Infodémie
Korinna Hennig: M. Drosten, vous avez signé une lettre ouverte avec d'autres scientifiques et médecins du monde entier, dans laquelle vous demandez aux entreprises derrière les réseaux sociaux de vous soutenir contre ce qui est maintenant appelé une infodémie - ou informations trompeuses sur la pandémie. Quel est votre objectif principal?
Christian Drosten: On peut difficilement résumer ce qui circule sur les réseaux sociaux, souvent sous forme de vidéos qui peuvent compter des millions de vues et sont pleines de bêtises, pleines de fausses déclarations. On retrouve aussi des personnes qui ont une formation médicale, des médecins et des professeurs qui racontent des sornettes, alors qu’ils n'ont jamais vraiment travaillé sur ces questions de leur vie, mais que l’on croit à cause de leurs qualifications.
Mais ça va plus loin. Il y a de vrais théoriciens du complot qui, bien avant cette pandémie, répandaient des théories complotistes sur des sujets complètement différents et [qui] ne sont tout simplement pas dignes de confiance. Néanmoins, cela continue. [Toutes ces idées sont] très éloignées de toute rationalité - je ne peux même pas répondre à cela, car c'est tellement loin de tout argument qui pourrait être avancé.
Korinna Hennig: Vous avez mentionné que certains avaient des titres universitaires. Ce n'est pas facile pour le profane de faire la part des choses. Nous ne sommes pas en train de parler d'une discussions entre experts, comme par exemple le débat sur les enfants, où un virologue dit que les enfants ont tendance à moins transmettre le virus et l'autre évalue la situation différemment. En quoi est-ce quelque chose de complètement différent?
Christian Drosten: Le sujet des enfants est un débat ouvert pour le moment, où nous manquons de données et où les quelques données, parfois peu solides, qui sont disponibles sont interprétées légèrement différemment par les scientifiques. Mais il s'agit de quelque chose de complètement différent. Ici, par exemple, on a un professeur lambda qui s’exprime en public. Je suis également professeur et je n'oserais jamais faire de déclaration sur les bactéries, par exemple.
Je suis virologue et je ne me prononcerais jamais sur un sujet bactériologique, ce qui est presque la même chose pour les gens normaux, mais pas pour un scientifique. Et je n'oserais pas non plus disserter sur un virus autre que le virus sur lequel je travaille. On ne peut pas connaître la littérature et avoir une expertise dans ce domaine que si on est un spécialiste reconnu. C'est la seule raison pour laquelle je m’exprime en public ; non pas parce que je suis particulièrement intelligent ou parce que je parle très bien ou quoi que ce soit, mais parce que je travaille en tant que spécialiste précisément sur ces virus. Et ce que j'entends, de la part d’experts, mais experts dans d’autres domaines, est sans fondement. Ce sont des lieux communs qui ne vont pas au-delà d'une connaissance superficielle, issue de manuels universitaires. Et avec ces connaissances, ils trompent ensuite le public et renforcent les théoriciens du complot, dont certains sont politiquement engagés. C'est irresponsable.
Korinna Hennig: Donc, un bon outil pour le profane serait de vérifier le domaine d’expertise des personnes qui s’expriment?
Christian Drosten: Exactement. Mais il faut aussi y regarder de plus près. Comment s'est-il spécialisé? Qu'a-t-il déjà publié sur ce sujet? La communauté de spécialistes en Allemagne ou même au niveau international respecte-t-elle cette personne en tant qu'expert? Si ce n'est pas le cas, ne perdez pas votre temps à regarder une vidéo sur YouTube pleine d'opinions trompeuses et non fondée sur des connaissances scientifiques.
Korinna Hennig: Twitter veut maintenant signaler les tweets avec un contenu douteux. On peut aussi parler des titres dans les journaux, qui sont formulés avec des points d'interrogation, par exemple, pour qu’on clique dessus. Par exemple, j’invente: les fraises aident-elles contre le coronavirus? Et si vous lisez l'article, la réponse est bien là, non, les fraises ne servent à rien. Mais le titre a déjà établi une connexion dans de nombreux esprits, aussi parce que tout le monde ne lit pas l'article. Pensez-vous vraiment que l’on peut lutter contre ça?
Christian Drosten: Il s'agit d'un autre type de suggestion qui est utilisé par la presse mainstream. Je ne pense pas qu’on puisse faire quoi que ce soit. J'en ai parlé à plusieurs reprises aux journalistes au cours des dernières semaines. Et ils me disent: Eh bien, c’est un outil pour obtenir des clics sur nos sites Web, et il faut bien que les gens s'abonnent à nos journaux. C'est un phénomène de masse, je pense également que c'est dangereux. C’est en partie pour ça que nous avons une opinion publique divisée en Allemagne. Mais la question est: qui abreuve le journalisme avec ça, pour qu’il en fasse ensuite ces titres abrégés?
Comment rouvrir les restaurants? La question des aérosols
Korinna Hennig: Penchons-nous sur la vie quotidienne [...] En Basse-Saxe, mais aussi dans d'autres Länder, les restaurants sont autorisés à rouvrir. Il fait plus frais cette semaine, les gens sont assis à l'intérieur en se tenant à distance. Mais des personnes infectées asymptomatiques peuvent également se trouver là, rester assises pendant une heure ou plus, sans tousser, mais en parlant et en respirant. Le politicien Karl Lauterbach a fait sensation dans un talk-show en disant: pensez aux aérosols, pas seulement aux gouttelettes. Quelle est l'importance de l'infection par les gouttelettes et les aérosols dans une telle situation?
Christian Drosten: Au début, lorsque ce virus est apparu, nous avons pensé qu'il ne se transmettait de façon significative que par gouttelettes, c’est-à-dire par une petite gouttelette qui est libérée lorsque vous toussez ou parlez. Ils ont une taille de plus de cinq micromètres - un micromètre est un millième de millimètre. Ils tombent au sol à environ un mètre, un mètre et demi autour de vous. Puisqu'ils tombent au sol assez rapidement, ils ne peuvent être réceptionnés que par quelqu'un qui est proche de vous. D'où toutes ces consignes de distanciation sociale, des tables éloignées les unes des autres.
C'est différent avec l'aérosol. Les particules d'aérosol sont également des gouttelettes, mais elles sont plus petites que cinq micromètres. Et plus elles deviennent petites, plus elles sont légères. Cela signifie que ces particules ne tombent pas si facilement, mais restent dans l'air et parfois longtemps. Ces particules, sont enveloppées d'eau qui s'évapore relativement rapidement, ce qui les rend encore plus petites. Certaines mesurent moins d'un micromètre. Des virus infectieux peuvent également être présents dans ces fines particules d'aérosol. Et l'infectiosité peut durer plusieurs heures. M. Lauterbach a donc tout à fait raison. J'ai lu sur les réseaux sociaux comment il a été critiqué. Les commentateurs ont écrit qu'il ne devait pas aller à des talk-shows, qu'il devait faire attention à son comportement. Mais ce qu’il a dit est absolument correct. M. Lauterbach est un expert médical du SPD. Et il lit vraiment. Ce qu'il dit sur les réseaux sociaux correspond à la réalité. Il est épidémiologiste de formation. Donc, peu importe si on pense qu'il va trop souvent à la télévision. Ce qu'il a dit, c'est qu'il trouve les réouvertures des restaurants problématiques.
[…]
On a des données sur la transmission d'aérosols dans un restaurant en Chine, publiées dans une étude. Il existe également des résultats sur de nombreuses autres maladies infectieuses - si on sait maintenant qu'il y a un composant aérosol, vous devez également en tenir compte. Et nous le savons maintenant. Nous en avons déjà discuté dans le podcast. Il y a aussi une déclaration de l'American National Academy of Sciences qui dit la même chose. Cette infection a une composante importante de transmission par aérosols. Il y a une étude du groupe de Christophe Fraser, qui modélise également cela, disant que la transmission des aérosols est probablement importante.
Selon mon évaluation, non seulement d’après cette étude, mais également sur la base de ce que je vois, mon intuition est la suivante: près de la moitié de la transmission se fait par aérosol, presque l'autre moitié par des gouttelettes et peut-être 10 % se fait par contact (par les mains). Et quand on sait ça, on peut faire des recommandations.
J'estime qu'il est totalement exagéré d’insister constamment sur le lavage des mains et la désinfection des surfaces. Ce n’est pas une condition pour la réouverture. Que des gens s'assoient les uns près des autres dans une pièce, je pense que c'est dangereux. [Il ne faut pas non plus] dire que tous les restaurants doivent rester fermés, mais on peut dire que comme c'est l'été, on peut utiliser les zones extérieures, qui sont relativement sûres. J'irais jusqu'à dire qu'une distance de deux mètres à l'extérieur n'est probablement pas nécessaire, car le virus, qui se propage par aérosol, se disperse lorsque vous êtes à l'extérieur. J'irais jusqu'à dire que l'on n'a pas à prêter autant d'attention à cette distance sur les terrasses.
Et pour l'intérieur, on pourrait dire: fenêtres ouvertes, et avec de la distance, [donc limiter le nombre de couverts]. […] pourquoi ne pas autoriser les restaurants à utiliser les trottoirs? […]
Korinna Hennig: Si on utilise un ventilateur, cela ne peut-il pas déplacer l'aérosol d'une table à l'autre?
Christian Drosten: Oui, bien sûr. Mais un renouvellement d'air s'accompagne toujours d'un effet de dilution. J'avais déjà dit ça pour les écoles: ouvrez la fenêtre et placez un grand ventilateur qui souffle l'air vers l'extérieur. De nombreux pubs ont également des ventilateurs au plafond, qu’on pourrait faire marcher lentement, il ne s’agit pas non plus de faire voler votre chapeau. Il ne s’agit pas d’attendre une réglementation sur tout de la part des autorités, ou du service de santé, ou du RKI. À un moment donné, il faut réfléchir un peu, faire appel au bon sens. Mais pour ça, il faut de bonnes hypothèses de travail. Un expert doit alors dire: la transmission se fait par aérosol et par gouttelettes. Oublier de se laver les mains est moins susceptible de transmettre le virus. Ensuite, vous devez suivre ces experts et non pas les attaquer.
Un R à 1 est inquiétant s'il y a beaucoup d'infections
Korinna Hennig: [Avons-nous en Allemagne beaucoup de nouveaux cas ? Devons-nous être inquiets à cause de l’augmentation du R0?]
Christian Drosten: Nous sommes dans une situation en Allemagne où nous avons encore relativement peu de nouveaux cas. L'Institut Robert Koch dit: Le R0 a augmenté. Mais en raison de la faible incidence sous-jacente que nous avons en Allemagne, il existe une forte incertitude statistique. Vous devez également savoir que si nous avons peu d'activité infectieuse dans la population, un R0 légèrement au-dessus de 1 a peu de conséquences, alors qu'avec une activité infectieuse élevée, une valeur à 1 est intolérable car ce nombre élevé d'infections reste alors le même. Dans ce cas, les malades s'accumuleront à nouveau dans les unités de soins intensifs. [Je ne comprends pas ces polémiques autour de la fiabilité des chiffres du RKI], nous avons des problèmes de riches en Allemagne.
Korinna Hennig: la Columbia University a présenté une modélisation des mesures de déconfinement au niveau régional, et ce dans un avenir proche.
Christian Drosten: Un mois, en effet. Aux États-Unis, 25 États ont assoupli les restrictions de sortie fin avril et début mai et on peut se poser la question des conséquences pour le mois qui vient. Vous devez faire certaines hypothèses, comme une fréquence de contact 10 % plus élevée dans la population générale, ou une plus grande fréquentation des magasins. Il existe d'autres données qui sont constantes. Ici, par exemple, le taux de mortalité par infection - différencié selon les groupes d'âge. Et il y a deux hypothèses qui sont calculées. Dans le scénario favorable, on prévoit que d'ici le 1er juin, ce qui est très bientôt, plus de 43000 nouveaux cas et plus de 1800 décès seront signalés aux États-Unis chaque jour. Dans le scénario moins favorable, on a plus de 63000 cas et près de 2500 décès par jour. L'un des principaux messages de cette étude est que nous ne pouvons pas remarquer la lente progression du virus dans une population comme aux États-Unis - parce que son signalement est presque aussi lent […]
La situation est la même en Allemagne: si nous sommes infectés aujourd'hui, nous serons malades la semaine prochaine. La période d'incubation moyenne est de six jours et jusqu'à ce qu'on soit testé avec communication du résultat, une autre semaine s'écoule en moyenne. Cela signifie 14 jours entre l'infection et la déclaration. Et du début de la maladie jusqu’à l'admission en unité de soins intensifs dans les cas graves, il y a 10 à 14 jours. Cela prend trois semaines entre l'infection et l'admission en soins intensifs. C'est la période de projection de cette étude.[…] Dans les deux scénarios, il s'agit d'une évaluation réaliste, où l'on varie simplement d'un paramètre, la fréquence des contacts.
Korinna Hennig: Cela signifie que l'hypothèse la plus pessimiste est toujours réaliste, dont nous pouvons tirer des conclusions pour l'Allemagne?
Christian Drosten: Heureusement, nous sommes dans une situation de départ différente en Allemagne. Les unités de soins intensifs ne seront pas surchargées dans un mois. […] Aux États-Unis, ils n'ont pas ce bas niveau d’infections et rouvrent déjà maintenant.
Virus déjà présent en décembre en France?
Korinna Hennig: L'aspect de la perception retardée est également un aspect qui joue sur la question de savoir si le virus est peut-être présent depuis plus longtemps que nous ne le pensions. Récemment, des déclarations ont fait état de l'apparition du coronavirus à la fin de l'année dernière en France, après un examen rétrospectif d’échantillons congelés. À votre avis, est-ce plausible?
Christian Drosten: J'ai vu cette étude, elle vient d'être publiée directement sous la forme d'un article accepté dans une revue spécialisée. J'ai des doutes quant à cette conclusion. Il s'agit d'un patient qui a un peu plus de 40 ans qui avait une maladie fin décembre, une maladie pulmonaire aiguë relativement sévère, et est venu à l'hôpital le 27 décembre, juste après Noël. Aucun diagnostic n'a été posé à ce moment-là et après deux ou trois jours, son état s'est amélioré et le patient a été libéré. Un échantillon de ce patient a été conservé, parmi les 50 échantillons de décembre. Environ la moitié d'entre eux ont été retestés avec la PCR et dans l'un de ces échantillons, celui de ce patient, un signal a été trouvé avec la PCR. Néanmoins, aucun autre test n'a été effectué. Un test PCR doit être considéré comme douteux tant qu'il n'est pas confirmé par d'autres tests PCR qui détectent le virus dans d'autres régions cibles du génome. Surtout dans une découverte aussi importante […] qui réécrit les événements infectieux de cette maladie [...] Si on souhaite publier une conclusion aussi importante, on doit être certain. En plus d'une deuxième ou d’un troisième test PCR de confirmation, il faudrait également un séquençage du virus, c'est-à-dire la détermination de la séquence entière du génome du virus. Vous pouvez le faire lorsque les PCR sont positifs. Techniquement, c'est très facile à faire.
Vous y verriez quelque chose de très spécial, vous auriez alors devant vous un virus qui devrait correspondre à un virus précoce. Parce que ces virus, qui changent avec le temps, sont soumis à une activité de mutation parallèle au fil du temps. Si nous séquençons un virus aujourd'hui, nous pouvons dire de quel mois il est susceptible de dater. Si quelqu'un nous demandait s'il s'agit d'un virus de décembre, je dirais que je peux le dire avec certitude à partir de la séquence.[...]
Ensuite, il faudrait faire autre chose avec un patient qui aurait contracté l'infection en décembre et qui n'est pas décédé, vous devez le tester sérologiquement et prouver qu’il a des anticorps. Il aurait été facile d'appeler ce patient et de lui dire: nous vous demandons de venir faire un test sérologique. Le fils du patient a également eu une infection de type grippal au cours de la période, [on aurait pu le tester aussi]. Mais rien de tout cela n'a été fait […] Je me pose la question: pourquoi quelque chose comme ça est publié?
Il y a autre chose qui me rend également sceptique : ils ont utilisé nos tests pour cela. Et on voit que le patient a un signal, un signal faible, et le contrôle positif utilisé dans ce test est incroyablement élevé. Aucun laboratoire de diagnostic normal n'utiliserait une concentration aussi élevée dans une PCR [car] il y a un risque très élevé qu'il saute dans un autre tube à essai. Nous parlons de contamination croisée. […] C'est pourquoi [on utilise] seulement quelques molécules par réaction, afin que ce risque de contamination croisée ne se produise pas.
On peut voir ici que les auteurs ne savent apparemment pas manier un contrôle positif. Je dois vraiment dire que je ne comprends pas comment cela a pu être publié, comment des experts ont pu laisser passer ça, car cela a évidemment été évalué. Et je comprends encore moins comment on a pu faire de telles déclarations dans la presse avec ça et perturber ainsi la communauté scientifique.
Virus né en laboratoire?
Korinna Hennig: Parlons de l'origine du virus. Il y a une théorie très répandue selon laquelle le virus pourrait provenir d'un laboratoire chinois. Des virologues ont dit que c’était un non-sens total. Le séquençage, c'est-à-dire l'enquête sur le génome, donne-t-il vraiment des indices? Est-ce qu’on peut le voir en laboratoire?
Christian Drosten: Il existe des virus étroitement apparentés chez les animaux et vous pouvez globalement échantillonner ces animaux et espérer trouver un proche parent de ce virus. Il y a eu quelques petites études en Chine qui ont été faites. Curieusement, le pangolin est porteur de ces virus. Les séquences qui ont été publiées à partir du pangolin ne me convainquent pas du tout, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il n'y a pas d'origine animale. C'est juste que nous n’avons presque rien testé. En ce moment, on ne sait pas grand-chose de ce virus. C'est comme si on voulait démontrer que le dauphin est lié à la vache. Ils sont liés. Mais nous n’avons jamais examiné de vache, nous n'avons examiné que des chevaux et des chameaux et parfois une souris et des humains. On peut dire que le cheval est génétiquement plus proche du dauphin que l'être humain ou la souris dans de nombreuses parties du génome. Mais le dauphin n'a pas quatre pattes non plus. Vous voyez ce que je veux dire: on est complètement dans le flou [...] en biologie évolutive, vous ne pouvez presque jamais rien prouver. [...] Je ne peux pas encore croire ces conclusions concernant les pangolins parce que nous savons par des bases que tous ces virus de type SRAS sont liés aux chauves-souris, à certains genres ou sous-familles de chauves-souris, les Rhinolophidaen.
Et maintenant, une nouvelle découverte intéressante a émergé qui n'est pas si nouvelle pour nous à l'institut, à savoir un site de clivage de la protéase spécifique, qui vient comme une caractéristique supplémentaire à propos de la spéculation sur l'origine. Nous entrons dans cette zone de conspiration, l'origine du laboratoire. Il y a aussi des théories à ce sujet. C'est une propriété supplémentaire de ce virus, qui est toujours mise en avant […] Les scientifiques chinois ont trouvé quelque chose que nous avons déjà vu dans les virus des chauves-souris rhinolophus européens, à savoir une telle fente. Elle est légèrement différente de celle du virus SARS-2 humain, mais très similaire. Cela peut donc se produire de façon naturelle.[…]
Korinna Hennig: Dans le cadre de cette question sur l'origine du virus, il y a également les déclarations de Luc Montagnier, qui a été impliqué dans la recherche sur le VIH et a reçu le prix Nobel en 2008. Il a dit lors d'une discussion télévisée il y a quelque temps qu'il y avait des séquences de VIH dans le génome du coronavirus, que cela ne peut être fait qu’artificiellement. Cela se voit-il? Et si oui, cette similitude est-elle normale?
Christian Drosten: Il est difficile pour un virologue de dire qu'un lauréat du prix Nobel de virologie dit n’importe quoi. Mais c'est complètement absurde.
Korinna Hennig: Parce que vous avez de telles similitudes de toute façon ou parce que vous ne la voyez pas?
Christian Drosten: Oui, ces similitudes se produisent, mais il y a un consensus parmi les scientifiques pour dire que ce n'est pas le cas ici, à partir d'une prépublication sur ce sujet, qui a ensuite été retirée. Ce sujet est tout simplement clos, même si un lauréat du prix Nobel à la retraite en parle dans un talk-show.
Quelles mutations?
Korinna Hennig: Je voudrais terminer avec le sujet des mutations car il y a aussi une nouvelle étude de chercheurs américains et britanniques qui peut être intéressante: le virus change-t-il réellement ses propriétés à un moment donné? Cela change-t-il quelque chose aux voies de transmission, au potentiel pathogène et pour la défense immunitaire?
Christian Drosten: Il y a une étude publiée par un laboratoire d'analyse de séquence très respectable à Los Alamos, USA. Il existe une quantité incroyable d'expertises scientifiques qui traitent de l'évaluation de séquences de toute origine. [… protéine… épitope...] Là encore, je dois dire pour ceux qui sont des experts que je suis en train de beaucoup simplifier […] Cette mutation n'est pas apparue de nulle part et elle n'est pas apparue plusieurs fois à partir de rien. Ce serait quelque chose que les biologistes évolutionnistes appellent une soi-disant convergence. Donc, si la même mutation se produit plusieurs fois dans des origines génétiques différentes à plusieurs endroits du monde - alors on dirait qu'elle est hautement suspecte d'un changement phénotypique qui l'accompagne et d'une sélection forte. Cependant, cela n'est pas montré de manière convaincante ici. En réalité, nous voyons ici que cette mutation est une mutation typique pour une section entière de l'arbre généalogique phylogénétique. Et cette section de l'arbre généalogique phylogénétique s'est développée au cours de l'épidémie. Et que cela se soit produit par accident ou à cause d'un avantage de sélection, nous ne pouvons pas le dire aujourd'hui. Mais il est fort probable que cela se soit produit uniquement par hasard.
Vous pouvez l'imaginer comme un arbre dans un jardin que vous avez taillé il y a de nombreuses années quand il était très petit. Et maintenant, il a deux grandes branches principales qui sortent du tronc, l'une est rabougrie et l'autre est énorme et envahit presque tout l'arbre. Mais cette branche rabougrie n'est pas si rabougrie. Ces virus, qui se trouvent sur la branche rabougrie, ont été trouvés au tout début à Wuhan et étaient plus susceptibles de persister en Chine, et certains d'entre eux ont été exportés aux États-Unis sur la côte ouest. Ensuite, les Chinois ont confiné et ont tué le virus circulant à Wuhan, et les Américains en avaient très peu. Ce qui est devenu la grande branche est ce qui a été transporté à Shanghai avant le confinement. De là, il est allé en Europe. Shanghai est une plaque tournante, c'est une grande ville qui est orientée vers les affaires avec beaucoup de liens avec l'Occident. Les grands foyers européens, surtout l'Italie, puis la France et l'Espagne, sont nés de cette lignée. De toute évidence, le virus a été transporté d'Europe vers la côte est des États-Unis et a provoqué la grande épidémie de New York et de nombreuses sous-épidémies sur la côte est américaine. Comme je le dis maintenant, on peut imaginer que c'est peut-être une coïncidence si cette lignée de Shanghai s'est propagée plus rapidement en Europe [...] Nous ne saurons avec certitude qu'après avoir examiné en laboratoire si cette mutation a une signification fonctionnelle. Une chose peut être dite, les auteurs ont tenté d'analyser si la présence de cette mutation chez le patient est associée à une évolution plus sévère, et ce n'est pas le cas.[...] Il serait important de savoir si le principal virus européen a une activité pathogène plus élevée que le principal virus américain. La grande épidémie de New York, par exemple, a été principalement causée par un virus européen. Mais la grande question est: ce virus est-il plus dangereux que l'autre, l'autre sous-type? Pour le moment, nous ne pouvons tout simplement pas le dire. [...]
Korinna Hennig: Mais cela pourrait-il avoir des conséquences pour la défense immunitaire ou un vaccin ?
Christian Drosten: La mutation qui s'est produite ici n'est pas dans un domaine qui se lie généralement aux anticorps neutralisants.
Korinna Hennig: Ce sont les plus importants.
Christian Drosten: Sur la base de cette évaluation, je ne pense pas que cela aurait une quelconque conséquence sur l'efficacité d'un vaccin à venir.
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