#36 Etude de Wuhan
Korinna Hennig: La question des enfants est un sujet qui intéresse de nombreux politiciens, et surtout les familles. En savons-nous plus sur le rôle des enfants dans l'infection et la transmission ? Pourrons-nous rouvrir les crèches?
Christian Drosten: Oui, il y a eu une importante discussion politique à ce sujet cette semaine et c'est une bonne chose. Il est actuellement très difficile de débattre avec des données scientifiques. Je vais résumer à nouveau la situation.
Nous avons peu d'études de Chine, où l'épidémie a commencé. Mais depuis le début nous savons que les enfants ont rarement des symptômes. Cela ne signifie pas que nous n'avons pas d'enfants infectés. Il y a certainement un nombre important d'enfants non signalés à Wuhan. Il existe une très bonne étude sur les ménages comprenant une personne infectée. Le principal résultat est que seulement 15% des membres du foyer se contaminent, mais c’est une situation où on a dit aux gens d’être prudents, de rester à l’écart des uns des autres. Il a également été constaté, en moyenne dans de nombreux ménages, que le taux d'infection des enfants est exactement le même que celui des autres groupes d'âge. C'est un paramètre important. Mais ce que nous ignorons, c’est à quel point un enfant est infectieux? Il est relativement difficile de déterminer cela dans la situation actuelle sur la base d'études épidémiologiques. Car actuellement nous sommes dans une situation de distanciation sociale, avec des écoles fermées, où les infections se produisent principalement dans la famille. La question est donc: qui amène l'infection dans la famille? La réponse est que c'est probablement le groupe d'âge de la population qui quitte la maison. Au début de l'épidémie en Allemagne et dans de nombreux autres pays, ce sont les adultes relativement jeunes (30 à 45 ans) qui ont été contaminés.
Korinna Hennig: Ceux qui voyagent beaucoup.
Christian Drosten: Exactement, les adultes professionnellement actifs. Dans le cas particulier de l'Allemagne, c’étaient les skieurs. Les enfants ont toujours été au bout de la chaîne de transmission.
[Ce qui fait actuellement l'objet de discussions est de savoir si l'activité infectieuse chez les enfants est la même que chez les adultes.]
Une autre observation qui est discutée est qu'il faut absolument examiner les paires de transmission. On peut voir que relativement peu d'enfants sont parmi ceux qui présentent une infection. Et il existe une étude - essentiellement une compilation de données - qui a été réalisée par l'Institut national de la santé publique des Pays-Bas. Il existe une compilation qui décompose les personnes de contact dans les ménages (paires de transmission). Nous savons que le taux est à 15%. Mais comment est-ce réparti entre les classes d'âge? Il y a un graphique intéressant. Cela montre qu'il y a plus de contacts infectés dans les groupes d'âge adulte et pas chez les enfants, et même aucun chez les enfants. Le problème avec cette analyse est que ce n’est statistiquement pas significatif. Il n'y a tout simplement pas assez d'enfants dans cette étude.
C'est le gros problème que vous avez lorsque vous souhaitez examiner des enfants : il y a toujours trop peu d'enfants. Pourquoi? Imaginez, vous êtes infecté et allez dans un centre d'examen ou chez votre médecin. Allez-vous y emmener votre ou vos enfants? Non, bien sûr que non, parce que d'une part les enfants ne présentent aucun symptôme et d'autre part vous ne les traînez pas là où il y a beaucoup d'autres malades.
Il y a une chose qui nous manque à cause de cela. C'est de savoir combien de virus se trouve dans la gorge d'un enfant?
Korinna Hennig: On peut bâtir une hypothèse à partir d'autres infections, et l’on sait que les enfants ont toujours une quantité particulièrement importante de virus dans la gorge.
Christian Drosten: Exactement, par exemple avec la grippe, ou également avec de nombreux autres rhumes. Les enfants sont immunologiquement naïfs, le virus peut se multiplier sans fin. C'est pourquoi, lorsque nous mesurons la concentration de virus dans la gorge d'un enfant par rapport à la concentration de virus dans la gorge d'un adulte, nous avons parfois une différence de 10 000. Ainsi, un enfant a 10 000 fois plus de virus dans l'écouvillon de la gorge qu'un adulte. Mais avec cette maladie, nous n'avons pas encore mesuré cela.
[…] Maintenant, nous revenons à la question de savoir s’ils libèrent autant de virus qu'un adulte. Car on ne peut pas demander à des tout petits de porter un masque et de garder une distance de 1,5 mètre. Et que dans les crèches et les maternelles, les enfants sont proches les uns des autres, et qu'ils ne présentent aucun symptôme. Par contre, s’ils sont asymptomatiques, ils ne toussent pas autant et ne propagent pas autant le virus. Et comme ils sont petits, ils ont un volume pulmonaire relativement faible et excrètent également moins lorsqu'ils respirent, toussent ou crient.
Korinna Hennig: En revanche, ils se touchent beaucoup plus au visage.
Christian Drosten: Exactement. Et aussi celui de leurs parents. Je sais aussi qu'il est très important que nous puissions rouvrir les crèches parce qu'il y a des parents qui ne peuvent pas travailler. Dans ce cas, si on rouvre les crèches et les maternelles, il faut que les membres de la famille se fassent tester et restent chez eux si des symptômes surviennent. Vous ne devez en aucun cas rendre visite aux personnes âgées. Quant à l'école primaire, c'est autre chose, car on peut dire aux élèves du primaire que la pause ne se fait désormais qu'à l'extérieur, qu’il y a des pauses différées, de sorte que, par exemple, seulement un quart des élèves se trouve dans la cour de récréation etc.
Korinna Hennig: Qu’en est-il des aires de jeu qui se trouvent à l’extérieur ?
Christian Drosten: On a déjà parlé des aérosols, il y a probablement une part de transmission par aérosol. Par exemple, il a été constaté que dans certaines zones surpeuplées, où de nombreuses personnes ont tendance à s'accumuler, qu’il y a des concentrations mesurables d'aérosols dans l'air. [Mais à l’extérieur, l’air ne stagne pas]. C'est pourquoi il faut profiter du beau temps pour sortir. Sur un terrain de jeux en extérieur, il est possible de laisser quelques enfants jouer en faisant attention. Mais on ne peut exclure une transmission par contact, en touchant une surface. Il faut prendre en considération les dommages collatéraux, si les familles qui sont dans un petit appartement en ville ne peuvent même pas emmener leurs enfants sur une aire de jeux.
[Pour moi, il y a deux choses que l’on peut faire :] des classes de 20 élèves, se tenant à distance, avec un masque couvrant la bouche et le nez. L'autre scénario serait: exactement la même classe avec une fenêtre ouverte et un grand ventilateur souffle l'air vers l’extérieur, porte ouverte. Ce dernier aurait ma préférence.
L'immunité
Korinna Hennig: Je voudrais aborder un autre sujet, celui de l’immunité
Christian Drosten: Je continue de partir du principe qu'il existe une immunité qui peut décliner après deux ans ou peut-être un peu plus. Nous constatons chez certains de nos premiers patients que nous suivons que les anticorps diminuent après deux mois. Mais les anticorps ne sont qu'un indicateur d'une infection passée. Ce ne sont pas les anticorps seuls qui créent et gèrent l'immunité.
Je ne dirais pas qu'un test ELISA est une preuve d'immunité. Je dirais plutôt que celui qui est positif a eu la maladie. Ensuite, je continuerais de penser qu’avoir eu l'infection offre une protection. Mais après un certain temps, un an et demi, deux ou trois ans, on peut à nouveau être infecté par le même virus. C’est ce qui se passe avec les coronavirus du rhume. Je ne pense donc pas que ce soit différent avec ce virus. En tout cas, une nouvelle infection se déroulera mieux en cas de réinfection et la personne n’excrétera plus autant de virus, sera moins contagieuse.
[Le danger d’un passeport d’immunité est la] stigmatisation sociale [par des employeurs, des assureurs], et jusque dans la sphère privée - que les gens commencent à montrer leur carte d'immunité et à montrer ou à exclure des personnes de la fête d'anniversaire. Nous devons empêcher ces choses, qui détruiront la société. Je pense que c'est pourquoi l'Organisation mondiale de la santé met en garde contre quelque chose comme ça.
#37étude de Berlin
Korinna Hennig: Les Suédois, qui n’ont pas fermé leurs écoles, ont-ils publié des choses sur les chaînes de contamination ?
Christian Drosten: Je pense que des collègues suédois enquêtent actuellement, mais je ne connais aucune donnée issue de la littérature.
Korinna Hennig: Dans votre dernière étude, vous disposez de données provenant de près de 60 000 Berlinois, dont 6% étaient positifs pour le coronavirus, et vous les avez répartis par tranches d'âges. À quel point ces données sont-elles révélatrices concernant les enfants?
Christian Drosten: Tout d'abord, je dois dire: [ce n'est pas la méthode habituelle de récolte de données pour faire une étude, mais] Il n'y a actuellement pas d'école et de garderie ouvertes. Comme nous testons massivement en Allemagne, on peut rétrospectivement reprendre ces données de laboratoire, et les tests étaient principalement basés sur les symptômes. Les enfants sont peu testés car ils ne présentent aucun symptôme. […] [Nous avons néanmoins suffisamment de données pour Berlin pour pouvoir] déjà analyser les enfants. J'ai analysé les données avec un mathématicien qui travaille pour moi à l'institut, Terry Jones, et nous avons publié un manuscrit scientifique complet. [Notre] analyse statistique dit: Nous ne pouvons pas prouver dans des groupes d'enfants que la concentration de virus dans les voies respiratoires est différente de celle des adultes. Si on regarde les données, il semble que c’est un peu moins pour les enfants. Et si on regarde les valeurs moyennes dans les tableaux, on peut y voir une tendance selon laquelle les enfants ont en moyenne un peu moins de charge virale. [...] Nous avons divisé cela en différents groupes d'âge,jusqu'à dix ans, 20 ans, 30 ans et ainsi de suite. [...] On peut dire qu'il n'y a pas de différences détectables dans la charge virale. C'est ce que dit cette publication scientifique.
Korinna Hennig: Pas même entre les tranches d'âge des enfants? les enfants de maternelle comme les enfants plus âgés du primaire, par exemple?
Christian Drosten: Non, il n'y a pas de différences pertinentes. Il faudrait avoir dix fois plus d'enfants, mais nous n'en avons pas. [On a] 37 enfants de zéro à 6 ans. Pour l'école primaire, de 7 à 11 ans, nous avons 16 enfants, c'est un très petit groupe. Pour l'âge scolaire, nous en avons 74, et d’âge universitaire, 267. Ensuite, plus de 1000 adultes jusqu'à 45 ans, et plus de 2000 personnes âgées de plus de 45 ans. Nous avons testé 60 000 personnes et en avons 3712 qui sont positives. […] [Les enfants de cette étude] ont des symptômes. Mais l'étude inclut également des enfants asymptomatiques. C'est également le cas des adultes, il y en a aussi des symptomatiques et asymptomatiques. Mais les symptômes sont généralement majoritaires.
Korinna Hennig: Mais la proportion de personnes asymptomatiques parmi les enfants est susceptible d'être particulièrement élevée par rapport aux adultes, de sorte que ces résultats ne peuvent être transférables que dans une mesure limitée ou pas du tout?
Christian Drosten: Il faut être très prudent et très critique avec nos propres données. [Dans notre hôpital de la Charité, nous avons accès aux dossiers des patients, c’est à dire une partie des cas sur lesquels se base l’étude] nous avons fait une évaluation spéciale pour les enfants quand nous le pouvions. C'est pourquoi nous avons cherché dans un sous-groupe quand nous le pouvions et avions les données.[…] les enfants malades ont moins de concentration de virus que les enfants en bonne santé. Je peux également expliquer pourquoi il en est ainsi. Nous savons que chez tous les patients au cours de la deuxième semaine de maladie, il y a beaucoup moins de virus, voire pas du tout sur les écouvillons de la gorge. Ceux qui ont des symptômes ont donc une concentration du virus qui est déjà en baisse.
Korinna Hennig: Dans le document que vous avez rapidement écrit, vous avez en fait formulé une conclusion relativement claire: Soyez prudent avec les plans pour l'ouverture complète des garderies et des écoles! Autre question : à quelle fréquence les enfants s'infectent-ils?
Christian Drosten: Je voudrais souligner que la conclusion de l’étude est: "Les enfants peuvent être aussi contagieux que les adultes". Et c'est en fait ce que nous disons ici: cela se pourrait bien. Cela pourrait être dû au fait qu'ils ont la même concentration de virus. [...] Il y a autre chose: [La présence de virus est corrélée au temps, au déroulement de la maladie] l'infectiosité est en fait fortement limitée après quatre jours, et après une semaine, elle est terminée.
[…] Votre autre question était: si nous disons maintenant qu'ils pourraient libérer le virus aussi bien que les adultes, sont-ils tout aussi réceptifs? Il y a une autre très, très bonne étude qui a déjà été publiée dans "The Lancet". Dans les études sur les familles (1200 à 1300 familles), les enfants sont infectés dans les mêmes proportions que les adultes. Donc, il y en a environ 12, 15%, je ne sais pas exactement, infectés.
Maintenant, une autre étude a été réalisée à Shanghai et à Wuhan qui arrive à la même conclusion […] On a cinq patients de moins de 15 ans, et aussi des patients entre 15 et 64 ans, de plus de 64 ans. Des tests PCR ont été utilisés pour voir combien de personnes infectées il y avait. Et vous trouvez 6,2% chez les enfants, 8,6% chez les adultes. Soit dit en passant: 16,3% chez les personnes âgées, il y a donc apparemment une augmentation du taux d'infection.
Korinna Hennig: Pas une grande différence.
Christian Drosten: Pas vraiment une grande différence, exactement. [on a également regardé précisément] qui a des contacts avec qui dans ces familles ou dans des situations quotidiennes, à quelle fréquence ? les enfants ont-ils un certain taux d'infections parce qu'ils sont moins sensibles à l'infection? Ou est-ce parce qu'ils ont moins de contacts avec les personnes plus susceptibles d'être infectées? [On a essayé] de corriger statistiquement toutes ces questions [et il en ressort qu’] un enfant de moins de 14 ans s’infecte trois fois moins souvent qu’un adulte, alors que chez une personne de plus de 65 ans, le risque d'infection est 1,5 fois plus élevé.[...] Mais en même temps, il faut aussi dire que les enfants en garderie et à l'école, ont au moins trois fois plus de contacts intensifs. Ce sont également des considérations qui entrent en compte.
Korinna Hennig: Nous avons déjà parlé du fait que de nombreux jeunes enfants ont tendance à ne pas tousser en raison de l'absence de symptômes. En revanche, quand je pense à mon fils de quatre ans, il chante toute la journée. Il parle incroyablement fort, court au lieu de marcher et respire donc plus fort.
Christian Drosten: Bien sûr, ces différences de comportement sont également importantes. Une dernière chose, [à propos de] cet article dans "Science". La question est posée de savoir si en fermant les écoles, et en maintenant une fréquence normale des contacts dans la population [qu’est-ce que ça change?] Les auteurs disent d'abord très clairement: ça ne suffit pas pour arrêter une telle épidémie. [avec] un taux de transmission de 1,5 (R=1,5), une fermeture complète de l'école pourrait paralyser l'épidémie. Malheureusement, R n'est pas 1,5 dans cette maladie, mais se situe quelque part autour de 2,5. Les femmes enceintes et les nouveau-nés ne sont généralement pas à risque
Korinna Hennig: Il y a quelques rapports isolés de nouveau-nés en provenance de Chine qui se sont révélés positifs après l'accouchement mais n'ont présenté aucun symptôme ou presque. Les femmes enceintes n'ont pas à s'inquiéter?
Christian Drosten: Je ne vois aucune publication, aucune donnée qui changerait ce point de vue pour le moment. Les femmes enceintes sont un groupe à risque spécial pour la grippe, mais ce n'est pas le cas avec cette maladie.
#38 étude de l'Oise
Korinna Hennig: il existe un preprint intéressant concernant la France, une école de l'Oise - lorsque les écoles étaient encore ouvertes. 660 personnes ont été testées pour les anticorps. Enseignants, élèves, mais aussi parents et frères et sœurs.
Christian Drosten: C'est une étude très intéressante. Dans cette région, il y a eu des cas relativement tôt et pendant environ cinq semaines, le virus a pu se propager dans cette école, sans qu’on le remarque au début. Il s'agit d'une situation naturelle. Le nombre d'élèves infectés a été examiné ici, ainsi que de leurs familles, celui des enseignants et des autres personnels. Ici, on a des chiffres de 10,2 et 11,4 % pour les contaminations des frères et sœurs, et des parents. 38,3% des élèves ont été infectés, ainsi que 43,4% des enseignants et 60% des autres employés (personnel de la cantine, gardien, psychologues scolaires). Une chose qu'il faut dire ici, ce n'est pas une école pour petits enfants, ici les élèves ont entre 15 et 18 ans[…] Au moins 40% de toute l'école était infectée. C'est important. Un lycée en ville qui compte 1500 élèves. Si vous avez soudainement 800 nouveaux cas en quelques semaines, alors on peut imaginer que cela conduira à une épidémie.
Je veux dire encore une chose au sujet des 40% qui ont été infectés dans cette école. Sur les 1300 élèves environ - j'ai même noté le nombre, il y a 1262 élèves dans cette école - seuls 326 se sont inscrits pour participer à l'étude. Ainsi, seulement 37% de l'école ont participé à l'étude. Les 1262 n'ont pas tous été testés, seulement 326.
Korinna Hennig: Plus les parents.
Christian Drosten: Les parents aussi. C'était un peu plus, 345. Est-ce un échantillon représentatif? [On pourrait dire qu’on se porte] volontaire pour participer à l'étude parce qu’on a eu des symptômes et qu’on veut savoir si cela vient de cette maladie. Cela aurait tendance à attirer plus de personnes infectées dans l'étude. L'autre point qui pourrait annuler cet effet est qu'il y avait déjà des tests intensifs dans cette école à cette époque. Beaucoup de personnes touchées avaient déjà reçu un test PCR. Alors ils le savaient déjà. [Peut-être que ces deux effets s’annulent], on ne peut pas le dire.
En tout cas, c'est un nombre impressionnant. [Cette situation ne peut pas se reproduire avec les mesures prises actuellement dans les écoles]
Korinna Hennig: Cette étude de l'Oise indique également que les fumeurs ont un taux d'attaque secondaire significativement plus faible que les non-fumeurs. L'Institut Pasteur de Paris l'a publié il y a quelques jours. Cela semble surprenant, car le tabagisme endommage les poumons. À votre avis, est-ce significatif?
Christian Drosten: Je n'en suis pas si sûr. C'est un contraste frappant qui résulte de l'évaluation statistique. Cette étude indique que les fumeurs sont moins susceptibles d'être infectés. Je ne veux pas donner les chiffres ici parce qu'ils sont si contrastés que je pense qu'il doit y avoir une erreur quelque part. Je ne peux pas l'expliquer et je ne veux pas l'expliquer non plus. C’est aux auteurs de le faire. Je suis sûr que si l'étude est officiellement évaluée, les experts diront: attendez, quelque chose ne va pas ici, vous devez revoir ça avec une autre méthode.
Korinna Hennig: Si nous revenons au nombre de personnes infectées, aux taux d'attaque secondaire, il existe maintenant des chiffres circulant sur Internet qui produisent des résultats complètement différents. En Australie, par exemple, il existe des données provenant de 15 écoles. Comment évaluez-vous les chiffres?
Christian Drosten: Ce que nous voyons ici est un exemple de la façon dont la science est actuellement sous pression politique. Dans cette pré-évaluation australienne, par exemple, il a été constaté que 9 élèves et 9 enseignants dans un certain nombre d’écoles étaient infectés, et il n’y en avait pratiquement pas d’autres. Une prise de position a été rédigée à ce sujet, ce n'est même pas une publication scientifique préalable, c'est plus un texte pour le public. [Il faut] encore attendre. Il y aura également un manuscrit scientifique. Ce n'est qu'alors que vous pourrez juger cela. Les politiciens doivent considérer les informations scientifiques et économiques et prendre une décision rationnelle pour la société. Telle est la grande difficulté et la grande responsabilité de la politique.
[...]
étude de Genève
Korinna Hennig: La semaine dernière, nous avons parlé d'un aspect, à savoir les données sur la concentration de virus chez les enfants (étude de la Charité) et vous avez dit qu’il fallait d’autres études. Quelque chose de similaire a été fait à Genève. Cela a-t-il confirmé vos résultats?
Christian Drosten: Oui, il y a une étude d'Isabella Eckerle, qui était dans mon laboratoire à Bonn. [Elle] est maintenant professeur à Genève et continue de faire de la virologie. Ce qu'elle a fait est différent de ce que nous avons fait ici. Elle a examiné 23 cas d'enfants de l'hôpital de Genève ainsi que des cabinets médicaux, entre sept jours et 16 ans d’âge. Il n'a pas seulement été mesuré la charge virale, mais elle a aussi isolé le virus infectieux de ces échantillons en culture cellulaire. Il s'agit d'un très bon critère d'infectiosité réelle. Elle a réussi à isoler le virus dans la moitié (12) des 23 enfants. Et en moyenne, ces enfants avaient une concentration de virus importante - la moyenne est de 1,7 fois dix puissance huit copies par millilitre, ce qui est un avec huit zéros derrière.
Cela correspond également à ce que nous voyons dans nos données. Trois enfants ont moins de trois mois et eux aussi ont une charge virale de plus de dix puissance huit dans un millilitre. Il n'y a donc aucune raison de penser que les enfants ont moins de virus infectieux que les adultes dans la gorge. C'est exactement ce que nous avons trouvé. Mais ce n’est qu'une partie de l'équation. Nous savons maintenant avec une certaine probabilité que les enfants ont un virus infectieux dans la gorge. Je le dis maintenant délibérément dans cette façon, car il ne s'agit pas de dire que c'est exactement le même montant, mais nous n'avons statistiquement aucune raison de penser que le montant est différent. Les données montrent une tendance vers une concentration de virus plus faible, en particulier chez les jeunes enfants. Une telle tendance peut également être observée dans l'étude de Gangelt, mais malheureusement le nombre d'enfants est trop faible. Les enfants y sont sous-représentés. Il faut dire qu'il n'y a aucune preuve scientifique selon laquelle la concentration de virus dans la gorge des enfants est différente de celle des adultes. [...]
Korinna Hennig: La politique demande à la science: pouvez-vous nous fournir des preuves que...? Et la science répond: non, mais nous ne pouvons pas non plus vous fournir la preuve du contraire.
Christian Drosten: C’est ce qu'il faut comprendre en ce moment. Nous avons parlé de l'autre côté de l'équation qui est que les enfants semblent moins s’infecter, comme le montre l'étude chinoise publiée dans Science.[...] Cela correspond également à ce qu’on voit dans certaines cohortes familiales : les tout-petits ne semblent pas du tout infectés. [Mais il est également dit que les enfants ont tellement de contacts mutuels qu'en fin de compte ils s’infectent tout autant]. En tant que particulier, [je trouve que l'ouverture des crèches et maternelles socialement et économiquement nécessaire]. Mais en tant que scientifique, je dois dire: attention, cela peut être une erreur.[...]
Conclusion
Où devons-nous et pouvons-nous ouvrir en premier? En tant que scientifique, on peut faire des recommandations. Nous constatons une tendance dans les données que les jeunes enfants sont un peu moins sensibles à la maladie et que la charge virale des plus petits est moindre, ce qui n’est pas le cas chez les enfants plus âgés. Par conséquent, je dirais que les écoles primaires et les garderies (=crèches et maternelles pour la France) pourraient ouvrir en premier. Cependant, cette ouverture ne doit pas être totale ; garderies réservées à certains groupes de parents, et pour les écoles primaires, la densité ne doit pas être trop grande, en sortant à l’extérieur...
Dans les classes supérieures [il faut éviter les regroupements, donc fermer les cours de récréation et travailler en demi-groupe. En ce qui concerne la visite aux grands-parents, on pourrait tester les enfants avec le test PCR toutes les deux semaines. Bien sûr, on ne peut pas demander aux familles avec une personne à risque d’envoyer leur enfant à l’école. Pour eux, l'école à distance doit se poursuivre].