jeudi 6 août 2020

Clusters/ quarantaine/ tests: Un plan pour l'automne (Die Zeit, 5 août 2020)

Texte initialement réservé aux abonnés et lecteurs de la version papier et rendu accessible à tous en raison du grand intérêt public.

L'auteur:

Christian Drosten est l'un des spécialistes des coronavirus les plus respectés au monde. Le responsable de la virologie de la Charité de Berlin est également devenu "le grand éclaireur national". Des dizaines de milliers de personnes écoutent son podcast sur la NDR. En janvier 2020, son groupe de recherche a développé la première méthode de détection au monde pour détecter le virus Sars-CoV-2. Plus tard, il a également conseillé le gouvernement fédéral en tant qu'expert.





Lorsque l'épidémie de Covid 19 a atteint l'Allemagne, le pays a réagi rapidement et bien. Dans pratiquement aucun autre grand pays industriel, si peu de gens sont morts de la maladie. Nous avons pu mieux contrôler cette première vague que beaucoup d'autres car nous avons pu tester tôt et il y avait une plus grande confiance entre société, politique et sciences de l'infection qu'ailleurs. Notre confinement précoce et court a sauvé l'économie de nombreux dommages. Il n’y a pas qu’aux États-Unis que l’on peut voir ce qu’un assouplissement trop précoce, puis une marche arrière, signifie pour l’économie.

Mais maintenant, nous courons le risque de gâcher notre succès. Il y a une raison principale à cela: nous apprenons beaucoup sur le virus, mais nous n’adaptons que timidement nos recommandations. Nous devons nous poser quelques questions: quelles conséquences tirons-nous de la connaissance que le virus se transmet principalement par voie aérienne - pas seulement par la voie classique des gouttelettes, mais aussi par les aérosols? Quelles conséquences en 
automne et en hiver pour les bâtiments publics, pour les crèches et les écoles, pour les bureaux et les collectivités, pour les hôpitaux et les maisons de retraite? Quand porterons-nous systématiquement notre masque, également sur notre nez, et pas seulement en dessous? Quelles solutions techniques et pragmatiques existe-t-il pour un renouvellement d'air adéquat - dans un pays d'ingénieurs, et non pas un pays d'inquiets? Et comment envisageons-nous l'utilisation des vaccins qui seront certainement disponibles l'année prochaine? Même en n'offrant pas une protection complète, ils ralentiraient considérablement la propagation du virus et rendraient la maladie moins grave. 

L'enjeu est de connaître notre marge de manœuvre en attendant qu’un vaccin soit disponible. Une contamination générale mal maîtrisée pourrait détruire nos succès antérieurs, à la fois médicaux et économiques.

Si on veut faire une recommandation d'action judicieuse pour l'automne, on doit d'abord comprendre les différences entre la première et la deuxième vague. La première vague est survenue lorsque le virus a été introduit par des skieurs et autres voyageurs, qui l'ont propagé à l’intérieur de leur groupe d'âge. Il s'en est suivi une propagation parmi les personnes âgées, en particulier dans les maisons de retraite et les établissements de soins. Il a ensuite été possible de contrôler la propagation exponentielle du virus et d'arrêter la première vague sans qu’elle se répande largement. Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. À mesure que notre connaissance du pathogène augmente, nous devons réviser nos concepts. Et surtout, il faut se préparer au fait que la deuxième vague aura une dynamique complètement différente.

Alors que le virus s’est introduit dans la population avec la première vague, il va se propager avec la deuxième vague à partir de la population. Car entretemps il s'est répandu de plus en plus uniformément à l’intérieur des couches sociales et des classes d'âge. Et après les vacances, nous verrons que les nouvelles infections seront 
géographiquement mieux réparties qu'avant.

Tout cela a des conséquences sur la remontée des chaînes de contaminations: alors qu’on a pu remonter jusqu’ici la plupart des chaînes, de nouveaux cas pourront bientôt survenir partout en même temps, dans tous les Kreise, dans toutes les tranches d'âge. Les autorités sanitaires qui manquent de personnels seront alors complètement débordées et ne pourront pas s'occuper de la mise en quarantaine de chaque personne contact. Beaucoup d'entre elles avaient capitulé devant cette tâche lors de la première vague.

Mais sommes-nous pour autant exposés à une deuxième vague sans protection? Non. Si on regarde de plus près, la distribution ne se fait pas homogènement et on peut en profiter. Les spécialistes des infections observent une répartition étonnamment inégale du nombre de contaminations par patient. Le taux de reproduction R ne représente qu'une moyenne. Si on prend une valeur R de 2 comme exemple, chaque patient infecte deux autres. Mais seulement en moyenne. Dans notre exemple, neuf patients sur dix n'en infectent qu'un autre, mais l'un des dix en infecte onze autres. Au total, dix patients sont à l’origine de vingt cas ultérieurs.

N'imaginons pas ces dix personnes infectées en même temps, mais l'une après l'autre, alors nous avons une chaîne d'infection. Neuf des dix cas de cette chaîne sont des émetteurs uniques, et ils ne jouent aucun rôle dans la propagation exponentielle du pathogène. Avec l'un des dix, il y a une transmission multiple, un cluster. Alors que la chaîne se rompt parfois lors de transferts uniques, plusieurs nouvelles chaînes peuvent démarrer à partir d'un cluster. Cela signifie croissance exponentielle.

Cela dépend donc des clusters. Ce sont eux le moteur de l'épidémie. Les autorités doivent concentrer leurs efforts sur eux si la deuxième vague débute à plusieurs endroits en même temps. Comment faire?

Un regard vers le Japon aide. Le pays a mis en garde très tôt ses citoyens contre les foules importantes, les lieux clos et les contacts rapprochés. Comme ailleurs en Asie, les masques sont largement acceptés. Au lieu de tester beaucoup et de manière non ciblée, le Japon a décidé de prévenir les grappes de transmission dès le début. À cette fin, le pays a dressé des listes officielles des situations sociales typiques dans lesquelles les clusters se produisent et les a rendues publiques. Les autorités sanitaires recherchent les cas typiques de clusters dans l'historique des contacts d'un cas reconnu.

Le confinement ciblé des clusters est apparemment plus important que la recherche de cas individuels avec des tests menés à grande échelle. Le Japon a réussi à maîtriser la première vague sans confinement malgré un nombre important d'infections importées.

Je plaide désormais pour que les autorités sanitaires, si elles sont débordées, ne réagissent uniquement (ou du moins principalement) à un test positif que s’il est dû à un cas venant d’un possible cluster. Les nombreux tests que les politiciens préparent actuellement se révéleront bientôt positifs et accableront les autorités sanitaires - on ne peut pas éliminer le virus en testant, et un test positif demande une réaction.

Ce qu’il faut faire: regarder en amont est plus important que regarder en aval. Parce que les contaminations ne sont généralement reconnues que plusieurs jours après l'apparition des symptômes. Le patient a de la fièvre, attend le lendemain, puis va chez le médecin. Il ne reçoit le résultat de son test que le lendemain.
Souvent un autre jour est perdu parce que le patient hésite, le médecin de famille le dissuade ou le laboratoire envoie les prélèvements à un sous-traitant. Donc, généralement au moins quatre jours se sont écoulés depuis que le patient a ressenti les premiers symptômes. À ce stade, il n'est guère contagieux. On sait maintenant que la phase infectieuse dure environ une semaine, dont les deux premiers jours avant l'apparition des symptômes. Certaines autorités sanitaires isolent encore le cas identifié pour éviter qu'il n'en infecte d'autres. Ce n'est pas une erreur, mais cela pourrait tout aussi bien être pris en charge par le médecin de famille du patient.

Le service de santé doit regarder en amont: le patient travaillait-il dans un open-space, était-il à une fête avec des proches alors qu'il était vraiment contagieux, c'est-à-dire deux jours avant l'apparition des symptômes? Plus important encore: où le patient aurait-il pu s'infecter une semaine avant l'apparition des symptômes - cela aurait-il pu se produire dans un cluster? Chaque citoyen devrait tenir un journal de contact cet hiver. En se concentrant sur la source de l'infection, le patient nouvellement diagnostiqué devient un indicateur d’une source d’infections non détectée qui se sont multipliées entre-temps. Les membres d'un cluster source doivent immédiatement être placés en isolement chez eux. Beaucoup d'entre eux pourraient être très contagieux sans le savoir. Il n'y a pas le temps pour les tests. Il faut expliquer ça aux politiciens, aux employeurs et aux citoyens.

Les médecins-conseils savent déjà tout ça et essaient d'agir en conséquence. Mais lorsque plusieurs cas apparaissent, ils subissent une pression énorme - par exemple, pour qu’ils effectuent des tests avant de placer les clusters les plus importants en quarantaine. C'est pourquoi ils ont besoin de directives auxquelles ils peuvent se référer. Quelles situations du quotidien, quelle taille de groupe sont particulièrement risquées? Un cluster source peut être, par exemple, un open-space, une équipe de football ou un cours pour adultes.

Une classe dans une école peut aussi être un cluster, il faut s'y préparer, surtout pour cet automne. Comme il n'y a qu'une faible proportion de cas symptomatiques chez les plus jeunes élèves, chaque cas symptomatique peut signifier qu’il y a un cluster. La stratégie japonaise pourrait aider à garder les écoles ouvertes plus longtemps avant d’avoir à les fermer. La condition préalable est claire: dans le quotidien scolaire, les classes doivent être séparées les unes des autres afin de garder des unités épidémiologiques fermées.

Nous avons besoin de tests de contagiosité plutôt que d'infection

Mais si, dans la dynamique de la seconde vague, on trouvait une foule de clusters partout, n'imposerait-on pas à terme un confinement général? Ne devrait-on pas alors envoyer partout des gens en quarantaine? Et cela ne conduirait-il pas à des résistances?

Peut-être pas si vous utilisez la stratégie à bon escient. Tout d'abord: si vous regardez des données plus récentes sur l'excrétion du virus, l'isolement pendant 5 jours des membres d’un cluster est suffisant, et le week-end peut être compté. J'appellerais cette conjonction de quarantaine et d'isolement "temps d’affaiblissement" pour ne pas diluer la terminologie. À la fin de ces cinq jours (et pas avant), on teste les membres du cluster. Une telle règle unique pour les clusters est gérable et c'est toujours mieux qu'un confinement général.

En outre, nous avons besoin d'un changement crucial de notre stratégie: tester la contagiosité plutôt que l'infection. Les tests PCR courants fournissent déjà les informations au sujet de la charge virale. Une faible charge virale signifie qu'un patient n'est plus contagieux. Si nous osions définir un seuil pour la charge virale à partir des données scientifiques disponibles, les médecins pourraient alors immédiatement libérer les personnes placées en quarantaine se situant sous ce seuil. La plupart le seraient.

Mettre fin à la quarantaine même sans test serait envisageable en temps de crise, car la stratégie des clusters fonctionne de toute façon avec des risques résiduels. Toutes les personnes impliquées doivent accepter qu'il n'est pas possible d’empêcher chaque infection en temps de crise. Très peu de médecins conseils voudraient en assumer seuls la responsabilité. Car en cas de doute, leurs décisions doivent pouvoir tenir devant un tribunal. C'est pourquoi un médecin ne peut souvent rien faire d'autre que de se conformer à des directives externes, comme les recommandations du Robert Koch Institute (RKI). Celles-ci visent un suivi correct et complet des cas. Mais si les autorités sanitaires se retrouvent débordées durant la deuxième vague, il risque d’y avoir un confinement général.

L'expérience d'autres pays nous enseigne déjà qu'il est impossible d'interrompre complètement les transmissions individuelles. Ainsi, dans les moments difficiles, nous devons permettre aux autorités sanitaires d'ignorer le risque résiduel. Il faut déployer le peu de personnel là où ça compte: les clusters.

Les recommandations existantes du RKI sont précises et correctes, mais les bureaux ont aussi besoin de directives pour les moments critiques. Cela inclut une surveillance simplifiée des contacts individuels, une définition des situations de cluster, qui sont immédiatement et unitairement soumis à la quarantaine, ainsi qu'un temps court d’"affaiblissement" des clusters avec une charge virale résiduelle tolérée. Il faut un consensus là-dessus.

Les autorités sanitaires et le RKI ont très bien géré cette pandémie et méritent le plus grand respect pour cela. La deuxième vague oblige désormais l'ensemble de la population, les employeurs et les politiques à réfléchir. Si les infections augmentent brusquement, nous avons besoin d'un moyen pragmatique pour arrêter la multiplication des clusters: sans confinement, mais avec un risque résiduel. Tout le monde doit comprendre et partager cette voie, y compris en respectant certaines mesures telles que le port du masque et une restriction concernant les fêtes privées. Le moment pour une gestion de crise peut varier d'une région à l'autre.

Dans le meilleur des cas, nous n’en aurons pas besoin.