dimanche 28 novembre 2021
3e dose/ covid endémique. Podcast #102 du 9 novembre 2021 [extraits]
La 3e dose
Schulmann : La Stiko (commission « vaccin » du RKI) dit qu’il faut le booster au plus tôt six mois après la deuxième dose. Mais certains disent que c’est maintenant une affaire de jours [car la vague, c’est maintenant]. C'est une question de jours et tout le monde, ou surtout les plus âgés, devrait faire le rappel le plus rapidement possible ?
Drosten : Je ne veux pas non plus dramatiser. Je veux aussi dire qu'il y a des raisons qui s'y opposent. Bien sûr, je ne veux pas non plus critiquer la Stiko. La Stiko devait juste prendre une décision à un moment donné. Ce point, la Stiko l'a déterminé il y a plusieurs semaines, alors qu'ils ne savaient pas comment les choses allaient se passer avec la vague et sa vitesse. Je ne veux faire partie d'aucun camp politique ici, je veux juste expliquer le contexte.
Il y a la vague montante en ce moment. Et si nous voulons protéger les personnes particulièrement âgées maintenant, ce qui s'applique bien sûr particulièrement aux résidents des maisons de soins infirmiers, alors vous ne devriez pas trop regarder ce délai de six mois, mais simplement comprendre : la vague, c'est maintenant. Il y a une personne âgée ici. Elle devrait être boostée maintenant.
Il y a un argument contre cela, c'est simplement que les gens trop inquiets vont courir chez le médecin en disant : j'ai eu ma deuxième dose il y a seulement un mois, mais j'ai tellement peur, je veux être boosté, advienne que pourra. Ces personnes volent à la fois le temps des médecins et consomment la dose dont le patient âgé a réellement besoin.
Les médecins sont très occupés. Ils doivent chercher par eux-mêmes, ils connaissent leurs patients, ils savent où sont leurs patients, surtout où se trouvent les patients à risque. […] Les délais ont une justification, mais un certain bon sens médical à ce stade, surtout quand il s'agit d’un patient particulièrement fragile (de le booster au bout de quatre mois) relève aussi du pouvoir d'appréciation du médecin.
Schulmann : Mais cela signifie également que si le vaccin ne développe vraiment son effet qu'après trois doses, les plus jeunes devront également être boostés à un moment donné. Mais vous diriez que nous devons le faire dans l'ordre de la priorité de vaccination bien connue.
Drosten : Vous devez travailler le long de la pyramide des âges. D'abord les plus âgés, puis les plus jeunes. C'est simplement parce que les personnes âgées bénéficient également d'une véritable protection individuelle contre leur propre maladie, tandis que pour les plus jeunes, l'accent est mis sur le bénéfice de la protection contre la transmission. Car c'est ce qu'il faut absolument mentionner quand on dit maintenant que cela pourrait être une solution à moyen terme au problème que nous aurons cet hiver.
La solution à moyen terme signifie que nous devons considérer ce rappel comme une bouée de sauvetage contre la transmission. […] Ainsi, tout le monde aurait un rappel relativement récent cet hiver et cela [...] réduirait la transmission. Vous réduisez alors le RT avec le rappel au lieu de mesures de limitation des contacts. C'est quelque chose en quoi je crois vraiment aussi. Je ne crois tout simplement pas qu'il sera possible d'utiliser cela dans la situation d'urgence actuelle. Je pense que nous pourrons peut-être l'utiliser dans quelques mois. Cette vague hivernale va nous occuper pendant des mois, c'est donc définitivement un chemin qu'il faut prendre et pour lequel il faut de sérieux préparatifs logistiques et réglementaires.
L'endémie comme objectif
Schulmann : Comme vous le dites, cela peut prendre un certain temps avant que tout le monde ait reçu la troisième dose. Tout d'abord, jusqu'à ce que tout le monde ait le rendez-vous de vaccination. Ensuite, cela prend une semaine ou deux jusqu'à ce que le rappel déploie une protection vaccinale complète.
Qu'est-ce qui va nous aider à long terme?
Drosten : C'est quelque chose que nous avons déjà abordé ici plusieurs fois dans le podcast. A la longue ce sera comme ça, on veut entrer en phase endémique avec l'ensemble de la société. Nous voyons maintenant les premiers pays qui sont sur le point de le faire. On le voit dans les pays du sud-ouest de l'Europe, où les personnes âgées sont pratiquement vaccinées à 100% et donc le fardeau de la maladie dans la population n'est plus celui du SRAS-2, c'est-à-dire avec une létalité de 1,5 % dans les sociétés âgées comme la nôtre, mais plutôt de l'ordre de 0,1 % et parfois même moins si vous vaccinez également les plus jeunes. Là, nous sommes dans ce que vous vivez lors d'une saison grippale sévère.
Cela signifie que vous pouvez alors permettre une vague de post-infection dans la population qui correspond à ce qui constitue une saison grippale sévère. Mais cela n'est possible qu'avec une population complètement vaccinée parmi les personnes âgées. Et c'est maintenant simplement la nouvelle règle que le virus Delta a fixée. On ne peut plus dire qu'on veut un taux de vaccination de 70 ou 80 %, mais on veut que tous, sans exception, tous les plus de 60 ans se fassent vacciner, avec au moins deux doses puis un rappel de vaccination pour les personnes âgées.
Et nous voulons nous retrouver avec une fourchette de moins de 60 ans autour de 90 %. Et si nous pouvions gérer cela, alors nous pourrions vraiment entrer dans cette post-infection sans que nous obtenions une surmortalité très élevée. […] (il dit que c’est comme ça en Allemagne, on aime être surprotégés dans le domaine de la santé)
Nous avons l'expérience dans notre société que les gens reçoivent des soins médicaux et n'ont pas à mourir de maladies infectieuses dans des conditions archaïques. Donc, si nous voulons y arriver, nous devons l'obtenir par la vaccination.
Schulmann : Vous venez de parler des pays du sud de l'Europe. L'Espagne a maintenant atteint un point où il y a lentement place à l'espoir, le taux de vaccination est supérieur à 80 % dans la population totale. Qu'ont-ils fait de différent de ce que nous avons fait ici en Allemagne ?
Drosten : Eh bien, je ne suis pas psychologue. Je peux en déduire que c'est peut-être parce que les première et deuxième vagues en Espagne étaient très mauvaises et qu'ensuite, beaucoup de gens ont simplement réalisé : tout cela ne sert à rien. Il faut se faire vacciner, sinon ça va continuer comme ça. Je pense que c'était une expérience pour la société dans son ensemble. On se souvient peut-être qu'une patinoire de Madrid a été transformée en morgue et que lors de la première vague de confinement, les militaires patrouillaient dans les rues.
Nous n'avons pas eu cette expérience, c'est une bonne chose. Néanmoins, nous avons maintenant simplement le problème que de nombreuses personnes âgées en Allemagne ne veulent pas se faire vacciner. Et pas seulement en Allemagne, mais ailleurs en Europe de l'Est. Au Danemark, nous avons également ce taux de vaccination très, très élevé, et pareil dans certains pays scandinaves, chez les personnes âgées. C'est la clé de cela.
L'Angleterre offre une autre version. [...] Par rapport au nombre d'habitants, nous avons eu deux fois plus de morts qu'en Allemagne lors des deux premières vagues. La deuxième vague ne s'est pas bien passée en Allemagne non plus.[…] En Angleterre, il y a eu environ deux fois plus de morts par rapport à la population et, bien sûr, il y a aussi beaucoup de personnes qui se sont rétablies en arrière-plan. De plus, le taux de vaccination en Angleterre est à peu près le même que le nôtre. Mais le bilan vaccinal est meilleur vis-à-vis des personnes âgées. En Angleterre, ils ont réussi à s'adresser aux personnes âgées de manière beaucoup plus efficace. Bien sûr, il y avait aussi l'expérience de la deuxième vague, avec des files d'attente devant les hôpitaux, des personnes qui avaient besoin d'oxygène dans l'ambulance etc. Les personnes âgées en Angleterre ont très bien accepté la vaccination.
[…] à cela s'ajoute un nombre élevé d'infections naturelles chez les jeunes, qui ont également eu lieu pendant l'été. [...] il faut dire avec l’acceptation de 150 décès par jour.
[On arrive maintenant] dans une infection de masse ou quelque chose comme un "dépassement de l'immunité collective" ("herd immunity overshoot"). Cela signifie que le virus comble les lacunes immunitaires dans la population, qui existent principalement chez les jeunes, créant une létalité socialement tolérable.
Schulmann : Cela signifie que le nombre d'infectés, c'est-à-dire le nombre d'infections en Angleterre, est encore très élevé en ce moment. Les personnes infectées sont plus susceptibles d'être les plus jeunes.
Drosten : Exactement. Le virus comble désormais les lacunes immunitaires en infectant les personnes non vaccinées, mais aussi celles qui ont été vaccinées. Cependant, pas avec le résultat de 1 000 ou 2 000 décès par jour, mais seulement autour de 150. C'est bien sûr une différence importante, c'est encore plus que ce que vous auriez lors d'une saison grippale sévère. Tout cela dure plus longtemps qu'une saison grippale. Ce n'est pas le mode optimal, mais c'est comme ça que ça se passe. Et les prédictions que l’on peut faire: il y aura du calme là-bas dans un avenir proche.
Schulmann : Ça veut dire que le virus serait alors endémique en Grande-Bretagne ?
Drosten : Exact. On aura bientôt l'impression, au printemps ou en été, que certains pays ont réussi. Qu’ils en ont terminé. Qu’ils sont en phase endémique. Ils n'auront pas non plus de gros problème l'hiver prochain, car le virus continuera à y circuler tout l'été. Les gens obtiendront leur troisième ou leur deuxième infection, [...] mais rien de tout cela ne rendra les symptômes très graves.
Je dois ajouter une précision: cela ne s'applique pas à tout le monde. Ceux qui reçoivent une forte dose d'infection présentent parfois des symptômes neurologiques, comme une perte de goût prolongée etc, même en étant vacciné, de sorte que nous devons tous nous protéger en portant un masque. Nous ne voulons pas tous recevoir une forte dose d'infection. Mais globalement, on est arrivé à une situation endémique. [...] Nous aurons un groupe de pays européens qui en aura fini et un autre groupe qui n’en aura pas au printemps prochain.
Schulmann : L'Allemagne, par exemple.
Drosten : Je pense que l'Allemagne n’aura pas atteint ce stade non plus, car nous sommes dans une assez mauvaise situation. Nous avons 15 millions de personnes qui auraient pu et auraient dû être vaccinées. Faisons une estimation prudente. Nous avons le même quota de vaccination que l'Angleterre, mais nous n'avons pas ce nombre élevé de personnes naturellement immunisées. Heureusement, nous n'avons pas eu ce nombre élevé de personnes décédées.
Après tout, nous avons eu 100 000 morts. En Angleterre, le nombre de morts est deux fois plus élevé. [...] En termes simples, cela signifierait que si nous voulions travailler avec ce taux de vaccination maintenant, nous devrions accepter à nouveau le même nombre de décès. Il faudrait donc se préparer à avoir au moins 100 000 morts en Allemagne avant que la situation ne se calme.
Et je dis que c'est une estimation prudente dans le sens du nombre de décès, car ici le bilan de la vaccination n'est pas si bon chez les personnes âgées. [...] Par conséquent, le nombre de décès que nous aurions à tolérer serait encore plus élevé. [...] nous devons reporter la période d'infection de masse dont nous avons besoin pour entrer dans la phase endémique.
Il faut maintenant probablement reprendre le contrôle de l'activité infectieuse par des mesures de contact. C'est même une certitude. […] Et ensuite, après un hiver très rigoureux […] nous aurons aussi le réveil brutal : nous n'en avons pas encore terminé, nous devrons encore nous occuper de la population vulnérable.
[...]
Je ne peux qu’évoquer un scénario, dont personne ne parle, mais que je trouve important. Le scénario est que certains pays d'Europe auront terminé avec la contamination de masse, mais pas nous et d'autres non plus. Nous ne sommes pas le seul pays qui va mal. La situation se calmera à nouveau l’été prochain en raison de l'effet saisonnier. Puis on rentrera dans l'hiver avec une population qui n'est toujours pas protégée. Et nous devons en tenir compte parce que le variant Delta devient maintenant dominant dans le monde entier, et le première sous-variant de Delta, le variant AY42, avec une contagiosité supplémentaire de 10 % et peut-être un taux de mortalité légèrement plus élevé, peut-être y aura-t-il même une vrai immunescape. Cela ne peut pas être exclu. Nous aurons un problème encore plus grave l'hiver prochain. Et c'est un scénario qui doit juste être considéré.
[…] nous devons trouver une position sur ce problème d'une manière ou d'une autre. Et aussi une proposition de solution. Remarquez, nous discutons à long terme ici, nous discutons actuellement du printemps et de l'été. Et bien sûr la question est : que faire?
Et la réponse est plus que simple : nous devons combler les lacunes en matière de vaccination. Nous devons les combler chez les personnes âgées et la plupart des plus jeunes. Cela signifie que nous devons faire tout ce qui est politiquement possible. Peut-être aussi des choses qui sont encore considérées comme impossibles à l'heure actuelle, afin d'augmenter le taux de vaccination dans la population, notamment chez les personnes âgées. (ndt : il pense à l'obligation vaccinale)
Dans le cas des personnes âgées, il faut également tenir compte de la troisième dose de vaccination. Mais nous devons nous fixer un véritable objectif idéal: une population triplement vaccinée. Vous pouvez bien sûr le faire au printemps après un hiver très difficile. Peut-être faut-il aussi avoir fait cette expérience au préalable. Je ne sais pas. Je ne suis pas psychologue social. Mais il est tout simplement parfaitement clair du point de vue de la biologie de l'infection que les lacunes dans la vaccination doivent être comblées. Ou, alternativement, que nous devons à nouveau tolérer un nombre élevé de décès, probablement plus de 100.000 autres.
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