vendredi 2 octobre 2020

Faux positifs, écoles, mortalité, cellules T naïves, vaccins. Podcast #58 du 29 septembre 2020

Pas de faux positif PCR

Korinna Hennig: Dans le dernier épisode du podcast, nous avons discuté en détail avec Sandra Ciesek des méthodes de test, y compris le test PCR, qui reste le plus important. Néanmoins, je voudrais réexaminer la question des faux positifs. Parce qu'il y a une discussion du printemps dernier qui connaît un petit renouveau sur les réseaux sociaux. Il y a l'objection formulée [selon laquelle] seuls des fragments du virus sont détectés, qui ne prouvent pas que le virus s'est répliqué et qu'aucune infection n'est détectée. [...] Peut-on accidentellement transporter un résidu de virus dans la gorge?

Christian Drosten: Non, sans un génome viral complet, il n'y a pas de résidu viral. Si vous le dites comme ceci: "Seuls des fragments ont été détectés", ce n'est en fait pas vrai. Ce sont des génomes de virus. Cela vient peut-être un peu de la perception biologique moléculaire que cela ne fonctionne généralement pas quand il ne reste que si peu de virus à la fin d'une infection que le virus est ensuite complètement séquencé, c'est-à-dire que tout le génome est analysé et amplifié au préalable dans la PCR. C'est uniquement parce que cela ne suffit pas. Mais il n'y a pas de fragment viral sans génome viral complet. Il n'y a pas d'ARN dans la cellule qui soit similaire au génome d'un autre coronavirus au point qu’on les confonde dans la PCR. Il n'y a pas non plus de confusion avec d'autres virus, d'autres virus du rhume, d'autres coronavirus ou quoi que ce soit d'autre pour les agents pathogènes. Il n'y a tout simplement pas de place pour ces discussions. La PCR est tout simplement hors de doute.

Hennig: [Le] test est validé contre d'autres virus. Cela signifie qu'il est vérifié si le test réagit par inadvertance à d'autres agents pathogènes. Quels sont les autres virus dont il est exclu que le test PCR les confondra par inadvertance?

Drosten: Je n'ai pas la liste devant moi maintenant. Mais ce sont en fait tous les virus du rhume qui se produisent chez les humains. Ces données de validation sont déjà contenues depuis la première publication, à savoir Corman et al., publiée en janvier dans «Eurosurveillance». C'est inclus dans l'article. Nous avons réalisé une très grande étude de validation lors de la première publication de la PCR. Notre test était le premier, mais ce n'est plus le seul. Depuis que les entreprises proposent de telles PCR, notre PCR, en tant que protocole auto-conçu, n'est plus utilisée dans le diagnostic. Les laboratoires ont commencé à avoir des tests de fabricants. Certains d'entre eux ont repris notre PCR, mais certains l'ont aussi un peu modifiée. Ce qu'ils ont tous en commun, c'est qu'en plus de notre validation, ils ont également effectué eux-mêmes des validations, faute de quoi ces tests ne peuvent pas du tout être vendus. Vous devez les faire certifier. Ensuite, vous devez soumettre vous-même des données de validation supplémentaires. Tout cela n'est pas aussi simple que ce que prétendent certaines sources Internet et forums.

[…] Même si je n’ai pas la liste devant moi, il y a, par exemple, les variantes des virus grippaux qui surviennent chez l'homme, y compris la grippe B et C, et les adénovirus. Ensuite, il y a les rhinovirus et les entérovirus, les virus à ARN non enveloppés, qui sont particulièrement courants dans les crèches et les écoles car ils sont transmis par les mains et par les surfaces. Puis les virus parainfluenza, c'est-à-dire parainfluenza 1 et 3 dans un genre, et dans un autre genre, parainfluenza 3 et 4. Puis RSV, HMPV, maintenant je dois réfléchir ... Puis les quatre coronavirus: Ce sont les coronavirus humains 229E et NL63. C'est le genre Alphacoronavirus. Dans le genre Betacoronavirus: Coronavirus OC43 et HKU1.

Cela a été testé, et pas seulement sur un échantillon de tous ces virus, mais c'est toute une série d'échantillons de patients pour chaque virus, où vous saviez toujours à l'avance que ce virus était là. Et puis, en plus de ces échantillons de patients, il existe également des matériaux de culture cellulaire contenant ces virus, lorsque cela est possible, c'est-à-dire où ces virus peuvent être cultivés. Tous les virus ne peuvent pas être cultivés, ou isolés en culture cellulaire. Mais partout où cela était possible, nous l'avons fait aussi, car il y a souvent beaucoup de virus dans une telle culture cellulaire, afin de mettre cette PCR à l'épreuve et vraiment prouver qu'elle ne réagit jamais mal. Et elle ne fait pas ça non plus.

Hennig: Un dernier mot sur le test PCR: il y a quelques jours, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il souhaitait promouvoir un test PCR particulièrement rapide qui devrait fournir le résultat en seulement 39 minutes. À quelle vitesse un test PCR peut-il être réalisé?

Drosten: 39 minutes, c'est déjà rapide, […] C'est généralement un peu plus d'une heure. Cela n'a plus d'importance. Les temps de test [...] sont principalement utilisés par le transport des échantillons et bien sûr les temps d'attente. Parce que vous ne testez pas seulement un échantillon en laboratoire, vous attendez qu'une série entière se soit réunie. Puis pour l’ouverture des nombreux récipients en plastique, je dis toujours le flot de plastique qu'on a en laboratoire, du temps est perdu. Puis bien sûr plus tard lors du rapport des résultats. Le processus n'est pas le message pur et simple d'un ordinateur envoyant le résultat, mais il y a toujours un médecin entre les deux. Et il doit revoir le résultat. Avant cela, ce sont les AT qui la revoient également, techniquement. Tout cela prend du temps. Et puis les nombreuses requêtes, il ne faut pas l'oublier. Si vous faites des diagnostics, c'est une activité médicale et aussi une consultation avec des médecins traitants. Et ils se posent souvent des questions sur la manière dont les résultats doivent être interprétés.

Les contaminations à l’école et la courbe en W

Hennig: Le sujet des enfants dans le processus d’infection est toujours vivement discuté. Il existe des études qui mettent l'accent sur l'une ou l'autre constatation. Par exemple, il y a eu récemment une publication dans "JAMA Pediatrics". On y lit que presque toutes les études souffrent du défaut que leur base de données provient du lockdown, qu'elles examinent les enfants à des moments où les écoles étaient presque partout fermées. Mais il y a maintenant des épidémies dans les écoles, vous pouvez le lire dans les chiffres de l'Institut Robert Koch. Plus récemment en Allemagne, j'ai vérifié, près de 9000 infections dans les écoles, crèches et camps de vacances ont été enregistrées, c'est-à-dire chez les enfants, et 4400 chez les superviseurs, les éducateurs, les enseignants. Cependant, des données beaucoup plus précises seraient intéressantes. Où les enfants s'infectent-ils ? Où s’infectent leurs parents? Ces données n'existent même pas? Ces chaînes de contamination sont-elles connues, en particulier avec des enfants?

Drosten: Je pense que de telles données sont déjà disponibles chez les autorités sanitaires, peut-être pas toutes les autorités sanitaires. Mais je pense que ce n'est tout simplement pas rapporté spécifiquement pour le moment. Je pense que ce serait bien si cela pouvait être amélioré. On pourrait s’attendre à ce que les autorités sanitaires ou le RKI publient cela de manière très transparente. […] [Il serait temps de] réfléchir à nouveau à la façon de le faire. […] Je pense qu'il faut avoir une discussion publique là-dessus car il y a tellement de désaccords, socialement, et tellement d'intérêts différents. Certains veulent une sécurité absolue sur le lieu de travail (les enseignants). Et de nombreux parents à risque ont également peur que les élèves ramènent cela à la maison. Et d'autres disent que les élèves doivent absolument aller à l'école et que les écoles doivent absolument rester ouvertes, ce qui est vrai aussi. Je pense que sans image totalement transparente, il est difficile de poursuivre ce débat de manière équitable. Il y a déjà des chiffres d'autres pays qui montrent très clairement qu'il y a des épidémies dans les écoles, en France par exemple, également au Canada.

Hennig: Israël aussi.

Drosten: Exactement. Mais les gens disent toujours: "C'est une situation particulière car ils ont déconfiné très vite." Et puis il y a eu une vague de chaleur avant les vacances d'été, le virus se serait propagé aussi rapidement parce que personne ne portait de masque. C'est peut-être n'importe quoi, je ne sais pas. Mais je pense que nous devons avoir des données totalement transparentes en Allemagne. Parce que deux choses se passent en ce moment. On peut voir que les écoles sont fermées ici et là ou certaines classes, c'est-à-dire des fermetures partielles, parce que les infections sont probablement venues de l'extérieur.[...] Il est important de réagir tôt, mais pas forcément de fermer toute l'école, mais l’unité d'infection, par exemple une classe.

Et peut-être que l'autre chose qui se produit est qu'il n'y a pas de communication. Peut-être parce qu’avant les vacances d'été, dans certains Länder, les gens se sont fortement prononcés pour une certaine interprétation, à savoir: «Il n'y a pas de cas dans les écoles». […] [Maintenant il faudrait] décrire la situation de manière transparente et voir comment avancer. Parce que, sans répandre excessivement de l’inquiétude, il faudrait reconnaître tôt s'il y a une augmentation de l'incidence dans les écoles en général. […] Une épidémie scolaire couve pendant des semaines. Elle n’est pas soudainement là dans toute l’école, on a donc le temps de réagir.

Je pense que les autorités sanitaires sont désormais très vigilantes. Mais si cela ne devait pas fonctionner parce que l’incidence dans la population était plus élevée […] on aurait une courbe d'incidence en forme de W. L'exemple typique est celui de la grippe espagnole : après que les écoliers aient transmis l’infection à la maison, le prochain groupe concerné sont les parents [...]. Ce sont les cohortes d'âge moyen qui transforment ensuite [à leurs propres parents]. On a une courbe d'incidence en W. (l'âge sur l'axe x et le nombre de cas sur l'axe y) [...] Nous devons éviter cela et nous le pouvons. Cela n'arrivera pas si nous gardons l’œil sur cette situation scolaire. [...] Je pense qu'il est important que […] des efforts soient faits pour décrire la situation dans les écoles de manière très transparente, surtout à partir des vacances d'automne.

Hennig: Surtout en regard des mesures préventives qui existent dans les écoles, c'est-à-dire: séparation des niveaux, demi-groupes parfois, masque pendant les pauses ou même en classe. Une de vos collègues, Isabella Eckerle, qui est virologue à Genève, l'a dit assez clairement sur Twitter et a rappelé tout ce qui devrait être étudié. Que pouvez-vous apporter du côté de la recherche? [Que peut-on encore faire en prévention?]

Drosten: Eh bien, nous avons suffisamment discuté de la question des aérosols. Je pense que ce qui suivra, espérons-le, sera le test antigénique au plus près de l’école. Je ne veux pas dire à l'école car le règlement n'a pas encore été clarifié. Mais je pense qu’on peut atteindre beaucoup avec ça. Et nous pouvons déjà considérer que les tests seront de toute façon meilleurs et plus rapides à l'automne. Cela devra alors également s'appliquer aux enseignants et aux élèves. Et je crois que nous ne pouvons pas faire grand-chose maintenant [concernant] la ventilation, beaucoup de temps s'est écoulé pendant l'été sans que rien ne soit fait, mais on peut toujours empêcher les épidémies dans les écoles simplement par la détection et la prévention, par un court isolement, une courte quarantaine. Dans cet article de "Die ZEIT", je l'ai appelé temps de décantation, si on le fait au niveau du groupe. C'est essentiellement un mélange de quarantaine et d'isolement. Avec ça, on peut éviter les épidémies scolaires sans avoir à fermer les écoles, mais en isolant les groupes affectés.

Hennig: Vous venez de mentionner la question de la ventilation. Beaucoup de temps s'est écoulé sans changement dans les écoles. Et bien sûr, cela devient encore plus difficile en automne et en hiver en raison des températures. Un groupe d'experts vient de souligner à nouveau l'importance de la ventilation dans les écoles. Cela émeut également beaucoup de nos auditeurs, car dans les écoles, il n'y a pas toujours possibilité de ventiler. Les fenêtres ne peuvent pas être ouvertes en grand pour des raisons d'assurance. Les salles de classe sont beaucoup trop petites pour permettre le passage, même dans les nouveaux bâtiments. Même si vous n'êtes pas un expert en aérosols ou un technicien en ventilation: Savez-vous si des appareils comme des filtres à air et des méthodes de purification de l'air peuvent avoir un effet qui pourrait compenser partiellement la ventilation?

Drosten: Je reste en dehors de ça. Je dois vraiment dire: je n'ai pas fait beaucoup de recherches techniques à ce sujet récemment, car je sais qu'il y a d'autres experts. Je me souviens vaguement qu'à l'époque du SRAS, tout ça avait été discuté mais que d'une manière ou d'une autre, nous n'étions pas convaincus. Mais la technologie peut aussi s'être améliorée. Je pense que pour le moment, nous devons être pragmatiques avec ce que nous avons. Il s'agit de diagnostics, il s'agit probablement d'un temps de décantation court. [...] Je pense que de nombreuses autorités sanitaires ont déjà cela sur leur feuille de route et travaillent dans ce sens.

L'importance de l'âge pour l'évolution de la maladie

Hennig: […] Dans d'autres pays, il y a eu dans certains cas des mesures beaucoup plus strictes qu'en Allemagne et la pandémie y a été massivement réduite jusqu’à l’été, en France, en Espagne, en Angleterre par exemple. Comment pouvez-vous expliquer que cette évolution soit si différente par rapport à l'Allemagne, que l'augmentation ait si rapidement repris ailleurs après l'été, malgré les mesures? Est-ce uniquement à cause du nombre de personnes âgées, comme en Italie, par exemple?

Drosten: Il se pourrait qu’on l’ai raté pendant un certain temps, surtout au début, quand ça a repris. De sorte que l'incidence se répartisse davantage parmi les groupes d'âge plus âgés. Mais il peut aussi y avoir une différence fondamentale dans la composition de la population. Nous avons une étude très intéressante qui a été récemment publiée en preprint. La mortalité infectieuse a été [étudiée de manière] très précise. La mortalité infectieuse a été très débattue dès le début. Tout d'abord on disait mortalité des cas, ceux qui sont décédés parmi les cas connus signalés ou testés. Et nous étions toujours à 3 ou 4%. Et maintenant, nous avons une autre mesure - c'est la mortalité infectieuse. C'est fondamentalement la même chose, seulement on prend en compte le fait qu’on ne peut pas tester tous les cas pour le moment et qu’il faut donc estimer le nombre réel de cas infectés par cette maladie.

Hennig: C'est donc un chiffre extrapolé.

Drosten: Exactement, c'est une sorte d'extrapolation. Mais une extrapolation est quelque chose de grossier. Dans la grande majorité des cas, il s'agit simplement d'un contrôle sérologique, donc un test de laboratoire. Parfois on fait des corrections, en fonction du test sérologique utilisé et de la durée de l'examen après la période d'observation. Mais en réalité, vous pouvez utiliser la sérologie pour estimer le nombre de cas réellement infectés au cours d'une période d'étude. Et puis, bien sûr, vous pouvez également enregistrer précisément les décès. [...] La première vague est terminée dans de nombreux pays. Et maintenant, on peut faire une méta-analyse. Cela signifie que vous étudiez des études, vous ne faites pas d'étude vous-même, mais vous regardez beaucoup d'études et en principe vous transformez l'évaluation de ces études en une science en soi, un travail scientifique. Il y a maintenant de nombreuses études disponibles. [...] Je vais juste dire les chiffres, c'est peut-être le plus simple: 962 études sur la mortalité infectieuse ont été évaluées ici. C'est un nombre extrêmement élevé. Vous pouvez voir ce que la science a généré.

Hennig: des études du monde entier.

Drosten: Dans le monde entier, exactement. Et puis des critères de qualité très stricts ont été appliqués, [qui prennent en compte] toutes les sources d'erreur qui peuvent être faites dans de telles études sérologiques. Une erreur qui est souvent commise, par exemple, est: vous faites un bon test sérologique. Et au moment où le dernier patient est testé, vous arrêtez de compter les morts. Mais c'est pas correct, car la dernière personne testée peut être fraîchement séroconvertie. Cela signifie, disons qu'elle a été infectée la semaine d’avant. Et maintenant, elle tombe malade. Elle aura peut-être une évolution de plus en plus sévère pendant encore deux à trois semaines, puis en mourra. Il faut juste attendre aussi longtemps. Cela signifie qu'une fois le test sérologique terminé, vous devez attendre pour savoir si certains cas décèdent.

[…] C'est encore pire si vous effectuez des tests PCR, car le délai est encore plus long. J'ai peut-être été infecté aujourd'hui et je suis toujours en train de participer à l'étude, et cela prendra quatre ou cinq semaines avant d'en mourir. Ensuite, je ne serai pas inclus dans l'étude en tant que cas décédé, c'est-à-dire pas dans le numérateur, mais seulement dans le dénominateur. Et ces laps de temps sont compensés. C'est donc modélisé. […] On vérifie si les études répondent à certains critères de qualité. Il existe d'autres sources d'erreur. Par exemple, dans cette méta-analyse, on a non seulement évalué les études scientifiques, mais aussi des ensembles de données par pays, [...] Et cela les a conduits à exclure 873 de ces 962 études. Sur les 89 études restantes, 65 ont été exclues, car il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas dans la structure. Et puis ils ont continué avec 14 études de séroprévalence. Parmi ceux-ci, neuf viennent de l'Union européenne et douze des États-Unis. Neuf plus douze ça fait plus que 14. C’est que certaines de ces études ont concerné plusieurs endroits.

Hennig: Et l'Allemagne n’en fait plus partie.

Drosten: l'Allemagne n'y figure plus. Nous ne disposons d'aucune étude allemande répondant à ces critères de qualité. Nous avons cinq ensembles de données de pays avec des tests approfondis qui étaient suffisamment bons. Et puis on a également ajouté cinq autres études, [qui n’ont pas été incluses dans le calcul de la régression, mais qui ont servi] pour le contrôle de plausibilité. Ensuite il y a eu une régression mathématique [pour vérifier la corrélation], voir dans quelle mesure la mortalité par infection est liée à la composition par âge de cette population. Et on a des graphiques incroyables. Si vous avez l'âge de la population sur l'axe x - c'est-à-dire l'âge moyen de la population - et le logarithme de la mortalité par infection sur l'axe y - ce n'est pas directement la mortalité par infection, mais le logarithme, c'est-à-dire une conversion mathématique de celui-ci, dans de nombreux phénomènes naturels, c'est pour que nous ayons des corrélations logarithmiques - alors vous obtenez une ligne droite parfaite. Et peu importe dans quel pays cette enquête a été menée. En d'autres termes, un statisticien dirait que la composition par âge explique presque toute la variance de l'ensemble de données. Donc, la variabilité, la différence de mortalité infectieuse entre les études individuelles, entre les pays individuels, [...] n'est pratiquement déterminée que par l'âge moyen du groupe de population examiné. C'est l’âge qui compte - et pratiquement rien d'autre.

Hennig: à 90%, en ce qui concerne la répartition géographique.

Drosten: Exactement, c'est beaucoup. Un tel pourcentage attribué à un facteur, c'est étonnant. Mais le fait que ces études aient été si bien présélectionnées signifie également que les limites de confiance de cette étude sont extrêmement étroites. Et je trouve cela vraiment très convaincant.

[...] Les auteurs donnent également un exemple que j'ai trouvé très vivant. On a également évalué, à partir de nombreux ensembles de données, en particulier des USA, [la mortalité] de la grippe durant ces dernières années. […] Depuis le début de la pandémie, il y a des gens qui ont dit: «C’est aussi inoffensif que la grippe». Et depuis, des chiffres fantaisistes circulent en public. Mais parfois ils ne se réfèrent qu'à un seul pays et parfois à une seule année […] Mais si vous analysez à partir de données aux États-Unis, qui ont un très bon système de déclaration, vous pouvez dire: La grippe a une mortalité par infection de 0,05% sur une période de plusieurs années. Chez nous, c'est un peu moins. Et d’après cette méta-analyse très bien faite, la Covid-19, c'est-à-dire l'infection par le SRAS-2, a une mortalité par infection de 0,8%. C'est 16 fois plus que la grippe. Pour chaque décès de grippe, il y a 16 décès de Covid-19 aux États-Unis. Mais maintenant, la population américaine est plus jeune que l'allemande. En d'autres termes, il faudrait compter avec un taux de mortalité par infection en Allemagne qui, selon cette analyse, approche le 1 %, voire un peu plus [...]

Mais je pense que nous devrions peut-être visualiser cela d'une manière différente, en regardant les taux de mortalité par infection [par âge] [...] dans la tranche d'âge entre 35 et 44 ans, c’est à peu près la même chose qu'avec la grippe. [...] Entre 45 et 54 ans, la mortalité par infection est de 0,2%. Entre 55 et 64 ans, soit les dix dernières années de vie active, 0,7%. Donc, selon la situation de comparaison, je dirais dix fois plus que la grippe. Ou même plus. Dans d'autres pays, ce serait 15 fois plus que la grippe. Les auteurs ont ici fait une comparaison intéressante, ils ont comparé avec les accidents de la route. Et ils disent que c'est un risque environ 200 fois plus élevé que de conduire une voiture pendant un an pour cette tranche d'âge. Donc, si quelqu'un est dans les dix dernières années de sa carrière, il peut conduire pendant un an et la probabilité qu'il ait un accident n'est que d'un deux centième [que celle de mourir de la] Covid-19.

[...] Dans la tranche d'âge de 65 à 74 ans, où l'on vient de prendre sa retraite et qu’on peut vraiment profiter de la vie, la mortalité par infection est de 2,2 %, soit 30 fois plus qu'avec la grippe. Donc, dans ce groupe d'âge, nous avons 30 décès de Covid-19 pour chaque décès de la grippe. Et les chiffres dans les groupes plus âgés, sont terribles. Pour les 75 à 84 ans, 7,3% et les plus de 85 ans, près d'un sur trois. C'est autant que la variole au Moyen Âge ou certaines flambées d'Ebola en Afrique.

[…] Je pense qu'il est important de garder cela à l'esprit. C'est pourquoi de telles méta-analyses sont faites. Il ne s’agit pas de compter les morts. Il s'agit simplement d'évaluer la situation. Et ce n'est plus une science pure et froide, mais plutôt un message social qui l'accompagne. Une évaluation de la dangerosité du problème que nous avons devant nous avec l'arrivée de l'hiver.

[…]

L'âge immunologique. Les cellules T mémoire

Hennig: L'âge biologique est une chose. Nous [venons d’entendre à quel point]. L'état du système immunitaire joue également un rôle majeur. Le terme technique est l'âge immunologique.

Drosten: Oui. Il y a une autre étude récente que je voudrais également évoquer, qui vient d'Allemagne.

Hennig: De Kiel.

Drosten: Exactement, de Kiel et de Cologne [...] Une étude immunologique très bien faite, à mon avis. En principe, c'est un complément à cette étude de la Charité de ce printemps, dont nous avons déjà discuté: il y a environ 30, 40% de ceux qui n’ont pas été exposés, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas d'infection par le SRAS-2, qui ont néanmoins une réactivité au niveau des lymphocytes T. Puis, il y a eu un certain nombre d'autres études d'Angleterre, des États-Unis etc, qui ont trouvé la même chose. Il y a donc un certain nombre de patients, assez peu nombreux, de l'ordre du tiers de la population, qui ont des lymphocytes T réactifs, [...] bien qu'ils n’aient pas été en contact avec cette infection. Et une argumentation a été construite à partir de ça, en particulier aux États-Unis, qui dit: c'est l'explication au fait qu'il y a tant de cas bénins. Et c'est probablement pourquoi le seuil d'immunité de groupe est beaucoup plus bas, car en réalité, nous sommes tous immunisés […] depuis longtemps. Puisque les lymphocytes T réactifs sont là [...]

Hennig: Pour expliquer l'idée, parce que les «cellules T» sont connues de beaucoup, mais seulement à moitié. Il s'agit en fait de la mémoire immunitaire, c'est-à-dire de ce qui se passe au niveau cellulaire lorsque le corps résiste aux infections virales. Nos grands-parents disaient: l'endurcissement est une bonne chose, de nombreux virus entraînent le système immunitaire. La base de ceci sont les cellules T.

Drosten: Quelque chose comme ça. Vous ne parlez pas à un immunologue ici. Je ne suis vraiment pas un expert des cellules T et de l'immunité cellulaire. Les cellules T sont très, très complexes. Ce sont des globules blancs qui gèrent et interviennent à la fois dans la réponse immunitaire à une infection, puis construisent une mémoire contre elle. Depuis la préhistoire immunologique, il existe deux grandes catégories. Les cellules CD4 et les cellules CD8. Et dans les cellules CD8, il y a des cellules qui agissent directement contre les cellules infectées par le virus. Si le virus est dans la cellule, elle présente une partie de ce virus à sa surface, le virus est également combattu ici et là dans la cellule et des fragments de ce virus sont placés dans un récepteur complexe à la surface, appelé MHC. Et ces cellules T viennent et reconnaissent cela, puis mangent cette cellule. Il s'agit d'une fonction immunitaire très importante dans l'immunité adaptative, c'est-à-dire dans l'immunité réactive à une infection particulière. Et ce ne sont pas seulement les anticorps qui réagissent, mais aussi ces cellules T. Les anticorps sont fabriqués par des cellules B, comme beaucoup le savent probablement. Et au fait, ce sont tous des lymphocytes, les cellules B sont aussi des lymphocytes. Et avec les cellules T, il y a maintenant aussi les cellules T auxiliaires, par exemple, qui aident. Par exemple, ils aident les cellules B à mûrir puis à fabriquer des anticorps. Mais ils aident également ces cellules T cytotoxiques à trouver leur chemin et à attaquer et éliminer les cellules infectées par le virus. Elles sont informées grâce à ce que l'on appelle les cellules présentatrices d'antigène. Elles ont pour tâche de reconnaître les agents pathogènes de manière non spécifique, de les manger et de les détruire. Puis de présenter des morceaux de ces agents pathogènes aux cellules T auxiliaires. Présenter signifie : comme si elles étendaient un bras et tenaient quelque chose dans leur main, un fragment d'agent pathogène. Et puis une cellule T arrive et elle le reconnaît. Soit elle convient soit elle ne convient pas. Elle scanne tout le temps. Et à un moment donné, une cellule T viendra qui conviendra à ce récepteur et l'antigène. Et puis ça commence à mûrir. Et cette cellule T mature transmet alors l'information sur la présence de l'infection aux cellules B ou même aux cellules T cytotoxiques. Et à la toute fin, lorsque la réponse immunitaire est terminée, il reste quelque chose appelé un souvenir. Et cette mémoire est souvent, mais pas exclusivement, constituée de cellules T CD4. C'est un certain type de lymphocyte T. Il y a encore beaucoup de sous-différenciations. Nous ne pouvons pas en discuter ici. Je dois également admettre que si je devais en discuter maintenant, je demanderais à un immunologue de m'aider dans le podcast. Je ne suis pas très bon sur le sujet.

Hennig: Cette explication est suffisante pour le [public].

Drosten: Avec cette connaissance préalable, nous pouvons commenter ce document maintenant. Je dois ajouter qu'il existe [un moyen de] mesurer si un tel lymphocyte T a déjà eu un contact avec un antigène ou s'il est tout neuf. Tout cela peut être différencié à l'aide de méthodes de mesure en laboratoire. Et autre chose: il existe un système immunitaire vieux et jeune. Il existe de nombreuses cellules T naïves dans un jeune système immunitaire [qui] n'a pas encore eu de contact avec l'antigène; il y a relativement peu de cellules mémoire car la mémoire doit d'abord être construite. Et avec l'ancien, c'est l'inverse; relativement beaucoup de cellules mémoire et de moins en moins de cellules T naïves.

Hennig: Parce que vous avez eu beaucoup de contacts avec des virus en général.

Drosten: Pas seulement avec des virus, avec toutes sortes d'antigènes. Cela peut être des infections, mais pas seulement. Tout ce qui est dans le corps et qui n’a rien à y faire. Et malheureusement, certaines choses du corps aussi, où le système immunitaire n'a pas remarqué que ça faisait en fait partie du corps. Là nous sommes dans le domaine des maladies auto-immunes. Mais on ne peut pas entrer dans ces détails ici. L'immunologie est si complexe que personne ne comprend. En tout cas, moi non.

Hennig: Revenons à l’étude.

Drosten: Exactement, revenons à l’étude. On peut mesurer la réactivité des lymphocytes T et la mémoire des lymphocytes T. On peut prendre des patients qui n'ont pas encore eu de contact avec ce nouveau virus et regarder: Ont-ils des cellules T à mémoire? Et là on a un premier constat très intéressant. Tous les patients ont ces lymphocytes T. Et maintenant, vous vous demandez: pour quelle raison? Pourquoi ont-ils ces cellules T? Vous pouvez simplement vous dire qu’en vieillissant, vous avez été en contact avec ces coronavirus du rhume, ce qui peut être la raison de cette immunité croisée. [...] On mesure donc ces cellules mémoire T activées, ces cellules T, et on les trace en fonction de l'âge. Et ce qu’on voit, étonnamment, c'est: aucune corrélation. [...] Mais d'autres corrélations peuvent être faites. Une corrélation très nette est que plus le pourcentage de cellules T mémoire parmi vos cellules CD4 est élevé, c'est-à-dire plus vous avez déjà de mémoire, plus il y a de Cellules T mémoire activées. Et activé dans ce cas signifie, je ne pense pas l'avoir encore dit clairement: dans le test de laboratoire, vous mettez ces cellules T de personnes qui n'ont pas encore eu de contact avec le virus SRAS-2 dans un tube à essai avec le SRAS-2 - et regardez comment elles réagissent. On peut dire: plus vous avez de cellules mémoire dans les cellules T, plus ces cellules T réagissent au virus SARS-CoV-2 dans le test de laboratoire. Mais pas: plus vous avez d'expérience d'infection avec les coronavirus, plus elles réagissent. Ce n'est pas une réaction spécifique aux coronavirus. C'est comme ça: là où il y a beaucoup de cellules mémoire, il y a aussi beaucoup d'activation, beaucoup d'activité de signal des cellules mémoire dans ce test de laboratoire.

Hennig: Et cela s'applique aux personnes plus âgées, avec une mémoire immunitaire plus ancienne.

Drosten: Exactement. Mais je voudrais d’abord insister sur ce résultat intermédiaire. On peut donc dire: là où il y a beaucoup de cellules mémoire, il y a aussi beaucoup de cellules qui envoient un signal d'activation. Mais cela n'a pas nécessairement de lien avec un autre coronavirus. Cela peut être en raison d’autre chose, ce n'est qu'un bavardage de cellules T. Les cellules T bavardent, qu'elles aient quelque chose à dire ou non.

Hennig: Non spécifique.

Drosten: Exactement. Et il faut dire que toute cette étude utilise des procédures de tests très, très sophistiquées et extrêmement sensibles que de nombreux autres laboratoires ne peuvent pas faire du tout. Ce sont vraiment des experts de ces mesures immunologiques. Ils ont utilisé des méthodes très spéciales, qui permettent une évaluation très sensible. On a aussi une contre-vérification intéressante. Si vous prenez un autre groupe de patients avec le même procédé, à savoir des patients ayant eu une infection par le SRAS-2, on voit qu'ils ont tous une forte proportion de des cellules T mémoire spécifiques au SRAS-2, quelle que soit leur part de cellules T à mémoire en général. Cela signifie que ce n'est pas seulement qu’un bavardage. Donc, il y a ceux qui ont peu de cellules T mémoire dans leur pool de cellules T entier, on dit pool de cellules T, c'est-à-dire le répertoire global, tout aussi aptes à réagir que ceux qui ont beaucoup de cellules mémoire. Donc, là, ça ne dépend plus seulement du bruit de fond, mais c’est spécifique au virus lorsque vous avez terminé l’infection. […]

En tout cas, ça n'a pas grand-chose à voir avec l'âge, mais plutôt avec la part de cellules T mémoire dans le total des cellules CD4, c'est-à-dire les cellules T CD4. Et ici, nous pourrions introduire la notion d’âge immunologique. Plus nous vieillissons, moins nous avons de cellules T naïves et plus nous avons de cellules T mémoire. Nous avons donc des souvenirs de toutes sortes de choses que nous avons rencontrées sur le plan immunologique au cours de notre vie entière. Et à un moment donné, il est donc faux de dire, la plupart des cellules T sont des cellules mémoire, mais la proportion de cellules mémoire dans le pool de cellules T augmente. On peut le dire comme ça.

Et maintenant, on peut examiner de plus près ces cellules T chez les patients qui ont eu le virus ou qui ne l’ont pas eu. Ce qui est fait ici pour vérifier ces cellules T en laboratoire n'est pas de les mettre avec le virus entier, mais plutôt avec un grand nombre de fragments de protéines virales […] quelque chose comme des bouchées, que ces cellules aiment particulièrement manger. Ils sont bien présentés et on ajoute aussi des cellules de présentation. On les présente ensuite aux lymphocytes T pour évaluation. Et on voit comment les lymphocytes T réagissent. […] Ils sont comme des journalistes, ils voient quelque chose et ils commencent à en parler. Et ces cellules T peuvent soit envoyer un signal très clair […] ou alors elles peuvent être stimulées contre tous les fragments de ce virus, c'est-à-dire qu'elles répondent à n'importe quel fragment du virus. Ou elles ne répondent qu'à quelques fragments du virus. Une distinction intéressante est faite ici dans l'étude. Si vous testez des patients infectés par le virus SRAS-2, leurs cellules mémoire répondent très bien à tous les fragments possibles du virus, en particulier aux grosses protéines structurelles du virus, S, M et N. Ce sont les plus grosses protéines du virus, le virus en a beaucoup, elles constituent une grande provocation pour le système immunitaire. Les cellules T [réagissent fortement] à n'importe quel morceau de ces grosses protéines. Par contre, c’est différent avec les cellules des patients n'ayant pas eu de contact avec le SRAS-2. [...] Les cellules T réagissent également, mais elles réagissent de manière très différente aux protéines de ce virus du SRAS. Donc contre certaines protéines elles ne réagissent pas du tout, contre d'autres protéines elles réagissent [de façon partielle]. Et puis elles réagissent également contre des protéines qui ne sont en fait pas très stimulantes chez les patients qui ont déjà eu le virus. C'est donc une réaction très désordonnée. Elles ne réagissent pas comme les cellules T de vrais patients. C'est une constatation intéressante. La réaction est impropre et dispersée. La réaction se distribue de manière fragmentée contre tout le virus, tandis que chez ceux qui ont eu l'infection, ce type de réaction vise spécifiquement les grandes protéines du virus.

[…] ce n'est donc qu'une réaction fragmentaire. Et maintenant, allons plus loin. Par exemple, on peut dire: retirons les cellules T qui réagissent contre les protéines des coronavirus du rhume des patients - qu'ils soient infectés ou non par le SRAS. Maintenant, on ne teste pas le virus SRAS-2, on teste les autres coronavirus. Et ce qu’on voit ici est intéressant. On prépare ces cellules, c'est vraiment de la haute technologie [...] Des lymphocytes T préparés qui réagissent contre ces coronavirus du rhume ont à nouveau été testés pour voir leur réaction. Il est intéressant de noter qu'il y a une réactivité croisée, d'un alphacoronavirus à l'autre. Ainsi, le coronavirus humain 299E réagit de manière croisée contre le coronavirus humain NL63. Et cela existe aussi au sein des coronavirus bêta. Ainsi, le coronavirus humain OC43 réagit de manière croisée contre le coronavirus humain HKU1, mais pas entre les coronavirus alpha et bêta, pas entre les genres. Autrement dit, ces virus semblent être si éloignés les uns des autres qu'il n'y a plus de stimulation croisée ou d'activité croisée appropriée et pertinente. Chose intéressante, cette activité croisée contre le virus SRAS-2 n'existe pas du tout.

Hennig: Aucun des deux.

Drosten: Exactement. Cela correspond exactement à ce que je peux bien juger en tant que virologue, à savoir à quel point ces virus sont éloignés les uns des autres, dans leur degré de relation. On a le virus du SRAS, qui est aussi un coronavirus bêta, mais [de très loin]. Génétiquement, nous dirions qu'il s'agit d'un coronavirus bêta basal du point de vue de ces deux virus. C'est à peu près à la même distance des autres [...]. J'aime toujours expliquer cela aux étudiants avec des exemples géographiques. Ce serait comme dire Mayence et Cologne, toutes les deux en Allemagne de l'Ouest et clairement éloignées, il faut conduire un peu. Et maintenant, on dirait que Cologne est en Rhénanie du Nord-Westphalie et Mayence est en Rhénanie-Palatinat, ce sont deux Länder différents. Mais Bielefeld est aussi en Rhénanie du Nord-Westphalie. [...] Bielefeld est définitivement plus proche de Cologne, mais quand même assez loin. C'est à peu près la même distance des deux, même si nous devons admettre que c’est plus proche de Cologne. [...] Donc le virus SARS-2 est Bielefeld et ce coronavirus bêta, donc OC43 par exemple, ce serait Cologne et un coronavirus alpha, Mayence. Vous pouvez donc imaginer un peu, à partir des degrés de distance.

Hennig: Les habitants de Cologne et de Mayence se sentiraient probablement aussi plus proches les uns des autres, comme les coronavirus alpha et bêta.

Drosten: Oui. Il existe en fait des similitudes générales qui ne peuvent être expliquées géographiquement, comme le carnaval. Mais là on est en train de devenir très divertissants ici.

Hennig: Ce fut important dans le processus d'infection. Mais nous ne poursuivrons pas dans cette voie... 

Drosten: Exactement. Pour revenir au problème: Sur la base de cette découverte, nous pouvons dire qu'il n'y a probablement que peu de réactivité croisée réelle, de protection croisée contre le virus SRAS-2. Et nous pouvons faire une autre vérification croisée. On peut aussi à nouveau préparer les cellules des patients ayant eu le SRAS-2 et les stimuler à nouveau contre ces virus humains, contre les coronavirus du rhume et aussi contre des virus témoins. Et ce que nous voyons, c'est que la stimulation est relativement mauvaise partout. […] En d'autres termes, il est hautement improbable qu'il existe une véritable protection croisée.

Hennig: Cette immunité que beaucoup espéraient.

Drosten: Exactement. Nous pouvons probablement dire que ce que vous voyez dans ces études n'est pas une immunité croisée, mais juste une activation croisée, une réactivité croisée. Les cellules émettent un signal, mais ce n'est certainement pas assez puissant et actif pour vraiment empêcher une infection de pénétrer dans le corps. On ne peut donc probablement pas vraiment parler d'immunité. Et bien sûr, c'est maintenant une constatation individuelle. D'autres études doivent être faites. Et les auteurs s'expriment ici prudemment. Soit dit en passant, cela ne signifie pas du tout qu'aucune immunité cellulaire ne découle d'une infection par le SRAS-2. Nous n'avons pas du tout vérifié cela ici, il s'agit simplement d'activation croisée.

Hennig: [Donc] l'espoir qu’en ayant eu beaucoup de rhumes dus à des coronavirus communs, je suis relativement protégé n’est plus sur la table.

Drosten: Eh bien, «plus sur la table» n'est pas formulé assez prudemment, de mon point de vue. Je serai encore plus prudent, comme les auteurs. Malheureusement, il est vrai que l’espoir s’est un peu affaibli qu’il y ait un effet à l’échelle de la population.

Hennig: […] Y a-t-il un inconvénient possible à cette réaction non spécifique des cellules mémoire T?

Drosten: Oui, ce qui a été fait dans l'étude après avoir constaté cette façon incomplète et impropre de réagir des cellules T […] c’est qu’on a aussi examiné la situation des patients qui ont cette maladie derrière eux, l'infection SRAS-2, selon que le cours ait été bénin ou grave. [...] Et là, on a une autre découverte intéressante. Je ne vais citer que brièvement quelques résultats. Par exemple, les patients qui ont eu un cours sévère ont en fait cette manière impropre de réagir; lorsqu'ils sont exposés aux fragments protéiques du virus SRAS-2, ils ne réagissent pas aussi bien avec le signal à ces protéines structurales, mais ils ont besoin d'un nombre relativement grand de fragments, des fragments protéiques d'autres morceaux du virus, pour pouvoir le faire, bien qu'ils réagissent déjà fortement dans l'ensemble, c'est-à-dire qu'après l'infection ces cellules mémoire sont présentes. Il y en a beaucoup, on peut le mesurer. Il y a donc pas mal de signal, mais le schéma de cette réaction n'est pas aussi net que chez ceux qui ont eu des cours bénins.

Et cela peut maintenant être corroboré par d'autres tests de laboratoire. Par exemple, on peut regarder la diversité des cellules T dans leur schéma de transcription. Il s'agit donc d'une caractérisation de l'activité métabolique générale au niveau de l'ARN. Et sur cette base, vous pouvez reconnaître des modèles qui rendent certaines unités fonctionnelles de cellules T qui descendent les unes des autres, on parle de clones, identifiables. Et on peut dire que les patients avec une maladie sévère ont une [...] situation polyclonale, c'est-à-dire plus grande diversification des clones de lymphocytes T existants, tandis que les patients qui ont eu un cours bénin ont une très forte clonalité après l'infection. On voit aussi très bien les clones de CD8, les vrais effecteurs du système immunitaire cellulaire qui attaquent les cellules infectées, comme vous l'imaginez, où il y a une intervention vraiment spécifique des cellules T, alors qu’elle n'est pas terrible chez ceux qui ont eu une maladie grave.

Ce modèle de réaction non ciblée est plus courant chez les patients qui présentent les caractéristiques d'un système immunitaire âgé. Logiquement, cela se produit également plus fréquemment chez les personnes âgées. Mais le véritable déterminant est précisément cette mesure de l'âge immunitaire dans le test de laboratoire, qui y est corrélée. Donc, en d'autres termes, si vous avez beaucoup de cellules T mémoire (et moins de cellules T naïves), alors vous n’êtes pas en mesure de construire une nouvelle réactivité immunitaire ou une nouvelle mémoire immunitaire, comparé à quelqu’un qui a encore beaucoup de cellules T naïves, un système immunitaire jeune. Il est plus susceptible de construire une nouvelle mémoire immunitaire spécifiquement contre ce virus, tandis qu'une personne âgée utilisera d'anciennes expériences qui ne sont pas toujours correctes, et générera une réponse dispersée.

Hennig: […] Donc, si je suis plus jeune mais que j'ai survécu à un cancer ou à une autre maladie chronique, mes cellules T pourraient être exposées à une maladie grave, n'est-ce pas?

Drosten: Je ne veux rien en déduire pour des maladies particulières. Parce que les maladies immunitaires tombent dans cette direction et dans l'autre. Mais en principe, si vous avez un système avec des cellules T prématurément âgées, avec avez moins de cellules naïves et une part de cellules mémoire élevée, alors ça pourrait être prédictif d’une évolution plus sévère [...]

Hennig: Mais en règle générale, un âge immunologique plus avancé s’accompagne d'un âge biologique plus élevé chez l'homme.

Drosten: C'est vrai, cela va de pair, bien sûr, c'est très clair. Seulement ici dans cette étude, pour la première fois, un regard très précis a été porté sur la cause et l'effet. Il est probable que la cause réelle d’une évolution sévère ne soit pas purement l'âge biologique du patient, mais l’âge immunitaire.

Que signifient ces résultats pour le développement de vaccins?

Hennig: Pouvons-nous tirer de cette découverte sur les cellules T, qui réagissent différemment, de nouvelles connaissances ou de nouvelles questions pour le développement de vaccins et de médicaments?

Drosten: Oui, bien sûr, on peu certainement le faire. Les cellules T sont absolument essentielles. Et c'est exactement ce qu’on veut faire avec la vaccination, déclencher une mémoire immunitaire, la créer pour que le système immunitaire soit préparé. On veut qu'il y ait des cellules mémoire, à la fois des cellules mémoire CD8 et CD4, et bien sûr des cellules mémoire dans la zone des cellules B. Et puis nous voulons obtenir des anticorps à partir de la zone des cellules B, obtenir une réaction cellulaire de cette zone des cellules CD8-T et ensuite aussi un effet bénéfique de la zone de mémoire CD4. Et c'est souvent un effet d’entraînement. Donc, il y a des cellules CD4 qui ont une mémoire immunitaire, qui disent ensuite aux cellules CD8: vous devez aller dans les poumons, vous n'avez pas à errer partout dans le corps, allez voir ce virus dans les poumons. Ce serait bien sûr également bien si un tel vaccin était introduit dans les poumons afin que cette mémoire immunitaire spécifique s’y forme. Et ce n'est pas si facile de mettre un vaccin dans les poumons, par contre dans le nez oui. Ce n'est pas la première génération de vaccins qui y parviendra, on fait en général des injections intramusculaires. Mais il y a des gens qui pensent déjà à une vaccination par le nez au lieu d’une injection. Pour que cette information soit donnée localement [...] et que certains lymphocytes mémoire dirigent alors la réaction immunitaire vers les voies respiratoires. [...]

Je pense qu’il faudra parler de vaccins encore et encore dans les prochains podcasts, car heureusement ce sujet reviendra. Heureusement, il y aura bientôt des vaccins, espérons-le très bientôt, «très bientôt» signifie quelques mois.

Hennig: Et ce n'est pas le premier vaccin qui fera [l’affaire].

Drosten: Probablement pas. Pas dans le sens d'une immunité stérile, donc pas comme la rougeole - une vaccination et une immunité à vie - ce ne sera pas aussi facile. Vous serez certainement d'abord protégé contre les symptômes sévères, mais pas contre un petit rhume [...]. Et il existe des vaccins conçus pour induire une réponse cellulaire contre le virus. Et d'autres [pour] une bonne réponse des anticorps neutralisants. Il faudra donc regarder plus précisément à quel point se forme une bonne mémoire immunitaire au niveau des cellules CD4. Ce ne sera certainement pas pareil avec tous les vaccins.

Hennig: Monsieur Drosten, pour terminer - nous avons parlé de l'âge immunologique et biologique: dans quelle mesure est-il important que les personnes âgées apparaissent dans les études sur les vaccins? Et dans quelle mesure est-ce possible? Une étude récente de la JAMA Internal Medicine affirme qu'elles sont sous-représentés dans de nombreuses études.

Drosten: Oui, c'était probablement le cas depuis le début, c'est en fait assez naturel. Les vaccins sont d'abord évalués [sur] leur efficacité et leurs effets secondaires. Il est donc clair quel type de patients on sollicite dans les études: de préférence des jeunes en bonne santé, bien sûr pas d'enfants, mais des adultes qui ne souffrent d'aucune maladie. Mais il est évident pour les fabricants de vaccins [...] que lorsque les vaccins seront disponibles, il n'y en aura pas assez. Ils savent aussi que les vaccins ne seront pas parfaits: avec la première génération de vaccins on essaiera de vacciner préférentiellement [certains] groupes. Cela inclut également les personnes âgées. C'est pourquoi il est certain […] que les phases trois incluront aussi progressivement des patients plus âgés. Sinon, on ne pourra pas les recommander à ces groupes de population plus âgés.