vendredi 17 juillet 2020

Appli, contact tracing : modélisation de Christophe Fraser. Podcast #27 du 3 avril 2020


Anja Martini: M. Drosten, nous parlons maintenant d'applications mobiles, anonymes, qui fonctionnent avec le Bluetooth. Il existe une première étude d'Oxford. Qu'est-ce que vous enpensez?

Christian Drosten: Oui, il s'agit d'une étude du groupe de Christophe Fraser , certainement l'un des meilleurs modélisateurs en épidémiologie. C'est une étude très intéressante, publiéedans "Science". Le but ici est d'abord [d’affiner] un modèle épidémiologique [afin de le rendre] plus précis, [grâce aux données fournies par] la littérature scientifique. On a maintenant de plus en plus de descriptions de paires de transmission dans la littérature eton peut donc mieux déterminer le temps qu’il faut entre deux générations. […] [Cela] alimente un modèle mathématique qui existe déjà afin de dériver certains paramètres et certaines parties de l'ensemble de l'activité de transfert. Le taux de reproduction R0 a été réévalué à 2. Il s'agit d'une valeur relativement faible lorsque vous regardez ce que d'autres analyses ont trouvé auparavant, environ 2,5.

Anja Martini: Donc, une personne en infecte deux autres.

Christian Drosten: Exactement. Maintenant, bien sûr, nous avons la possibilité de décomposer ces transmissions. Et la question qui se pose d'abord à ce modèle mathématique est: quelle est la proportion de transmissions présymptomatiques, de transmissions symptomatiques, mais aussi de transmissions environnementales et de transmissions asymptomatiques? Donc, asymptomatique signifie un porteur qui ne ressent jamais lui-même de symptômes. Et présymptomatique signifie avant que l'émetteur ne présente des symptômes. […] On a donc: présymptomatique 0,9 ; symptomatique 0,8 puis la transmission environnementale 0,2, transmission asymptomatique 0,1. Si vous ajoutez ces quatre valeurs ensemble, vous obtenez à nouveau 2.

Si vous visualisez maintenant les chiffres, vous arriverez d'abord à la conclusion que la part de transmission présymptomatique est de 46 % de l'activité de transmission totale. C'est une valeur dont nous avons également discuté il y a quelques jours.

Anja Martini: La personne infectée transmet donc le virus avant même d'être malade et ne le remarque tout simplement pas.

Christian Drosten: Exactement. Donc, près de la moitié des contaminations se fait avant les symptômes. Ce sont des valeurs moyennes, à partir de nombreux émetteurs, puis intégréesdans un modèle mathématique. La valeur R0 à 2 semble être une bonne nouvelle, car nous avons alors moins à faire afin d'abaisser le R0 en dessous de un et donc stopper l'épidémie. Cependant, si vous réalisez maintenant que 46% des contaminations ont lieu avant les symptômes, il sera bien sûr très difficile d’en réduire le nombre. Parce que vous ne pouvez isoler que des patients symptomatiques. Ces considérations sont maintenant intégrées dans un calcul intéressant: Que pouvez-vous réellement faire pour identifier une personne infectée? Combien de temps faut-il pour la reconnaître? Et combien de personnes ont-elles infectées pendant cette période, car 46% de la transmission se produit avant le début des symptômes? Et parce qu'il faut également un certain temps avant qu'un diagnostic soit faitaprès l'apparition des symptômes, et avant que les cas contacts puissent être identifiés.[...]Même si vous isolez immédiatement au début des symptômes, cette personne aura déjà infecté des gens, et ceux-ci également à leur tour au moment où les symptômes commencent chez le premier patient.[...] Nous avons observé quelque chose comme ça dans l'étude de suivi des cas de Munich et nous nous sommes interrogés à ce sujet. Mais maintenant, il existe en principe une preuve quantitative qui étaye vraiment le tout avec des chiffres.

Maintenant, cette étude fait un calcul très intéressant sur les possibilités d'intervention. Et ce qui ressort en fait de l'étude, c'est qu’on tarde à identifier les cas et les contacts, car tout dépend de la reconnaissance des patients symptomatiques. Il importe vraiment qu'un patient symptomatique ne soit pas longtemps symptomatique avant d'être testé. Et puis vient le test, puis la chaîne de reporting s'exécute. Ensuite, le service de santé doit venir demander: avec qui étiez-vous en contact? Ensuite, ces contacts sont identifiés... Tout celaest si long que, selon les derniers calculs, vous avez depuis longtemps perdu la plupart du temps dont vous avez besoin pour retirer le patient de la chaîne de contamination. En d'autres termes, avec ces calculs solidement basés sur les chiffres les plus récents, on peut dire qu'à partir d'un certain point de l'épidémie cette épidémie ne peut pas être stoppée avec des diagnostics ciblés, le suivi des cas, et l'isolement des contacts. Ce n'est plus possible. Ce que vous pouvez faire pour arrêter une épidémie comme celle-ci, c'est simplementconfiner. Là, vous n'avez plus à suivre aucun cas, car tout le monde est à la maison. Vous pouvez bien sûr prendre une palette de mesures dans le cas d’un lockdown un peu plus léger. Ce qui inclut quelque chose comme une interdiction des réunions.

Anja Martini: Ce que nous avons en Allemagne en ce moment.

Christian Drosten: Exactement, ainsi que les mesures de suivi des cas. Mais il y a aussi des calculs ici qui disent qu'on peut réduire les taux de transmission. Mais les mesures n'ont toujours qu'une efficacité limitée qu’on peut évaluer et on arrive à la conclusion que cette combinaison de mesures ne peut pas réellement arrêter cela. Ensuite, quelque chose d'autre est inclus, c’est le temps que vous obtenez lorsque vous utilisez une application. Cette application peut enregistrer les symptômes - il vous suffit donc d'écrire sur votre téléphone portable: j'ai maintenant des symptômes. Ensuite, l'application dit: D'accord, j'ai déjà envoyé vos données au laboratoire. [...] Ensuite, si le test est positif, l'application peut commencer à suivre les autres téléphones portables avec lesquels vous avez été en contact. [...] Et lesautres utilisateurs sont alors informés. "Vous avez été en contact avec un malade pendant la période infectieuse."

[…] avec une telle application, combien de temps faut-il entre le diagnostic et l'information des contacts ? […] Tous ces paramètres ont été intégrés dans le modèle. Et on peut direqu’avec une épidémie se déroulant au même rythme qu'à Wuhan et si 60% des identifications de cas se faisant via l'application sont suivies (cela signifie que 60% de la population installe une telle application et qu’environ 60 % de ceux à qui on demande de rester à la maison le font vraiment), alors on peut abaisser le taux de reproduction en dessous de un. C'est étonnant.

Mais il y a maintenant quelques restrictions. On dit alors qu'en réalité la vitesse de propagation est désormais plus rapide en Europe qu'à Wuhan au départ. Il y a certainement plusieurs raisons à cela. Densité de population, comportement des populations, mais aussi jusqu'où l'infection a déjà progressé. Bien sûr, cela rend la chose encore plus difficile, de sorte que l'on aurait réellement besoin d'un niveau plus élevé de coopération parmi la population.

Anja Martini: Plus de 60%.

Christian Drosten: Exactement, plus de 60%. Mais c'est réalisable. Communiquer les informations essentielles "Vous étiez en contact avec une personne infectée, vous devriez vous faire tester maintenant" et le temps que vous y gagnerez apporterait en fait beaucoup plus ou presque la même chose qu'un véritable lockdown - selon ce modèle mathématique. Ensuite, il y a quelques autres effets, comme par exemple: dans une "situation d'incidencesélevée", une vitesse encore plus grande pourrait être apportée à l'ensemble du système en disant que nous omettons maintenant cette histoire de test. Nous reprogrammons maintenant cette application qui, lorsque vous avez des symptômes, ne dirait dit pas: "D'accord, j’ai pris RDV au laboratoire", mais indiquerait: "Vous êtes considéré comme positif".

Anja Martini: Et je reste à la maison.

Christian Drosten: Exactement. Ensuite, bien sûr, tous les contacts des derniers jours sont définis comme de vrais contacts. Et on peut renforcer encore la mesure en programmant l’application pour qu’elle ne dise pas aux contacts "Veuillez faire un test", mais: "Nous devons maintenant vous voir comme positif et vous devez aller en quarantaine à domicile." Cela signifie que vous avez une option d'intervention, par exemple de la part des autorités sanitaires, qui pourrait se faire durant un certain temps ou pour une certaine zone, à l’image de ce qu’on entend en ce moment, [avec certaine endroits qui doivent être reconfinés car l’épidémie reprend]. Au lieu de cela, vous pourriez – [c’est ce que m’inspire cet article] – simplement modifier la sensibilité d'une application et avoir ensuite la possibilité d'avoir des possibilités d'intervention plus ou moins sévères.

Bien sûr, il faut dire qu’on peut combiner une telle application, avec d’autres mesures qui réduisent la transmission de l'infection, telles que le port de masques. Bien sûr, cela n'est pas inclus ici, car nous ne savons pas dans quelles proportions le port de masques pourrait éventuellement réduire l'activité de transmission si tout le monde en portait un ; il n'y a pas d'estimation numérique. […] Et c'est une vraie perspective. Dans le débat actuel, emprunt d’un certain désespoir, « comment sortir de ces mesures? », « que faire ensuite ? », l'idée qu'une telle application, surtout si beaucoup y participent, puisse téléguider des mesures à un niveau fin et permettre à la vie normale de continuer, me fascine. Pas de lockdown, les entreprises peuvent travailler, les écoles fonctionner, mais pas pour tout le monde et pastout le temps. Mais à un moment donné, vous recevez ce message sur votre portable: veuillez vous placer en quarantaine à domicile. Et vous pourriez le montrer à votre employeur [...]

La PCR. Podcast #21 du 25 mars



Peut-être pouvons-nous éclairer un peu le grand public: le test pour le virus est un test PCR, c'est-à-dire une réaction de polymérisation en chaîne (Polymerase Chain Reaction) . Les informations génétiques du virus sont reproduites, ce qui génère une réaction colorée. En termes simples, que se passe-t-il exactement?

Christian Drosten: Il s'agit d'une réaction dans laquelle le génome du virus est copié et dupliqué. Il s'agit d'une invention de la fin des années 1980, qui a de plus en plus pris le pas sur la mise en culture [...] des bactéries ou virus, notamment en virologie; beaucoup est encore mis en culture en microbiologie. Tout simplement parce c’est à la fois très sensible et très rapide, en termes de processus, et qu’il y a également un haut niveau de spécificité. C’est-à-dire que ce que vous y trouvez est vraiment ce que vous recherchez. Car vous devez mettre de petits morceaux d'ADN, des molécules physiques, dans cette réaction pour reproduire ce qui correspond exactement à ces molécules. Cela signifie: si je veux détecter ce nouveau coronavirus dans la réaction de polymérisation en chaîne, par exemple, alors je dois produire de petits morceaux de ce nouveau coronavirus en laboratoire, sous la forme d'ARN, de petits extraits d'ARN qui sont constitués d'environ 20 bases et qui se fixeront ensuite au génome. Et ils ne peuvent le faire que s'ils sont presque ou complètement identiques dans leur formulation, c'est-à-dire dans la séquence de base, au génome du virus à rechercher. Et s'il y a un autre virus un peu similaire mais quand même différent, cela ne se fera pas.

Korinna Hennig: Cela signifie que les autres coronavirus n’apparaîtront pas de manière incorrecte ici?

Christian Drosten: Exactement. Nous ne détecteront pas les quatre virus du rhume, lescoronavirus humains. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons que le test ne soit positif que si ce nouveau virus est vraiment présent.

Korinna Hennig: Le test montre la présence du virus, comme vous venez de l'expliquer, pas la réponse immunitaire du patient. Cela signifie que si j'arrive trop tard, [le test ne sert plus à rien]?

Christian Drosten: Avec cette maladie, au cours de la première semaine des symptômes, les échantillons de la gorge sont très fiables avec la PCR. Et puis, au cours de la deuxième semaine, ils ne sont plus toujours positifs. Ensuite, le patient présente encore des symptômes, mais un frottis de la gorge ne peut plus le prouver. Ce n'est pas parce que le test n'est pas bon, c'est simplement parce que le virus n'est plus présent dans la gorge, mais dans les poumons. Nous savons maintenant que même chez des patients qui ont des formes légères, c'est-à-dire qui remarquent à peine leur maladie, il y a encore beaucoup de virus dans les poumons. Et cela pendant environ deux semaines, voire trois semaines, pour les cas les moins compliqués. Pendant tout ce temps, on peut détecter le virus des poumons avec cette réaction de polymérisation en chaîne. Mais il n’est pas toujours possible de faire cracher un échantillon venant des poumons, de sorte que les écouvillons de la gorge sont en fait l'échantillon le plus courant. Ce qu’on peut faire, mais ce n'est pas encore systématisé, c'est prélever un échantillon de selles. Le virus y est également détectable et pendant assez longtemps, aussi longtemps ou presque que dans les poumons.

Korinna Hennig: Mais ce n’est plus infectieux, nous en avons déjà discuté. Cette infectionpar contact - comme avec les norovirus par exemple - n'est pas une voie de transmission pour le coronavirus.

Christian Drosten: Oui, exactement. Dans nos investigations, le virus est détectable dans les selles. […] Mais il ne semble pas que ce soit infectieux. Nous pouvons dire cela parce que nous mettons le même échantillon en culture cellulaire et voyons ensuite si un virus [se multiplie]. Et ce n'est pas le cas.

Korinna Hennig: Si nous revenons à l'écouvillon de la gorge, et sa variante la plus courante ; il y a parfois des images dans les reportages télévisés de centres de test provisoires, dans lesquels les gens [font eux-mêmes le prélèvement] dans la voiture. Dans quelle mesure est-il important que ce test soit effectué correctement? [Comment faut-il s’y prendre]?

Christian Drosten: Il faut aller au fond de la gorge, il y a en fait deux options. La première esten passant par le nez. Il faut donc passer par-dessus le plancher nasal, et ça fait mal. Vous avez les larmes aux yeux. Il faut aller jusqu’à ce qu’on trouve de la résistance. […] Et l'autre voie est beaucoup plus agréable: tout simplement par la bouche. Mais vous devez vraiment aller au fond de la gorge. Quand vous ouvrez la bouche et regardez dans le miroir, vous voyez qu'il y a le voile du palais. Il ne faut pas prélever devant ce voile, mais [derrière]. Levoile du palais est l'endroit où la luette est attachée. Il faut frotter à cet endroit pour [le prélèvement], car c’est là qu’il y a beaucoup de résidus de virus.

Korinna Hennig: Cela signifie que si le prélèvement [n’est pas bien fait, cela peut donner] un faux négatif, même si le test lui-même est très sensible, c'est-à-dire très sensible?

Christian Drosten: Heureusement, nous avons une bonne marge en termes de sensibilité. Je pense qu'il est peu probable que le virus ne puisse pas être détecté. Surtout si vous faites deux prélèvements, comme c'est le cas avec la plupart des patients, deux écouvillons. [...]

Ce qu’on voit parfois dans ces vidéos ou photos explicatives, [c’est qu’au moement où la photo est prise, l’écouvillon se trouve juste à l’avant de la narine], ce qui suggère que ce serait suffisant, mais ça ne l’est pas. Il faut vraiment passer par le nez jusqu'à atteindre la gorge.

[…]

Ich habe Besseres zu tun



Bonjour, vous connaissez sûrement déjà mon nom
Vous me reconnaissez à ma belle tignasse
j’ai une jolie blouse, elle est canon
Pour vous, chaque jour, je fais un nouveau podcast

Encore mal cité sur le site du Spiegel
tout ça faut le mettre dans la chanson
Pour une interview y’a Bild qui appelle
je raccroche, c’est trop gonflant

J’ai mieux à faire
Fichez-moi la paix avec cette merde

Ma femme veut regarder le Seigneur des anneaux
Mais je pense sans cesse à d’autres choses
et voilà Merkel encore qui m’appelle, allo !
Me demande si je peux l’aider encore une fois

Je lis 1000 commentaires sur twitter
Est-ce que je ne devrais pas me l’épargner ?
Pour les chapeaux d’alu je suis source de répugnance
Pour tous les autres, le Chuck Norris de la science.
Décortiquer le virus au lieu de scier la borne relai
sauver l’humanité au lieu de chatter sur telegram
respecter la vie au lieu de suivre Hildmann


Version originale:

Guten Tag, sie kennen sicher alle meinen Namen
Sie erkennen mich an meinen schönen Haaren
Habe einen weißen Kittel an, der sieht gut aus
Haue für Euch jeden Tag einen Podcast raus

Schon wieder falsch zitiert bei Spiegel Online
Das muss jetzt alles in diesen Song rein
Die Bild ruft, fragt nach einem interview
Ich lege auf, habe keine Lust dazu 

Refrain:
Ich habe besseres zu tun
Lasst mich bitte mit dem Scheiß in Ruhe 

Meine Frau sagt, Christian, wir schauen Herr der Ringe
Aber ich denke ständig nur an andere Dinge
Und dann ruft mich schon wieder Merkel an
Fragt mich ob ich ihr nicht nochmal helfen kann 

Ich lese auf Twitter 1000 Kommentare
frage danach ob ich es mir besser spare
Für Aluhüte bin ich grauenhaft
Für alle andern der Chuck Norris der Wissenschaft.
Virus zerlegen statt Handymast sägen
Die Menschheit retten statt auf Telegram chatten
Respekt für das Leben statt Hildmann ergeben

lundi 6 juillet 2020

Nouvelles infections en Allemagne, clusters, deuxième vague, écoles. Podcast #50 du 23 juin 2020


Nouveaux cas en Allemagne

Korinna Hennig: Nous avons maintenant une situation dans la vie réelle que nous avons déjà discutée sur papier dans les derniers épisodes de podcast: le taux de reproduction a encore augmenté. D’après l'Institut Robert Koch, il serait autour de 2. Cependant, cela n'est pas dû à la propagation du virus à l'échelle nationale, mais à des épidémies dans des zones localisées. Si nous jetons un coup d'œil à la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, aux nombreuses contagions dans une grande entreprise de transformation de viande: pensez-vous encore que la propagation soit maîtrisable?

Christian Drosten: Je pense que des mesures spéciales sont nécessaires dans cette épidémie. Si vous regardez, il y a quelques indicateurs qui indiquent que le virus s'est déjà propagé à la population. Il faut donc s'attendre à un retard dans la détection de cette maladie: les gens doivent d'abord ressentir des symptômes, les prendre au sérieux, puis aller chez le médecin, puis subir un test, puis cela doit être signalé. Et à un moment donné, on sait qu'il y a déjà suffisamment de cas dans la population pour que cela soit inquiétant.

Hennig: Il ne devait pas y avoir plus de 50 nouvelles infections pour 100.000 habitants, c'est la limite définie par la politique pour imposer de nouvelles mesures. Le Kreis de Gütersloh compte désormais plus de 250 cas pour 100.000 habitants. Ce nombre est-il une limite qui a encore du sens d'un point de vue scientifique?

Drosten: Je pense que ce nombre était un accord, un consensus, qui n'était certainement pas scientifiquement justifié. Il est défini en fonction de nos capacités. Je ne sais pas d'où vient le nombre, qui l'a déterminé. Mais je pense que la réflexion de fond était que les autorités de santé locales puissent faire face à la situation. Ici, dans la flambée dont nous discutons actuellement, la Bundeswehr a fourni une aide supplémentaire. Je pense que la chose la plus importante à faire maintenant est d'empêcher que cela s'étende au-delà de cette zone. Nous avons déjà quelques admissions à l'hôpital liées à cette éclosion. Elles peuvent augmenter. Cependant, les capacités thérapeutiques ne sont pas encore dépassées, et les patients, s’ils devaient s’aggraver, peuvent être transférés. Ils ne sont pas obligatoirement traités dans les unités de soins intensifs locales.

À cet égard, il ne s'agit pas d'une situation nationale, mais il faut empêcher une propagation à bas bruit. On pourra le prouver plus tard si cela se produit, en séquençant les virus. Et je suppose que le virus désormais considérablement amplifié - c'est ce que dit le virologue - a généralement certaines mutations, qui n'ont rien à voir avec le changement de fonction, mais qui permettent de le reconnaître, même s'il voyage. Je suppose que dans quelques mois, nous pourrons dire: Ce virus ici en Allemagne, dans ce lieu, nous pouvons l'attribuer à l'épidémie de Gütersloh. Ce sera probablement possible. Je ne peux pas le dire avec certitude, mais il en sera très probablement ainsi.

Hennig: Pour ce qu’il s’agit de faire sur place, les scientifiques conseillent aussi. Votre laboratoire à la Charité est un laboratoire de référence pour les coronavirus, un organisme consultatif officiel. Est-ce que vous conseillez le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie?

Drosten: Non, nous n'avons aucune fonction là-bas. Pour autant que je sache, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie possède également son propre conseil consultatif, dans lequel de nombreuses spécialités sont représentées.

Hennig: Nous avons déjà parlé des conditions dans les entreprises de transformation de la viande (épisode 42). À l'époque, vous avez dit que ce ne sont peut-être pas seulement les conditions de vie précaires qui favorisent l'infection, mais aussi la situation à l’intérieur des entreprises. Ils travaillent physiquement dans un espace confiné. Ceci est également associé à une forte respiration, et le froid joue un rôle majeur. Des températures frigorifiques prévalent dans ces usines. Une épidémie comme à Tönnies est-elle un aperçu de ce qui pourrait se produire en automne et en hiver en raison de la température? Un avertissement, pour ainsi dire, de la vitesse à laquelle cela peut aller?

Drosten: Oui, c'est comme ça que je le vois. C'est donc bien sûr en automne et en hiver quand il fait environ 8°C, comme c'est le cas dans de telles entreprises, mais on sera quand même dehors. Il y a du vent et le virus s’envole, d'accord. Mais en hiver, nous avons également des situations où on se trouve dans des pièces non chauffées sans mouvement d'air. Il peut donc y avoir des zones d'attente sur les quais etc, des arrêts de bus, toutes ces zones froides et non chauffées, mais avec un toit et quatre murs. Ces zones peuvent alors être une situation environnementale qui correspond à ce qu’on a actuellement dans ces usines. Mais je ne pense pas qu'au final que c’est ça qui qui nous mènera à une deuxième vague. Mais je pense que c’est maintenant que nous devons faire très attention au développement d'une deuxième vague. 



Nous voyons dans les États du sud des États-Unis que nous allons vers une situation terrible malgré des températures ambiantes élevées. Les unités de soins intensifs de certaines régions sont déjà pleines. J'ai vu un message ce matin que les hôpitaux pour enfants sont maintenant ouverts aux adultes dans une ville du sud des États-Unis parce que l'hôpital [n’est plus capable d’admettre de nouveaux patients]. Et on peut déterminer à quoi ça ressemblera dans un mois, malgré les températures élevées. Là, la première vague n'a pas été ralentie efficacement, et on a rouvert trop tôt. Bien sûr, c'est quelque chose qui nous est transférable. Nous sommes donc en été maintenant, et nous avons sûrement encore quelques semaines de détente devant nous en termes d'activité épidémique. Mais à la réflexion, ce n'est peut-être pas l'été qui nous vaut cela, mais simplement le calme que nous avons gagné grâce à ce ralentissement très efficace en Allemagne. Nous n'avons pas eu un lockdown drastique, ni trop long. On avait encore une certaine liberté de mouvement. Au moment où les écoles ont fermé, il y avait aussi les vacances de Pâques. C'était donc très, très peu contraignant en Allemagne. Et nous avons quand même réussi à ramener un niveau si bas. Mais nous voyons aussi comment le virus revient maintenant. Et pas seulement autour de [Gütersloh], mais nous avons aussi des signes à Berlin et d'autres endroits en Allemagne que le virus réapparaît.

Hennig: Devons-nous également être attentifs aux conditions de vie? À Göttingen, par exemple, il s'agit d'un immeuble [donc des] couloirs étroits et des ascenseurs. Cela nécessite-t-il plus d'attention?

Drosten: Ce sont des détails. De la même façon, il est important de faire attention d’être assis dehors au restaurant, par exemple. Et si cela se remplit en terrasse, et l'intérieur aussi, et qu’au fur et à mesure le taux d'alcoolémie des invités augmente ... La question est toujours de savoir qui tire la sonnette d’alarme! Bien sûr, personne ne le fait. C’est comme ça que [le virus] se répand. Je ne veux pas dire qu’il faut intervenir directement. Je veux juste dire qu’il faut être très vigilant en ce moment. Je ne pense pas que dans un mois nous aurons toujours cette situation favorable en ce qui concerne l'activité épidémique. Dans deux mois, je pense que nous aurons un problème si nous ne nous remettons pas en alerte, et si nous n’expliquons pas à la population que les autorités sanitaires ont besoin de soutien et de consensus [...] notre grande force au printemps ont été la cohésion sociale et la sensibilisation du grand public.

Hennig: Il est d'autant plus important de revenir sur le thème des clusters, [et des super spreading events, déjà évoqués (épisode 44), à savoir un événement durant lequel] de très nombreuses personnes sont infectées très rapidement en un seul endroit en très peu de temps.


Les clusters

 
Une étude japonaise a examiné plus de 3000 cas de janvier à avril et identifié environ 60 clusters, et est même remonté aux cas index, c'est-à-dire ceux dont l'infection était originaire. Il a ensuite été constaté que les hôpitaux et les maisons de retraite continuent de jouer le rôle le plus important avec 46%. Viennent ensuite les restaurants, les bars, le travail, c'est-à-dire les situations de travail et les événements liés à la musique avec au moins 11 %, c'est-à-dire les concerts, le karaoké, etc. Qu'est-ce que cela nous dit? Quels sont les paramètres les plus importants que nous devrions considérer en tant que consommateurs normaux?

Drosten: Oui, il est intéressant de noter que cela est représenté dans la façon dont ces épidémies de clusters se produisent. Mais je ne voudrais pas tirer trop de conclusions d'une étude qui a été réalisée au début de l'épidémie. Parce que si nous le faisons maintenant, nous regardons vers l'avenir et supposons que nous pouvons le transférer maintenant. Mais la situation a changé entre-temps - dans tous les pays, y compris au Japon et en Allemagne. Si vous pensez, par exemple, que les hôpitaux et les maisons de soins sont les grands générateurs de clusters là-bas: c'est peut-être vrai, à l'époque. Il n'y avait pas encore beaucoup de patients. Bien sûr, cela commence dans le milieu médical, dans des situations non surveillées, où personne ne pensait à ça à ce moment. Là, nous sommes maintenant beaucoup mieux préparés, alors que nous n'y pensons pas pour d'autres domaines de la vie sociale.

Nous avons déjà expliqué dans ce podcast que le virus se diffuse. Il se diffuse dans d'autres classes d'âge, géographiquement, et dans d'autres domaines de la société. C'est pourquoi nous ne pouvons pas escompter que ce que nous vivrons à l'automne se produira comme ce qui a été observé dans les toutes premières études, et cela peut être transféré à de nombreuses choses. Ceci est également transférable à tous ces aspects des études d'observation intra-familiales dont nous avons déjà discuté. C’est pareil pour les écoles. Ceci est également vrai pour les clusters. Bien sûr, un karaoké en Asie est un endroit où vous êtes ensemble dans un espace confiné et où vous chantez beaucoup; vous savez que des aérosols s'y forment, et on y boit aussi beaucoup. Et c'est une situation typique. Seulement, il faut faire attention quand on dit que c'est là que ça s’est produit. Parce qu'on a ensuite le réflexe de dire: dans d'autres situations, rien ne s'est passé. Il faut vraiment insister qu’au début de l'épidémie, rien ne s'est par hasard produit dans d’autres endroits. Mais maintenant que le virus se propage à bas bruit partout - je ne parle pas seulement de l'Allemagne, mais en général, nous voyons des choses complètement différentes dans d'autres pays - le virus apparaîtra partout. C'est pourquoi il vaut mieux penser globalement. Donc pas trop de monde, pas dans une pièce fermée. La désinhibition par l'alcool joue certainement un rôle. Musique forte qui oblige à crier, et donc plus d'aérosols qui se forment. Tout ça n’est pas bon.


Questions diverses
 
Hennig: [...] Le rôle des personnes infectées asymptomatiques est-il peut-être encore plus important que ce que nous pensions à l'origine?

Drosten: C'est relativement difficile à quantifier pour le moment car asymptomatique et présymptomatique ne sont toujours pas vraiment différenciés. Asymptomatique, dans le sens qui ne présente vraiment aucun symptôme durant toute la maladie, c'est quelque chose de très subjectif. L'un va dire: "Je n'ai eu aucun symptôme, je me sentais bien tout le temps". L'autre dira : "Non, mon nez était tout le temps bouché, je pouvais à peine respirer. J'avais aussi mal à la gorge."

Hennig: Que savons-nous de la charge virale et sur le temps d’infectiosité si quelqu'un ne développe aucun symptôme?

Drosten: Certaines études suggèrent que la concentration virale est un peu plus faible et que l'excrétion du virus est un peu plus courte chez les personnes asymptomatiques. Mais je ne voudrais pas généraliser.

Hennig: La saison des voyages approche. Dans cette étude japonaise sur les clusters, il n’y a qu’un seul cluster avec contamination dans un avion. Vous avez de l’expérience du SRAS-1. Il y a déjà eu des transmissions en avion, ou quand une machine est pleine?

Drosten: Oui, il y a des données, également avec le SRAS-1. Mais la transmission de la grippe dans les avions est bien meilleure. De manière générale, la ventilation dans les avions est très favorable à cet égard. Il n’y a pas de propagation dans le sens de la longueur, ce qui est dû au type de flux d'air. On a de bonnes connaissances à ce sujet, que possèdent également les autorités sanitaires, et qui [sont utilisées lorsqu’on doit déterminer les cas contact].

Hennig: Cependant, les évaluations diffèrent un peu quant à l'efficacité d'un tel système de ventilation et des filtres HEPA. Si plus de gens prennent maintenant l’avion, ne vous attendez-vous pas à ce que les contaminations augmentent, aussi parce que tous les sièges sont occupés ?

Drosten: Avec la connaissance que j'ai des conditions techniques environnementales, je m'inquiète plus pour les zones d'attente avant et après le départ, où vous êtes parqués avec beaucoup de gens, [pour un temps plus long que la durée du vol].


Deuxième vague, écoles

 
Hennig: Nous venons de parler des autres pays qui pourraient connaître une deuxième vague. Un pays a attiré l'attention au cours des derniers jours et semaines parce qu'il semblait avoir assez bien maîtrisé le virus, en réagissant tôt - mais maintenant la courbe est à nouveau en hausse: je veux parler d’Israël. Y a-t-il un risque de deuxième vague? Comment évaluez-vous cela?

Drosten: C'est comme nous l'avons déjà dit dans le podcast: cela dépend de nous. Et c'est pareil en Israël. Bien sûr, c'est à nous de prendre des mesures lorsqu’un seconde vague s’annonce. Et puis: qu'est-ce qu'une seconde vague? Comment définissez-vous cela? Ce n'est pas vraiment défini. Je dirais qu'une fois que vous avez vu que l'incidence a baissé d'elle-même, comme en Allemagne, et ne remonte pas immédiatement, on pourrait dire que c'était la première vague. C'était également le cas en Israël. Maintenant, tout a été rouvert, ce qui est comparable à la situation allemande. Et on voit que les cas reviennent. Vous pouvez également voir ce que nous avons toujours dit ici, qu’il y a des flambées dans les écoles, et de façon importante. Et on doit à nouveau fermer les écoles pour contrôler cela. C'est quelque chose que nous devons garder à l'esprit. Et dans la discussion sociale que nous devons avoir cet été, nous devons reconnaître que sur ces questions, ce n'est pas aussi simple que ce que nous pensions, à savoir: que les enfants n'ont rien à voir avec ça.

Hennig: Pouvons-nous apprendre quelque chose d'Israël, en particulier en ce qui concerne le thème de l'école. Que pouvons-nous faire différemment, tant que nous contrôlons la situation?

Drosten: Si je comprends bien - mais je ne fais que lire les journaux - les écoles là-bas ont été ouvertes assez largement en misant sur le contrôle des symptômes chez les élèves, puis ils ont constaté qu’il y avait des cas. Je ne dirais pas pour le moment qu'il s'agit d'une mauvaise approche. Je dirais plutôt que nous avons le cas d'un pays qui s'est très bien comporté lors de la première vague et qui a été très efficace, puis qui a peut-être ouvert un peu plus tôt que le nôtre. Et c'est ce qu’on voit maintenant. J’ai des conversations avec des collègues, par exemple aux Pays-Bas, je sais que les écoles ont été ouvertes un peu plus tôt, mais pas complètement. Il y a d'autres problèmes là-bas. Il a été dit que les élèves présentant des symptômes devaient toujours passer un test PCR, sans quoi ils ne pouvaient pas revenir à l'école. Et ce qui s'est passé est quelque chose qui nous arrivera si nous agissions comme ça (tester chaque élève symptomatique). [Si] l'élève X ne vient pas aujourd'hui parce qu'il doit faire le test PCR, qu'est-ce que ça veut dire? Cela signifie-t-il que parce qu’il s'est assis à côté de nous ces derniers jours, il nous a transmis le virus ? Du coup, tout le monde a peur et en discute. S'il revient le lendemain et dit que le test a été négatif, on se demande alors: Quelle est la signification d'un test de PCR? Et s'il se testait à nouveau? Serait-il encore négatif? Pouvons-nous compter là-dessus? Et il y a des craintes et des discussions. Il existe une sorte de stigmatisation qui est très inconfortable et discriminatoire. Les collègues à qui j'ai parlé m'ont dit qu'après deux semaines en Hollande, ils ont abandonné ce type de test. [...]

Mais cela ne signifie pas qu’il faut de nouveau fermer les écoles parce que vous ne pouvez plus garantir la sécurité ou quelque chose. Et maintenant? Et cette interrogation est là. C'est une interrogation sociale.

Nous devons nous attendre à ce que nous nous heurtions à de telles situations si nous ne nous y préparons pas et essayons d'y répondre à l'avance, également en dialoguant avec les pays voisins qui ont vécu de telles expériences [...]

Le rôle de la science [dans] la société, deviendra plus important que jamais au cours des prochains mois, et sera également très fortement reflété dans le débat sur le climat, par exemple, où il s'agit exactement du même sujet de fond.

Hennig: Si nous revenons sur cette question, que pouvons-nous faire dans les écoles? Nous sommes largement d'accord sur le fait que les enfants ne devraient pas rester sans éducation ou une éducation lacunaire, que des écoles devraient en fait être ouvertes. Faut-il repenser à des méthodes de tests alternatives? Des tests en pooling ou salivaires, ou avec des échantillons de selles?

Drosten: Oui, donc la méthodologie de laboratoire apporte certainement beaucoup de réponses possibles à ce que vous pouvez faire. Mais je pense que les gens y pensent déjà. Avec le fédéralisme, nous avons différentes approches, différents organes consultatifs. Je crois que les virologues et autres experts de chaque Land conseillent actuellement leurs politiciens respectifs sur ces questions. Il y a des réponses techniques, dont nous avons discuté en partie de façon détaillée, jusqu'aux paramètres de performance de ces tests. Quelle est la sensibilité, par exemple, même maintenant avec des tests sérologiques qui arriveront aussi, nous en avons parlé dans le podcast. [...] Nous devons regarder au jour le jour. Et nous devons voir ce qui se passe.

Et nous venons de dire qu'il y a clairement des flambées scolaires en Israël. Nous voyons dans le journal: les écoles de Melbourne sont touchées par le virus, après une période d’accalmie. À Münster, à plusieurs endroits en Rhénanie, maintenant à Dortmund et à Francfort, nous avons eu des cas dans les écoles où il faut regarder de très près pour voir si se sont des flambées ou si ce sont des cas individuels. Nous avons une flambée à Berlin-Charlottenburg, si je suis bien informé. Y a-t-il d'autres contaminations là-bas? Plusieurs élèves et travailleurs scolaires sont touchés en même temps. Cela ne peut s'expliquer que par une contamination à l'école.

Nous avons également discuté de nombreux paramètres environnementaux ici dans le podcast, de la charge virale au taux d'attaque secondaire dans les études intra-familiales, et nous avons également beaucoup discuté de la raison pour laquelle certaines de ces études faites pendant le lockdown ne montrent pas nécessairement ce qu’on verra plus tard. Tout cela parce qu'après le lockdown – avec la recrudescence des cas - le virus se distribue dans différentes tranches d'âge et différentes couches sociales. Nous aurons une situation différente lorsque nous sortirons des vacances d'été. Pour le moment, tout cela conduit à une situation dans laquelle beaucoup de gens sont déstabilisés, car il y a des informations contradictoires. Je crois qu'un citoyen intelligent peut comprendre ce qu'est la charge virale. Ce n'est pas sans raison que nous avons autant d'auditeurs dans ce podcast. […] Ces gens qui réfléchissent ne peuvent bien sûr pas croire les médias qui disent: mais les enfants ne sont pas impliqués. On a même lu quelque part que les enfants ralentissaient le processus d'infection. Il est alors évident, même pour quelqu’un sans formation biomédicale de base, que quelque chose se contredit ici. Et dans cette discongruence, on a le sentiment que des décisions comme la réouverture des écoles sont prises, alors qu'il s'agit d'un événement en continu avec un grand nombre de participants. Cela n'aide pas si certains groupes d'intérêt disent: Les enfants pauvres ne tombent pas malades du tout et ils ont droit à l'éducation. C'est tout à fait vrai. Et bien sûr, ce sont aussi des gens comme moi qui doivent dire: d'une part, je suis citoyen et aussi père de famille et je ne suis pas fou. Mais je suis un scientifique. Et la science est froide. [...] La science n'a pas d'opinion. La science est une situation factuelle. Avec une expérience professionnelle et des connaissances de base, vous pouvez lire des études de manière plus approfondie que quelqu'un qui n'a pas de formation de base. Cependant, nous avons récemment vu que beaucoup de gens qui n'ont pas de formation de base - et parce que je sais que cela sera à nouveau partiellement cité par les journaux: j’exclus explicitement les associations professionnelles de pédiatrie et d'autres qui expriment leurs opinions, ils ont une formation de base.

Hennig: Donc, les pédiatres.

Drosten: Exact. Ce qu’ils disent est tout à fait exact. Mais il y en a d'autres - ce sont vraiment des groupes d'intérêt, qui communiquent également sur les réseaux sociaux de manière agressive qui serait punissable dans la vie normale. Mais sur les réseaux sociaux, dans l'anonymat, c'est possible, et ne sera pas sanctionné. C'est diffamatoire de toute façon. Et cela a un but. Ce sont simplement des gens qui ont clairement un programme, dont certains sont concurrents. Il y a des gens sur les réseaux sociaux qui attaquent le contenu scientifique, sans formation de base, avec de faux arguments parce qu'ils veulent garder les écoles fermées. Et il y a ceux qui argumentent dans l'autre sens avec de faux arguments parce qu'ils veulent absolument que les écoles rouvrent. Peut-être que leur seule motivation est leur situation privée. Moi aussi, j’ai une situation privée, mais je n'en parle pas ici. Nous parlons ici de science.

Hennig: […] nous avons reçu quelques questions à propos de l'étude du Bade-Wurtemberg, parue la semaine dernière, juste après l’enregistrement du dernier podcast. Il s'agissait d'anticorps chez les enfants. Cette étude a également inclus des enfants qui n'étaient pas seulement à la maison, mais qui étaient à l'école et à la garderie. […] Cela n'est-il pas plus significatif avec ces enfants?

Drosten: Tout d'abord, il faut dire que cette étude du Bade-Wurtemberg n’est, à ma connaissance, pas encore terminée. Je crois que l'analyse statistique de cet aspect est toujours en cours. J'ai également entendu (et je dois vraiment dire que j'ai très peu regardé la couverture médiatique de cette étude), mais j'ai vu une partie d'une conférence de presse où j'ai immédiatement compris que les scientifiques qui l'ont présentée ont déjà sévèrement restreint son aspect conclusif.

Je pense que tous les scientifiques qui y participent, y compris ceux qui ont maintenant mené cette étude, savent que de nombreux facteurs empêchent une telle étude d'être représentative de ce que nous discutons actuellement dans la société. L'étude elle-même ne remet pas cela en question. Mais la société s'accroche à une question beaucoup plus large à laquelle cette étude elle-même ne peut répondre. A savoir: pouvons-nous ouvrir les écoles maintenant? Ou qu'en est-il des crèches et des maternelles? La situation chez les tout-petits est-elle différente, oui ou non? Et une étude ne peut pas répondre à une telle question. Il faut toujours se demander: cette étude est-elle faite pour répondre à une telle question? Et la situation du moment, c'est-à-dire le début de l’épidémie, qui est tout sauf représentative de la situation ultérieure, est-elle appropriée? Et nous en avons déjà parlé dans le podcast.
[...]

Hennig: Si nous ouvrons les écoles après les vacances d'été, quelles mesures d'accompagnement devrions-nous prendre?

Drosten: Nous devons discuter maintenant, collectivement, sur la façon de procéder. Nous voulons ouvrir les écoles [et les crèches], sinon la société ne peut pas fonctionner. Mais comment allons-nous le faire si nous savons que même si nous testons beaucoup, on ne fera pas disparaître le virus? Et si on constate que le virus est partout, devrons-nous fermer toutes les écoles? Peut-être que nous ne pouvons pas avoir d'écoles sans virus. Qu'est-ce que ça veut dire? Qu'est-ce que cela signifie pour les enseignants? Qu'est-ce que cela signifie pour ceux qui sont parents d'enseignants ou d'élèves et qui ont des facteurs de risque? Qu'est-ce que cela signifie pour la scolarité obligatoire? Ce sont des questions brûlantes que nous devons clarifier maintenant tant que nous ne sommes pas pleinement concernés par le problème, de sorte qu’à l’automne, nous ayons déjà eu ce débat et réfléchi à la question. On doit arrêter de diffuser des choses qui disent: les élèves ne sont pas du tout affectés, donc les écoles peuvent être ouvertes. Je pense que c'est juste de la désinformation. Et cela peut nous retomber dessus. Je pense que ceux qui diffusent cette information selon laquelle les élèves ne sont pas du tout affectés devraient reconsidérer la situation et participer activement et de manière productive à une autre discussion. À savoir: qu'est-ce que cela signifie si nous ne pouvons pas avoir d'écoles sans virus?

Hennig: Donc, une discussion éducative que nous devons mener plus intensément.

Drosten: Je ne sais pas si c'est une discussion éducative ou une discussion médicale. C'est certainement aussi en lien avec la scolaire obligatoire, il y a tellement d'aspects. En tant que virologue, je suis toujours obligé de dire: je ne parle que du contenu de mon sujet, de ma science, pas des autres sciences. Il y a d'autres sciences que la virologie qui doivent aussi s’exprimer. Mais [avec] une connaissance différenciée de la littérature et du contexte des études. Il faut vraiment lire les études, aller plus loin que le titre et le résumé, lire la discussion et la méthodologie.

Mais qu'est-ce que je dis, je n'ai moi-même pas lu correctement l'étude suédoise. Mais après tout, c'était en suédois, c'est une langue que je ne parle pas vraiment. Je vais devoir trouver un traducteur bientôt. D’ailleurs ce n'était pas une étude publiée, mais un rapport d'un institut de santé publique (Drosten fait référence à son erreur dans le podcast précédent). Mais revenons à notre question. Il s'agit d'une discussion dans laquelle la politique doit également être fortement impliquée, et peut-être aussi sans pointer constamment du doigt certaines personnes. C'est grave maintenant. Je pense que nous ne pouvons plus nous permettre ce type de discussions.

Hennig: Avec l'application Corona Warn-App on espère dépister les infections beaucoup plus rapidement afin d'envoyer beaucoup plus de personnes en quarantaine par précaution pour contenir une épidémie s'il y en a une. Mais il y a maintenant pas mal de plaintes car l'application ne fonctionne pas sur les smartphones plus anciens et beaucoup en sont exclus. Pensez-vous toujours qu'elle est efficace ou faut-il réajuster?

Drosten: Je dois dire que ce n'est pas mon domaine. Je ne suis pas informaticien. Il y en a, et ils doivent commenter cela. Je n'ai aucune idée. J'ai un smartphone et l’appli fonctionne. Je peux à peine en dire plus. […] La seule chose que je peux dire est ce que j'ai dit dans le passé: [je crois] que cette application est extrêmement utile. Et nous devons absolument l’utiliser, et qu’on devrait être encore plus persuasif car cela peut vraiment aider à la détection des clusters, à la remontée des cas.

La leçon du Japon: éviter les trois C

Hennig: Monsieur Drosten, vous fournissez principalement des informations générales, et des recommandations concrètes [...] Cet été, de quoi faut-il tenir compte? Le Japon a résumé la prévention par les "trois C" à éviter. En anglais: "espaces fermés" - "lieux surpeuplés" - c'est-à-dire des rassemblements de personnes et "contacts étroits" - c'est-à-dire des contacts étroits avec les autres sans distance. Nous devons éviter ces trois choses. […] Ou y a-t-il autre chose à ajouter?

Drosten: Je suis impressionné par l'efficacité [du] Japon qui, grâce aux connaissances accumulées à l'époque du SRAS-1 - je suis sûr que cela a joué un rôle – a su maîtriser la situation sans lockdown général. Le lockdown est une mesure que l’on prend quand on n’a pas de cible précise; on ferme tout par précaution. Cela a été fait différemment au Japon, avec beaucoup d'intelligence et beaucoup de sécurité dans le processus décisionnel. Je peux juste dire que je suis admiratif. Je ne sais pas non plus ce qui va arriver au Japon. Il faut également en faire le suivi. Cela ne signifie pas que la formule magique a maintenant été trouvée au Japon et qu’elle est gravée dans le marbre. Ici aussi, le nombre de cas peut évoluer, il faudra peut-être réajuster. Mais devant ce bilan intermédiaire, je leur tire mon chapeau

Hennig: À ce stade, nous devons transmettre des informations importantes à nos auditeurs. [...] Nous faisons une pause estivale après l'épisode d'aujourd'hui. Vous aussi, monsieur Drosten, vous devez partir en vacances. Mais bien sûr, pas pendant des semaines, vous avez également besoin d'un peu de temps pour vous consacrer à la recherche. Nous suspendons donc notre podcast jusqu'à fin août. Quelles seront les thèmes les plus importants pour votre équipe de recherche dans les semaines à venir?

Drosten: Nous sommes à un moment où on peut mettre en œuvre des projets plus importants. Je ne peux pas dire que c'est dans un domaine de recherche particulier, mais en ce moment les plans de travail du réseau universitaire sont en cours d'élaboration. Nous sommes impliqués dans des projets; Je ne dirige aucun de ces projets moi-même. Ce sont des projets collaboratifs, où plusieurs universités et hôpitaux universitaires sont impliqués, il y a beaucoup de travail de planification à faire. Nous avons des études moléculaires, biologiques et virologiques moléculaires intéressantes qui traitent de l'interaction avec l'hôte, c'est-à-dire ce que le virus fait à la cellule pour y survivre. Nous avons également des données intéressantes et des études en cours sur le virus MERS. Nous n'abandonnons pas cela, c'est un coronavirus complètement différent, également à potentiel épidémique, commun au Moyen-Orient et en Afrique. Et je m'inquiète pour l'Afrique en général. Un autre grand groupe de mon institut est très impliqué en Amérique du Sud. Une coopération en matière de recherche y est également en attente. Parce que je pense que de l'aide est vraiment nécessaire là-bas.

Hennig: également en ce qui concerne le coronavirus, voulez-vous dire maintenant?

Drosten: Oui, sur les épidémies là-bas.

Hennig: Nous continuons à recevoir des rapports sur la découverte de médicaments et du développement de vaccins. Plus récemment, Oxford a connu des succès en ce qui concerne le dexaméthasone, qui peut apparemment réduire la mortalité. Cependant, cela ne s'applique qu'aux cours difficiles. Y a-t-il des domaines qui vous donnent de l’espoir [concernant] la pandémie?

Drosten: Je dois dire que je me réjouis de chaque succès dans la recherche sur un vaccin. Je sais qu’il faut prendre en considération une certaine temporalité. Mais c'est en fait ce sur quoi nous devons nous concentrer dans la recherche en ce moment lorsqu'il s'agit de contrôler cette épidémie.
[...]

Hennig: Une dernière question personnelle: nous avons maintenant parlé de recherche, mais bien sûr, vous prenez des congés et partez en vacances, au moins un peu maintenant. Prenez-vous vraiment du temps libre? Avez-vous déjà lu un roman ou emportez-vous uniquement de la littérature spécialisée - ou ne lisez-vous pas en vacances?

Drosten: Je lis constamment et aussi d'autres choses, si le temps le permet. Et bien sûr, ce n'est pas différent en vacances.

samedi 4 juillet 2020

Appli, neuropiline, Etats-Unis, enfants : Israël, Suède. Podcast #49 du 16 juin 2020

Appli mobile

Korinna Hennig: M. Drosten, l'application Corona-Warn-App est disponible depuis la nuit dernière, des semaines plus tard que prévu. L'avez-vous déjà téléchargée?

Christian Drosten: Je n’y suis pas arrivé ce matin. Mon téléphone portable était déchargé.

Hennig: Mais vous allez l’installer?

Drosten: Oui, bien sûr, je vais l'installer immédiatement.

Hennig: Il y a quelques semaines, nous avons discuté de l'effet qu'une telle application pouvait avoir. Il y a eu l’étude d'Oxford, du groupe de recherche de Christophe Fraser. Il existe maintenant diverses enquêtes sur la volonté de la population d'installer l'application. Et ce n'est pas comme si 60% disaient: Oui, bien sûr, je le ferai. Certains pensent que cela ne marchera pas, surtout maintenant. 60% était la cible que le groupe de recherche d'Oxford avait déterminé pour que l'application ait vraiment un effet. Qu’en pensez-vous? Avec les faibles taux d'infection actuels, cela vaut-il la peine?

Drosten: Le suivi des contacts doit être particulièrement efficace, compte tenu de l'incidence actuellement faible. […] C’est visible dans les statistiques actuelles. Et plus le traçage est efficace, plus nous pouvons tenir jusqu’à l'automne et l'hiver. Une telle application de traçage est cruciale car nous savons que la transmission est rapide et que, dans de nombreux cas, nous arrivons trop tard avec la remontée des contacts conventionnelle. Lorsqu'il s'agit d'identifier des contacts possibles, la rapidité est essentielle. Si les chaînes téléphoniques doivent démarrer, vous perdez un temps important. Même si une petite partie de la population seulement installe cette application, cela peut faire une différence décisive dans de nombreux endroits.

Hennig: Cela peut-il avoir un effet sur le maintien du taux de reproductions en dessous de 1?

Drosten: Oui, c'est exactement ce que je veux dire. Nous maintenons le taux de reproduction à un faible niveau en gardant une incidence déjà faible et en évitant que l'infection ne se propage à nouveau par grappes. L'identification d'un cluster dépend du fait que vous pouvez identifier rapidement les cas de transmission respectifs - puis également un tel cluster. Rétrospectivement, cela fonctionne également pour le suivi, avec la question: Où cette personne infectée a-t-elle pu être infectée?

Neuropiline

Hennig: Peut-être encore une fois pour rappeler - également pour cet été: Toutes ces mesures, l'application, les masques, la distance, nous le faisons en particulier pour protéger les groupes à risque. Les groupes à risque sont les personnes âgées, mais aussi les jeunes, par exemple s'ils souffrent d'asthme, de maladie cardiaque ou de surpoids. Une étude de modélisation est maintenant parue dans le magazine "Lancet Global Health", selon laquelle un cinquième de la population mondiale aurait un risque particulier de développer une forme sévère de la Covid-19. Nous en savons de plus en plus sur l'évolution clinique de cette maladie, mais pas encore assez. Il est d'autant plus important que la recherche se penche sur la question: comment le virus pénètre-t-il dans l'organisme? Nous avons beaucoup entendu parler du récepteur ACE2, l'enzyme à laquelle se lie la protéine spike sur l'enveloppe du virus, ces pointes qui ont donné son nom au coronavirus. ACE2 est le verrou dans lequel la clé (le virus) entre. Deux équipes de recherche pourraient maintenant se concentrer sur un deuxième verrou, un autre récepteur qui pourrait jouer un rôle: la neuropiline-1. M. Drosten, quel est ce récepteur?

Drosten: Oui, alors il faut s’exprimer avec précaution ; on n'utilise pas nécessairement le mot récepteur, mais on dit que c'est un facteur hôte supplémentaire important. Je dirais comme ça pour l'instant car il n'est pas entièrement clair si le virus est réellement absorbé via cette molécule neuropiline-1. Certaines des données expérimentales en parlent. En virologie, il existe d'autres facteurs hôtes supplémentaires, appelés co-récepteurs, qui ne permettent pas une entrée directe du virus, mais maintiennent d'abord le virus à la surface cellulaire et le rapprochent du récepteur réel. Pour l’expliquer très sommairement. Il existe actuellement deux publications en preprint, qui seront certainement publiées. Ce sont deux groupes de recherche qui arrivent indépendamment à la même conclusion. C'est une molécule relativement répandue sur les cellules du corps mais surtout dans les cellules à la surface des poumons et aussi dans les cellules du nez et probablement aussi les sinus. Là s’exprime une molécule qui s’appelle neuropiline-1. Cette neuropiline-1 possède une certaine propriété de liaison à [toutes sortes de] protéines possibles. En raison de sa [morphologie], celle-ci n'est pas particulièrement adaptée au virus, on peut dire que le virus s'y est adapté dans son évolution - comme c'est souvent le cas avec d'autres molécules réceptrices. Ici, cependant, c'est un motif protéique spécifique qui se trouve dans la protéine de surface du virus SRAS-2. Et cela n'est possible qu'avec le virus SRAS-2, pas avec d'autres coronavirus de type SRAS ou d'autres coronavirus. C'est un motif auquel nous pensons depuis longtemps, à savoir le site de clivage de la furine, c'est-à-dire un motif d'acides aminés, car un certain type de maturation protéique est possible du fait de la présence de ce motif. Nous connaissons également cette maturation protéique dans certains virus de la grippe, dans les virus de grippe aviaire hautement pathogènes, mais aussi dans de nombreux autres virus qui utilisent un type similaire de molécule de surface. Il existe un site de clivage de protéase au niveau duquel une enzyme de traitement des protéines coupe la protéine. Et cette coupe est nécessaire à la conception fonctionnelle, à la maturation fonctionnelle de la protéine. C'est une protéine de surface majeure.

La tâche de cette protéine est de subir certains changements de forme lorsqu'elle s'approche de la cellule ou se lie au récepteur, de sorte que certaines parties de cette protéine peuvent se déplacer librement les unes vers les autres. Et cette mobilité suppose à nouveau que la protéine soit coupée en morceaux. Imaginez un carton à découper où on doit d'abord déchirer certaines zones perforées afin d'en faire quelque chose. Imaginons donc, par exemple, que nous construisions pantin à partir d'une feuille perforée. C'est exactement la même chose avec ces protéines virales. Il y a des parties qui doivent pouvoir se déplacer les unes vers les autres pour que tout fonctionne. Et ces points de perforation sont conçus de différentes manières. Il y a cette différence essentielle entre le SRAS-2 et l'ancien virus du SRAS, ce site de perforation supplémentaire, le site de clivage de la furine.

Hennig: Mais cela signifie qu'il doit y avoir une interaction entre la neuropiline et ACE2. S'agit-il d'amarrage? Ou s'agit-il aussi de la multiplication du virus dans la cellule?

Drosten: On n’a pas de visibilité sur une interaction entre la neuropiline et l'ACE2. Ce n'est pas la question. Mais ce qu’on pourrait avoir en vue, c'est que cette neuropiline reconnaît un certain schéma sur la protéine. Et c'est exactement ce site de perforation, ce site de clivage de la furine. Soit dit en passant, de nombreuses protéines qui ont de tels sites de clivage de la furine se trouvent également dans le métabolisme cellulaire normal, et ces protéines sont liées par la neuropiline. Il est également souvent logique que, par exemple, certains types de facteurs de croissance puissent avoir un effet. Les facteurs de croissance qui remontent par le sérum, puis pénètrent dans l'interstitium, c'est-à-dire dans la zone péricellulaire, et se lient aux cellules qui transportent cette neuropiline, où elles déclenchent des signaux. Par exemple, cela peut être une information pour la croissance du vaisseau et de l'endothélium capillaire. Et maintenant, ce virus a un motif qui lui convient. Et donc il se lie d'abord à la cellule, en plus de l'ACE2. L'ACE2 est la véritable molécule de surface, le véritable récepteur du virus. Et les scientifiques des deux études montrent que la liaison à l’ACE2 est beaucoup plus importante et de grande portée pour l'entrée du virus. Sans l'ACE2, les choses iraient très mal. Mais il semble que certains virus pourraient pénétrer dans la cellule avec seulement cette neuropiline. Mais comme je l'ai dit, cela marche très mal. Cela seul ne ferait certainement pas du virus un pathogène épidémique. Cependant, cette disponibilité supplémentaire de neuropiline, en particulier sur les muqueuses des voies respiratoires supérieures, aurait pu être le point de changement décisif quant à la façon dont ce virus du SRAS-2 a acquis cette transférabilité via les voies respiratoires supérieures et est ainsi devenu finalement un agent pandémique.

Hennig: Encore cette question: s'agit-il aussi de la multiplication du virus dans la cellule?

Drosten: Oui, bien sûr, il s'agit du cycle de propagation. L'entrée cellulaire est l'une des étapes les plus importantes du cycle de reproduction du virus. Et il est rendu plus efficace, le virus peut mieux pénétrer dans la cellule. Plus de virus à la fois - c'est ce que vous pouvez imaginer. Par cette présence supplémentaire d'un autre, disons, facteur d'attachement à la cellule.

Hennig: Nous avons dit qu’il y a deux études. Une étude vient principalement de Bristol, l'autre de Munich - avec la participation d'autres chercheurs. L'une des deux études traite également de la façon dont le virus est transporté vers le système nerveux central. Nous en avons déjà parlé, les changements dans l'odorat et le goût indiquent que le virus va dans cette direction. Quel rôle joue cette neuropiline-1?

Drosten: Cette neuropiline est clairement prononcée sur les surfaces de l'épithélium olfactif du nez. Dans le bulbe olfactif, il y a un petit trou dans le crâne osseux qui est traversé par les fibres olfactives. Ce serait l'entrée du virus dans le système nerveux central, ce qui est favorisé par la liaison à ce « récepteur » de neuropiline.

Hennig: Cela peut-il avoir un impact sur la recherche sur les médicaments? Afin de perturber cette interaction?

Drosten: Exactement. En principe, toute nouvelle connaissance concernant l’interaction d’un virus avec la cellule est toujours une cible pharmaceutique potentielle. On peut alors envisager de concevoir ou de cribler une molécule à partir d'une collection de différentes molécules candidates, ou de cribler pour vérifier si cette interaction entre le virus et la cellule peut être délibérément perturbée. Une chose doit être gardée à l'esprit: une molécule comme la neuropiline est utile pour l'état de base de la cellule et le fonctionnement normal du corps. Il y a toujours un compromis entre les avantages et les inconvénients. La question est donc toujours: si vous interrompez une telle interaction, à quel point perturbez-vous le fonctionnement du métabolisme normal du corps? Et ces deux études ne fournissent pas encore de réponse. C'est vraiment au tout début. Il s'agit de recherche fondamentale, c'est une indication qu'il y a une nouvelle interaction qui doit être aprofondie maintenant. Seuls les anticorps monoclonaux ont été testés ici. Vous pouvez aller beaucoup plus loin avec des substances plus petites qui atteignent mieux ces surfaces qu'un anticorps. On peut maintenant essayer de faire des études. Tout d'abord, des études biologiques biochimiques et moléculaires, qu’on peut tester sur des modèles animaux pour voir s'il y a des effets secondaires.

Hennig: Des anticorps produits artificiellement pourraient-ils jouer un rôle? Nous avons déjà abordé le principe de la vaccination passive ici.

Drosten: Oui, c'est une stratégie de base qui est actuellement choisie. Non seulement ici contre cette neuropiline ou contre le site d'interaction, mais aussi contre le récepteur se liant à l’ACE2 avec des anticorps monoclonaux, mais aussi contre la protéine de surface, le virus directement. De nombreuses études sont actuellement en cours et des anticorps très prometteurs ont déjà été trouvés et publiés.

Nouvelle vague aux États-Unis

Hennig: Parlons d’un deuxième sujet majeur que nous avons déjà abordé ici plusieurs fois, celui des enfants. La règle qui s'applique actuellement en Allemagne est que tout le monde doit retourner à l'école après les vacances. Cette semaine, il s'agira d’en préparer les conditions. Vous et moi, M. Drosten, avons des enfants. Mais nous ne le faisons pas parce que nous faisons un podcast uniquement pour les parents, mais en vue de l'évolution de la pandémie, de l'épidémie. La question liée à l'âge n'est pas encore résolue. Pourquoi ce sujet est-il si important dans la vue d'ensemble?

Drosten: Pour le moment, en Allemagne, nous nous concentrons déjà clairement sur la prévention des épisodes majeurs, la prévention des événements de super-propagation. Nous en avons parlé plusieurs fois. Grâce au traçage des contacts, nous sommes maintenant en Allemagne dans la situation confortable où nous pouvons réellement nous concentrer sur la prévention de ces clusters et nous pouvons à juste titre espérer qu’en étant très attentifs, nous pourrons traverser l'automne et l'hiver sans entrer dans quelque chose comme une deuxième vague. En ce moment, il y a des débats publics pour savoir s'il y aura une deuxième vague, oui ou non. Et dans les débats plus éclairés à ce sujet, permettez-moi de le dire, on en arrive souvent à la conclusion que cela dépend de nous. Ce n'est pas une constante naturelle qu'une deuxième vague arrive et que nous soyons sans défense contre elle. Nous sommes maintenant dans une situation où nous pouvons le contrôler.

À ce stade, je tiens également à dire pour comparer, car on doute toujours toujours beaucoup: nous n'avons qu'à regarder aux États-Unis, où la situation est très transparente, où nous n'avons pas ce manque de déclarations de cas, comme au Brésil ou en Inde où on ne peut que deviner ce qui s’y passe. Nous avons vraiment un système de signalement actif aux États-Unis. Nous avons environ la moitié des États américains qui ont connu des restrictions relativement longues, comme en Allemagne, et certains en ont encore.[...] Et cela a pris beaucoup plus de temps que chez nous car les mesures ont été prises beaucoup plus tard. Mais d'autres États ont levé les mesures relativement tôt, ils ont desserré les freins trop tôt, et le nombre de cas est immédiatement remonté. [...] Immédiatement, c'est-à-dire avec la latence attendue de deux à trois semaines après l'assouplissement, les nouveaux cas montent à nouveau en flèche. [...] Nous sommes dans une situation sociale très difficile là-bas. Parce que, comme chez nous, bien sûr, personne ne veut revenir à ces vastes mesures de lockdown et leurs dégâts économiques.

Alors ce "Le marteau et la danse". Pourquoi la danse ne fonctionne-t-elle pas? La réponse est sûrement que l'incidence n'a pas été ralentie au point que les événements de sur-propagation puissent être ciblés et ignorer les transmissions individuelles qui ont lieu en arrière-plan. Pour qu’on puisse vraiment se concentrer sur ces événements de super spreading. Parce que c'est beaucoup plus tangible et que vous pouvez intervenir très rapidement grâce à une quarantaine plus importante. Cependant, cette stratégie ne fonctionne que si les autorités sanitaires sont en mesure de suivre tous les clusters, et tant que le nombre de clusters dans la population ne s’est pas multiplié pour être laissé de côté.

Nous ne pouvons qu'espérer que nous puissions maintenir [cela] en Allemagne aussi longtemps que possible. Pour le moment, bien sûr, l'été nous aide. Mais à l'automne, nous aurons un grand changement, à savoir que les écoles et les garderies devront être complètement rouvertes. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que nous ne pouvons pas contourner cela, pour des raisons sociales. Nous sommes maintenant dans une phase de test, où on rouvre les écoles juste avant les vacances d'été, et si quelque chose se passe mal, [on peut y réfléchir pendant les vacances]. On pourrait se retrouver dans cette situation dans quelques semaines. Je ne l'espère pas. Ce sont des événements en partie stochastiques, donc c’est une coïncidence statistique si cela se produit ou non. Mais imaginons que cela soit géré à la légère, avec une situation où en septembre toutes les écoles sont ouvertes dans tous les Länder, en classes entières. Nous savons qu'il n'est pas réaliste pour des écoliers et surtout de petits enfants d'adhérer aux règles de distanciation sociale, [ou de] porter un masque tout le temps ; cela ne sera tout simplement pas respecté. Et bien sûr, la question est: qu'est-ce que cela signifie alors? Et c'est pourquoi nous avons fait plusieurs épisodes de podcast à ce sujet.



Les enfants: étude israélienne
 
Hennig: […] ce que nous ne voulons pas, c'est une école qui fonctionne en on/off, c’est-à-dire qui fermerait complètement avant de faire revenir tous les élèves. Il faut regarder plus loin: quelles mesures sont nécessaires pour organiser un fonctionnement relativement normal? L'une des questions auxquelles on essaie de répondre est la suivante: dans quelle mesure les enfants sont-ils réceptifs au virus? Comme il y a tellement d’asymptomatiques, nous ne le savons pas vraiment. Et à quel point sont-ils contagieux lorsqu'ils sont infectés? Il existe diverses études, dont une d'Israël - de plus de 600 ménages avec des résultats de test positifs. Cependant, on a travaillé avec un modèle stochastique, avec des probabilités, et non en laboratoire pour comprendre qui a infecté qui. Comment ont-ils fait exactement?

Drosten: Oui, c'est une étude purement épidémiologique. Et ce qui vient d'être montré ici, c'est: Qui dans la famille a commencé à ressentir des symptômes en premier? Et quand les autres ont-ils eu des symptômes? Et de cela on en a déduit: qui a infecté qui? Et à partir de là, on peut bien sûr calculer combien d'enfants ont une infection. Et combien d'enfants ont transmis une infection. Cela signifie que nous pouvons faire une dérivation et faire la différence entre la réceptivité et l'infectiosité.

Hennig: Il s'agit d'une banlieue de Tel Aviv, Bnei Berak. C'est une zone très densément peuplée. Il y a de nombreuses familles juives orthodoxes, avec de grands ménages et de très nombreux enfants. Peut-on encore comparer à notre situation?

Drosten: Je dirais que c'est une situation d'étude particulièrement bonne à cause des grands ménages. Il faut préciser que cette étude a été réalisée une fois de plus dans une situation où nous étions en lock-out. Cela signifie que les enfants ne sont pas allés à l'école ou à la crèche. Je crois que les écoles étaient ouvertes peu de temps au début, si j'ai bien compris en lisant. Mais fondamentalement, on a ce cas: cette étude et d'autres études aussi, en principe presque toutes les études disponibles, souffrent de l'artefact, du fait que les enfants ne peuvent être infectés que dans les familles parce qu'ils ne sont pas du tout allés à l'école ou ailleurs. Ils sont à la maison. Cela signifie que nous avons des études de transferts intrafamiliaux. [...] Ici, nous avons maintenant beaucoup de familles qui ont un plus grand nombre d'enfants. Il y a donc en fait des ménages d’une dizaine de personnes. Et il y avait beaucoup de ménages de deux personnes dans la minorité. Et il y a quelques ménages où il y a quelques enfants en plus, de sorte qu’on se rapproche un peu d'une situation comparable [à une configuration scolaire].

Hennig: Et le résultat montre des données différentes pour cette question. D'une part pour la sensibilité du virus et d'autre part pour la question: dans quelle mesure un enfant infecté est-il contagieux par rapport à un adulte? Peut-être pourrons-nous en discuter tour à tour. Les enfants sont 45 % aussi sensibles au virus que les adultes. C'est le résultat de l'étude. Est-ce à peu près ce que vous attendiez?

Drosten: Je dois dire que je n'ai aucune attente en ce qui concerne ce sujet des enfants. Il est vrai que de nombreuses études indiquent simplement qu'il semble que nous ayons moins d'enfants infectés. Point. Parfois, cela est basé sur la séroprévalence ou parfois sur des tests PCR, parfois uniquement sur les symptômes. Et dans chaque cas, il y a toujours le gros problème: c'était pendant le lockdown. Il n'y a pratiquement pas d'observation sans lockdown. Même en Chine, c'était les vacances de printemps, les vacances du Nouvel An, quand ça a commencé. Christophe Fraser, un des modélisateurs épidémiologiques de premier plan, a un jour résumé qu'il n'y a eu probablement qu'une quinzaine de jours à travers le monde pour observer cette situation. Il n'y a personne à blâmer pour cela. En tant que scientifiques, nous luttons pour la connaissance et essayons d'aborder ce problème de différentes manières. Nous avons discuté d'une étude de Zhang et al. à un moment dans le passé, qui est maintenant publiée dans "Science". Et là, on a examiné les matrices de transmission enregistrées avant la pandémie et on les a mises en relation avec les taux d’attaque secondaires dans les ménages. Et on a vu que les enfants étaient touchés aussi souvent que les adultes. Mais si on regarde la matrice de transmissions et qu’on se demande combien de fois les enfants ont eu l'occasion de s’infecter, alors on doit dire que les enfants ont beaucoup plus de contacts. Et on doit expliquer que les enfants sont moins sensibles à la maladie que les adultes. Et cela correspond également à ce que l'on trouve ici dans cette étude israélienne. Ici aussi, les auteurs concluent que les enfants ne sont à 45% aussi sensibles au virus que les adultes. C'est à peu près le même ordre de grandeur que dans cette très bonne étude chinoise. Et à cette époque, j'avais déjà dit: c'est ma nouvelle hypothèse de travail. Et cela n'a pas changé [...] Au moment où nous avons publié notre étude sur la charge virale, j'en ai discuté le même jour et j'ai également souligné que cette étude existe. C'est mon point de vue depuis lors et je trouve très intéressant que cette étude le confirme.

Mais peut-être devrions-nous parler ensuite de l'autre côté de l'équation, l'infectiosité. Quelle quantité de virus peut excréter un enfant? Encore une fois, nous avons fait une comparaison sur la base de notre étude sur la charge virale à l'époque et avons dit: Nous ne pouvons pas documenter cela statistiquement, mais il y a peut-être un peu moins de virus chez les enfants les plus jeunes. Et puis nous avons fait une post-analyse statistique avec des méthodes plus fines et avons pu démontrer cette différence. Dans le cas des plus petits, cela se situe dans la plage d'un demi-niveau log, soit environ un tiers de la charge virale. Et ce n'est pas une différence pertinente d'un point de vue virologique. On a beaucoup d'expérience avec les charges virales pour l'évaluation des maladies. Et avec un demi-cran logarithmique de différence, on commence à y réfléchir. Mais la plupart du temps, cela n'a aucune pertinence clinique. Et puis, dans la révision de notre étude, j'ai également écrit une discussion très détaillée à ce sujet et utilisé une analyse de la littérature pour expliquer ce que cela signifierait par rapport à la transmission de la grippe, où il existe de bonnes données de Hong Kong sur les transferts dans les ménages. Et la conclusion est que si cela avait un quelconque effet, une si petite différence de charge virale serait certainement de l'ordre de moins de 20%. La différence serait de savoir si un enfant infecte dix personnes ou seulement neuf. Et bien sûr, je pense que tout le monde comprend intuitivement que ce n'est pas quelque chose qui ferait une différence pour une décision politique, par exemple. À mon avis, c'est une différence très mineure.

Et il est intéressant que les auteurs de cette étude israélienne disent aussi: Selon leurs calculs, les enfants sont peut-être 85% aussi infectieux que les adultes. Donc, là encore, il y a cette différence numérique. Nous pouvons vraiment dire clairement que cela signifierait qu'un adulte infecterait en moyenne dix personnes et un enfant infecterait en moyenne huit personnes et demie. C'est aussi simple que cela ici. Est-ce pertinent? Est-ce une différence pertinente? À ce stade, je dirais, laissez la société et la politique décider. Et demandons autre chose aux scientifiques. Et si nous devons ouvrir les écoles, pour des raisons de protection de l'enfance, de soins, d’employabilité des parents etc, alors bien sûr, vous pouvez demander au scientifique: que faire maintenant? Quels outils la science nous offre-t-elle pour contrer ce danger? [...] bien sûr, il y a beaucoup à faire, par exemple dans le domaine des tests, mais aussi dans d'autres domaines. Et c'est plutôt à cela que la politique devrait penser ces semaines-ci, non pas "si" il faut rouvrir les écoles et les crèches, mais au "comment". Comment sécuriser l'ouverture en automne et en hiver afin qu'il n'y ait pas d'énormes épidémies. Et idéalement, que vous n'ayez pas à mettre en quarantaine des écoles entières, mais seulement une seule classe ici et là.

Hennig: Mais il y a aussi une observation spéciale dans cette étude. Autrement dit, les enfants de moins d'un an semblent (davantage**) susceptibles d'être infectés que les enfants âgés de un à quatre ans. Quelle pourrait être l'explication? Une immunité croisée chez ces enfants de un à quatre ans à cause d'autres virus du rhume?

Drosten: Oui, il y a différentes explications pour ça. Je ne sais pas du tout si les auteurs le disent si clairement. Mais il y a un modèle explicatif: Dès la première année de vie, on voit régulièrement des rhumes chez les enfants. Parce qu'après le dixième, le douzième mois de vie, l’immunité post-natale a disparu. Cela signifie que les enfants ont reçu de la mère à travers le placenta [des anticorps]. Et cela dure un an. […] Puis on pourrait penser qu’on a davantage de coronavirus des rhumes communs dans les groupes d'enfants. Et une protection croisée pourrait faire en sorte que les enfants contractent moins ces maladies, moins cette infection par le SRAS-2.

Et maintenant, on pourrait imaginer qu’en approchant de l’âge adulte, les rhumes deviennent moins fréquents, la population est moins protégée et le virus du SRAS-2 a un impact plus important. Peut-être. Il y a une observation qui ne le confirme pas. Il n’a pas encore été possible de démontrer que les adultes qui ont eux-mêmes de jeunes enfants sont moins susceptibles de contracter le virus du SRAS-2. Parce qu'ils ont tout le temps un rhume. Les petits les ramènent à la maison et les parents sont constamment enrhumés et ont plus souvent des infections à coronavirus. Donc, l’explication est un peu bancale. On pourrait également supposer que des choses très différentes entrent en jeu. Il n'y a peut-être pas du tout de protection croisée, au contraire. Les anticorps dirigés contre d'autres coronavirus aggravent la maladie. Il y a aussi des raisons de craindre quelque chose comme ça sur la base d'expériences vaccinales, notamment en médecine vétérinaire. Nous ne savons pas grand-chose sur les humains, mais les humains ne sont que des animaux.

Cela signifie que la considération serait complètement différente: les maladies à coronavirus préexistantes ne nous protègent pas, mais nous rendent encore plus sensibles. Les enfants n'ont pas autant de maladies préexistantes et sont donc moins sensibles. Mais les très jeunes enfants, ayant les anticorps de leur mère, seraient en fait en danger à cause de l’immunité postnatale. Et c'est pourquoi vous voyez plus d'infections à coronavirus avec le SRAS-2. Et puis à l'âge adulte, lorsque ces anticorps (de fond) s'accumulent à nouveau, avec un nombre croissant d'infections à coronavirus subies dans la vie, nous avons à nouveau cette prévalence de fond sensibilisante en anticorps. Il s'agit donc d'une contre-hypothèse qui n'a pas été réfutée. Et cela va occuper l'épidémiologie et peut-être bientôt aussi la virologie expérimentale pendant très longtemps. Et nous devons en rester là avec cette considération. Nous ne pouvons pas expliquer cela. Mais il y a cette observation intéressante, qui pourrait malheureusement s'expliquer hypothétiquement de deux manières concurrentes.

Mais peut-être devrions-nous redire que cette étude, comme presque toutes les autres études épidémiologiques, laisse de grandes incertitudes. Et peut-être parler d'une autre observation, la façon dont l’infection se répartit dans la population. Mais tout d'abord: c'est exactement la même chose avec cette étude qu'avec de nombreuses autres études d'observation des familles ou des ménages, on doit d'abord reconnaître le ménage comme étant infecté, pour l’inclure dans l'étude. Et là encore, comme partout dans le monde, quelqu'un doit d'abord être testé. Et il n'est pas testé pour le plaisir, mais parce qu'il présente des symptômes. Cela signifie que le critère d'inclusion dans cette étude est qu'une personne présente des symptômes dans le ménage. Si quelqu'un a des symptômes, il a été testé. Si cela était confirmé, le service de santé est allé échantillonner l'ensemble du ménage - avec la PCR du prélèvement de gorge - aucun examen sérologique n'a été effectué.

Dans de nombreuses autres études, seuls les patients symptomatiques ont été testés. Et ce qui est particulièrement bien avec cette étude, c'est que tous les membres du ménage ont été testés, en particulier dans ces familles nombreuses. [...] Maintenant, bien sûr, nous savons que 80% des adultes ont des symptômes. Mais les enfants, je dois estimer grossièrement, peut-être 20, 30, 40 %. En conséquence, la probabilité qu'une telle enquête commence par un cas grave chez un adulte est bien sûr très élevée. C’est évident.

Nous avons 150 ménages, qui ne sont que des ménages de deux personnes. Je suppose qu'un ménage de deux personnes dans une zone où presque tous les résidents sont des juifs orthodoxes, [sont] grand-mère et grand-père. Et moins un parent seul avec un enfant. [...] nous devons juste réaliser que cela entraîne une coloration inévitable. Une autre chose qui doit être soulignée, [...] c'est que c’est un groupe de modélisation et non un groupe de chercheurs de terrain. Mais nous avons également des informations sur les symptômes ici. Et pour les adultes, tout est très réaliste. 88 % des adultes testés positifs présentaient des symptômes - à l'aide d'un questionnaire. Et il y a aussi des symptômes légers. Là, vous pouvez penser que c’est exact. En revanche, il y a quelque chose de très visible chez les enfants. 72% des enfants testés positifs pour la PCR étaient symptomatiques. C'est trop. Cela me dit que les enfants ont été négligés dans l'étude. Parce que si vous testez autant d'enfants, il y a 512 enfants positifs, il ne devrait pas y en avoir autant.

Hennig: D’après ce que nous savons sur la fréquence à laquelle les enfants développent des symptômes.

Drosten: Exactement. Et parce que nous ne pensons pas que les parents ont imaginé les symptômes de leurs enfants, je suppose que ce nombre est 512 trop faible. Les enfants positifs ont probablement été négligés dans les PCR de ces ménages. Et comment est-ce possible? Très simplement. Ce sont des études de recherche sur les ménages qui durent des semaines. Ces ménages ont été étudiés pendant deux ou trois semaines et ont été échantillonnés. Et nous savons de plus en plus que les enfants ont le virus dans la gorge, mais tout comme chez les adultes, le virus disparaît de la gorge au bout d’une semaine. Quand vous avez vu beaucoup de données sur les enfants, on peut penser que les enfants peuvent même avoir le virus dans la gorge quelques jours de moins. Cela dit, je pense qu'il y avait de nombreux cas où vous aviez un adulte présentant des symptômes au début de l'examen. Et il y avait aussi un ou deux enfants dans le ménage qui présentaient des symptômes bénins. Mais ils ont été négligés. L'adulte a donc eu des symptômes. L'adulte est testé. Vient ensuite le suivi. Jusque-là, au moins sept ou dix jours se sont écoulés, peut-être même un peu plus. Et les enfants qui ont été infectés au début peuvent même avoir eu des symptômes. Peut-être ont-ils même dit au service de santé qu'il y avait aussi des enfants qui présentaient des symptômes. Peu importe, ils ont tous été testés. Et puis le test PCR a été négatif.
[...]

Il y a une nouvelle étude qui vient d'être publiée, en Corée du Sud, dans "Emerging Infectious Diseases", qui montre que, comme les adultes, le virus est excrété dans les selles pendant une période de temps considérablement plus longue. Nous l'avons déjà montré dans notre publication Nature sur le cluster de Munich. Et d'ailleurs, les selles ne sont pas contaminantes, mais simplement détectables par PCR. Si vous aviez testé ces enfants dans cette étude israélienne en utilisant un échantillon de selles, je pense que le résultat aurait été très différent. Je dirais que [...] les enfants et les adultes sont également sensibles, probablement aussi infectieux. C'est juste une intuition. Je ne peux pas l’objectiver. Je peux seulement dire, sur la base de mon expérience, quand je regarde ces chiffres, et je ne fais pas que regarder des chiffres sans rien connaître de la maladie, mais je sais aussi quelle est la cinétique de l'excrétion. Je sais quand le virus se propage où dans le corps. Je sais comment cela est particulièrement accentué chez les enfants. Je sais comment fonctionnent ces études sur les ménages, où il y a des retards, quand sont faits les prélèvements. Je considère tous ces éléments. Et mon impression générale est: la différence n'est probablement due qu'au prélèvement dans la gorge.

Vous pouvez prélever au rectum avec un coton-tige, l'enfant ne s'en aperçoit pas du tout, ce n'est pas douloureux du tout. Et contrairement à un frottis du nasopharynx, il n'y a certainement pas de pleurs. Il s'agit en fait d'une excellente recommandation pour de telles études, qui devraient être suivies à l'avenir. Le résultat aurait été différent.


La situation en Suède

Nous avons un pays en Europe où nous n'avons pas eu de fermeture d'école, à savoir la Suède. En fait, ce n'est pas tout à fait exact [puisque le secondaire était fermé]. Et on a su de façon épisodique que des moitiés de classe étaient malades et restaient à la maison. Même dans ces jeunes années scolaires. Mais les Suédois l'ont géré relativement sans souci car les enfants présentent des symptômes moins graves. Ils ont le nez qui coule, et cela n'a dérangé personne. Mais maintenant, le réflexe est apparu dans de nombreux pays: nous devons maintenant voir ce qui se passe avec les enfants. Et le premier réflexe est: Eh bien, regardons les anticorps. Et le problème est toujours: ces études d'anticorps, dans lesquelles vous comparez des adultes et des enfants, ont toujours été créées durant le lockdown, quand les enfants ne peuvent avoir été infectés qu'à la maison. Et tout ce que vous voyez, c'est l'activité d'infection dans les ménages, quand les enfants sont à la maison et ne rencontrent pas d'autres enfants pendant que les adultes font leurs courses. Qui sont, bien sûr, plus susceptibles d'avoir été infectés dans leur activité professionnelle ou en voyage, dans leur groupe d'âge, parmi leurs collègues et connaissances. Et puis nous voyons ces différences de séroprévalence. Les adultes ont plus d'anticorps, peut-être deux fois plus que les enfants. Et on se demande: qu'est-ce que ça veut dire? Et vous devez toujours dire que nous ne savons pas. Nous ne pouvons pas interpréter cela parce que les enfants n'avaient aucune chance d'être infectés. Et c'était différent en Suède. En Suède, les enfants ont eu, je ne veux pas dire la même chance car, comme je l'ai dit, les écoles secondaires étaient également fermées. Mais les plus jeunes millésimes avaient une chance égale d'être infectés. En Suède, le test de séroprévalence a également été particulièrement bien fait. Et en passant, je veux aussi plaider en faveur de l'épidémiologie suédois. Le pauvre Anders Tegnell en particulier est critiqué en tant qu'individu.

Hennig: L'épidémiologiste en chef.

Drosten: Bien sûr, c'est une situation terrible qu'il ait été laissé seul. Aussi par la politique. Parce que, bien sûr, en tant que scientifique, il n'a pas pris de décisions seul. Il n'a probablement pas pris une seule décision, juste conseillé. […] Tout comme nous, les scientifiques allemands, il n'a jamais donné de conseils politiques en tant qu'individu, mais toujours dans des groupes consultés par les politiciens soit simultanément - c'est généralement le cas - soit indépendamment. C'était comme ça ici en Allemagne. Et pour revenir au sujet: des groupes comme celui d'Anders Tegnell font des études épidémiologiques particulièrement bonnes. Nous savons que l'épidémiologie appliquée est particulièrement bonne en Suède.*

Et une étude sur la séroprévalence dans la population normale vient d'être réalisée en Suède. […] Nous avons une séroprévalence de 2,9 % dans la population normale, les 65 à 95 ans, c'est-à-dire ceux qui sont en fait les plus touchés par la maladie. Cela correspond à ce que nous voyons et attendons dans les pays européens. Nous sommes même un peu plus bas en Allemagne en moyenne. [...] Ensuite, la grande et large population adulte, âgée de 20 à 64 ans, 6,5%. C'est donc beaucoup plus que chez nous. Deux messages : Premièrement, il y a eu pas mal d'infections. Deuxièmement: Malheureusement, on est encore très loin de l'immunité collective. Donc, ce concept suédois, l'immunité collective jusqu'à la fin du mois de mai, je ne sais pas si vous pouvez le voir de manière aussi optimiste. Soit dit en passant: la période d'enquête s'est déroulée du 11 au 17 mai, durant laquelle les échantillons ont été prélevés. Il s'agit donc d'une véritable étude transversale à un moment où l'ensemble de l'action ne s'est étalé que sur une semaine. Et la chose étonnante est: 6,5 % des adultes. Et maintenant pour les enfants entre 0 et 19 ans: 7,5%. Donc plus que chez les adultes.

Hennig: Mais pas beaucoup plus.

Drosten: Pas beaucoup plus. Ce serait la meilleure ! Mais au moins, ce n’est pas moins. Et nous devons toujours intégrer le contexte, car sinon, toute personne capable de lire pourrait prendre une étude scientifique et la traduire directement en décision politique. Et c'est exactement ce que nous ne pouvons pas faire. Nous avons besoin de l'expérience scientifique. [...] Et je dois simplement dire: ce que je viens d'expliquer ici est mon expérience professionnelle, que j'intègre ici. Et avec cette expérience, je pense que cette étude suédoise me pousse à observer de manière critique la réouverture sans restrictions des écoles après les vacances. Je ne vois pas pourquoi cela devrait être différent en Allemagne qu'en Suède. Et nous voyons en Suède: Même lorsque le lycée est partiellement fermé, après une période d'activité épidémique nous avons même un peu plus de séroprévalence chez les enfants que chez les adultes. Alors pourquoi devraient-ils être moins réceptifs ou moins contagieux? Bien sûr, ils ont plus de possibilités de contact à l'école, c’est clair. Mais nous ne pouvons pas le calculer.

Hennig: Cela signifie que si nous considérons ces différentes approches de la question de l'âge - sensibilité, infectiosité et charge virale - ce que vous avez fait dans votre étude, ce qui se produit également dans l'étude sud-coréenne, alors on peut conclure que ce n'est tout simplement pas très différent entre les enfants et les adultes.

Drosten: Exactement. En termes de charge virale, notre étude n'est plus la seule. Il existe plusieurs études qui confirment exactement ce que nous voyons [et qui] ont parfois des charges virales très élevées chez les enfants, plus que nous. […] Pour moi en tant que virologue, ces données sur la charge virale ont été très révélatrices sur la base de toute mon expérience professionnelle - et tous les autres virologues cliniques le verront de la même manière. Quelques statisticiens ont déclaré que ces données n'avaient aucun sens, mais nous voulons maintenant insister sur la précision de la méthode. [...] Tout cela appelle simplement à la prudence. En même temps, bien sûr, cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas ouvrir les écoles. Ce n'est pas ce que disent les scientifiques. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Au contraire. Je dis oui, bien sûr, nous devons rouvrir les écoles pour des raisons sociales. Mais je dis aussi que nous devons ouvrir l’œil. Nous devons absolument faire face à la situation avec des normes scientifiques et nous assurer de reconnaître très tôt les épidémies imminentes.

Et peut-être, pour conclure: le rapport de situation de l'Institut Robert Koch montre un graphique avec une nouvelle mise à jour environ une fois par semaine, qui compare la distribution des différentes cohortes d'âge dans la nouvelle incidence. [...] Et la semaine dernière, il y a eu une situation dans laquelle les groupes d'âge jusqu'à 20 ans - c'est-à-dire ce que vous considéreriez généralement comme des enfants et des adolescents, c'est-à-dire les années d’âge scolaire - se sont maintenant établis à environ 20% d'incidence. Et c'était complètement différent avant. Nous voyons que depuis mi-mars environ, cela a augmenté de façon presque linéaire. De quelques pour cent à 20 % maintenant. Et ces 20% représentent à peu près la proportion de ce groupe d'âge dans la population. Cela dit, au début de l'épidémie, nous avions simplement enregistré ce virus dans les populations d'âge moyen. Et dans les semaines qui ont suivi, ça s’est propagé dans les groupes âgés ; principalement des flambées dans les maisons de repos. Cela a été maîtrisé. [...]

On peut dire que le mouvement de diffusion du virus dans la population est maintenant terminé. [...] Mais cela pourrait continuer. Si la tendance se poursuit, nous pourrions bientôt avoir une surreprésentation des enfants. Et dans cette situation, arriver à l'automne et la reprise de l'école. 


Manifestations et propagation du virus


Hennig: Nous avons également eu des manifestations ce week-end, les manifestations contre le racisme, qui sont des préoccupations importantes qui ne peuvent être reportées. Et le masque n’a pas toujours été porté. Cela vous frappe-t-il en tant que virologue lorsque vous regardez ces deux choses: espérons que cela n'augmentera pas le nombre de nouvelles infections.

Drosten: Oui, bien sûr. D'après ce que j'ai lu, il y a moins de contaminations à l'extérieur. Mais l'effet de tant de personnes au même endroit peut bien sûr jouer, et entraîner la formation de clusters. Heureusement, nous avons une incidence si faible en Allemagne en ce moment qu'il est tout à fait concevable qu'un grand rassemblement de personnes se réunisse sans infection. [...] Et complètement indépendamment du fait qu'un groupe aussi important de personnes soit dangereux ou non - je pense que oui - vous pouvez toujours espérer que, malgré tous les dangers, rien ne s'est produit parce qu'il n'y avait tout simplement pas de virus du tout.

* Note de l'éditeur: dans la version originale de cet épisode, Christian Drosten a fait des commentaires plus longs sur la base de données de l'étude de séroprévalence en Suède. Une erreur s'est produite dans la représentation de la sélection d'échantillon. Nous avons donc décidé de raccourcir ce passage. 


** La question de la journaliste disait "moins", mais il s'agit sans doute d'une erreur; dans l'étude en question, on voit que les enfants de 0 à 1 ans sont plus souvent positifs que les autres enfants