquoi vous devez travailler avec des détours statistiques. Les auteurs ne font délibérément pas d’estimation correcte du facteur de dispersion, ils suggèrent simplement qu'ils disent que 1 à 10% des cas pourraient être responsables de 80% des cas secondaires. Leur estimation se situe dans une fourchette basse.
Il y a une étude de Gabriel Leung, l'un des principaux épidémiologistes de cette épidémie, qui a déjà fait un excellent travail sur le SRAS-1. Il le fait différemment, beaucoup plus systématiquement. Il a sélectionné 53 clusters parmi les clusters de Hong Kong. […] Les clusters ont une certaine taille minimale afin que vous puissiez également effectuer une évaluation statistique. Ce qui ressort ici est une autre estimation selon laquelle 20% des personnes infectées provoquent environ 80% des infections ultérieures. Ils estiment le facteur de dispersion, à 0,45. Malheureusement, c'est une valeur relativement élevée qui ne peut pas susciter d'euphorie. [On ne peut pas dire que nous ayons tué l’épidémie avec le lockdown et que maintenant c’est sous contrôle]. Malheureusement, ce n'est pas si simple. Mais nous aurons un avantage avec la dispersion. Une autre leçon importante de l'étude de Gabriel Leung, est comment isoler les cas pour empêcher de tels clusters. [...] Si vous isolez rapidement la personne diagnostiquée positive, il est déjà trop tard. Vous ne pouvez plus gagner de temps avec les diagnostics dans un cluster.
Changer de stratégie
Hennig: Parce que la transmission fonctionne déjà simultanément?
Drosten: Parce que tout fonctionne déjà, exactement. Nous avons un virus qui se diffuse avant l'apparition des symptômes. Et nous avons des superspreading events – que nous découvrons avec un test PCR - mais on peut supposer qu'il existe depuis longtemps avec un nombre inconnu d’infectées. Dans cette chorale (de Berlin), près de 90 % des participants ont été infectés. Il y a une conclusion très importante dans cette étude, [...] lorsque nous découvrons un cas, nous devons immédiatement regarder l'environnement du cas concernant ses contacts récents. Nous devons regarder s’il était dans un cluster, dans un super spreading event les deux ou trois derniers jours ?
Hennig: Comme être allé à la gym, par exemple.
Drosten: Par exemple, exactement. Et s'il était dans une telle situation, il faut considérer toutes les personnes qui l’étaient aussi comme infectées et les isoler immédiatement, sans attendre de diagnostic. On ne peut pas dire que les 20 personnes qui étaient dans la salle de gym doivent d'abord passer un test PCR et puis on verra. Et celui qui est positif sera isolé. Voilà comment on l’aurait fait classiquement. C’est une erreur, il faut changer de stratégie. L'important est que la décision d'isoler doit être prise immédiatement, sans tenir compte du résultat du diagnostic. Ces nouvelles données datent d'une dizaine de jours et ça a vraiment changé la situation de base. [...]
Hennig: Cette recherche des contacts, [peut se faire via] l'application que beaucoup attendent, ou en laissant vos coordonnées partout afin que vous puissiez être averti rapidement.
Drosten: Absolument, nous en avons beaucoup parlé dans un épisode passé lorsque nous avons discuté de l'étude de Christophe Fraser, dans "Science"[…]
Je pense que tout le monde peut imaginer ce que peut être un événement à grande diffusion. Je pense que nos mesures actuelles empêchent également de nombreux événements de super-propagation. Ce que j'ai dit plus tôt peut sembler un peu pessimiste, mais ce n’est pas le cas, c'est un message très optimiste, car ce que nous faisons en ce moment, [couvre déjà un bon nombre de ces situations] Nous devons réajuster certaines mesures.
Hennig: Les sports d'intérieur, par exemple.
Drosten: Exactement. Et la durée joue également un rôle, être dans une pièce pendant dix minutes est quelque chose de complètement différent [que d’être] dans une pièce avec beaucoup de monde pendant deux heures. C'est très clair, la composante temps joue également un rôle. […]
Je commence à penser que nous avons une chance d'entrer dans l’automne et l’hiver avec ce contrôle général des mesures, sans vaccination, et sans une seconde vague mortelle. Nous avons une chance. Cependant, nous devons examiner de près comment nous ajustons nos mesures actuelles pour empêcher spécifiquement les événements de super-propagation. Et je dis cela parce qu'il y a un précédent. C'est l'exemple du Japon. Cela a été publié hier dans "Science". Le Japon a connu une lente courbe descendante. Et cela, malgré un lockdown modéré, comparé aux autres pays asiatiques. Ils ne font pas seulement appel à la responsabilité individuelle, comme la Suède, mais ils font différemment. Il a longtemps été difficile de comprendre exactement ce que les Japonais faisaient, ils ne communiquent pas à ce sujet. Le Japon a une population plus importante que l’allemande et la densité est élevée. Il y a quelqu'un à la barre qui a eu son baptême du feu pendant l'épidémie de SRAS-1, [et en a tiré des leçons] : s'il y a un cluster, nous n'effectuons aucun autre diagnostic, nous définissons tous les membres du cluster comme infectés et les isolons immédiatement. C'est le cœur de la stratégie japonaise et nous voyons le succès.
Hennig: Le nombre de décès est très faible au Japon.
Drosten: Oui, l'incidence diminue lentement mais sûrement. Ce n'est pas une baisse drastique comme dans les pays qui ont fait un lockdown complet. Je pense également que dans de nombreux autres pays, cela n'aurait pas été possible. Ici, on a une personne faisant autorité [qui a juste agi] sur la base de sa propre expérience. Cela s'est bien passé, mais cela aurait pu aussi mal tourner. Les données n'étaient pas vraiment là. [...] Nous devons prendre cela comme exemple pour un avenir proche. Nous avons maintenant avec l’été un moment où nous pouvons ajuster nos mesures. […] Donc si un enseignant est infecté, regardez quelles classes il a eues ces derniers jours? Ces élèves doivent tous rester à la maison pendant une semaine ou deux. Je dirais une semaine car le temps infectieux est également beaucoup plus court que ce que nous pensions initialement. Mais vous n'avez probablement pas à fermer toute l'école à cause de cela.