samedi 31 octobre 2020

Traçage rétrospectif, bulle sociale, circuit-breaker lockdown. Podcast #62 du 27 octobre [Partie 1]

Korinna Hennig: ralentir la dynamique de l'infection ne fonctionnera probablement pas sans mesures supplémentaires. Du moins, c'est ce que disent la plupart des scientifiques menant des recherches sur le coronavirus. [...] En ce qui concerne la question de savoir où nous en sommes en Allemagne, très débattue, il y a différents paramètres pour mesurer la température de la pandémie, pour ainsi dire. Pas seulement le taux de reproduction, [à cause de la sur-dispersion]. Pas non plus le nombre de nouvelles infections. La structure par âge joue un rôle […] Et pas non plus uniquement les lits de soins intensifs, car il faut du personnel. Maintenant, il y a un autre débat qui tourne autour de l'utilité de prendre des mesures différenciées en fonction de l’âge. Combien de personnes âgées se contaminent, combien tombent malades? En prenant pour critère l’incidence des plus de 50 ans.

Christian Drosten: Oui, c'est un chiffre que j'ai mentionné une fois dans une interview. J'ai fait l'interview en septembre pour "Die Zeit". On m'avait objecté qu’il ne fallait pas trop regarder les chiffres de nouveaux cas, mais qu’il fallait se concentrer davantage sur l'occupation des lits. À l'époque, il n'y avait en fait pas d'occupation en soins intensifs à signaler en Allemagne. C'était une époque où les doutes étaient encore très forts sur le danger de l'infection. Et puis des idées sont apparues en public selon lesquelles vous avez besoin d'un système de feu tricolore. J'ai répondu qu’il y avait un moyen plus simple. L’occupation des soins intensifs est en fait un paramètre [qui apparaît quand] il est presque trop tard. Si on veut une estimation du danger, il faut évaluer différemment les chiffres d'incidence, [en ne prenant] que l'incidence chez les personnes âgées. Parce qu'alors, on sait que le résultat se traduira par de plus en plus d'hospitalisations et de cas difficiles. On peut donc prendre l’incidence des plus de 50 ans, c'est-à-dire les nouvelles infections chez les plus de 50 ans, ou on peut aussi prendre les plus de 60 ans. Mais ce n'était qu'une idée et bien sûr, c'est très simple car ces chiffres sont disponibles. [...] Mais j'ai peur que nous soyons de toute façon arrivés dans une autre phase. Nous pouvons déjà voir que les admissions à l'hôpital jusqu'aux soins intensifs augmentent encore et encore.

La difficile remontée des chaînes de contamination

Hennig: […] Entre un quart et un tiers des infections peut être tracé. L'accent est principalement mis sur les fêtes, notamment en privé. Où me suis-je infecté, nous en avons souvent discuté. Il n'y a aucune transmission connue dans les transports en commun, par exemple, ou dans les supermarchés. Beaucoup disent alors: Eh bien, ce n'est probablement pas un problème majeur. Peut-on réellement conclure que le risque est plus faible?

Drosten: Il y a encore ces considérations techniques. Ainsi, vous pouvez toujours vous dire que vous vous tenez à distance des autres et n’y passez qu'un certain temps. Et il y a un renouvellement d'air. Voilà les considérations techniques. Mais bien sûr, vous pouvez aussi regarder le problème autrement. Et il s'agit des sources d'infection. Alors, où ai-je été infecté? Où sont les clusters? Et puis à un moment donné c'est difficile à dire, si je l'ai été il y a dix jours... Donc, je suis diagnostiqué maintenant, cela fait environ dix jours que j'ai été infecté... est-ce que je me suis infecté dans les transports en commun que je prends presque tous les jours? Bien sûr, les groupes qui s’y constituent sont éphémères, on entre et on sort. Les groupes qui [s’y constituent] ne restent pas longtemps. C'est certainement l'une des explications pour lesquelles on ne peut pas dire que de nombreuses personnes ont été infectées dans les transports publics. Personne ne peut réellement le prouver ou s'en souvenir exactement.

Cela s'applique certainement aussi à d'autres situations. [Comme la gastronomie, ou au travail]. Puis on arrive à la conclusion qu’on ne se souvient que de ce qu’on trouve dans les tableaux [du RKI]. Bien sûr, on se souvient d'une fête de famille. Et il ne faut pas oublier qu'une très grande proportion, environ 70% dans certaines régions, des sources d'infection ne peuvent être reconstituées. Donc on dit "diffus". Mais cela ne signifie pas que l'infection se propage différemment maintenant. Elle se propage certainement encore par clusters.

Hennig: Mais cela signifie que ça reste un angle mort. Ces situations qui ne se produisent pas en grappes parce que vous ne pouvez pas vraiment les mesurer.

Drosten: Oui, on doit faire beaucoup pour améliorer cela. Je ne sais pas si on peut encore le faire dans la situation d'incidence actuelle. Nous en avons déjà parlé. Il faudrait résoudre ce problème soit par voie électronique via l'application, soit via un journal obligatoire. Où on écrirait: où étais-je aujourd'hui? Étais-je dans une situation de cluster aujourd'hui? Qui était là? Et je garde cela à l'esprit si j'ai soudainement des symptômes dans les dix jours. [Afin d’en parler aux services de santé].

Hennig: Peut-être pouvons-nous apporter un éclaircissement au sujet de ce Journal des contacts. Vous avez déjà expliqué dans le dernier podcast [que] les autorités sanitaires de certaines régions ont perdu le contrôle ou sont sur le point de le perdre. C'est aussi le cas dans d'autres pays. Et lorsque les capacités s'épuisent, la question de la stratégie entre en jeu. Peut-être pouvons-nous réellement l'expliquer à nouveau: quand les autorités sanitaires veulent arrêter les chaînes d'infection, elles remontent aux deux ou trois derniers jours afin d'empêcher une personne infectée d'en infecter d'autres. Quelle est la principale différence [avec la stratégie rétrospective]?

Investigation rétrospective des clusters

Drosten: […] Personne ne sait avec certitude si nous nous trouvons actuellement dans une situation où un changement de stratégie dans le service de santé a encore du sens, ou si nous sommes réellement au-delà du but. J'avais déjà fait cette suggestion en août: avec cette sur-dispersion, 20% de toutes les personnes infectées sont responsables que cette infection persiste. Parce que 70 ou 80% des personnes infectées ne transmettent pas le virus. Maintenant, c'est une considération évidente. Quand, en tant que patient nouvellement diagnostiqué, je m'assois en face de quelqu'un du service de santé et qu'ils m'isolent et me demandent: "Avec qui avez-vous eu des contacts?" Ce sont ces contacts qui font actuellement l'objet d'un suivi. Mais s'il n'y a que 20% de chances que j'aie infecté quelqu'un, c'est de l'énergie gaspillée. […] Mais il existe une autre approche pour détecter un cluster. La question est, où ai-je été infecté? Parce que cette infection se produit presque toujours dans un cluster. Si je peux identifier un cluster à travers cette question, alors [on gagne]. Parce que tout à coup, tout un groupe de personnes est identifié, qui sont toutes susceptibles d'être infectieuses à ce moment et qui doivent être rapidement isolées pour éviter de nouvelles transmissions. Dans un cluster de dix, il y en a deux qui transmettront le virus, alors qu'il y en a huit qui ne le transmettront pas.

Hennig: Cela signifie que cela conduirait également à un traçage prospectif plus ciblé, pour ainsi dire.

Drosten: Oui. La conséquence indirecte est alors que le traçage prospectif a lieu à nouveau pour tout ce groupe. A partir d'un certain nombre de groupes, cela garantira que d'autres transmissions seront empêchées. Tandis qu’avec un simple traçage prospectif, c'est-à-dire que la personne juste diagnostiquée est isolée et ses contacts directs sont investigués, il n'est pas certain que nous parvenions à prévenir les infections avec cette approche.

Hennig: Dans quelle mesure la recherche rétrospective des contacts est-elle même possible sur la base de la réglementation? Une question est bien sûr toujours celle des capacités des autorités sanitaires en matière de recherche des contacts, mais il y a aussi la question des procédures juridiques?

Drosten: Oui, c'est certainement le point crucial. C’est pourquoi je suis sceptique quant à savoir s’il peut être fait ou s’il n’est pas déjà trop tard. Parce que cela nécessite des changements réglementaires. L'Institut Robert Koch, par exemple, recommande qu’un traçage de cluster rétrospectif soit associé au traçage prospectif […] Tout cela est déjà présent dans les recommandations du RKI. La raison pour laquelle les autorités sanitaires n'abordent souvent pas ce traçage rétrospectif particulièrement efficace, ou n'osent le mettre en œuvre, c'est qu'il doit y avoir une conséquence si on découvre un cluster source. […]

Imaginons : il y a un groupe de personnes, 25 personnes par exemple, et l'un d'eux a amené le virus. Environ 17 sont infectés et ils sont tous infectés à peu près en même temps. On diagnostique un de ces 17. Et il y en a 16 autres qui en sont au même stade, ils sont tous contagieux à ce moment et il faut les isoler immédiatement. Nous devons leur dire immédiatement: restez à la maison, rentrez chez vous. La question est, est-il autorisé de faire cela quand on est médecin-conseil? Pouvez-vous entrer dans une entreprise, par exemple, et dire qu'il y a quelqu'un qui m'a donné l'information selon laquelle il y a probablement un cluster, maintenant il faut que tout le monde rentre chez lui. On demandera au moins des preuves. Le médecin peut-il prouver qu'il y a un cluster en cours? Idéalement, si on diagnostique trois ou quatre personnes, [cela serait une preuve]. [Il faut donc tester]. Le problème est que ces tests prennent du temps - et nous n'avons pas le temps. Car ce que nous devons faire ici, c'est isoler ces personnes immédiatement, sans délai. Et à ce stade, nous ne pouvons pas aller plus loin que si nous n’avons pas une loi ou un décret disant: S'il y a des soupçons justifiés, l’isolement d'un cluster source doit être effectué immédiatement sans autre test. Et bien sûr, c'est délicat. Cela doit être préparé. Partisans et opposants doivent en discuter. Une décision doit être prise. Ensuite, il faut la mettre en œuvre. Ceci est mieux fait lorsque vous avez le temps. J'ai proposé cela début août. Je voulais provoquer un débat dans la société. Mais maintenant, nous sommes dans une situation différente. On peut prendre un raccourci [avec les tests antigéniques et tester immédiatement tout le personnel d’une entreprise] Et dans les quinze minutes, on sait si on a un cluster. […] Et si seulement deux ou trois de ces tests sont positifs, on sait qu’il faut isoler tout le groupe. Mais je crains qu’il faille là aussi passer par un processus de discussion, impliquant de nombreuses personnes. Prendre ces décisions prend du temps et j'ai le sentiment que nous avons de moins en moins de temps en ce moment compte tenu du nombre de nouvelles infections.

La bulle sociale

Hennig: Vous venez de mentionner le mot-clé de sur-dispersion. La taille des groupes et [leurs réseaux, leurs interactions entrent en jeu]. Chacun peut se demander: que puis-je faire? Le physicien Dirk Brockmann, qui fait également de la modélisation pour l'Institut Robert Koch, l'a clairement indiqué dans un graphique. Si vous divisez un groupe, par exemple, un groupe de yoga de 36 personnes, en deux groupes de 18 ou en quatre groupes de neuf, il est alors évident qu'il y a moins de voies d'infection au sein de ces groupes. Mais si vous additionnez à nouveau tous les groupes à la fin, cela a-t-il un effet? Pour rester avec l'exemple: avec le yoga à 36 personnes, il y a plus de 1200 voies d'infection possibles, et si vous divisez le groupe une fois, il n'y a que 600 voies d'infection, soit environ la moitié. Si vous ne rencontrez que quatre personnes à la fois, ce nombre est même réduit de plus de 90%.

Drosten: Il y a ces effets disproportionnés. Vous pouvez calculer quelque chose comme ça. Si nous imaginons un groupe de 36 personnes et que nous les divisons en quatre. Et il y a un superspreader, dans un cas, il contaminera peut-être la moitié de 36 personnes, voire plus. Alors que dans un plus petit groupe, il ne contaminera que la moitié de neuf personnes, soit environ quatre personnes […]. 
Il y a aussi l'idée de séparations physiques, comme ce que vous avez pu voir dans les classes en Asie, avec des murs en plexiglas entre les tables.

Hennig: Mais cela a-t-il un intérêt, de votre point de vue? Des murs en plexiglas, cela semble un peu simpliste. Aérosols.

Drosten: Oui, bien sûr. Il y a une nouvelle réflexion qui entre en jeu à propos de la contamination par gouttelettes. Mais c'est juste un bon exemple de groupe qui continue d'exister en tant que groupe, en étant compartimenté. Et les voies de contamination ne sont pas une ligne qui serait là ou non, mais c'est aussi une ligne qui peut être épaisse ou mince, de sorte que la transmission peut aussi devenir plus inefficace. Et c'est alors aussi une division partielle en groupes.

Mais au fond, il y a une autre idée derrière cette idée, à savoir l'idée de «bulle sociale». […] Comment concevoir un nouveau lockdown avec les connaissances actuelles ? L’idée qui existe déjà dans certains pays est celle d'une «bulle sociale». Il va falloir tenir un certain temps avec une certaine restriction des contacts. Nous ne voulons pas que tout le monde soit désespéré et déprimé. S'il y a des fermetures d'écoles, les enfants ne pourront pas être pris en charge et à un moment donné, ils vont devenir fous dans l'appartement. Donc on pourrait dire que jusqu'à deux ou même trois ménages pourront toujours se réunir et former une bulle sociale. Et ils sont autorisés à se rencontrer, […] s'entraider pour la garde des enfants, l'un d'eux peut faire les courses pour tout le monde etc. Si les restaurants n'étaient pas fermés, ils pourraient s'asseoir ensemble à une grande table. Mais ils ne devraient avoir aucun contact au-delà de cette bulle sociale. [...] une telle bulle sociale [pourrait inclure] des personnes âgées etc. De telles mesures sont envisageables. Cela revient toujours à ce principe mathématique de division en groupes et à une réduction disproportionnée des possibilités de contacts.

Hennig: Par conséquent, si nous incluons des personnes âgées, c'est-à-dire des groupes à risque, dans un tel modèle, nous vivons bien sûr avec un risque résiduel tant que les enfants vont à l'école normalement et où aucun groupe n'est divisé, par exemple.

Drosten: C'est vrai, tant que les enfants vont à l'école, ce n'est plus une "bulle sociale" à ce stade. On ne peut pas inclure les patients à risque. Ce principe de "bulle sociale" est de toute façon violé lorsque les écoles sont ouvertes.

Hennig: Mais la question de la réduction de la taille des groupes, par exemple en divisant les classes, [et des cours moins longs]

Drosten: Exactement. Il faut chercher des compromis partout. Il est clair que les écoles doivent continuer à fonctionner dans la mesure du possible. En même temps, cependant, il est clair, comme nous le savons depuis longtemps et a été confirmé par des observations épidémiologiques, que le risque d'infection à l'école est le même que le risque d'infection dans n’importe quelle autre situation sociale comparable. […] il faut dire que le port du masque est probablement très important. Une école avant la première vague, en France, bien décrite dans la littérature, où 60, 70 % des élèves ont été infectés en quatre ou cinq semaines. Quelque chose de cette intensité n'existerait probablement pas avec une école complètement masquée. C'est certainement un facteur important qui ralentit, mais ne bloque pas complètement les infections, mais est un point important dans ce processus de recherche de compromis.

Il faut donc y réfléchir maintenant avec le partage en groupes. Par exemple, une classe toujours divisée en deux parties, l'une l'après-midi et l'autre le matin. Ce serait une possibilité. Ou peut-être même diviser l'espace. Une classe divisée en deux salles de classe et l'une d'elles bénéficie d'une diffusion vidéo du cours. […] En ce qui concerne le fonctionnement de l'école, ce sera difficile de procéder. C'est pourquoi il faut mettre en œuvre ce cloisonnement très fort dans une autre partie de la société.

Circuit-breaker lockdown

Hennig: D'autant que de telles idées créatives de division spatiale se heurtent à des limites spatiales dans la réalité. Mais peut-être que cela montre un peu où il y a des opportunités pour simplement développer de nouvelles idées. [...] Personne ne veut d’un lockdown complet, tel est le mantra que l'on entend beaucoup en ce moment, […] Si on se pose la question : quelles mesures n'avons-nous pas encore essayées? une discussion a eu lieu en Grande-Bretagne, puis en Suisse, et ici aussi,[...] à savoir un mini-lockdown temporaire pré-planifié. [...] Cela est actuellement pratiqué au Pays de Galles, par exemple, en Irlande du Nord et dans certaines parties en Écosse. Comment fonctionne exactement un « circuit-breaker » (disjoncteur)?

Drosten: Le terme est explicite. C’est un disjoncteur. Si le stress devient trop important, vous devez faire une pause. Il s'agit d'un lockdown préventif qui présente au départ un avantage: tout le monde sait à l'avance qu'il est limité dans le temps. En principe, on s’est mis d’accord dans la société: [nous allons tout fermer pendant deux ou trois semaines]. Trois semaines est probablement le moment le plus pertinent car vous avez besoin d'un peu plus qu'une période de quarantaine pour cela. [Le bénéfice est alors général] car l'incidence est alors considérablement réduite et, dans certaines circonstances, également réduite pour une longue période. Vous pouvez regagner le territoire que vous avez perdu à cause du virus. Ainsi, par exemple, vous pouvez de nouveau tracer les contacts. […]

Un lockdown n’est pas une situation où on négocie [...] On entend à nouveau un représentant des entreprises dire: "En aucun cas, il ne doit y avoir de lockdown". [On n’est pas dans une situation] où il y aurait d’un côté l’économie et de l’autre la santé. C'est une mauvaise compréhension de la situation. Nous ne sommes pas en position de négociation ici. Nous ne négocions pas avec la santé ici. Au mieux, nous essayons de négocier avec le virus - et on ne peut pas. On ne peut pas négocier avec ce virus. Ce virus oblige simplement à un lockdown lorsqu'un certain nombre de cas est atteint. C’est ce qui se passe alors.

Nous avons quelques pays voisins où ce point a déjà été dépassé […] et nous verrons dans les prochains jours et semaines qu'ils confineront à nouveau, qu'ils le veuillent ou non, malgré tous les dégâts économiques. Et la question avec un disjoncteur est: peut-on trouver un compromis le meilleur pour tout le monde? […] nous voulons faire un lockdown limité à l'avance, où tout le monde peut se préparer et avec une vision de ce qu’il faut atteindre. Nous faisons ça de telle manière à causer moins de dégâts. Par exemple, en le situant pendant les vacances scolaires, puisqu’on laisse les écoles ouvertes. Ou en faisant un calendrier à l'avance où vous dites qu'il suffit d'aller au printemps, jusqu'à ce que la situation s'améliore, jusqu'à ce qu'un vaccin soit disponible, jusqu'à ce que les températures s'améliorent à nouveau, etc. Faites simplement une sorte de calendrier clair pour tout le monde à l'avance: il y aura des restrictions dans telles semaines et elles seront à nouveau levées au cours de telles semaines afin que l'économie puisse planifier en conséquence. C'est en fait - ce qui se cache derrière cette idée, qui est déjà partiellement mise en œuvre en Angleterre, pas encore à l'échelle nationale, mais dans certaines régions, c'est maintenant décidé - c'est l'idée de ce lockdown-disjoncteur (circuit-breaker).

Hennig: En Irlande du Nord, par exemple, ce sera quatre semaines. Les écoles ont prolongé les vacances d'automne. Cela signifie-t-il que vous pourriez également intégrer des mesures graduées?

Drosten: Oui, exactement. C'est exactement le but, l'adoucir là où vous le pouvez[...]. Mais ce qui compte vraiment, c'est de pouvoir planifier.

Hennig: Ce que vous venez de mentionner, un plan à long terme, serait en fait une sorte d'opération on-off [...].

Drosten: Oui, il est vrai que cela a été pris en compte très tôt dans les calculs des modèles. Qu'il ne peut pas être écarté d'emblée de devoir faire quelque chose comme ça dans certaines situations où il y a déjà une incidence de fond élevée, qu'on ne peut réduire qu'avec un tel "circuit-breaker". Pensez à un trajet en automobile. Nous descendons une pente avec un camion lourd et cela ne veut tout simplement pas s'arrêter. [...] Nous savons que nous ne pouvons utiliser les freins que pendant cinq secondes. Quand les utiliser? À un moment donné, vous arriverez à la conclusion qu'il ne suffira pas de le faire une seule fois, mais que nous devons utiliser les freins pendant cinq secondes toutes les x centaines de mètres [...] sinon nous sortirons de la route à un moment donné. Et avec cette image, il est facile de comprendre qu'il est important de savoir dans quelle situation on le fait la première fois. Si nous avons déjà fait pas mal de route, comme c'est le cas maintenant en France, où il y avait une incidence extrêmement élevée, donc notre camion roule déjà assez vite, il ne sera d'aucune utilité de freiner une fois cinq secondes. Il faudra le faire encore et encore. Alors que si nous commençons tout juste à rouler, le camion roule très lentement, donc il pourrait suffire de freiner un bon coup pour être tranquille pendant longtemps. Le camion recommencera alors à rouler, mais tant qu'il n'aura pas repris un peu de vitesse, peut-être serons-nous dans une saison de l'année où il ne sera plus si important de freiner de cette manière.

Heureusement pour l'instant, nous sommes encore dans une situation de faible incidence. Nous devons cela à notre lockdown précoce au printemps - rien d'autre. Il n'y a aucune autre raison pour laquelle nous avons eu cette faible incidence aussi longtemps. Également par rapport à d'autres pays européens, qui sont structurés de manière similaire et qui sont dans certains cas dans une bien meilleure position sur le plan climatique car plus au sud. Nous sommes encore dans cette position favorable. Notre camion commence à peine à rouler et si nous actionnons les freins maintenant, cela aurait un effet très durable. Cela nous ferait gagner beaucoup de temps. Il faut y réfléchir maintenant. Peut-être, pour rester dans la métaphore, on n’aura pas à freiner trop fort et trop longtemps, parce que nous n'avons pas encore une vitesse élevée.

Hennig: Mais la situation est devenue relativement dynamique ces dernières semaines. Y a-t-il des éléments dans la recherche qui peuvent être utilisés pour déterminer le stade dans lequel vous devez le faire pour ne pas être en retard?

Drosten: Il existe des modèles de calculs. Il existe maintenant une publication de la London School qui résume certaines choses. On peut dire: le plus tôt sera le mieux. C’est le plus important. [...] Peut-être que l'Allemagne est à nouveau en bonne position. Parce que nous voyons ce qui se passe dans les pays voisins.

[…] [Le meilleur moment pour réaliser cela est au début de la croissance exponentielle.] […] Un circuit-breaker-lockdown est particulièrement efficace si vous utilisez le temps - en particulier au niveau politique - pour réexaminer certains règlements dont nous avons déjà parlé plus tôt.

Hennig: Pour les autorités sanitaires.

Drosten: Exactement, pour le suivi des cas. […] C'est peut-être la discussion que nous devons avoir ces jours-ci.

[...] [Partie sur les vaccins (à suivre dans un autre article)]


Hennig : Je voudrais vous poser une question personnelle. Nous avons commencé en parlant de l’incidence des plus de 50 ans. Cela m’a fait un peu sursauter [...] vous et moi, par exemple, ne sommes pas si loin de la cinquantaine. Est-ce qu’avec les nouvelles connaissances, ce virus vous inspire personnellement plus de respect ?

Drosten: Quand il s'agit d'une contamination par ce virus, je ne suis pas du tout détendu. Je ne souhaite vraiment pas l’attraper. Maintenant, je ne suis pas quelqu'un qui doit en permanence être dans des foules, je suis dans une situation favorable. Les cliniciens sont dans une situation complètement différente. Ils peuvent difficilement l'éviter. Sauf au moyen d'un équipement de protection individuelle, c'est-à-dire le port constant de masques particulièrement étanches. Bien sûr, vous pouvez le faire pour vous protéger. Je pense aussi que maintenant en ce qui concerne ce processus d'infection, tout le monde devrait se rendre compte, même ceux qui sont encore loin des 50 ans, qu'il y a ces cas soudains et très graves, même chez les plus jeunes. Il y a ce footballeur de 25 ans qui a dû aller en soins intensifs dans les trois jours et est décédé deux jours plus tard. De tels cas existent. Et vous ne savez pas à l'avance si vous faites partie de ces rares cas. C'est pourquoi chacun devrait essayer, dans sa vie quotidienne, de se protéger le plus possible contre l'infection. Cela devrait vraiment être à l'ordre du jour. Surtout éviter les occasions où on peut être infecté, c'est-à-dire les rassemblements de personnes dans des pièces.

Même si c'est une situation qui ne figure pas sur la liste, comme ce qu’on a évoqué, le supermarché et les transports en commun. Chacun de nous va [se retrouver dans une de ces situations], mais je n'ai pas besoin de faire les courses chaque jour, je peux me faire une liste. Même si le supermarché est juste à côté, je peux planifier mes courses et n'y aller qu'une fois par semaine. C'est, par exemple, une mesure importante pour réduire le risque personnel de contamination. Il en va de même pour les transports en commun. Les jours où il ne pleut pas et où il ne fait pas froid, je peux sortir mon vieux vélo de la cave. Et s'il grince, on peut huiler la chaîne... Et enfiler une veste épaisse, même si vous ne l'avez pas fait depuis des années.

Hennig: Ou aller à pied si vous avez le temps.

Drosten: Ou peut-être même aller à pied.

lundi 19 octobre 2020

Avis de la Société allemande de Virologie: pour une action scientifiquement fondée contre la pandémie de Covid-19

texte original: https://www.g-f-v.org/node/1358
références des (notes) en bas de page


19 octobre 2020

Au cours des dernières semaines, nous avons vu dans le monde entier, en particulier chez nos voisins européens, comment le nombre de personnes infectées par le SRAS-CoV-2 a augmenté et continue d'augmenter de manière quasiment exponentielle(1). Alors que l'Allemagne avait jusqu'à récemment une incidence modérée, on y observe désormais également un nouveau début de propagation exponentielle(2). L'incidence à 14 jours en Autriche (133)(3) et en Suisse (230)(4) est déjà nettement plus élevée qu'en Allemagne (47)(5).

La propagation accrue des infections par le SRAS-CoV-2 est due en particulier à des événements privés tels que fêtes de famille, mariages et autres rassemblements. Bien que la majorité des cas d'infection se produisent dans des groupes d'âge plus jeunes, qui sont pour la plupart beaucoup moins concernés par les conséquences du COVID-19 
sur leur santé que les plus âgés(6), nous constatons partout une augmentation des hospitalisations et une progression constante des infections dans les groupes plus âgés(7). 

En raison de la dynamique explosive des infections que nous remarquons dans tous les hotspots d'Europe, il est à craindre qu'au-delà d'un certain seuil, on perde le contrôle du processus d'infection, même dans des régions jusque là non critiques. Si ce seuil est dépassé, le suivi individuel des foyers et des mesures strictes d'isolement ne pourront plus être mis en œuvre et la propagation incontrôlée à toutes les parties de la population, y compris les groupes à risque particulièrement vulnérables, ne pourra plus être évitée de manière adéquate. On peut s'attendre à ce que cela conduise à une surcharge rapide des systèmes de santé, ce qui en Allemagne, par exemple, en raison du manque de personnel de soins intensifs, pourrait déjà être le cas avec bien moins de 20 000 nouvelles infections par jour(8). Cela affectera non seulement le traitement des patients COVID-19, mais tous les soins médicaux.

Nous constatons avec inquiétude qu’à nouveau les voix prônant la contamination naturelle d'une grande partie de la population comme stratégie de lutte contre la pandémie dans le but de parvenir à l’immunité collective 
prennent de l’ampleur. Les signataires de la «Great Barrington Déclaration»(9) plaident pour la levée immédiate de toutes les restrictions à la vie publique et privée, y compris toutes les règles de distanciation et l'obligation du port du masque. Afin d'atténuer la morbidité et la mortalité des groupes vulnérables (personnes âgées, personnes avec comorbidités), la déclaration suggère des mesures de protection spéciales pour ces personnes allant jusqu'à un quasi-isolement («Les retraités vivant chez eux devraient se faire livrer nourriture et autres choses importantes»). 

Nous rejetons fermement cette stratégie, même si nous reconnaissons naturellement le fardeau énorme qui pèse sur la population en raison des mesures drastiques d'endiguement. Les soins de santé dans d'autres domaines non associés au Covid-19 souffrent également des restrictions imposées pour atténuer la pandémie(10,11). Néanmoins, nous sommes convaincus que les dommages qui nous menacent directement ou indirectement en cas d’infection incontrôlée dépasseraient ce fardeau et pourraient conduire à une catastrophe humanitaire et économique. Nous ne sommes pas seuls à partager cette analyse: dans un communiqué publié le 14 octobre dans la revue médicale «The Lancet» («John Snow Memorandum»)(12), de nombreux experts internationaux expriment les mêmes préoccupations et déconseillent fortement de suivre la stratégie de contamination incontrôlée propagée par la Great Barrington declaration.

Une infection incontrôlée entraînerait une augmentation croissante du nombre de décès, car même avec l'isolement strict des retraités, il existe d'autres groupes à risque qui sont beaucoup trop nombreux, trop hétérogènes et aussi dans certains cas non détectés pour pouvoir être protégés activement. Il existe un risque accru d'évolution sévère de la COVID-19, par ex. en cas d’obésité, diabète, cancer, insuffisance rénale, maladies pulmonaires chroniques, maladies du foie, accidents vasculaires cérébraux, après une greffe et pendant la grossesse(13). Une complication possible de la maladie COVID-19 est le syndrome dit «long COVID», qui provoque divers dommages à long terme aux voies respiratoires, aux vaisseaux, au système nerveux ou autres organes, qui réduisent considérablement la qualité de vie, la capacité de travail et probablement aussi l'espérance de vie(14).

De plus, nous ne savons pas encore de manière fiable combien de temps dure l'immunité acquise par l'infection. Il est de plus en plus clair que les infections les moins symptomatiques, telles que celles qui prévalent chez les jeunes, ne confèrent pas une immunité stable(15). Le conseil d'administration de la Société de Virologie soutient donc expressément la position des signataires du mémorandum John Snow et considère que la poursuite de l'immunité collective sans vaccination est contraire à l'éthique et présente un risque médical, social et donc également économique élevé.

Nous respectons les attitudes divergentes défendues par des collègues individuels dans les médias et les réseaux sociaux, car les controverses sont une caractéristique essentielle à la fois de la science et de la démocratie. Néanmoins, le conseil d'administration de la Société de Virologie estime nécessaire de résumer son avis dans cette déclaration qui, à en juger les nombreuses conversations et courriels, représente également l'attitude de la majorité des virologues et médecins membres de notre société actifs en Allemagne, en Autriche et en Suisse.


Le conseil d'administration de la Société de Virologie avec la participation de:


Dr. Marco Binder, Centre allemand de recherche sur le cancer Heidelberg

Prof. Dr. Melanie Brinkmann, Université technique de Braunschweig et Helmholtz Center for Infection Research Braunschweig

Prof. Dr. Christian Drosten, Charité, Médecine universitaire de Berlin

Prof. Dr. Isabella Eckerle, Hôpital universitaire de Genève, Suisse

Prof. Dr. Beate Sodeik, École de médecine de Hanovre

Prof. Dr. Friedemann Weber, Université Justus Liebig Giessen


1 https://www.ecdc.europa.eu/en/covid-19-pandemic
2 https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Situationsb...
3 https://covid19-country-overviews.ecdc.europa.eu (Stand 15.10.2020)
4 Situationsbericht zur epidemiologischen Lage in der Schweiz und im Fürstentum Liechtenstein (Stand 16.10.2020; 8:00 Uhr)
5 https://covid19-country-overviews.ecdc.europa.eu (Stand 15.10.2020)
6 https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(20)30243-7/fulltext
7 https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Situationsb...
8 https://www.aerzteblatt.de/nachrichten/sw/Intensivmedizin?s=&p=1&n=1&nid...)
9 https://www.sciencemediacentre.org/expert-reaction-to-barrington-declara...
10 https://www.who.int/publications/m/item/rapid-assessment-of-service-deli...
11 Bakouny et al. (2020) COVID-19 and Cancer: Current Challenges and Perspectives. Cancer Cell DOI: https://doi.org/10.1016/j.ccell.2020.09.018
12 https://www.johnsnowmemo.com
13 https://www.nature.com/articles/s41586-020-2521-4
14 https://www.bmj.com/content/370/bmj.m2815
15 https://www.nature.com/articles/s41591-020-0965-6

samedi 17 octobre 2020

Allemagne, Barrington, cluster-source, immunité, étude indienne, mutation D614G. Podcast #60 du 13 octobre 2020

L'Allemagne va connaître la même évolution que le reste de l'Europe

Anja Martini: Le nombre de cas continue d'augmenter partout, y compris en Allemagne. Au cours de la semaine dernière, nous avons eu plus de 4000 nouvelles infections en une journée. Non seulement certaines villes envisagent de renforcer les mesures, mais les régions à la campagne signalent également de nombreuses nouvelles infections. M. Drosten, plus de 4000 nouveaux cas, s’agit-il d’un dérapage?

Christian Drosten: Non, je pense que c'est le développement que nous verrons, comme nous le voyons également dans les pays voisins. Nous avons peut-être deux ou trois semaines de retard sur cette évolution. La question est, bien sûr, que penser de cette situation. Je pense simplement que c'est problématique. Je pense que nous aurons des problèmes de plus en plus importants socialement et peut-être de plus en plus de discussions dans un proche avenir. Vous pouvez voir comment se déroule le débat public en ce moment et comment les choses sont déformées dans certains médias. Cela va probablement s'accentuer.

Martini: Que craignez-vous?

Drosten: Je pense qu'il est très difficile pour les politiciens de prendre les bonnes décisions pour le moment. Nous le voyons ces jours-ci avec la discussion sur cette interdiction d'hébergement. […] [Les Länder prennent des décisions] non coordonnées [ce qui crée] beaucoup de discorde. Et certains commencent à s'en indigner en public. C'est l'un des effets. Et d'autres commencent à décrire ce qui se passera, à savoir qu'à un moment donné, le public ne comprendra plus l'intérêt de ces mesures. Et la cohésion dont nous avons absolument besoin, qui a contribué à la bonne réaction au début de la première vague en Allemagne, cette cohésion de la société est de plus en plus menacée.

Martini: Cette interdiction d'hébergement a-t-elle un sens? Un test négatif lorsque je viens d'une zone à risque, est-ce utile? Je veux dire, le test n'est qu'un instantané.

Drosten: La stratégie des tests, leur utilisation et interprétation sont de nouveau discutées jours-ci au niveau politique, puis finalement publiées dans la première nouvelle version. Et cela devra être corrigé ultérieurement. Maintenant, les tests antigéniques entrent lentement en jeu et sont commercialisés. On peut également travailler avec cela. Mais ce n'est qu'une composante. Dans l'ensemble, comme prévu, le virus a continué de se propager géographiquement. En ce moment, par exemple, étonnamment, on peut voir dans l'Emsland... la région d'où nous venons tous les deux. Qui aurait pensé qu'il y aurait une telle incidence [là-bas] ?

Martini: Exactement.

Drosten: Il n'y a pas de grandes villes dans ce coin, mais il y a [beaucoup de contaminations]. [...] Pour le moment, cependant, nous assistons à une accumulation dans les grandes villes, certainement parce que la densité de population est élevée et que la population est jeune. Mais de telles valeurs aberrantes se produiront toujours. Le virus continuera de se propager et, par conséquent, ces mesures locales auront de moins en moins d’effet au fil du temps. Il est d’autant plus important de formuler dès à présent des normes généralement applicables et de ne pas courir après les événements. Nous avons juste une évolution très rapide. Il n'est pas du tout facile pour les politiciens d’adopter les mesures qui d'une part peuvent encore être tolérables, socialement, et qui d'autre part impactent également l’incidence et les nouvelles infections. Tout est à la traîne. Donc, si nous signalons maintenant de nouveaux cas au RKI, cela reflète ce qui s'est passé dans la population il y a sept, peut-être même dix jours.

Martini: Cela signifie que nous courons toujours un peu derrière.

Drosten: Exactement. Et maintenant le grand défi pour les politiciens est de trouver des mesures qui peuvent encore corriger cela. Parce qu’il faut être clair sur le fait que si nous décidions aujourd'hui d’un nouveau lockdown, un lockdown absolu, purement théorique, cela signifierait que les cas continueraient d’augmenter pendant une semaine, voire presque deux semaines. Simplement parce que de nouvelles infections sont déjà en route. Les personnes qui seront signalées la semaine prochaine sont déjà infectées. Certaines d'entre elles ne le savent même pas encore.

Martini: je pense que nous n'avons pas encore vraiment intériorisé cela. Nous voyons que le nombre de cas augmente lentement maintenant. Mais [on constate un peu d’indifférence], les gens veulent sortir, aller au restaurant [...] Et maintenant, prendre des mesures politiques, ce n'est pas facile, n'est-ce pas?

Critique de la déclaration de Barrington

Drosten: Oui, il y a simplement un effet d'usure pour tout le monde. C'est difficile de continuer. Dans le même temps, le problème, en médecine ou dans la société en général, n'est pas encore aussi visible dans les médias. Nous n'avons pas encore de mortalité élevée. Nous n’avons pas encore d'unités de soins intensifs saturées, comme c'est déjà le cas dans d'autres pays, en Espagne par exemple. Et nous avons également des voix fallacieuses dans le débat public. Il y a cet article de scientifiques américains et anglais, qui est vraiment fallacieux. [...]

Martini: L’objectif de cette lettre ouverte est de dire qu’il faut protéger les groupes à risque, [donc] que les personnes âgées afin de donner aux jeunes la possibilité de continuer leur vie. Cette lettre a maintenant reçu un nombre relativement important de signatures. Et le but est d'obtenir une immunité collective plus élevée à la fin. Est-ce faisable?

Drosten: Il y a deux choses qui vont à l'encontre de cette idée. Ces deux choses ont en fait été acceptées par la société au printemps. Premièrement, il n'est pas possible de protéger complètement les personnes âgées. Des situations terribles surviennent. Cela signifierait, par exemple, que les résidences pour personnes âgées devraient être complètement fermées à toute visite. Et toutes les personnes âgées ne vivent pas dans des maisons de retraite. Cela signifierait également qu'au sein des familles, il faudrait complètement interdire les visites. Il est tout simplement inconcevable de mettre cela en œuvre.

Et l'autre chose est qu'il y a aussi des patients à risque dans les groupes d'âge plus jeunes, qui ne sont pas si peu nombreux non plus. Et si vous laissiez se propager cette maladie dans les groupes d'âge les plus jeunes, cela entraînerait également de nombreuses infections dans ces groupes d'âge. Nous avons une pandémie, ici. Nous ne sommes pas immunologiquement protégés contre ce virus. Et la proportion de patients à haut risque dans ces tranches d'âge plus jeunes est si élevée que l'on arriverait à nouveau aux limites du système de soins. Nous aurions un autre type de patient, qui serait socialement perçu différemment. Des jeunes familles perdraient leur père ou leur mère. C’est juste une conséquence complètement différente. Et vous ne pouvez simplement pas laisser cela se propager comme ça.

Martini: Alors, que pouvons-nous faire pour éviter que cela ne se produise, que des unités de soins intensifs soient pleines et des gens tombent malades?

Drosten: Espérons que nous puissions d'une manière ou d'une autre empêcher cela. En ce moment, nous essayons, disons un groupe de scientifiques au fait de la situation et prêts à communiquer, d'informer la société sur la menace. Il est relativement facile d'empêcher cela si on s’y met tous. Et si on le comprend, si on comprend les raisons pour lesquelles on doit faire quelque chose maintenant. Et pourquoi on doit se retenir maintenant, par exemple avec les contacts. Et qu’on peut se rater. Si on attend que de nombreux lits de soins intensifs soient à nouveau occupés, on aura des effets pas faciles à stopper rapidement. […] Il faut réagir assez tôt. Cela fonctionne avec relativement peu de mesures drastiques. Si vous manquez le timing, vous l'avez manqué. Et puis vous n'avez pas à réagir, mais à corriger. Et cette correction, ramer à contre-courant, ça demande un effort incroyable. On a tort de ne pas regarder dans les pays européens voisins, où ce processus est déjà visible, où il n’est en avance que de deux semaines. […]

En Espagne, par exemple, nous voyons déjà des unités de soins intensifs saturées dans les zones touchées. Et ce sont de très grandes zones géographiques. Il n'y a aucune raison de penser que ce sera différent chez nous. Il y a certainement plusieurs raisons pour lesquelles la hausse est plus lente chez nous ; nous en avons déjà discuté, comme la structure familiale, nous avons plus de ménages d'une seule personne. Nous avons une plus grande séparation entre les générations. C'est différent en Espagne. Cela entraînera certainement une croissance plus rapide de l'épidémie là-bas. Mais il se peut aussi qu'il n'y ait tout simplement pas autant de diagnostics qu’ici, de sorte qu’on remarque le tout un peu plus tard, mais c'est le même virus. Nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait que la même chose nous arrivera.

Mesures-barrière, "backward tracing" (trouver la source)

Martini: Cela signifie que si nous faisons attention maintenant et que nous respectons vraiment les règles AHA (distanciation ; hygiène, masque), ventilons correctement, n’allons pas dans des restaurants surpeuplés etc, nous pouvons encore y arriver?

Drosten: La chose décisive est, et il faudrait vraiment le répéter encore et encore, car tout le monde ne l’a pas encore intégré, nous avons besoin de deux mesures combinées. Donc les règles AHA, c'est bien, mais je trouve cette formule presque un peu trop simple. Donc les règles AHA - distanciation, hygiène, masques grand public - c'est certainement une mesure généralement efficace et dont tout le monde se souvient. Et c'est bien. Mais nous avons besoin de quelque chose de plus, à savoir une mesure contre les clusters. C'est la règle de base pour ces maladies qui se propagent avec une sur-dispersion. Nous avons besoin de deux mesures à l'échelle de la société. La première est une mesure que tout le monde suit et qui n'a pas besoin d’être très intrusive, ni à être très efficace pour la propagation du virus. Elle doit être efficace à 20%. C'est certainement la combinaison de la distance, de l'hygiène et des masques. Quelque chose qui s'applique à tout le monde, qui s'applique dans toute la société, qui n'est pas drastique. Et puis, nous avons également besoin d'une mesure spécifique, qui prenne effet partout où des clusters apparaissent.

Et c'est encore une faiblesse en Allemagne pour le moment, et aussi dans le système de reporting, et pas seulement en Allemagne. L'orientation spécifique de l'enregistrement des cas, l'enregistrement de l'activité infectieuse sur le cluster source, c'est-à-dire la question: Où avez-vous été infecté? Nous sommes toujours très axés sur la poursuite des cas. En d'autres termes, nous demandons: ce patient qui a été infecté ici, qui aurait-il pu infecter, à la fois ces derniers jours, avec qui il était en contact, et aussi à l'avenir, il doit rester chez lui pour qu’il n'infecte plus personne.

Mais le moment où nous remarquons cette infection est en fait un moment où la contagiosité est pratiquement terminée. Et les quelques personnes qu'il aurait pu infecter au cours des derniers jours ne sont pas à l'origine du processus d'infection, mais ce qui est vraiment à l'origine du processus d'infection, c'est le cluster source où il a contracté son infection. Car cette infection se propage par grappes. Même si les autorités sanitaires disent qu'il y a un processus d'infection de plus en plus diffus, on ne peut plus reconstituer les chaînes de contamination, alors ce n'est pas une description de la réalité de la propagation du virus, mais une description de l'impression qu’on a dans les services de santé car les gens ne peuvent pas dire où ils ont probablement été infectés il y a sept à dix jours.

Nous avons cela avec d'autres rhumes également. Nous n'avons tout simplement pas cette mémoire. Nous ne pouvons pas nous souvenir dans quelles situations particulières, dangereuses, nous étions il y a sept à dix jours. Le problème, cependant, est que cette situation dangereuse dans laquelle nous avons été infectés il y a sept à dix jours est toujours là. Ce cluster couve toujours. Et sans que personne ne le sache, sans que les cas aient été signalés jusqu'à présent, nous avons ici un cluster source qui frémit. Nous sommes maintenant à ce moment où les remontées de chaînes deviennent de plus en plus difficiles, où les autorités sanitaires disent les unes après les autres: "Nous n’y arrivons plus, Bundeswehr, venez nous aider !" Nous voyons cela dans les médias maintenant. C'est maintenant le moment où cette méthode de travail sur les clusters source doit être mise en œuvre. Parce qu'en ce moment, d’après les statistiques, nous avons l’impression que cela vient des fêtes de famille, des ménages. Cela ne vient pas des situations de travail, des transports en commun, etc.

Martini: D'aller au restaurant.

Drosten: Exactement. Tous ces éléments ne figurent pas dans les statistiques des rapports pour le moment. Les autorités sanitaires disent que ce sont avant tout les situations privées, les fêtes de famille, la maison. Mais regardons maintenant de près ces statistiques de reporting. Et ce que nous constatons, c'est que plus de la moitié de toutes les nouvelles infection ne peuvent pas être résolues. [...] les chaînes de contamination reconstructibles sont minoritaires. [...] Les gens ne peuvent pas dire où ils se sont infectés. D’où cette proposition, que je fais depuis des semaines, que chaque citoyen tienne un journal des situations de cluster. Chaque soir, par exemple, vous pouvez écrire sur votre smartphone, dans votre bloc-notes ou sur n'importe quel morceau de papier, là où vous ne vous êtes pas sentis très à l'aise. Alors aujourd'hui, j'étais dans une situation où j'avais le sentiment qu'il y avait trop de monde, dans une pièce fermée, trop près les uns des autres, même si la plupart portaient des masques. En faisant cela, deux choses se produisent. Premièrement, [...] les gens pourraient se souvenir davantage et dire où ils ont été infectés. Les autorités sanitaires pourraient alors être en mesure d'identifier encore mieux les clusters source. Le suivi des cas serait amélioré. Le deuxième effet est que [chacun] réaliserait plus clairement qu’il se trouve régulièrement dans de telles situations et [qu’en y étant plus sensibilisé, il les évite à l’avenir].
[Si je vais au restaurant] Est-ce que je m'en souviendrai dans dix jours?

Martini: Probablement pas.

Drosten: Sérieusement. Donc si j'ai soudainement de la fièvre, [...] je dirais: "Je ne peux pas dire." Ou je dirais aussi: "Eh bien, probablement à la maison, parce que mon conjoint a aussi de la fièvre. Donc, je me suis contaminé à la maison." Mais je suis aussi allé manger avec mon conjoint, mais comme je ne l’ai pas noté, je ne m'en souviens pas. Je ne veux pas seulement me concentrer sur les restaurants. Il s'agit aussi d'autres situations, de situations quotidiennes, nombreuses dans le secteur du sport, dans le secteur des loisirs, mais aussi la vie professionnelle. Ces lacunes dans les listes seraient ainsi comblées. Par exemple dans la vie professionnelle, il y avait telle réunion [exceptionnelle], et il y avait 30 personnes dans la salle. Tous étaient assis à distance et portaient des masques. […] C’est quelque chose que nous pouvons tous faire. On ne peut pas simplement rester passifs et se dire que le département de la santé clarifiera tout ça si je tombe malade à un moment donné. [...]

Martini: Cela voudrait dire que si nous notions ces contacts, nous serions un peu plus loin.

Drosten: Alors nous serions certainement tous un peu plus impliqués. [...] Nous serions alors plus loin dans le processus de connaissance et d'évitement. Je pense que l'accent est mis ici sur l'évitement. Parce que les politiciens ne peuvent pas régler chaque petite situation de la vie quotidienne - de préférence séparément pour chaque Land- mais à un moment donné, la société doit passer à un mode de participation active. [...]

Stratégie nationale de test

Martini: Et puis chacun pourrait apporter sa contribution. Le gouvernement fédéral veut également prendre une décision cette semaine. Cette fois, il s'agit d'une nouvelle stratégie pour les tests. Il devrait maintenant être moins testé, mais de façon plus ciblée. De votre point de vue, est-ce la bonne voie pour l'automne?

Drosten: Je ne pense pas qu'il s'agisse d'arrêter activement les tests PCR, mais deux choses se produisent. La première est que les tests PCR deviendront moins disponibles à mesure que certains matériaux se raréfient. […] Nous devons bien sûr donner la priorité aux soins de santé. En d'autres termes, nous aurons à nouveau plus de vrais patients qui devront être testés de manière prioritaire, de sorte que de moins en moins de ressources de PCR seront disponibles pour des tests à l'échelle de la société.

Et l'autre effet est que les tests antigéniques arrivent maintenant sur le marché, dont certains fonctionnent très bien, mais qui [...] permettent davantage une évaluation de l'infectiosité actuelle de la personne testée plutôt qu'un diagnostic d'infection médicale.[...] Mais il sera possible de dire que, par exemple, que le patient peut être considéré comme non infectieux pour le jour où le test a été effectué. Et c'est extrêmement important. Par exemple, imaginons à la porte d'entrée d'une maison de retraite où vous pourriez dire: "Ah, ce sont des parents d'un de nos patients ici dans la résidence. Pour aujourd'hui, nous pouvons dire, sur la base du test antigénique, qu’ils ne sont pas contagieux, nous pouvons donc autoriser la visite." Mais cela ne veut pas dire que ces proches [pourront] faire une petite fête à la maison le lendemain. Ces tests antigéniques [ne sont] pas un test de présence de l'infection, mais une évaluation actuelle de l'infectiosité. Mais nous pouvons faire beaucoup avec cela. Parce que cette question sur l'évaluation actuelle de l'infectiosité est également posée à la PCR dans de nombreux domaines. La PCR est en fait hypersensible, la PCR dit que le virus est présent, alors que c'est peut-être si peu de virus que l'infectiosité n'existe plus.

Martini: Si on regarde les tests rapides, cela nous donne un peu plus de liberté de mouvement, n'est-ce pas?

Drosten: On peut l'espérer. La question est le nombre de tests bientôt disponibles. De nombreux pays souhaitent être approvisionnés par les mêmes fabricants. Là aussi, la concurrence sur le marché réapparaît. Mais s'il arrive que beaucoup de ces tests antigéniques soient disponibles dans les semaines et les mois à venir - ils sont également abordables, on peut dire que le prix n'est pas si exorbitant - alors cela ouvrira des portes dans de nombreux endroits. [...]

Immunité des cellules T

Martini: Je veux vous parler aujourd'hui d'un autre sujet qui soulève beaucoup de points d'interrogation, à savoir celui de l'immunité. Il existe une étude sur l'immunité des lymphocytes T, c'est-à-dire nos cellules mémoire dans le système immunitaire. Qu'y a-t-il exactement là-dedans?

Drosten: C'est une étude du domaine dont nous avons discuté il y a deux semaines. Où, pour le dire très brièvement, [on] avait découvert que la réactivité de fond des cellules T, qui se trouve chez les personnes atteintes de ce virus et ne l’ayant pas encore eu, est peut-être non spécifique. Surtout, plus le patient est âgé, […] [plus] la réponse au virus Sars, à une infection Sars, est une réponse dispersée qui n'est pas très ciblée. La raison est à trouver dans la capacité réduite du système immunitaire cellulaire à apprendre dans un système immunitaire âgé. Ici, nous pouvons aller à l’encontre de cela avec cette étude déjà publiée dans "Science".

Il s'agit également d'une étude sur l'immunité des lymphocytes T, qui est un peu plus encourageante. C'est précisément ce qui définit la discussion en immunologie. Il y a telle découverte et telle découverte ; [...] la recherche ne va pas si vite. Vous ne pouvez pas dire que tout ce que nous mesurons avec les cellules T n'est qu'un bruit de fond. On ne peut pas non plus dire qu'en réalité nous sommes tous déjà protégés.[…] Ici, nous avons une étude de très haut niveau et qui a déjà été publiée avec un comité de lecture. C’est une étude réalisée avec des patients qui ont eu ce virus ou pas. On peut voir que les [rhumes à coronavirus passés] semblent transmettre un souvenir. Pour qu'il y ait une telle chose comme une mémoire préexistante au niveau des cellules CD4, c'est-à-dire les cellules auxiliaires de mémoire, peut-on dire.

Martini: Ceux qui se souviennent des infections.

Drosten: Exactement. C'est le département du système des lymphocytes T qui a une fonction d'assistance, c'est-à-dire la médiation entre les cellules présentatrices d'antigène et les cellules, ce qui conduit alors à une réaction immunitaire à maturation, c'est-à-dire qui conduit à l'envoi de l'un ou l'autre des anticorps par les cellules B, des cellules provenant des plasmocytes, ou que des cellules effectrices, c'est-à-dire des cellules T cytotoxiques, des cellules CD8, apparaissent. Il y a ces cellules CD4, les cellules T auxiliaires, au point de commutation, qui forment leur propre mémoire après la fin d'une infection. Et on peut dire ici qu'il y a définitivement un signal remarquable dans les cellules mémoire T de personnes n'ayant jamais eu de contact avec le Sars-CoV-2, contre le Sars-CoV-2. Ainsi, la similitude de ces coronavirus entre eux, le Sars-CoV-2 avec les quatre coronavirus communs, semble être suffisamment grande dans certains composants du virus pour presque anticiper quelque chose comme une mémoire à cellules T préemptive.

Martini: Cela signifie que si j'ai eu beaucoup de rhumes dans ma vie, il se pourrait qu'il y ait aussi quelques coronavirus. Et puis peut-être que je suis un peu mieux protégée ou que ma mémoire à cellules T s'en souvient?

Drosten: Oui, à proprement parler, nous tous, chaque adulte, avons des signes évidents d'une infection passée par l'un de ces coronavirus du rhume. Et chez un très grand nombre de personnes examinées dans cette étude, il était également vrai que leurs cellules T présentaient des signes d'activation au contact des composants de la protéine Sars-2. Elles n'ont donc jamais vu ce virus Sars-2 de leur vie, mais montrent toutes des signes de réactivité contre les coronavirus du rhume. Et là, vous pouvez vraiment tout démêler de telle manière pour pouvoir dire : maintenant, prenons des fragments de protéines contre ces coronavirus du rhume, qui ont également une certaine similitude avec le virus Sars-2, et alors ça dépend de la similitude des fragments de protéines. Alors, à quel point la protéine codée entre le virus du rhume et le Sras-2 est-elle similaire à certains points du génome? Et là où c’est particulièrement similaire, les patients, comme prévu, présentent également une réactivité croisée particulièrement élevée. Et les auteurs en concluent qu'il se peut bien que cette évolution très différente de l'infection au sein d'un groupe d'âge - il y a aussi des patients dans les groupes d'âge qui ne remarquent pratiquement pas qu'ils sont infectés par le Sars-2 et certains qui sont gravement malades - peut être expliquée par le fait qu'il existe également ces différents taux de mémoire des lymphocytes T chez les patients.

Martini: Est-ce que cela signifie que si vous avez eu beaucoup de rhumes, alors vous pourriez être un peu plus résistant ou la maladie n'est pas si grave. Pouvez-vous aller aussi loin?

Drosten: Oui. Il y a maintenant des auteurs qui vont aussi loin en utilisant d'autres ensembles. Il y a une étude que je n'ai délibérément pas évoquée ici, dont nous pourrons peut-être discuter plus en détail dans un prochain épisode […] Mais cette étude comporte tellement de points d'interrogation que je ne l'ai pas préparée. [...] en tant que scientifique, vous devez toujours être critique à l'égard des données. Mais il faut dire qu'il se pourrait bien qu'une infection récente par un coronavirus du rhume nous protège désormais contre une nouvelle infection au Sras-2.

Etude indienne sur les chaînes de contamination


Martini: Si nous regardons de plus près une autre histoire qui nous intéresse encore et encore. En ce moment, il y a les vacances d'automne dans certains Länder, mais ensuite l'école reprend. Les chaînes de contamination. Nous en avons beaucoup parlé: les enfants sont-ils dangereux pour les générations plus âgées? Oui ou non? [...] Il y a maintenant des études qui examinent de plus près les modes de transmission. Une étude qui a évalué très précisément un ensemble de données en Inde. Qu'est-ce qui en est ressorti exactement?

Drosten: Oui, c'est aussi une étude [publiée] dans "Science". C'est une étude intéressante car elle a été réalisée en Inde. Dans un pays où il n'est pas si facile de parvenir à un lockdown. [...] Il est donc probable que durant la période d'évaluation, qui était la première vague là-bas, nous aurons un aperçu de la propagation naturelle de ce virus […] L’étude a été menée dans l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu, deux États de l'Inde qui ont des systèmes de santé relativement bons, où la recherche des contacts a été effectuée avec beaucoup de personnel. Ici, bien sûr, à nouveau en fonction des symptômes. Autrement dit, si un cas survient dans un ménage, il s'agit du premier cas symptomatique. Ce qui s'est passé auparavant ne peut être dit. Mais lorsqu'un cas symptomatique survient, on a généralement tenté de tester tous les membres du ménage en laboratoire dans les 5 à 14 jours suivant le contact avec le cas index. De nombreux cas ont été examinés, du moins dans les statistiques. Il y a eu 263.000 cas index au Tamil Nadu et 172.000 dans l'Andhra Pradesh avec des infections principalement identifiées au Sras-2. Et ils avaient un total de plus de trois millions de contacts, dont chacun était inscrit sur des listes. Vous devez imaginer cela. Il s'agit d'un système de notification massif dans ces pays avec un grand nombre d'employés.

L'étude s'est maintenant concentrée sur 575.000 contacts sur un total de près de 85.000 cas index, avec une documentation épidémiologique complète et des résultats de laboratoire. Un véritable chef-d'œuvre de l'épidémiologie de terrain [...] C'est juste intéressant ce qui en ressort. Par exemple, on peut souligner que le nombre de contacts par cas index (la première personne infectée) est de 7,3 en moyenne. C'est vraiment beaucoup, vous pouvez voir comment la société et les ménages y sont structurés différemment. Il s'agit d'une taille de ménage complètement différente de la nôtre. 0,2 % de tous les cas index avaient plus de 80 contacts. Ce sont de très grands cercles de contact qui ont été suivis ici. Il est également intéressant de souligner que dans le même temps, un peu plus de 70% de tous les cas index n'avaient aucun cas de contact positif dans la région. En d'autres termes, avec ces grands réseaux de contacts, chez 70% d'entre eux on n’a trouvé aucune infection dans les contacts. Cela souligne encore plus à quel point nous avons un effet de sur-dispersion avec cette maladie. À quel point, en Inde, cette maladie se propage en clusters, dans des événements de grande diffusion. Cela continuera d'être le cas en Allemagne. Cette maladie se propage par grappes, ce qui peut également être vu en Inde.

Martini: Cela signifie que ce que nous pouvons apprendre ou voir pour nous de cette étude indienne est l'histoire du cluster. Faut-il vraiment accorder plus d'attention aux clusters?

Drosten: C'est certainement un message très important. Avec cette observation d'un processus d'infection peut-être plus naturel, incontrôlé, nous obtenons cette impression écrasante de la propagation par grappes. Et il y a aussi un contrôle interne intéressant dans les données. Dans cette situation, nous voyons un taux d'attaque secondaire de 11 %, c'est-à-dire combien sont infectés à partir d'un cas index confirmé. C'est la valeur que nous observons également dans nos contacts à haut risque, 15 minutes de contact en face à face. Et nous voyons 5 % pour des contacts à faible risque. Tout cela est très similaire aux nôtres. C'est pourquoi nous devons continuer à espérer que nous verrons également un comportement de propagation par clusters. C'est certainement l'un des messages les plus importants de cette étude. Et l'autre message très important est, tout simplement, que nous pouvons dire que la prévalence de cette maladie se situe principalement dans la même tranche d'âge. Donc, si vous regardez qui a infecté qui ici, [...] les groupes d'âge s'infectent les uns avec les autres parce qu'ils ont beaucoup de contacts sociaux les uns avec les autres.

Martini: Ce que les clusters expliquent, pour ainsi dire. Cela veut dire que les enfants sont avec les enfants, les adultes avec les adultes, et les plus âgés dans leurs groupes plus âgés.

Drosten: Exactement, ce sont les contacts entre les ménages, non pas au sein des ménages, mais dans les classes sociales, dans les différents domaines d'activité de la société.

La mutation D614G

Martini: Nous avons en fait discuté de l’espoir que le virus changerait un peu et que nous pourrions attraper un virus qui ne serait plus si dangereux pour nous, juste un mauvais rhume. [...] Il y a une nouvelle étude à ce sujet, cette fois un preprint, également dans "Science". Qu'ont-ils découvert? Le virus a-t-il changé? Avons-nous toujours le même virus qu’au printemps?

Drosten: C'est intéressant. Il y a toujours des observations de changements, c'est un virus à ARN et il y a beaucoup d'erreurs dans la réplication du génome. Fait intéressant, j'ai eu une question par mail ce matin d'un collègue à propos d’une publication dans "The Lancet" qui n'est pas le papier dont nous voulions réellement discuter maintenant, mais quelque chose dont nous avons discuté dans ce podcast il y a des mois, à savoir une variante de virus dans laquelle l'un des gènes, à savoir le gène 8, a une suppression, Il y avait donc un écart de 382 nucléotides et cela a maintenant fait l'objet d'un suivi clinique. Il en ressort: Peut-être que ce virus est vraiment affaibli. Cela a également été diffusé ici et là sur les réseaux sociaux car il n'a été publié qu'en août. Mais vous pouvez voir comment quelque chose comme ça est souvent mal compris du public.

Il s'agit d'une variante du virus qui a existé quelques semaines au printemps à Singapour, au tout début de la propagation, puis a de nouveau disparu. Avec de tels coronavirus, il arrive encore et encore qu'il y ait un petit accident de réplication amenant à la perte d’un gène qui rend le virus un peu plus virulent, c'est-à-dire un peu plus pathogène. Et ces virus peuvent se propager dans certaines limites. Et apparemment, ils atténuent vraiment la maladie. Malheureusement, dans une pandémie, quand il y a de très grandes vagues d'infections dans la population, ces virus affaiblis disparaissent encore et encore, car le virus non modifié, nous disons le type sauvage, a un avantage de forme physique et se propage mieux, et éradique les virus affaiblis. Il a donc un avantage concurrentiel. Il ne faut pas interpréter de telles publications scientifiques comme quoi le virus s'est affaibli et que, par conséquent, nos lits de soins intensifs resteront vides, même avec beaucoup de cas. Il faut vraiment distinguer entre une élaboration scientifique de quelque chose qui s'est passé dans le passé mais qui ne s'applique plus aujourd'hui et la situation actuelle. Et il se peut aussi que nous devions comprendre ce preprint, dont nous pouvons discuter, sous un éclairage légèrement différent.

Il s'agit du mutant D614G bien connu. Je dois peut-être expliquer à nouveau brièvement. En avril environ, nous avons discuté pour la première fois d’un virus se propageant très rapidement dans le monde, à savoir un virus qui avait un échange d'acides aminés en position 614 de la protéine de surface de la protéine spike. Et il est à noter que cette mutation s'est propagée. Elle a d'abord été remarquée en Europe, peut-être originaire du nord de l'Italie, lors de l'éruption là-bas, puis en Espagne, puis en fait dans toute l'Europe, puis est allée dans le nouveau monde, probablement d'Espagne, d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale, puis Amérique du Nord, principalement sur la côte est, puis dans toute l'Amérique du Nord. C'est cette variante D614G. Et à l'époque, sur la base de la propagation du virus, on soupçonnait déjà qu'il pourrait être plus transmissible car il domine soudainement partout. Il y avait encore un gros point d'interrogation dessus parce qu’on ne savait pas exactement si c'était une coïncidence. En d'autres termes, si certaines lignées virales se propagent simplement par hasard parce qu'elles sont arrivées quelque part par hasard où une épidémie se produit. Et de cette épidémie vient la prochaine grande épidémie. Et si, par hasard, ce virus est arrivé en Amérique du Sud, alors la population fondatrice, comme on dit, du virus y surgit également. Et puis à un moment donné, aucun autre virus n'est arrivé. Vous ne savez donc pas exactement ce que cela signifie si un certain marqueur génétique, c'est-à-dire une certaine caractéristique d'un gène, se propage soudainement géographiquement. Cela peut être une coïncidence. Mais il peut aussi y avoir une raison derrière cela, qui est la capacité de réplication du virus.

Martini: Mais cela signifie toujours que nous avons le même virus.

Drosten: Exactement. Il se pourrait que rien de tout cela ne veuille rien dire. Et ce qui a été fait alors, et c'est souvent le cas en virologie, des expériences ont d'abord été faites avec un système de substitution. On s’est dit: D'accord, c'est la glycoprotéine de surface du virus Sars-2. Il est maintenant relativement difficile de faire des expériences en laboratoire avec ce virus Sars-2. Donc, changer le virus Sars-2, comme je vais expliquer plus loin. Nous prenons un autre virus que nous pouvons facilement changer, ici un lentivirus, finalement un virus VIH, et donner à ce virus VIH la protéine de surface du virus Sars-2 avec et sans ce changement et on observe ce que cela fait au lentivirus. Et puis vous avez eu toutes sortes de découvertes qui indiquaient que ce virus pourrait se transmettre plus facilement et être plus dangereux. Par exemple, on a vu que le nombre de protéines de surface intégrées par particule virale était beaucoup plus grand lorsque cette mutation était en elle.

Bien sûr, c'est le cas, cette protéine de surface n'appartient pas du tout à un lentivirus. Par conséquent, l'incorporation dans cette particule virale est peut-être de toute façon rendue plus difficile. Et les lentivirus en soi n'ont qu'un petit nombre de glycoprotéines de surface, même dans le virus VIH complet, c'est-à-dire que le VIH n'a que très, très peu de protéines de surface par particule virale, il y avait donc encore un grand point d'interrogation sur les résultats. Et maintenant on a en fait un véritable chemin de recherche expérimentale pour la première fois dans le domaine des preprints, sur la base du virus Sars-2 lui-même, via un changement ciblé en laboratoire: Nous avons ce virus en laboratoire. Et maintenant, nous donnons à ce virus cette mutation qu'il a créée, la mutation D614G, artificiellement dans le génome afin que nous puissions comparer deux virus. Un virus, le virus d'origine qui n'a pas cette mutation, puis un virus exactement identique jusqu'au nucléotide. Il n'y a pas un seul changement en dehors de ce changement supplémentaire qui est survenu dans la nature, que nous ajoutons maintenant à ce virus artificiel dans le génome et voyons si cela fait une différence.

Martini: Et où cela nous mène-t-il à la fin?

Drosten: Oui, pour la première fois, c'est vraiment un résultat très clair, où vous pouvez comprendre exactement ce qui a été fait. Il s'agit du groupe de travail de Ralph Baric, un collègue américain qui utilise en laboratoire des techniques très similaires à celles de collègues européens dont nous, à savoir la génétique inverse pour le virus Sras, où vous avez le virus en laboratoire, sous une forme définie, où on peut insérer des modifications individuelles de manière ciblée. Donc pas le processus de mutation naturelle qui peut être observé, une mutation n'est jamais seule, on peut dire: nous avons un virus ici, le virus de type sauvage originel. Et dans le génome de ce virus, nous ajoutons seulement une mutation qui nous intéresse, où nous voulons savoir quel effet elle a. Nous insérons cette mutation dans le génome. Cela a maintenant été fait avec la mutation D614G. Et on a maintenant deux virus que vous pouvez comparer qui sont absolument identiques, à l'exception de cette mutation. Ce que vous faites ensuite est une procédure étape par étape, de la culture cellulaire relativement simple aux modèles tissulaires en passant par des expériences limitées sur les animaux[...] Donc tout d'abord, ces virus ont été comparés dans des cultures cellulaires simples. On a vu que dans certaines cultures cellulaires, mais pas toutes, le virus muté se répliquait mieux. Plus important encore, il se réplique plus rapidement. Mais ce n'est pas quelque chose que vous voyez dans chaque lignée cellulaire. Il est normal que les cultures cellulaires ne correspondent pas. Nous parlons d'effets de lignées cellulaires. Et pour évaluer cela, on est allé plus loin et on a infecté des tissus.

Cela signifie que vous pouvez prélever des tissus de patients lors d'opérations - par exemple dans le cas d'une tumeur, par exemple dans la région de l'oreille et du nez, ou dans le cas de l'amygdalite, de l'ablation des amygdales, où le tissu est retiré de la région du cou, de la membrane muqueuse, ou même en chirurgie pulmonaire, par exemple avec une tumeur, où les tissus sains sont toujours retirés afin que la tumeur soit complètement éliminée - vous pouvez toujours prélever du tissu sain de ces échantillons chirurgicaux et les laisser croître dans le tube à essai en laboratoire, puis infecter avec ces deux virus. Et maintenant vous voyez quelque chose de très intéressant, qui correspond à l'observation épidémiologique. À savoir que le virus muté se développe un peu mieux dans les tissus du nez et de la gorge, mais pas dans les tissus des poumons. Ceci est intéressant car ce virus se transmet par la gorge et le nez. Ainsi, lorsque nous contractons cette infection à Sras-CoV-2, nous sommes infectés par le virus du nez ou de la gorge d'un patient et non par le virus des poumons. Il sort à nouveau par notre gorge et notre nez. Au moins c'est l'hypothèse que nous faisons, ce que nous pensons, parce que ce virus est facilement transmissible, avant même que la maladie ne soit même symptomatique. Nous savons que 40 à 50 % de tous les événements de transmission ont lieu avant l'apparition des symptômes. Nous pensons que tout passe par les voies respiratoires supérieures, le nasopharynx.

Nous avons maintenant un virus mutant qui semble épidémiologiquement être devenu mieux transmissible. Il se réplique dans les tissus des voies respiratoires supérieures, mais pas dans les poumons, mieux que le virus d'origine. Constat d’étape intéressant. Ce que l'on peut également dire, c'est que ce n'est pas comme dans le système pseudo-type du VIH qu'il y a plus de glycoprotéines de surface intégrées, au contraire, la forme des virus et aussi le nombre de glycoprotéines sont complètement inchangés au microscope électronique. Peu importe que la mutation y soit ou non. Les auteurs sont allés encore plus loin, à l'expérimentation animale, ils ont pris le modèle animal le plus simple et pourtant le plus représentatif pour la transmission et la pathogenèse, c'est-à-dire la maladie, et c'est le hamster. C'était déjà le cas avec le virus Sars-1, et il s'est également avéré pour le virus Sars-2 que le hamster tombe vraiment malade, c'est-à-dire qu'il contracte une infection pulmonaire, pas seulement une infection des voies respiratoires supérieures, et on peut même l’utiliser pour mesurer la transférabilité.

Et ce que les auteurs ont fait, c'est qu'ils ont infecté des hamsters et ont fait trois groupes expérimentaux.[…] un groupe n'était pas du tout infecté, un groupe témoin. Et puis deux groupes, un avec le virus parent et un avec le virus muté. On a constaté que les animaux du groupe témoin devenaient de plus en plus lourds au cours de l'expérience. C'est simplement parce qu'ils mangent autant qu'ils veulent. Ce n'était pas le cas des animaux infectés. Ils ont eu une perte de poids plutôt faible, avec les deux virus, le virus parent et le virus de type sauvage. C'est simplement parce que les animaux qui se sentent malades mangent moins. La perte de poids avec le virus muté était très légèrement plus importante, mais la différence était si petite qu'il est impossible d'en faire quoi que ce soit, ou si peu. Et vers la fin de l'expérience, [...] les animaux sont tués sous anesthésie. Ils reçoivent une injection anesthésique, puis ils s'endorment. Et sous l'anesthésie vous tuez les animaux et retirez les organes, faites une dissection. Cela fait également partie du principe des expériences sur les animaux, vous ne les faites pas simplement pour voir ce qui se passe et si rien ne s'est passé, alors rien n'en ressort, mais vous évaluez ce que vous pouvez.

[…] Et ce que vous pouvez voir lorsque vous regardez les poumons, l'organe cible de la maladie, c'est: les poumons - dans les deux groupes, c'est-à-dire dans le groupe avec le virus de type sauvage et le virus muté – sont identiques. Le nombre de cellules inflammatoires ayant migré est le même, tout comme le poids des poumons par exemple. Ces cellules inflammatoires, qui ont un poids, c'est-à-dire que sous la pneumonie, les poumons deviennent plus lourds. Vous pouvez mesurer cela. Et il existe de nombreux autres critères objectivables sur un morceau de tissu qui peuvent être quantifiés. Et ce qont les mêmes dans les deux groupes. C'est intéressant. Apparemment, le groupe avec le virus de type sauvage s'est senti un peu moins malade, ils ont mangé un peu plus. Mais la maladie pulmonaire réelle s'est avérée exactement la même.

Maintenant, on fait une autre expérience, à savoir une expérience de transfert. On prend des paires d'animaux et on les met dans des cages voisines. Donc un animal est infecté, l'autre animal non. Ces paires ont été enfermées dans des cages voisines afin de voir comment ces hamsters s'infectent les uns les autres? Huit paires ont été prélevées pour le type sauvage et huit paires pour le mutant viral et on a vu que tous les animaux de contact étaient infectés à partir du cinquième jour d'observation. En d'autres termes, les hamsters qui étaient assis dans des cages voisines étaient tous infectés par le cas index, c'est-à-dire avec l'animal infecté à l'origine, et testés positifs pour le virus Sars-2. Il y a aussi une différence intéressante le deuxième jour, juste après le début de l'expérience. Au deuxième jour, aucun des hamsters de contact n'a été infecté par le virus de type sauvage, c'est-à-dire que zéro animal de contact sur huit a été infecté le deuxième jour, mais cinq animaux de contact sur huit avec le mutant viral l'ont été. Cela dit, apparemment, la transmissibilité avec ce virus muté n'est pas plus élevée au final, mais plus précoce. Le virus est transmis plus tôt, et susceptible de se répliquer plus rapidement en haut des voies respiratoires supérieures. Cela correspond en fait à cette observation épidémiologique selon laquelle ce virus s'est propagé rapidement. Alors maintenant que cette étude est terminée, nous pouvons en fait dire pour la première fois sur une base scientifique que le mutant D614G a une plus grande capacité à se propager.

Martini: Cela signifie que c'est le seul virus qui est pratiquement en mouvement pour le moment.

Drosten: C'est le virus qui se propage le plus actuellement partout. Et puis, du point de vue de son importance, le constat scientifique de cette étude, il est tel qu'on peut éthiquement justifier de telles expérimentations animales. C'est une découverte très importante pour l'humanité.

Martini: Si vous, en tant que virologue, jugez cela, quelle était l'importance de cette enquête pour vous?

Drosten: Oui, pour moi, c'est une grande part de l’énigme qui a été résolue. Donc, grâce à cette mutation, le virus a vraiment acquis une capacité de propagation plus élevée. Et cela dit aussi quelque chose d'autre, à savoir apparemment, le virus tel qu'il est originaire de Chine n'était pas encore optimal pour se propager parmi les humains. Avec cette mutation, il s'est certainement optimisé un peu plus pour l'homme, adapté à l'homme. Parce que c'est ce que veut le virus. Ainsi, un virus parfaitement adapté à son hôte se propage de manière optimale sans rendre l'hôte plus malade. C'est exactement ce que fait ce virus actuellement. Ce D614G se propage plus rapidement mais ne rend pas l'hôte plus malade. Bien sûr, toujours avec l'avertissement que cela n'a pas été testé ici sur des humains. Nous n'avons que des observations épidémiologiques sur l'homme, mais sur un modèle animal adapté, c'est le résultat.

vendredi 2 octobre 2020

Faux positifs, écoles, mortalité, cellules T naïves, vaccins. Podcast #58 du 29 septembre 2020

Pas de faux positif PCR

Korinna Hennig: Dans le dernier épisode du podcast, nous avons discuté en détail avec Sandra Ciesek des méthodes de test, y compris le test PCR, qui reste le plus important. Néanmoins, je voudrais réexaminer la question des faux positifs. Parce qu'il y a une discussion du printemps dernier qui connaît un petit renouveau sur les réseaux sociaux. Il y a l'objection formulée [selon laquelle] seuls des fragments du virus sont détectés, qui ne prouvent pas que le virus s'est répliqué et qu'aucune infection n'est détectée. [...] Peut-on accidentellement transporter un résidu de virus dans la gorge?

Christian Drosten: Non, sans un génome viral complet, il n'y a pas de résidu viral. Si vous le dites comme ceci: "Seuls des fragments ont été détectés", ce n'est en fait pas vrai. Ce sont des génomes de virus. Cela vient peut-être un peu de la perception biologique moléculaire que cela ne fonctionne généralement pas quand il ne reste que si peu de virus à la fin d'une infection que le virus est ensuite complètement séquencé, c'est-à-dire que tout le génome est analysé et amplifié au préalable dans la PCR. C'est uniquement parce que cela ne suffit pas. Mais il n'y a pas de fragment viral sans génome viral complet. Il n'y a pas d'ARN dans la cellule qui soit similaire au génome d'un autre coronavirus au point qu’on les confonde dans la PCR. Il n'y a pas non plus de confusion avec d'autres virus, d'autres virus du rhume, d'autres coronavirus ou quoi que ce soit d'autre pour les agents pathogènes. Il n'y a tout simplement pas de place pour ces discussions. La PCR est tout simplement hors de doute.

Hennig: [Le] test est validé contre d'autres virus. Cela signifie qu'il est vérifié si le test réagit par inadvertance à d'autres agents pathogènes. Quels sont les autres virus dont il est exclu que le test PCR les confondra par inadvertance?

Drosten: Je n'ai pas la liste devant moi maintenant. Mais ce sont en fait tous les virus du rhume qui se produisent chez les humains. Ces données de validation sont déjà contenues depuis la première publication, à savoir Corman et al., publiée en janvier dans «Eurosurveillance». C'est inclus dans l'article. Nous avons réalisé une très grande étude de validation lors de la première publication de la PCR. Notre test était le premier, mais ce n'est plus le seul. Depuis que les entreprises proposent de telles PCR, notre PCR, en tant que protocole auto-conçu, n'est plus utilisée dans le diagnostic. Les laboratoires ont commencé à avoir des tests de fabricants. Certains d'entre eux ont repris notre PCR, mais certains l'ont aussi un peu modifiée. Ce qu'ils ont tous en commun, c'est qu'en plus de notre validation, ils ont également effectué eux-mêmes des validations, faute de quoi ces tests ne peuvent pas du tout être vendus. Vous devez les faire certifier. Ensuite, vous devez soumettre vous-même des données de validation supplémentaires. Tout cela n'est pas aussi simple que ce que prétendent certaines sources Internet et forums.

[…] Même si je n’ai pas la liste devant moi, il y a, par exemple, les variantes des virus grippaux qui surviennent chez l'homme, y compris la grippe B et C, et les adénovirus. Ensuite, il y a les rhinovirus et les entérovirus, les virus à ARN non enveloppés, qui sont particulièrement courants dans les crèches et les écoles car ils sont transmis par les mains et par les surfaces. Puis les virus parainfluenza, c'est-à-dire parainfluenza 1 et 3 dans un genre, et dans un autre genre, parainfluenza 3 et 4. Puis RSV, HMPV, maintenant je dois réfléchir ... Puis les quatre coronavirus: Ce sont les coronavirus humains 229E et NL63. C'est le genre Alphacoronavirus. Dans le genre Betacoronavirus: Coronavirus OC43 et HKU1.

Cela a été testé, et pas seulement sur un échantillon de tous ces virus, mais c'est toute une série d'échantillons de patients pour chaque virus, où vous saviez toujours à l'avance que ce virus était là. Et puis, en plus de ces échantillons de patients, il existe également des matériaux de culture cellulaire contenant ces virus, lorsque cela est possible, c'est-à-dire où ces virus peuvent être cultivés. Tous les virus ne peuvent pas être cultivés, ou isolés en culture cellulaire. Mais partout où cela était possible, nous l'avons fait aussi, car il y a souvent beaucoup de virus dans une telle culture cellulaire, afin de mettre cette PCR à l'épreuve et vraiment prouver qu'elle ne réagit jamais mal. Et elle ne fait pas ça non plus.

Hennig: Un dernier mot sur le test PCR: il y a quelques jours, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il souhaitait promouvoir un test PCR particulièrement rapide qui devrait fournir le résultat en seulement 39 minutes. À quelle vitesse un test PCR peut-il être réalisé?

Drosten: 39 minutes, c'est déjà rapide, […] C'est généralement un peu plus d'une heure. Cela n'a plus d'importance. Les temps de test [...] sont principalement utilisés par le transport des échantillons et bien sûr les temps d'attente. Parce que vous ne testez pas seulement un échantillon en laboratoire, vous attendez qu'une série entière se soit réunie. Puis pour l’ouverture des nombreux récipients en plastique, je dis toujours le flot de plastique qu'on a en laboratoire, du temps est perdu. Puis bien sûr plus tard lors du rapport des résultats. Le processus n'est pas le message pur et simple d'un ordinateur envoyant le résultat, mais il y a toujours un médecin entre les deux. Et il doit revoir le résultat. Avant cela, ce sont les AT qui la revoient également, techniquement. Tout cela prend du temps. Et puis les nombreuses requêtes, il ne faut pas l'oublier. Si vous faites des diagnostics, c'est une activité médicale et aussi une consultation avec des médecins traitants. Et ils se posent souvent des questions sur la manière dont les résultats doivent être interprétés.

Les contaminations à l’école et la courbe en W

Hennig: Le sujet des enfants dans le processus d’infection est toujours vivement discuté. Il existe des études qui mettent l'accent sur l'une ou l'autre constatation. Par exemple, il y a eu récemment une publication dans "JAMA Pediatrics". On y lit que presque toutes les études souffrent du défaut que leur base de données provient du lockdown, qu'elles examinent les enfants à des moments où les écoles étaient presque partout fermées. Mais il y a maintenant des épidémies dans les écoles, vous pouvez le lire dans les chiffres de l'Institut Robert Koch. Plus récemment en Allemagne, j'ai vérifié, près de 9000 infections dans les écoles, crèches et camps de vacances ont été enregistrées, c'est-à-dire chez les enfants, et 4400 chez les superviseurs, les éducateurs, les enseignants. Cependant, des données beaucoup plus précises seraient intéressantes. Où les enfants s'infectent-ils ? Où s’infectent leurs parents? Ces données n'existent même pas? Ces chaînes de contamination sont-elles connues, en particulier avec des enfants?

Drosten: Je pense que de telles données sont déjà disponibles chez les autorités sanitaires, peut-être pas toutes les autorités sanitaires. Mais je pense que ce n'est tout simplement pas rapporté spécifiquement pour le moment. Je pense que ce serait bien si cela pouvait être amélioré. On pourrait s’attendre à ce que les autorités sanitaires ou le RKI publient cela de manière très transparente. […] [Il serait temps de] réfléchir à nouveau à la façon de le faire. […] Je pense qu'il faut avoir une discussion publique là-dessus car il y a tellement de désaccords, socialement, et tellement d'intérêts différents. Certains veulent une sécurité absolue sur le lieu de travail (les enseignants). Et de nombreux parents à risque ont également peur que les élèves ramènent cela à la maison. Et d'autres disent que les élèves doivent absolument aller à l'école et que les écoles doivent absolument rester ouvertes, ce qui est vrai aussi. Je pense que sans image totalement transparente, il est difficile de poursuivre ce débat de manière équitable. Il y a déjà des chiffres d'autres pays qui montrent très clairement qu'il y a des épidémies dans les écoles, en France par exemple, également au Canada.

Hennig: Israël aussi.

Drosten: Exactement. Mais les gens disent toujours: "C'est une situation particulière car ils ont déconfiné très vite." Et puis il y a eu une vague de chaleur avant les vacances d'été, le virus se serait propagé aussi rapidement parce que personne ne portait de masque. C'est peut-être n'importe quoi, je ne sais pas. Mais je pense que nous devons avoir des données totalement transparentes en Allemagne. Parce que deux choses se passent en ce moment. On peut voir que les écoles sont fermées ici et là ou certaines classes, c'est-à-dire des fermetures partielles, parce que les infections sont probablement venues de l'extérieur.[...] Il est important de réagir tôt, mais pas forcément de fermer toute l'école, mais l’unité d'infection, par exemple une classe.

Et peut-être que l'autre chose qui se produit est qu'il n'y a pas de communication. Peut-être parce qu’avant les vacances d'été, dans certains Länder, les gens se sont fortement prononcés pour une certaine interprétation, à savoir: «Il n'y a pas de cas dans les écoles». […] [Maintenant il faudrait] décrire la situation de manière transparente et voir comment avancer. Parce que, sans répandre excessivement de l’inquiétude, il faudrait reconnaître tôt s'il y a une augmentation de l'incidence dans les écoles en général. […] Une épidémie scolaire couve pendant des semaines. Elle n’est pas soudainement là dans toute l’école, on a donc le temps de réagir.

Je pense que les autorités sanitaires sont désormais très vigilantes. Mais si cela ne devait pas fonctionner parce que l’incidence dans la population était plus élevée […] on aurait une courbe d'incidence en forme de W. L'exemple typique est celui de la grippe espagnole : après que les écoliers aient transmis l’infection à la maison, le prochain groupe concerné sont les parents [...]. Ce sont les cohortes d'âge moyen qui transforment ensuite [à leurs propres parents]. On a une courbe d'incidence en W. (l'âge sur l'axe x et le nombre de cas sur l'axe y) [...] Nous devons éviter cela et nous le pouvons. Cela n'arrivera pas si nous gardons l’œil sur cette situation scolaire. [...] Je pense qu'il est important que […] des efforts soient faits pour décrire la situation dans les écoles de manière très transparente, surtout à partir des vacances d'automne.

Hennig: Surtout en regard des mesures préventives qui existent dans les écoles, c'est-à-dire: séparation des niveaux, demi-groupes parfois, masque pendant les pauses ou même en classe. Une de vos collègues, Isabella Eckerle, qui est virologue à Genève, l'a dit assez clairement sur Twitter et a rappelé tout ce qui devrait être étudié. Que pouvez-vous apporter du côté de la recherche? [Que peut-on encore faire en prévention?]

Drosten: Eh bien, nous avons suffisamment discuté de la question des aérosols. Je pense que ce qui suivra, espérons-le, sera le test antigénique au plus près de l’école. Je ne veux pas dire à l'école car le règlement n'a pas encore été clarifié. Mais je pense qu’on peut atteindre beaucoup avec ça. Et nous pouvons déjà considérer que les tests seront de toute façon meilleurs et plus rapides à l'automne. Cela devra alors également s'appliquer aux enseignants et aux élèves. Et je crois que nous ne pouvons pas faire grand-chose maintenant [concernant] la ventilation, beaucoup de temps s'est écoulé pendant l'été sans que rien ne soit fait, mais on peut toujours empêcher les épidémies dans les écoles simplement par la détection et la prévention, par un court isolement, une courte quarantaine. Dans cet article de "Die ZEIT", je l'ai appelé temps de décantation, si on le fait au niveau du groupe. C'est essentiellement un mélange de quarantaine et d'isolement. Avec ça, on peut éviter les épidémies scolaires sans avoir à fermer les écoles, mais en isolant les groupes affectés.

Hennig: Vous venez de mentionner la question de la ventilation. Beaucoup de temps s'est écoulé sans changement dans les écoles. Et bien sûr, cela devient encore plus difficile en automne et en hiver en raison des températures. Un groupe d'experts vient de souligner à nouveau l'importance de la ventilation dans les écoles. Cela émeut également beaucoup de nos auditeurs, car dans les écoles, il n'y a pas toujours possibilité de ventiler. Les fenêtres ne peuvent pas être ouvertes en grand pour des raisons d'assurance. Les salles de classe sont beaucoup trop petites pour permettre le passage, même dans les nouveaux bâtiments. Même si vous n'êtes pas un expert en aérosols ou un technicien en ventilation: Savez-vous si des appareils comme des filtres à air et des méthodes de purification de l'air peuvent avoir un effet qui pourrait compenser partiellement la ventilation?

Drosten: Je reste en dehors de ça. Je dois vraiment dire: je n'ai pas fait beaucoup de recherches techniques à ce sujet récemment, car je sais qu'il y a d'autres experts. Je me souviens vaguement qu'à l'époque du SRAS, tout ça avait été discuté mais que d'une manière ou d'une autre, nous n'étions pas convaincus. Mais la technologie peut aussi s'être améliorée. Je pense que pour le moment, nous devons être pragmatiques avec ce que nous avons. Il s'agit de diagnostics, il s'agit probablement d'un temps de décantation court. [...] Je pense que de nombreuses autorités sanitaires ont déjà cela sur leur feuille de route et travaillent dans ce sens.

L'importance de l'âge pour l'évolution de la maladie

Hennig: […] Dans d'autres pays, il y a eu dans certains cas des mesures beaucoup plus strictes qu'en Allemagne et la pandémie y a été massivement réduite jusqu’à l’été, en France, en Espagne, en Angleterre par exemple. Comment pouvez-vous expliquer que cette évolution soit si différente par rapport à l'Allemagne, que l'augmentation ait si rapidement repris ailleurs après l'été, malgré les mesures? Est-ce uniquement à cause du nombre de personnes âgées, comme en Italie, par exemple?

Drosten: Il se pourrait qu’on l’ai raté pendant un certain temps, surtout au début, quand ça a repris. De sorte que l'incidence se répartisse davantage parmi les groupes d'âge plus âgés. Mais il peut aussi y avoir une différence fondamentale dans la composition de la population. Nous avons une étude très intéressante qui a été récemment publiée en preprint. La mortalité infectieuse a été [étudiée de manière] très précise. La mortalité infectieuse a été très débattue dès le début. Tout d'abord on disait mortalité des cas, ceux qui sont décédés parmi les cas connus signalés ou testés. Et nous étions toujours à 3 ou 4%. Et maintenant, nous avons une autre mesure - c'est la mortalité infectieuse. C'est fondamentalement la même chose, seulement on prend en compte le fait qu’on ne peut pas tester tous les cas pour le moment et qu’il faut donc estimer le nombre réel de cas infectés par cette maladie.

Hennig: C'est donc un chiffre extrapolé.

Drosten: Exactement, c'est une sorte d'extrapolation. Mais une extrapolation est quelque chose de grossier. Dans la grande majorité des cas, il s'agit simplement d'un contrôle sérologique, donc un test de laboratoire. Parfois on fait des corrections, en fonction du test sérologique utilisé et de la durée de l'examen après la période d'observation. Mais en réalité, vous pouvez utiliser la sérologie pour estimer le nombre de cas réellement infectés au cours d'une période d'étude. Et puis, bien sûr, vous pouvez également enregistrer précisément les décès. [...] La première vague est terminée dans de nombreux pays. Et maintenant, on peut faire une méta-analyse. Cela signifie que vous étudiez des études, vous ne faites pas d'étude vous-même, mais vous regardez beaucoup d'études et en principe vous transformez l'évaluation de ces études en une science en soi, un travail scientifique. Il y a maintenant de nombreuses études disponibles. [...] Je vais juste dire les chiffres, c'est peut-être le plus simple: 962 études sur la mortalité infectieuse ont été évaluées ici. C'est un nombre extrêmement élevé. Vous pouvez voir ce que la science a généré.

Hennig: des études du monde entier.

Drosten: Dans le monde entier, exactement. Et puis des critères de qualité très stricts ont été appliqués, [qui prennent en compte] toutes les sources d'erreur qui peuvent être faites dans de telles études sérologiques. Une erreur qui est souvent commise, par exemple, est: vous faites un bon test sérologique. Et au moment où le dernier patient est testé, vous arrêtez de compter les morts. Mais c'est pas correct, car la dernière personne testée peut être fraîchement séroconvertie. Cela signifie, disons qu'elle a été infectée la semaine d’avant. Et maintenant, elle tombe malade. Elle aura peut-être une évolution de plus en plus sévère pendant encore deux à trois semaines, puis en mourra. Il faut juste attendre aussi longtemps. Cela signifie qu'une fois le test sérologique terminé, vous devez attendre pour savoir si certains cas décèdent.

[…] C'est encore pire si vous effectuez des tests PCR, car le délai est encore plus long. J'ai peut-être été infecté aujourd'hui et je suis toujours en train de participer à l'étude, et cela prendra quatre ou cinq semaines avant d'en mourir. Ensuite, je ne serai pas inclus dans l'étude en tant que cas décédé, c'est-à-dire pas dans le numérateur, mais seulement dans le dénominateur. Et ces laps de temps sont compensés. C'est donc modélisé. […] On vérifie si les études répondent à certains critères de qualité. Il existe d'autres sources d'erreur. Par exemple, dans cette méta-analyse, on a non seulement évalué les études scientifiques, mais aussi des ensembles de données par pays, [...] Et cela les a conduits à exclure 873 de ces 962 études. Sur les 89 études restantes, 65 ont été exclues, car il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas dans la structure. Et puis ils ont continué avec 14 études de séroprévalence. Parmi ceux-ci, neuf viennent de l'Union européenne et douze des États-Unis. Neuf plus douze ça fait plus que 14. C’est que certaines de ces études ont concerné plusieurs endroits.

Hennig: Et l'Allemagne n’en fait plus partie.

Drosten: l'Allemagne n'y figure plus. Nous ne disposons d'aucune étude allemande répondant à ces critères de qualité. Nous avons cinq ensembles de données de pays avec des tests approfondis qui étaient suffisamment bons. Et puis on a également ajouté cinq autres études, [qui n’ont pas été incluses dans le calcul de la régression, mais qui ont servi] pour le contrôle de plausibilité. Ensuite il y a eu une régression mathématique [pour vérifier la corrélation], voir dans quelle mesure la mortalité par infection est liée à la composition par âge de cette population. Et on a des graphiques incroyables. Si vous avez l'âge de la population sur l'axe x - c'est-à-dire l'âge moyen de la population - et le logarithme de la mortalité par infection sur l'axe y - ce n'est pas directement la mortalité par infection, mais le logarithme, c'est-à-dire une conversion mathématique de celui-ci, dans de nombreux phénomènes naturels, c'est pour que nous ayons des corrélations logarithmiques - alors vous obtenez une ligne droite parfaite. Et peu importe dans quel pays cette enquête a été menée. En d'autres termes, un statisticien dirait que la composition par âge explique presque toute la variance de l'ensemble de données. Donc, la variabilité, la différence de mortalité infectieuse entre les études individuelles, entre les pays individuels, [...] n'est pratiquement déterminée que par l'âge moyen du groupe de population examiné. C'est l’âge qui compte - et pratiquement rien d'autre.

Hennig: à 90%, en ce qui concerne la répartition géographique.

Drosten: Exactement, c'est beaucoup. Un tel pourcentage attribué à un facteur, c'est étonnant. Mais le fait que ces études aient été si bien présélectionnées signifie également que les limites de confiance de cette étude sont extrêmement étroites. Et je trouve cela vraiment très convaincant.

[...] Les auteurs donnent également un exemple que j'ai trouvé très vivant. On a également évalué, à partir de nombreux ensembles de données, en particulier des USA, [la mortalité] de la grippe durant ces dernières années. […] Depuis le début de la pandémie, il y a des gens qui ont dit: «C’est aussi inoffensif que la grippe». Et depuis, des chiffres fantaisistes circulent en public. Mais parfois ils ne se réfèrent qu'à un seul pays et parfois à une seule année […] Mais si vous analysez à partir de données aux États-Unis, qui ont un très bon système de déclaration, vous pouvez dire: La grippe a une mortalité par infection de 0,05% sur une période de plusieurs années. Chez nous, c'est un peu moins. Et d’après cette méta-analyse très bien faite, la Covid-19, c'est-à-dire l'infection par le SRAS-2, a une mortalité par infection de 0,8%. C'est 16 fois plus que la grippe. Pour chaque décès de grippe, il y a 16 décès de Covid-19 aux États-Unis. Mais maintenant, la population américaine est plus jeune que l'allemande. En d'autres termes, il faudrait compter avec un taux de mortalité par infection en Allemagne qui, selon cette analyse, approche le 1 %, voire un peu plus [...]

Mais je pense que nous devrions peut-être visualiser cela d'une manière différente, en regardant les taux de mortalité par infection [par âge] [...] dans la tranche d'âge entre 35 et 44 ans, c’est à peu près la même chose qu'avec la grippe. [...] Entre 45 et 54 ans, la mortalité par infection est de 0,2%. Entre 55 et 64 ans, soit les dix dernières années de vie active, 0,7%. Donc, selon la situation de comparaison, je dirais dix fois plus que la grippe. Ou même plus. Dans d'autres pays, ce serait 15 fois plus que la grippe. Les auteurs ont ici fait une comparaison intéressante, ils ont comparé avec les accidents de la route. Et ils disent que c'est un risque environ 200 fois plus élevé que de conduire une voiture pendant un an pour cette tranche d'âge. Donc, si quelqu'un est dans les dix dernières années de sa carrière, il peut conduire pendant un an et la probabilité qu'il ait un accident n'est que d'un deux centième [que celle de mourir de la] Covid-19.

[...] Dans la tranche d'âge de 65 à 74 ans, où l'on vient de prendre sa retraite et qu’on peut vraiment profiter de la vie, la mortalité par infection est de 2,2 %, soit 30 fois plus qu'avec la grippe. Donc, dans ce groupe d'âge, nous avons 30 décès de Covid-19 pour chaque décès de la grippe. Et les chiffres dans les groupes plus âgés, sont terribles. Pour les 75 à 84 ans, 7,3% et les plus de 85 ans, près d'un sur trois. C'est autant que la variole au Moyen Âge ou certaines flambées d'Ebola en Afrique.

[…] Je pense qu'il est important de garder cela à l'esprit. C'est pourquoi de telles méta-analyses sont faites. Il ne s’agit pas de compter les morts. Il s'agit simplement d'évaluer la situation. Et ce n'est plus une science pure et froide, mais plutôt un message social qui l'accompagne. Une évaluation de la dangerosité du problème que nous avons devant nous avec l'arrivée de l'hiver.

[…]

L'âge immunologique. Les cellules T mémoire

Hennig: L'âge biologique est une chose. Nous [venons d’entendre à quel point]. L'état du système immunitaire joue également un rôle majeur. Le terme technique est l'âge immunologique.

Drosten: Oui. Il y a une autre étude récente que je voudrais également évoquer, qui vient d'Allemagne.

Hennig: De Kiel.

Drosten: Exactement, de Kiel et de Cologne [...] Une étude immunologique très bien faite, à mon avis. En principe, c'est un complément à cette étude de la Charité de ce printemps, dont nous avons déjà discuté: il y a environ 30, 40% de ceux qui n’ont pas été exposés, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas d'infection par le SRAS-2, qui ont néanmoins une réactivité au niveau des lymphocytes T. Puis, il y a eu un certain nombre d'autres études d'Angleterre, des États-Unis etc, qui ont trouvé la même chose. Il y a donc un certain nombre de patients, assez peu nombreux, de l'ordre du tiers de la population, qui ont des lymphocytes T réactifs, [...] bien qu'ils n’aient pas été en contact avec cette infection. Et une argumentation a été construite à partir de ça, en particulier aux États-Unis, qui dit: c'est l'explication au fait qu'il y a tant de cas bénins. Et c'est probablement pourquoi le seuil d'immunité de groupe est beaucoup plus bas, car en réalité, nous sommes tous immunisés […] depuis longtemps. Puisque les lymphocytes T réactifs sont là [...]

Hennig: Pour expliquer l'idée, parce que les «cellules T» sont connues de beaucoup, mais seulement à moitié. Il s'agit en fait de la mémoire immunitaire, c'est-à-dire de ce qui se passe au niveau cellulaire lorsque le corps résiste aux infections virales. Nos grands-parents disaient: l'endurcissement est une bonne chose, de nombreux virus entraînent le système immunitaire. La base de ceci sont les cellules T.

Drosten: Quelque chose comme ça. Vous ne parlez pas à un immunologue ici. Je ne suis vraiment pas un expert des cellules T et de l'immunité cellulaire. Les cellules T sont très, très complexes. Ce sont des globules blancs qui gèrent et interviennent à la fois dans la réponse immunitaire à une infection, puis construisent une mémoire contre elle. Depuis la préhistoire immunologique, il existe deux grandes catégories. Les cellules CD4 et les cellules CD8. Et dans les cellules CD8, il y a des cellules qui agissent directement contre les cellules infectées par le virus. Si le virus est dans la cellule, elle présente une partie de ce virus à sa surface, le virus est également combattu ici et là dans la cellule et des fragments de ce virus sont placés dans un récepteur complexe à la surface, appelé MHC. Et ces cellules T viennent et reconnaissent cela, puis mangent cette cellule. Il s'agit d'une fonction immunitaire très importante dans l'immunité adaptative, c'est-à-dire dans l'immunité réactive à une infection particulière. Et ce ne sont pas seulement les anticorps qui réagissent, mais aussi ces cellules T. Les anticorps sont fabriqués par des cellules B, comme beaucoup le savent probablement. Et au fait, ce sont tous des lymphocytes, les cellules B sont aussi des lymphocytes. Et avec les cellules T, il y a maintenant aussi les cellules T auxiliaires, par exemple, qui aident. Par exemple, ils aident les cellules B à mûrir puis à fabriquer des anticorps. Mais ils aident également ces cellules T cytotoxiques à trouver leur chemin et à attaquer et éliminer les cellules infectées par le virus. Elles sont informées grâce à ce que l'on appelle les cellules présentatrices d'antigène. Elles ont pour tâche de reconnaître les agents pathogènes de manière non spécifique, de les manger et de les détruire. Puis de présenter des morceaux de ces agents pathogènes aux cellules T auxiliaires. Présenter signifie : comme si elles étendaient un bras et tenaient quelque chose dans leur main, un fragment d'agent pathogène. Et puis une cellule T arrive et elle le reconnaît. Soit elle convient soit elle ne convient pas. Elle scanne tout le temps. Et à un moment donné, une cellule T viendra qui conviendra à ce récepteur et l'antigène. Et puis ça commence à mûrir. Et cette cellule T mature transmet alors l'information sur la présence de l'infection aux cellules B ou même aux cellules T cytotoxiques. Et à la toute fin, lorsque la réponse immunitaire est terminée, il reste quelque chose appelé un souvenir. Et cette mémoire est souvent, mais pas exclusivement, constituée de cellules T CD4. C'est un certain type de lymphocyte T. Il y a encore beaucoup de sous-différenciations. Nous ne pouvons pas en discuter ici. Je dois également admettre que si je devais en discuter maintenant, je demanderais à un immunologue de m'aider dans le podcast. Je ne suis pas très bon sur le sujet.

Hennig: Cette explication est suffisante pour le [public].

Drosten: Avec cette connaissance préalable, nous pouvons commenter ce document maintenant. Je dois ajouter qu'il existe [un moyen de] mesurer si un tel lymphocyte T a déjà eu un contact avec un antigène ou s'il est tout neuf. Tout cela peut être différencié à l'aide de méthodes de mesure en laboratoire. Et autre chose: il existe un système immunitaire vieux et jeune. Il existe de nombreuses cellules T naïves dans un jeune système immunitaire [qui] n'a pas encore eu de contact avec l'antigène; il y a relativement peu de cellules mémoire car la mémoire doit d'abord être construite. Et avec l'ancien, c'est l'inverse; relativement beaucoup de cellules mémoire et de moins en moins de cellules T naïves.

Hennig: Parce que vous avez eu beaucoup de contacts avec des virus en général.

Drosten: Pas seulement avec des virus, avec toutes sortes d'antigènes. Cela peut être des infections, mais pas seulement. Tout ce qui est dans le corps et qui n’a rien à y faire. Et malheureusement, certaines choses du corps aussi, où le système immunitaire n'a pas remarqué que ça faisait en fait partie du corps. Là nous sommes dans le domaine des maladies auto-immunes. Mais on ne peut pas entrer dans ces détails ici. L'immunologie est si complexe que personne ne comprend. En tout cas, moi non.

Hennig: Revenons à l’étude.

Drosten: Exactement, revenons à l’étude. On peut mesurer la réactivité des lymphocytes T et la mémoire des lymphocytes T. On peut prendre des patients qui n'ont pas encore eu de contact avec ce nouveau virus et regarder: Ont-ils des cellules T à mémoire? Et là on a un premier constat très intéressant. Tous les patients ont ces lymphocytes T. Et maintenant, vous vous demandez: pour quelle raison? Pourquoi ont-ils ces cellules T? Vous pouvez simplement vous dire qu’en vieillissant, vous avez été en contact avec ces coronavirus du rhume, ce qui peut être la raison de cette immunité croisée. [...] On mesure donc ces cellules mémoire T activées, ces cellules T, et on les trace en fonction de l'âge. Et ce qu’on voit, étonnamment, c'est: aucune corrélation. [...] Mais d'autres corrélations peuvent être faites. Une corrélation très nette est que plus le pourcentage de cellules T mémoire parmi vos cellules CD4 est élevé, c'est-à-dire plus vous avez déjà de mémoire, plus il y a de Cellules T mémoire activées. Et activé dans ce cas signifie, je ne pense pas l'avoir encore dit clairement: dans le test de laboratoire, vous mettez ces cellules T de personnes qui n'ont pas encore eu de contact avec le virus SRAS-2 dans un tube à essai avec le SRAS-2 - et regardez comment elles réagissent. On peut dire: plus vous avez de cellules mémoire dans les cellules T, plus ces cellules T réagissent au virus SARS-CoV-2 dans le test de laboratoire. Mais pas: plus vous avez d'expérience d'infection avec les coronavirus, plus elles réagissent. Ce n'est pas une réaction spécifique aux coronavirus. C'est comme ça: là où il y a beaucoup de cellules mémoire, il y a aussi beaucoup d'activation, beaucoup d'activité de signal des cellules mémoire dans ce test de laboratoire.

Hennig: Et cela s'applique aux personnes plus âgées, avec une mémoire immunitaire plus ancienne.

Drosten: Exactement. Mais je voudrais d’abord insister sur ce résultat intermédiaire. On peut donc dire: là où il y a beaucoup de cellules mémoire, il y a aussi beaucoup de cellules qui envoient un signal d'activation. Mais cela n'a pas nécessairement de lien avec un autre coronavirus. Cela peut être en raison d’autre chose, ce n'est qu'un bavardage de cellules T. Les cellules T bavardent, qu'elles aient quelque chose à dire ou non.

Hennig: Non spécifique.

Drosten: Exactement. Et il faut dire que toute cette étude utilise des procédures de tests très, très sophistiquées et extrêmement sensibles que de nombreux autres laboratoires ne peuvent pas faire du tout. Ce sont vraiment des experts de ces mesures immunologiques. Ils ont utilisé des méthodes très spéciales, qui permettent une évaluation très sensible. On a aussi une contre-vérification intéressante. Si vous prenez un autre groupe de patients avec le même procédé, à savoir des patients ayant eu une infection par le SRAS-2, on voit qu'ils ont tous une forte proportion de des cellules T mémoire spécifiques au SRAS-2, quelle que soit leur part de cellules T à mémoire en général. Cela signifie que ce n'est pas seulement qu’un bavardage. Donc, il y a ceux qui ont peu de cellules T mémoire dans leur pool de cellules T entier, on dit pool de cellules T, c'est-à-dire le répertoire global, tout aussi aptes à réagir que ceux qui ont beaucoup de cellules mémoire. Donc, là, ça ne dépend plus seulement du bruit de fond, mais c’est spécifique au virus lorsque vous avez terminé l’infection. […]

En tout cas, ça n'a pas grand-chose à voir avec l'âge, mais plutôt avec la part de cellules T mémoire dans le total des cellules CD4, c'est-à-dire les cellules T CD4. Et ici, nous pourrions introduire la notion d’âge immunologique. Plus nous vieillissons, moins nous avons de cellules T naïves et plus nous avons de cellules T mémoire. Nous avons donc des souvenirs de toutes sortes de choses que nous avons rencontrées sur le plan immunologique au cours de notre vie entière. Et à un moment donné, il est donc faux de dire, la plupart des cellules T sont des cellules mémoire, mais la proportion de cellules mémoire dans le pool de cellules T augmente. On peut le dire comme ça.

Et maintenant, on peut examiner de plus près ces cellules T chez les patients qui ont eu le virus ou qui ne l’ont pas eu. Ce qui est fait ici pour vérifier ces cellules T en laboratoire n'est pas de les mettre avec le virus entier, mais plutôt avec un grand nombre de fragments de protéines virales […] quelque chose comme des bouchées, que ces cellules aiment particulièrement manger. Ils sont bien présentés et on ajoute aussi des cellules de présentation. On les présente ensuite aux lymphocytes T pour évaluation. Et on voit comment les lymphocytes T réagissent. […] Ils sont comme des journalistes, ils voient quelque chose et ils commencent à en parler. Et ces cellules T peuvent soit envoyer un signal très clair […] ou alors elles peuvent être stimulées contre tous les fragments de ce virus, c'est-à-dire qu'elles répondent à n'importe quel fragment du virus. Ou elles ne répondent qu'à quelques fragments du virus. Une distinction intéressante est faite ici dans l'étude. Si vous testez des patients infectés par le virus SRAS-2, leurs cellules mémoire répondent très bien à tous les fragments possibles du virus, en particulier aux grosses protéines structurelles du virus, S, M et N. Ce sont les plus grosses protéines du virus, le virus en a beaucoup, elles constituent une grande provocation pour le système immunitaire. Les cellules T [réagissent fortement] à n'importe quel morceau de ces grosses protéines. Par contre, c’est différent avec les cellules des patients n'ayant pas eu de contact avec le SRAS-2. [...] Les cellules T réagissent également, mais elles réagissent de manière très différente aux protéines de ce virus du SRAS. Donc contre certaines protéines elles ne réagissent pas du tout, contre d'autres protéines elles réagissent [de façon partielle]. Et puis elles réagissent également contre des protéines qui ne sont en fait pas très stimulantes chez les patients qui ont déjà eu le virus. C'est donc une réaction très désordonnée. Elles ne réagissent pas comme les cellules T de vrais patients. C'est une constatation intéressante. La réaction est impropre et dispersée. La réaction se distribue de manière fragmentée contre tout le virus, tandis que chez ceux qui ont eu l'infection, ce type de réaction vise spécifiquement les grandes protéines du virus.

[…] ce n'est donc qu'une réaction fragmentaire. Et maintenant, allons plus loin. Par exemple, on peut dire: retirons les cellules T qui réagissent contre les protéines des coronavirus du rhume des patients - qu'ils soient infectés ou non par le SRAS. Maintenant, on ne teste pas le virus SRAS-2, on teste les autres coronavirus. Et ce qu’on voit ici est intéressant. On prépare ces cellules, c'est vraiment de la haute technologie [...] Des lymphocytes T préparés qui réagissent contre ces coronavirus du rhume ont à nouveau été testés pour voir leur réaction. Il est intéressant de noter qu'il y a une réactivité croisée, d'un alphacoronavirus à l'autre. Ainsi, le coronavirus humain 299E réagit de manière croisée contre le coronavirus humain NL63. Et cela existe aussi au sein des coronavirus bêta. Ainsi, le coronavirus humain OC43 réagit de manière croisée contre le coronavirus humain HKU1, mais pas entre les coronavirus alpha et bêta, pas entre les genres. Autrement dit, ces virus semblent être si éloignés les uns des autres qu'il n'y a plus de stimulation croisée ou d'activité croisée appropriée et pertinente. Chose intéressante, cette activité croisée contre le virus SRAS-2 n'existe pas du tout.

Hennig: Aucun des deux.

Drosten: Exactement. Cela correspond exactement à ce que je peux bien juger en tant que virologue, à savoir à quel point ces virus sont éloignés les uns des autres, dans leur degré de relation. On a le virus du SRAS, qui est aussi un coronavirus bêta, mais [de très loin]. Génétiquement, nous dirions qu'il s'agit d'un coronavirus bêta basal du point de vue de ces deux virus. C'est à peu près à la même distance des autres [...]. J'aime toujours expliquer cela aux étudiants avec des exemples géographiques. Ce serait comme dire Mayence et Cologne, toutes les deux en Allemagne de l'Ouest et clairement éloignées, il faut conduire un peu. Et maintenant, on dirait que Cologne est en Rhénanie du Nord-Westphalie et Mayence est en Rhénanie-Palatinat, ce sont deux Länder différents. Mais Bielefeld est aussi en Rhénanie du Nord-Westphalie. [...] Bielefeld est définitivement plus proche de Cologne, mais quand même assez loin. C'est à peu près la même distance des deux, même si nous devons admettre que c’est plus proche de Cologne. [...] Donc le virus SARS-2 est Bielefeld et ce coronavirus bêta, donc OC43 par exemple, ce serait Cologne et un coronavirus alpha, Mayence. Vous pouvez donc imaginer un peu, à partir des degrés de distance.

Hennig: Les habitants de Cologne et de Mayence se sentiraient probablement aussi plus proches les uns des autres, comme les coronavirus alpha et bêta.

Drosten: Oui. Il existe en fait des similitudes générales qui ne peuvent être expliquées géographiquement, comme le carnaval. Mais là on est en train de devenir très divertissants ici.

Hennig: Ce fut important dans le processus d'infection. Mais nous ne poursuivrons pas dans cette voie... 

Drosten: Exactement. Pour revenir au problème: Sur la base de cette découverte, nous pouvons dire qu'il n'y a probablement que peu de réactivité croisée réelle, de protection croisée contre le virus SRAS-2. Et nous pouvons faire une autre vérification croisée. On peut aussi à nouveau préparer les cellules des patients ayant eu le SRAS-2 et les stimuler à nouveau contre ces virus humains, contre les coronavirus du rhume et aussi contre des virus témoins. Et ce que nous voyons, c'est que la stimulation est relativement mauvaise partout. […] En d'autres termes, il est hautement improbable qu'il existe une véritable protection croisée.

Hennig: Cette immunité que beaucoup espéraient.

Drosten: Exactement. Nous pouvons probablement dire que ce que vous voyez dans ces études n'est pas une immunité croisée, mais juste une activation croisée, une réactivité croisée. Les cellules émettent un signal, mais ce n'est certainement pas assez puissant et actif pour vraiment empêcher une infection de pénétrer dans le corps. On ne peut donc probablement pas vraiment parler d'immunité. Et bien sûr, c'est maintenant une constatation individuelle. D'autres études doivent être faites. Et les auteurs s'expriment ici prudemment. Soit dit en passant, cela ne signifie pas du tout qu'aucune immunité cellulaire ne découle d'une infection par le SRAS-2. Nous n'avons pas du tout vérifié cela ici, il s'agit simplement d'activation croisée.

Hennig: [Donc] l'espoir qu’en ayant eu beaucoup de rhumes dus à des coronavirus communs, je suis relativement protégé n’est plus sur la table.

Drosten: Eh bien, «plus sur la table» n'est pas formulé assez prudemment, de mon point de vue. Je serai encore plus prudent, comme les auteurs. Malheureusement, il est vrai que l’espoir s’est un peu affaibli qu’il y ait un effet à l’échelle de la population.

Hennig: […] Y a-t-il un inconvénient possible à cette réaction non spécifique des cellules mémoire T?

Drosten: Oui, ce qui a été fait dans l'étude après avoir constaté cette façon incomplète et impropre de réagir des cellules T […] c’est qu’on a aussi examiné la situation des patients qui ont cette maladie derrière eux, l'infection SRAS-2, selon que le cours ait été bénin ou grave. [...] Et là, on a une autre découverte intéressante. Je ne vais citer que brièvement quelques résultats. Par exemple, les patients qui ont eu un cours sévère ont en fait cette manière impropre de réagir; lorsqu'ils sont exposés aux fragments protéiques du virus SRAS-2, ils ne réagissent pas aussi bien avec le signal à ces protéines structurales, mais ils ont besoin d'un nombre relativement grand de fragments, des fragments protéiques d'autres morceaux du virus, pour pouvoir le faire, bien qu'ils réagissent déjà fortement dans l'ensemble, c'est-à-dire qu'après l'infection ces cellules mémoire sont présentes. Il y en a beaucoup, on peut le mesurer. Il y a donc pas mal de signal, mais le schéma de cette réaction n'est pas aussi net que chez ceux qui ont eu des cours bénins.

Et cela peut maintenant être corroboré par d'autres tests de laboratoire. Par exemple, on peut regarder la diversité des cellules T dans leur schéma de transcription. Il s'agit donc d'une caractérisation de l'activité métabolique générale au niveau de l'ARN. Et sur cette base, vous pouvez reconnaître des modèles qui rendent certaines unités fonctionnelles de cellules T qui descendent les unes des autres, on parle de clones, identifiables. Et on peut dire que les patients avec une maladie sévère ont une [...] situation polyclonale, c'est-à-dire plus grande diversification des clones de lymphocytes T existants, tandis que les patients qui ont eu un cours bénin ont une très forte clonalité après l'infection. On voit aussi très bien les clones de CD8, les vrais effecteurs du système immunitaire cellulaire qui attaquent les cellules infectées, comme vous l'imaginez, où il y a une intervention vraiment spécifique des cellules T, alors qu’elle n'est pas terrible chez ceux qui ont eu une maladie grave.

Ce modèle de réaction non ciblée est plus courant chez les patients qui présentent les caractéristiques d'un système immunitaire âgé. Logiquement, cela se produit également plus fréquemment chez les personnes âgées. Mais le véritable déterminant est précisément cette mesure de l'âge immunitaire dans le test de laboratoire, qui y est corrélée. Donc, en d'autres termes, si vous avez beaucoup de cellules T mémoire (et moins de cellules T naïves), alors vous n’êtes pas en mesure de construire une nouvelle réactivité immunitaire ou une nouvelle mémoire immunitaire, comparé à quelqu’un qui a encore beaucoup de cellules T naïves, un système immunitaire jeune. Il est plus susceptible de construire une nouvelle mémoire immunitaire spécifiquement contre ce virus, tandis qu'une personne âgée utilisera d'anciennes expériences qui ne sont pas toujours correctes, et générera une réponse dispersée.

Hennig: […] Donc, si je suis plus jeune mais que j'ai survécu à un cancer ou à une autre maladie chronique, mes cellules T pourraient être exposées à une maladie grave, n'est-ce pas?

Drosten: Je ne veux rien en déduire pour des maladies particulières. Parce que les maladies immunitaires tombent dans cette direction et dans l'autre. Mais en principe, si vous avez un système avec des cellules T prématurément âgées, avec avez moins de cellules naïves et une part de cellules mémoire élevée, alors ça pourrait être prédictif d’une évolution plus sévère [...]

Hennig: Mais en règle générale, un âge immunologique plus avancé s’accompagne d'un âge biologique plus élevé chez l'homme.

Drosten: C'est vrai, cela va de pair, bien sûr, c'est très clair. Seulement ici dans cette étude, pour la première fois, un regard très précis a été porté sur la cause et l'effet. Il est probable que la cause réelle d’une évolution sévère ne soit pas purement l'âge biologique du patient, mais l’âge immunitaire.

Que signifient ces résultats pour le développement de vaccins?

Hennig: Pouvons-nous tirer de cette découverte sur les cellules T, qui réagissent différemment, de nouvelles connaissances ou de nouvelles questions pour le développement de vaccins et de médicaments?

Drosten: Oui, bien sûr, on peu certainement le faire. Les cellules T sont absolument essentielles. Et c'est exactement ce qu’on veut faire avec la vaccination, déclencher une mémoire immunitaire, la créer pour que le système immunitaire soit préparé. On veut qu'il y ait des cellules mémoire, à la fois des cellules mémoire CD8 et CD4, et bien sûr des cellules mémoire dans la zone des cellules B. Et puis nous voulons obtenir des anticorps à partir de la zone des cellules B, obtenir une réaction cellulaire de cette zone des cellules CD8-T et ensuite aussi un effet bénéfique de la zone de mémoire CD4. Et c'est souvent un effet d’entraînement. Donc, il y a des cellules CD4 qui ont une mémoire immunitaire, qui disent ensuite aux cellules CD8: vous devez aller dans les poumons, vous n'avez pas à errer partout dans le corps, allez voir ce virus dans les poumons. Ce serait bien sûr également bien si un tel vaccin était introduit dans les poumons afin que cette mémoire immunitaire spécifique s’y forme. Et ce n'est pas si facile de mettre un vaccin dans les poumons, par contre dans le nez oui. Ce n'est pas la première génération de vaccins qui y parviendra, on fait en général des injections intramusculaires. Mais il y a des gens qui pensent déjà à une vaccination par le nez au lieu d’une injection. Pour que cette information soit donnée localement [...] et que certains lymphocytes mémoire dirigent alors la réaction immunitaire vers les voies respiratoires. [...]

Je pense qu’il faudra parler de vaccins encore et encore dans les prochains podcasts, car heureusement ce sujet reviendra. Heureusement, il y aura bientôt des vaccins, espérons-le très bientôt, «très bientôt» signifie quelques mois.

Hennig: Et ce n'est pas le premier vaccin qui fera [l’affaire].

Drosten: Probablement pas. Pas dans le sens d'une immunité stérile, donc pas comme la rougeole - une vaccination et une immunité à vie - ce ne sera pas aussi facile. Vous serez certainement d'abord protégé contre les symptômes sévères, mais pas contre un petit rhume [...]. Et il existe des vaccins conçus pour induire une réponse cellulaire contre le virus. Et d'autres [pour] une bonne réponse des anticorps neutralisants. Il faudra donc regarder plus précisément à quel point se forme une bonne mémoire immunitaire au niveau des cellules CD4. Ce ne sera certainement pas pareil avec tous les vaccins.

Hennig: Monsieur Drosten, pour terminer - nous avons parlé de l'âge immunologique et biologique: dans quelle mesure est-il important que les personnes âgées apparaissent dans les études sur les vaccins? Et dans quelle mesure est-ce possible? Une étude récente de la JAMA Internal Medicine affirme qu'elles sont sous-représentés dans de nombreuses études.

Drosten: Oui, c'était probablement le cas depuis le début, c'est en fait assez naturel. Les vaccins sont d'abord évalués [sur] leur efficacité et leurs effets secondaires. Il est donc clair quel type de patients on sollicite dans les études: de préférence des jeunes en bonne santé, bien sûr pas d'enfants, mais des adultes qui ne souffrent d'aucune maladie. Mais il est évident pour les fabricants de vaccins [...] que lorsque les vaccins seront disponibles, il n'y en aura pas assez. Ils savent aussi que les vaccins ne seront pas parfaits: avec la première génération de vaccins on essaiera de vacciner préférentiellement [certains] groupes. Cela inclut également les personnes âgées. C'est pourquoi il est certain […] que les phases trois incluront aussi progressivement des patients plus âgés. Sinon, on ne pourra pas les recommander à ces groupes de population plus âgés.