Drosten: Oui, ce n'est pas nécessairement une source de préoccupation au début. C'est parce que nous avons une situation incroyablement dynamique ici. Les études de phase 3 sont en cours et elles sont interrompues pendant quelques jours car il y a une complication. Par exemple, nous avons vu dans les médias la semaine dernière qu'un essai de vaccin, une phase 3 au Brésil, a été interrompu parce que quelqu'un est décédé. Il s'est ensuite avéré que c'était quelqu'un qui n'avait pas du tout été vacciné, mais qui avait reçu un placebo. Si vous vaccinez 30.000 personnes, certaines mourront bien sûr. Si vous aviez tous les groupes d'âge, on aurait 1 % de mortalité par an ou même un peu plus, 1,5 % de mortalité par an. Disons que si nous vaccinons 30.000 personnes en quatre ou cinq mois, combien de personnes mourront? des centaines. Mais ce n'est pas toujours dû au vaccin. Nous pourrions tout aussi bien jouer la Neuvième de Beethoven à 30.000 personnes pendant quatre mois, et certains mourront aussi. Mais pas à cause de la musique, c'est juste que des gens meurent dans chaque population. Et la question que nous devons toujours nous poser ici est celle de la causalité. Était-ce vraiment le vaccin? Il y a bien sûr certaines maladies que vous examineriez de plus près que d'autres. Par exemple, un vaccin est un traitement immunologique. Il y a bien sûr des maladies liées au système immunitaire, qui ressemblent à des maladies auto-immunes etc. On a beaucoup plus de suspicions qu'avec une maladie qui n'aurait rien à voir avec le système immunitaire, c'est par exemple une procédure dans ces études. Parfois, il faut juste du temps pour clarifier quelque chose comme ça. En principe, bien sûr, il est également bon que quelque chose comme ça parvienne immédiatement au public. Pour que le public sache s'il y a un problème quelque part, avec une phase de test d’un vaccin.
antibody dependent enhancement
Hennig: Parce que la transparence est importante. Avant l'été, nous avions brièvement parlé dans le podcast et de manière théorique d'un phénomène appelé facilitation de l'infection par des anticorps «antibody dependent enhancement» (ADE) c'est-à-dire des anticorps qui intensifient les infections. En termes simplifiés, cela signifie que les anticorps ne font pas ce qu'ils sont censés faire, à savoir prévenir l'infection, mais plutôt le contraire, permettre au virus d'entrer dans la cellule. Un tel phénomène est également associé aux vaccins. Quel est l'état actuel des connaissances? Y a-t-il des indications que ce problème peut également survenir dans le cadre d'une vaccination contre le coronavirus?
Drosten: Oui, cela est discuté depuis le début. L'ADE est l'un des nombreux phénomènes d'effets des anticorps. Une vaccination crée des anticorps. La question est toujours de savoir si les bons anticorps sont produits, les anticorps neutralisants. Et si leur présence est numériquement dominante par rapport à tous les autres anticorps possibles [...] Une étude est sortie en preprint suggérant assez fortement qu'il existe un problème avec l’ADE. Peut-être devrions-nous l’examiner de plus près, car cela a fait la une des médias anglophones la semaine dernière. Il y a aussi une étude qui vient de Chine, des auteurs de Shanghai et de Shenyang. Ils ont fait une étude où ils ont prélevé le sang de patients qui avaient eu une évolution légère et de patients avec une évolution sévère. Il y a des anticorps dans le sang. Avec la question : est-ce que dans ces anticorps on voit des signes d'un tel effet stimulant de la maladie ou ADE ?
Hennig: En cas de contact avec le virus?
Drosten: Exact. C'est la crainte que des anticorps soient produits avec la vaccination alors qu’on n’a pas été en contact avec le virus. Maintenant vient le virus et au lieu que les anticorps me protègent contre le virus, ils aggravent la maladie. Il existe un exemple célèbre en médecine des infections, c’est l'infection par le virus de la dengue. Peut-être que beaucoup savent que c'est une fièvre tropicale qu’on contracte avec une piqûre de moustique. Ce virus de la dengue est en fait quatre virus complètement indépendants, quatre virus différents. Ils sont liés d'une certaine manière, mais pas suffisamment pour que les anticorps contre un virus protègent contre l'autre virus. Cela signifie que si je suis infecté par la dengue aujourd'hui et que je fais une réaction immunitaire, j'ai ensuite des anticorps. Et l'année d’après j’ai la dengue numéro 2. Et les anticorps qui sont dans mon sang sont contre la dengue n°1, ils reconnaissent un peu ce virus de la dengue n°2, mais ils ne peuvent pas vraiment l'inactiver. Et ce qui se passe maintenant, c'est: l'anticorps ressemble à un Y, les deux parties du haut collent au virus, et la longue partie qui dépasse, le Fc, le fragment cristallisable de l'anticorps, […] rencontre les monocytes, c'est-à-dire les cellules immunitaires - les macrophages en font partie par exemple-. Donc, les cellules qui proviennent de la moelle osseuse et circulent dans tous les organes et qui font un peu de la surveillance des agents pathogènes. Et ces cellules immunitaires ont un récepteur Fc. Ils ont une molécule à la surface qui reconnaît ce Y, ce long bras du Y. Et cela conduit au fait qu'à cause de cet anticorps, le virus est absorbé dans ces monocytes.
Hennig: Parce que l’anticorps colle au virus?
Drosten: Exactement. Ce n'est pas une mauvaise chose au début, cela fait partie de la fonction immunitaire normale. Ce n'est que dans ce cas que le virus essaie de pénétrer dans ces cellules immunitaires. Parce que ce sont les cellules cibles de ce virus. Le virus peut effectuer un cycle complet de réplication dans ces cellules immunitaires et générer une descendance. La prochaine génération de virus émerge de ces cellules immunitaires. Et le facteur de placement est d'environ un sur mille ou un sur 10000, vous pouvez imaginer. Il s'agit d'une infection virale vraiment productive qui a lieu dans ces cellules immunitaires. Ce n'est pas la seule cellule cible, le virus de la dengue a également d'autres cellules cibles dans le corps. Mais ces cellules immunitaires sont l'une des principales cellules cibles.
Hennig: À quelle fréquence cela se produit-il avec les infections par la dengue?
Drosten: Cela nécessite une deuxième infection, puis une troisième et au maximum une quatrième infection ; il n'y a pas plus de quatre virus. Et tout cela est une considération grossière. En réalité, ce n'est pas si simple. En réalité, il y a des effets qui se font concurrence car ces anticorps, ces anticorps hétérotypiques, protègent un peu contre le virus [...] . Il est très clair que c'est possible dans le cas de la dengue.
Ce que nous devons en fait nous demander maintenant, afin de le prédire pour le Sars-2, c'est comment se passe cette infection? Dans cette infection, les cellules cibles sont-elles également ces cellules immunitaires? Et ce n'est pas le cas. Maintenant, parlons de la dernière partie de l’étude, la discussion. Dans chaque étude, on commence par expliquer d'où viennent les auteurs et comment l'idée est née etc. Puis, on dit comment tout ça a été fait, quelles techniques ont été utilisées. Et à la fin, on parle de la façon dont il faut le comprendre: que peut-on critiquer? Où peuvent se trouver des erreurs ? etc. Et maintenant qu’on en parle, commençons par la fin et disons que dans l'infection avec le Sras, ces types de macrophages ne sont pas les principales cellules cibles pour la réplication du virus. Le virus pourrait y entrer pour le développement de la maladie, nous ne le savons pas exactement. On peut en reparler tout de suite. Mais on sait déjà que ce n'est pas ce qui pousse le virus à se multiplier. La réplication du virus a lieu sur l'épithélium, c'est-à-dire sur la couche cellulaire qui tapisse les muqueuses. Le virus veut y pénétrer. Ce ne sont pas des cellules immunitaires, ce sont des cellules épithéliales.
Hennig: Cela signifie que pour une infection complète, le virus doit y pénétrer.
Drosten: Exactement. Pour la production d’une progéniture, c'est-à-dire une multiplication numérique correcte du virus. Dans cette étude, les auteurs se sont penchés sur des échantillons de patients avec une évolution sévère et avec une évolution bénigne, ils ont rassemblé ces échantillons de sang, avec les anticorps, susceptibles de provoquer cette facilitation de l'infection par des anticorps, les ont réunis avec des cellules de laboratoire. Ces cellules de laboratoire sont des cellules qui possèdent un récepteur Fc. Les cellules immunitaires sont là. Mais il existe également des cellules de lymphome dans certains cas. Ce sont des cellules immunitaires malignes dégénérées qui transportent également une grande partie de ce récepteur, de sorte que l'on peut voir ces effets de laboratoire de façon exagérée. Les auteurs voulaient juste savoir si cet effet existe. Il faut dire qu’ils ont provoqué l'effet dans cette étude. Ce qu'ils ont fait ensuite, c'est qu'ils n'ont pas non plus pris le virus du Sras, ils ont pris un pseudo-type. Nous en avons déjà parlé. Un lentivirus, un virus HI qui a reçu la protéine de surface du virus Sars-2 et qui contient encore un gène dit rapporteur, un gène qui émet un signal lumineux après être entré dans la cellule, qui peut être détecté et qui brille. Et ce qu’on a regardé, c'est l'entrée de ces virus rapporteurs et la création d'un signal lumineux dans la cellule, en présence ou non d'anticorps issus du sang de ces patients. Et on a vu que c’était le cas dans 76% des cas graves, et seulement 8% des cas bénins - une différence considérable. Dans les cas graves en particulier, c'est précisément cette capacité améliorée à pénétrer dans les cellules immunitaires que l'on retrouve dans ce système de substitution.
Hennig: Mais ça veut dire, puisque nous sommes déjà dans la critique, qu’en principe tout est basé sur une erreur de réflexion car le virus ne va pas plus loin dans les cellules immunitaires, du moins pour l'infection car il ne s'y multiplie pas.
Drosten: Oui, la chose intéressante ici réside en fait dans la terminologie. On peut parler d’une facilitation de l'infection par des anticorps. Et avec ce concept d'infection, il y a toujours quelque chose comme une activité de reproduction. Une infection, c'est un virus arrive et se multiplie frénétiquement, puis passe du nez à la gorge jusqu'aux poumons, puis il continue de se multiplier à nouveau. Il y a beaucoup de dynamisme là-dedans. Cette dynamique vient du fait que le virus se multiplie dans les cellules épithéliales. Pour ce faire, il doit pénétrer dans les cellules épithéliales. Et ces cellules épithéliales qui sont touchées ne possèdent pas, ou de manière négligeable, de tels récepteurs Fc, de sorte que la présence d'anticorps renforçant l'infection n'est pas vraiment une option ici.
Mais c'est différent avec le concept de maladie. Une maladie ne résulte pas nécessairement d'un virus envahissant les muqueuses. Souvent, nous ne le remarquons même pas. Le virus ne doit pas nécessairement dissoudre les cellules. Parfois, c'est le cas au début, même avec l'infection avec le Sars-2, elle est si forte que c’est la réaction immunitaire qui provoque la maladie. Alors que le système immunitaire élimine le virus, qui se trouve dans les cellules, la masse cellulaire infectée doit également être attaquée par notre propre système immunitaire. Ainsi, nos cellules immunitaires viennent attaquer les cellules infectées par ce virus et les éliminent, causant des dommages à l'épithélium. Et il y a de nombreuses substances libérées qui vont vous faire sentir malade, qui provoquent de la fièvre, les cytokines. Tout cela [est] l'immunopathogenèse, c'est-à-dire le développement de maladies causées par le système immunitaire. La question est maintenant de savoir s'il existe une possibilité que l'effet d'intensification de la maladie passe par des anticorps. C'est l’objet de cette publication.
Hennig: cela signifie que ce n'est pas si pertinent par rapport à la question du développement de vaccins, car il s'agit de: que font les anticorps une fois que je suis infecté? Et il ne s'agit pas d'un double contact avec le virus, c'est-à-dire une fois par la vaccination puis par une nouvelle infection, uniquement au sein de la maladie.
Drosten: Exactement. C'est peut-être un peu [exagéré] dans cette étude, qui présente cet effet comme dominant dans le processus de maladie, même après une vaccination. Il faut être très prudent. Ce que je peux déjà imaginer, la façon dont cette étude est conçue, c'est qu’on regarde des patients avec un parcours difficile. Et là, on trouve souvent des anticorps qui permettent au virus de pénétrer dans les cellules immunitaires. Cela correspond aux observations que nous faisons également. On peut le voir dans les poumons des patients décédés, si on regarde attentivement quelles cellules sont réellement infectées. Par exemple, il y a un très bon travail de la Charité de Berlin sur le sujet. Vous pouvez voir que dans des cas aussi graves, du matériel viral et des protéines virales peuvent également être trouvés dans les macrophages alvéolaires de façon considérable. Ce sont des cellules immunitaires locales dans les poumons. Elles sont toujours là, entrent et sortent des poumons. On y trouve toujours une telle quantité de macrophages. Ils ont le virus, même si le virus ne se multiplie pas vraiment dans ces cellules. L'augmentation active de la population virale ne se produit pas là. Mais ces cellules contribuent de manière significative à la pathogenèse immunitaire. Maintenant, on peut imaginer que si une personne est infectée et qu'elle fabrique des anticorps dans la phase tardive de l'infection, et qu’à cause de ces anticorps, le virus pénètre mieux dans ces cellules immunitaires, et ces cellules immunitaires provoquent en fait la pneumonie proprement dite, la maladie, alors on peut [se raconter] qu’il y a une facilitation de l'infection par des anticorps. Mais avec une vaccination, nous comptons sur quelque chose de complètement différent, avec une vaccination, nous avons les anticorps à l'avance.
Hennig: Et le plasma de convalescence? De nombreuses recherches sont également menées à ce sujet, à savoir un traitement préventif ou aigu avec le plasma sanguin des personnes qui ont survécu à une infection. Est-ce négligeable?
Drosten: Dans de grandes études avec le plasmas de convalescence dans l'infection au Sras, on peut maintenant dire qu'il ne semble pas y avoir un effet de facilitation de l'infection par des anticorps. Il y a toujours des effets secondaires dans de telles études. C'est simplement parce que vous donnez des anticorps, également d'autres personnes. On a donc certains taux de complications et on doit le donner suffisamment tôt. Si cela est administré trop tard, alors souvent rien ne peut être fait pour le patient avec ces anticorps. Mais dans les études qui ont été réalisées, on ne peut pas réellement dire qu'il existe des preuves de facilitation de l'infection par des anticorps.
Hennig: En sait-on vraiment plus sur ce phénomène maintenant, indépendamment du Sars-2, pourquoi les anticorps font-ils cela, dans quelles conditions cela se produit-il, est-ce que cela dépend de l’âge du système immunitaire ?
Drosten: Pas nécessairement. Cela peut bien sûr être lié à ce phénomène de système immunitaire âgé, mais très indirectement. Il y a une explication très intéressante de ce mécanisme dans cette étude dont nous venons de discuter. En effet, on a examiné de près les domaines du virus contre lesquels cet ADE, c'est-à-dire la facilitation de l'infection par des anticorps, […] contre lesquels ces anticorps se dirigent. Et il s'avère que ce sont des anticorps qui sont en fait dirigés contre le domaine le plus important, le domaine de liaison au récepteur du virus, la protéine de surface. En principe, ils pourraient neutraliser des anticorps, mais ils ne neutralisent pas correctement. En effet, ils se lient à la protéine sous une forme qui ne se produit que temporairement au cours de l'infection. Ces protéines sont mobiles, pas comme des blocs de construction, comme vous l'imaginez si vous deviez mettre une particule de virus hors des blocs de construction sur le sol avec ces pointes qui dépassent toutes identiques - ce n'est pas la réalité. Ce sont des objets mécaniques complexes, de la plus petite taille, des objets moléculaires qui ont également des charnières, qui bougent et qui sont constitués de plusieurs pièces. Ces pièces peuvent être déplacées les unes contre les autres, elles peuvent s'emboîter les unes dans les autres, elles peuvent parfois être un peu tordues. Et ces auteurs ont découvert que les anticorps se dirigent contre une protéine de surface tordue, pour parler simplement. Ces anticorps ne surviennent pas chez tous les patients. Ce peut être une stupide coïncidence pourquoi ce patient-là a développé de tels anticorps. Il peut s'agir de variations immunitaires, c'est-à-dire de certaines formes de récepteurs immunitaires que nous avons dans notre système immunitaire et qui diffèrent d'une personne à l'autre. Mais il se peut qu'il y ait certaines inexactitudes dans la précision de l'ajustement de ces cellules productrices d'anticorps qui sont stimulées pour mûrir. Nous avions, je pense, dans l'avant-dernier épisode, parlé du fait que des choses comme un système immunitaire imprécis, un système immunitaire vieilli, pouvaient arriver.
Hennig: Cela signifie, pour résumer: c'est une explication possible pour une certaine forme d'évolution sévère, mais du point de vue de la recherche sur les vaccins, si j'interprète correctement votre évaluation de l'étude, c'est en fait une bonne nouvelle.
Drosten: Je dirais que du point de vue du développement des vaccins, ce n'est pas une nouvelle inquiétante. C'est peut-être une nouvelle intéressante du point de vue de la recherche sur les maladies, pourquoi certaines personnes ont-elles une forme plus sévère et d'autres pas avec l’infection naturelle? Mais la vaccination est autre chose. Dans la vaccination, nous avons des anticorps, et si nous sommes préoccupés par la facilitation de l'infection par des anticorps ou l'amplification de l'infection, nous devrons alors utiliser des anticorps acquis par la vaccination pour que le virus pénètre mieux dans les cellules cibles dans lesquelles le virus se produit, dans lesquelles le virus se réplique. Ce n'est certainement pas le cas ici.
Il y a une autre chose intéressante à dire. Bon nombre de ces découvertes, qui ont clairement montré qu'il fallait se préoccuper des phénomènes d'ADE, proviennent de l'expérience avec d'autres vaccins. Et ces vaccins seront toujours testés sur des modèles animaux. Et dans ces modèles animaux, si vous testez un vaccin sur des macaques, par exemple, vous faites quelque chose de différent de l'infection naturelle, à savoir, vous provoquez une [forte] infection. Donc, vous faites vacciner les animaux et vous voulez savoir si le vaccin est également protecteur. Pour ce faire, les animaux reçoivent une dose exagérée de virus pour montrer que même une dose très élevée est inopérante avec le vaccin. Cependant, ce sont des conditions qui ne se produisent pas dans une infection naturelle. Donc, si, par exemple, on donnait un million de virus infectieux à un singe et que nous-mêmes acquérons peut-être 10 ou 20 ou au maximum 100 de ces virus dans l'infection naturelle, alors c'est une énorme différence, ce qui, bien sûr, changerait également de manière significative l'apparition initiale d'un phénomène ADE. Il faut simplement imaginer que si vous apportez une énorme charge virale à un animal lors d'une infection, alors peut-être qu'à un moment donné, il y aura des cellules immunitaires qui seront infectées et que la production virale pourra avoir lieu. Cela ne s'applique pas au virus Sars-2, car il n'y a pratiquement pas de production virale dans les cellules immunitaires. Mais il y a d'autres maladies infectieuses là où il y a ces zones grises […] et où les modèles animaux pourraient suggérer un phénomène ADE que l'on ne verrait jamais chez l'homme.
Hennig: Je voudrais rester brièvement sur le développement du vaccin avec pour mot-clé «infection naturelle» et dans quelle mesure elle peut effectivement être imitée par un vaccin, c'est-à-dire la réponse immunitaire. Avec les nombreux vaccins actuellement en discussion, la principale question est: que font-ils? ils affaiblissent l'évolution de la maladie ou préviennent également l'infection, ce qu'on appelle l'immunité stérilisante. Quelle est votre évaluation? Y a-t-il un espoir pour de tels vaccins qui ralentiraient complètement le virus en déclenchant une réponse immunitaire qui ressemblerait à une infection naturelle?
Spray nasal
Drosten: Cela ne fonctionnera probablement pas avec les vaccins qui sont actuellement testés. Il s'agit d'une infection de la membrane de la muqueuse, c'est-à-dire du nez et de la gorge puis plus tard des poumons - ou dans le système bronchique, avec plus de membrane muqueuse, les poumons eux-mêmes n'ont pas de membrane muqueuse, mais principalement une infection des muqueuses. Et les muqueuses ont déjà leur propre système immunitaire local. Avec les vaccins actuels, qui sont plus susceptibles d'être introduits dans le muscle, vous n'atteignez pas ce système immunitaire local, pas d'une manière particulière. Là, vous avez plus de l'effet immunitaire général pour tout le corps, c'est-à-dire pour la propagation systémique et aussi pour une partie de la réponse immunitaire générale. Par exemple les anticorps IGA, qui arrivent alors. Les anticorps IGG atteignent également les poumons, par exemple, notamment dans le cadre d'une inflammation naissante. Et c'est ce que font les vaccins actuels, qui protègent probablement contre une forme sévère plutôt que contre l'infection. C'est la chose la plus importante à faire d’abord. Il n'y aura pas de vaccin pour tout le monde au début de toute façon. Bien sûr, il faut fournir un vaccin aux personnes à risque [pour faire disparaître] ce taux de mortalité élevé dans la population.
Hennig: Mais si nous voulons contenir la propagation en même temps ou à un stade ultérieur avec des vaccins, devons-nous accéder directement aux muqueuses?
Drosten: Vous devez absolument le faire. La prochaine génération de vaccins doit également inclure cela. Nous en parlerons certainement plus souvent. Nous introduirons des vaccins à un moment donné. Et nous penserons probablement d'abord aux groupes d'indication, et les quelques personnes qui sont le personnel infirmier essentiel etc, qui doivent bien sûr être vaccinées en premier. [...]
Mais à un moment donné, il faudra se demander: qu’est-ce qu’on fait maintenant? alors que de plus en plus de groupes seront vaccinés, il y aura un désir croissant dans la société de lever toutes les mesures de restriction maintenant et de laisser le virus circuler. Et c'est inquiétant. Nous aurons alors une situation où la plupart de la population n'aura pas encore été vaccinée. Divers secteurs de la société demanderont: cette pandémie est maintenant terminée. Laissons les gens s’infecter, pour le dire crûment. Et on constatera alors qu'avec une augmentation massive du nombre d'infections, même des jeunes sans comorbidités tomberont soudainement gravement malades. En d'autres termes, vous aurez des adultes d'âge moyen en bonne santé, des pères de famille, des mères en soins intensifs, et certains d'entre eux mourront.
Il s'agit d'une situation où il ne peut y avoir qu'une seule réponse de la part de la médecine - à savoir des médicaments. On ne peut pas agir contre la pandémie qu’avec des vaccins. On aura également besoin d'un médicament antiviral. Il est toujours extrêmement important de travailler dessus. Il y a une autre innovation [importante] : les anticorps thérapeutiques. Ce que M. Trump a reçu dans une dose de 8g pour supprimer le virus. La production pharmaceutique va désormais de plus en plus dans ce domaine. Les études cliniques à ce sujet vont également progresser. On peut espérer que ces formes graves pourront être sauvées grâce à l'administration de tels anticorps. Il ne sera pas possible de la donner à l'ensemble de la population à titre préventif car on elle est limitée par les capacités. Cela serait concevable en termes purement théoriques. Des anticorps comme ceux-ci peuvent également être administrés à titre préventif, mais on n’en produit pas assez. On en a besoin pour les cas graves. Et maintenant nous devons parler d'une deuxième génération de vaccins, à quoi ils devraient ressembler.
Hennig: Comment atteindre les muqueuses.
Drosten: Exactement. C'est ce que nous souhaiterions avoir, ce sont des vaccins qui protègent également les muqueuses. Ils aident à stimuler ce système immunitaire spécial, de sorte qu'à un moment donné, si quelqu'un inhale toute une charge de virus par le nez, il ne sera plus infecté du tout, c'est-à-dire qu'il n'aura même pas une forme légère : rien du tout. Le virus est immédiatement freiné dans le nez. Et la bonne nouvelle est que certains des vaccins actuellement testés y parviendraient même. Il existe une étude intéressante qui le prouve. Le principe est connu depuis longtemps, car ce sont des vaccins vecteurs. Donc toujours des vaccins qui sont transmis via un vecteur viral.
Hennig: Un virus porteur.
Drosten: Exactement là où se trouve un virus porteur. Un seul composant du virus Sars-2 est ajouté à ce virus porteur, à savoir la protéine de surface. Ces virus porteurs ont souvent la propriété de pénétrer les muqueuses. Vous n'avez donc pas à l'injecter dans le muscle avec une seringue. En principe, vous pouvez les mettre dans un spray nasal, ils pénètrent dans les cellules du nez et s’y déploient. Mais pour le moment, nous ne savons rien des effets secondaires qu’il faut observer de près. [...] Pour beaucoup de ces vecteurs vaccins nous n'avons pas encore d’expérience sur la muqueuse humaine, bien que nous sachions d'après le modèle animal qu'ils peuvent le faire.
Il y a cette belle étude des USA. Un adénovirus, donc un virus très commun, dans ce cas on a pris un adénovirus 5 […] ce virus du chimpanzé a été choisi pour certaines raisons immunologiques. Ces virus sont étroitement liés aux adénovirus humains. Et vous pouvez également fabriquer de tels vaccins à base d'adénovirus humains. Une entreprise chinoise a fait cela. Une étude complètement différente a été menée avec ce virus adéno-5, à savoir on a infecté des souris par le nez et on a induit une excellente immunité mucosale. En très peu de temps, les souris étaient non seulement immunisées sur le plan systémique, de sorte que des anticorps pouvaient être détectés dans le sang, tout comme avec une vaccination musculaire, mais en plus on a pu voir des anticorps spécifiques de la muqueuse, des anticorps IGA, qui y arrivent du fait de concentrations élevées dans le sang. Et - c'est particulièrement positif - une migration très précoce de cellules du système immunitaire inné puis aussi de cellules du système immunitaire spécifique ou adaptatif épithélial. Même les lymphocytes T à mémoire épithéliale, qui y migrent et y restent. Cela signifie que la muqueuse possède sa propre mémoire immunitaire et est alors spécifiquement protégée contre ce virus.
Hennig: Et une mémoire immunitaire systémique, c'est-à-dire pour tout l'organisme, apparaît de toute façon.
Drosten: Cela se produit également, exact.
Hennig: Cette procédure de pulvérisation nasale, est-ce une nouveauté?
Drosten: Il y a des vaccins où cela est déjà fait. Par exemple, il existe un vaccin en spray nasal contre la grippe qui peut également être utilisé en Allemagne. Cela se fait de plus en plus maintenant. Ces vaccins à muqueuse, à pulvérisation nasale, sont toujours des vaccins génétiquement modifiés, c'est-à-dire des vaccins à virus porteur. Cela n'a pas été reconnu par le règlement depuis assez longtemps pour que cela puisse être fait en toute sécurité. Il y a 15 ans, il y avait encore une grande préoccupation à ce sujet et aujourd'hui, avec le succès croissant de ces vaccins à virus porteur, et maintenant avec cette pandémie de Sars-2, ces vaccins à virus porteur sont assez bons dans les études cliniques. Il a eu un grand succès avec Ebola. [...] Et bien sûr, cela peut aussi marquer le début d'une vaccination contre les rhumes, à l’avenir. Compte tenu des nombreux rhinovirus, plus de 15 virus répertoriés, nous pourrions à un moment donné nous retrouver dans une situation où nous avons des vaccins en spray nasal contre presque tous ces virus, en particulier pour les adultes. Je pense que pour certaines raisons immunologiques, il n'est pas imprudent que les enfants subissent ces infections inoffensives. Mais dans certains cas, ces infections sont tout sauf inoffensives chez l’adulte. Pour l'économie, il faut voir combien de jours d'arrêt maladie sont dus par tous ces rhumes chaque année. Si vous pouviez vacciner contre cela, ce serait un succès incroyable.
Hennig: Mais la protection immunitaire des muqueuses ne dépend pas uniquement de la manière dont le vaccin est administré, c'est-à-dire pas uniquement du spray nasal, mais par voie intramusculaire. Est-ce encore envisageable?
Drosten: Oui, il semble que cette vaccination intramusculaire donne généralement plus de protection contre une forme sévère. Nous ne connaissons pas encore très bien les complications générales de ces vaccins nasaux. Donc, on ne peut pas dire: si c'est si facile, pourquoi ne pas le faire tout de suite comme ça?
Hennig: C’est un peu ça.
Drosten: [...] avec cette disponibilité et cette connaissance croissantes des vaccins à virus porteur, une nouvelle possibilité est apparue. Ces vaccins à virus vecteur permettent d'accéder à une voie de vaccination via les muqueuses qui n'était auparavant pas si facile.
Hennig: J'ai regardé un peu l'étude. Cela ressemble à une succession de réussites. Mais vous l'avez déjà indiqué; y a-t-il d'autres questions ouvertes ou des inconvénients?
Drosten: Il faut d'abord dire que cette étude, telle qu'elle a été menée ici, ne montre initialement qu'une bonne réaction immunitaire chez les souris. Or les souris ne sont pas des humains, leur système immunitaire est très différent. La prochaine chose serait d’avoir des données, au moins chez les macaques, c'est-à-dire dans un modèle de primate. Et puis il faudrait se lancer dans des essais cliniques sur des humains. Et ce qui manque encore dans cette étude, c'est l'infection à [haute dose]. Donc ces souris qui ont été étudiées ici ne sont pas du tout sensibles au virus du Sras. Elles ont donc déjà une réponse immunitaire cellulaire et humorale détectable, c'est-à-dire avec des anticorps. Mais elles ne peuvent pas être infectées par le virus naturel, de sorte que vous ne pouvez pas tester dans quelle mesure elles sont protégées contre l'infection. Mais nous connaissons déjà des exemples avec d'autres vaccins de ce type. Il y a, par exemple, un très bel exemple allemand contre le MERS, le groupe dirigé par Gerd Sutter à Munich, un groupe de virologie vétérinaire qui a mené une étude sur les chameaux avec Hanovre et Rotterdam, par exemple. Et ce virus MERS, il appartient aux chameaux. C’est un pathogène du chameau. Une application nasale a été choisie, ainsi qu'une application intramusculaire. Une vaccination relativement simple a abouti à une immunité quasi stérile chez ces animaux. Quasi car il y a un indice d'une petite réplication de virus encore existante chez quelques animaux, chez d'autres animaux, c'était en fait une réponse immunitaire stérile par pulvérisation nasale. C'est vraiment très encourageant.
Hennig: à propos de cette étude dont nous avons parlé, en phase préclinique. Ce n’est que le début. Oserez-vous faire une prudente prédiction quand de tels vaccins seront disponibles?
Drosten: Bien sûr, nous devrons refaire des études cliniques. Et je pense que cette application intramusculaire de différents vaccins à virus porteur a maintenant été faite sur la base d'une expérience antérieure avec d'autres virus contre lesquels on a vacciné avec le même virus porteur. Les autorités réglementaires ont été très généreuses car vous pouviez toujours inclure ces valeurs d'expérience antérieure. Mais si vous n'avez aucune expérience préalable avec un virus porteur, pour une application mucosale, une application nasale, vous devez d'abord le générer. Cela prendra donc un peu plus de temps. Il serait donc un peu trop optimiste de dire que cette année, nous aurons les vaccins intramusculaires, et l'année prochaine il y aura déjà la vaccination nasale. Je pense que cela prendra un peu plus d'un an.
Hennig: Une perspective à long terme qui fait naître de l'espoir.