Affaire Bild - suite
Korinna Hennig: Avant de commencer, [reparlons de la « Bild » qui] s'est également adressé à vos collègues européens. De quoi s'agit-il?
Christian Drosten: Oh oui, il y a eu deux autres attaques contre moi ou l’étude. La première a eu lieu hier. Ils ont fait appel à un statisticien anglais de renom [David Spiegelhalter] qui a commenté notre étude. Ce qu'il écrit est correct, et ça correspond à ce que j'ai dit auparavant. Nos méthodes statistiques dans cette préimpression sont approximatives, car nous savons que [l’analyse statistique ne changera pas nos conclusions] David a été horrifié de voir ce qui se passait dans les médias. [...] L'autre attaque, qui était vraiment perfide, a été lorsque des journalistes ont tenté d'appeler mes partenaires en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre etc. [Et] un journal belge en a conclu: Il y aurait eu une polémique à propos de mon étude à la Commission européenne, dans laquelle je serais également impliqué, ce qui est faux. Ce n'est pas la Commission européenne, mais le comité directeur d'une association de recherche européenne. Ce sont des scientifiques de plusieurs pays européens qui ont conjointement sollicité et reçu un financement de l'UE pour un projet qui est en cours. Il y a des vidéoconférences régulières [et] une semaine après la mise en ligne du preprint, nous avons discuté de ça.[...]
Nous devons rassembler des données dans des délais très courts. […] Notre étude a rassemblé des données préliminaires hétéroclites, mais nous nous sommes dit qu'il y a tellement de données que toutes ces perturbations sont en quelque sorte lissées. [...] Nous avons discuté de cela: faut-il faire ces analyses statistiques ou non? C'était le cœur de notre discussion. Et toutes ces déclarations qui sont maintenant dans "Bild", "Christian, tes conclusions sont prématurées", ou "tes statistiques influencent la politique", n'ont pas été prononcées durant cette vidéoconférence. Nous savons tous que ce que nous faisons a une influence politique. Les membres de ce comité sont des scientifiques de haut niveau et tous conseillent leurs propres dirigeants. Et tout le monde est dans la même incertitude. Mais ce n'est pas vendeur pour un journal. […] Je pense qu'il est clair que les statistiques sont importantes dans les études scientifiques et qu'il est clair que les statistiques que nous avons établies dans notre étude sont vraiment approximatives. [...] Mais on ne peut en aucun cas dire que l'étude est erronée en raison de la faiblesse de cette analyse statistique. Nous allons retravailler cet aspect et mettre une version préliminaire en ligne, probablement aujourd'hui, mais ça ne sera certainement pas la version finale du manuscrit [car] cela prend du temps. Cette semaine, je ne [me suis occupé] que de "Bild", ça m'a coûté énormément de temps et cela retarde considérablement la science. [Nos données montrent, même sans analyse statistique], que la charge virale des enfants présymptomatiques est tout aussi élevée que celle des adultes dans la même situation.
R et k
Hennig: Abordons un sujet complètement différent, à savoir: Quelle importance ont les super-spreaders et les super-spreading events pour la dynamique de l'épidémie? [...]
Drosten: Ce n’est pas parce qu’il y a un grand foyer épidémique quelque part, une célébration, pub ou répétition de chorale, qu'il s'agit d'un virus qui se diffuse par superspreading. Le superspreading est autre chose.
Au début de l'épidémie de SRAS-2, on ne savait pas si ce virus se propageait par superspreading, on avait de bonnes raisons de penser que ce n'était pas le cas, car il était très différent du SRAS-1, dans sa réplication. Le terme de superspreading s’est imposé pendant l'épidémie de SRAS-1 en 2003, alors qu’on connaît ce phénomène depuis plus longtemps. Superspreading signifie qu'il y a de grands foyers épidémiques et que les petits clusters ou les petites chaînes de contaminations ne se prolongent pas dans le temps, de sorte que toute l'épidémie est portée par des événements de superspreading. [...] Il existe un certain nombre de personnes infectieuses qui contaminent un nombre élevé de personnes.[…] Pour le dire simplement: peu de gens en contaminent beaucoup d'autres et la plupart n'en contaminent que quelques-uns ou aucun. [...]
Le R a une certaine valeur. Par exemple, dans SARS-2, nous pensons que R=2. Diverses études indiquent qu'il se situe entre 2 et 3,5. Cela dépend un peu de l'environnement, mais disons 2. Autrement dit, celui qui est infecté en contaminera deux autres dans la prochaine génération. Ainsi, tous ceux qui sont infectés en infectent deux autres. Il n'y a personne qui en contamine 4 et il n'y a personne qui n'en infecte qu'un, donc pas de dispersion. Une surdispersion signifie qu'il y a un écart excessif par rapport à cette moyenne. Tellement excessif qu'il y a des valeurs aberrantes. Ce sont les événements de super-spreading. Cela peut signifier que nous avons également un R de 2, mais avec un comportement infectieux complètement différent. Tout simplement parce que quelques-uns en infectent beaucoup et la plupart n'en infectent pas ou n'en infectent que quelques-uns. Mais en moyenne, c'est toujours R=2. [...] Avec SARS-2, nous ne savons pas encore ce qu’il en est exactement. Il existe diverses études, que je mentionnerai brièvement, qui suggèrent des valeurs différentes. Mais d'abord, je veux introduire une valeur, c'est ce facteur de dispersion.
Hennig: k.
Drosten: Kappa, c'est-à-dire en grec K. Vous pouvez également l'écrire comme un K normal, cela n'a pas d'importance. Donc le facteur de dispersion. Si k=1, la distribution est complètement uniforme. Si k=0: tout va mal. Mais si nous avons un facteur de diffusion compris entre 0,1 et 0,7 ou 0,8, alors vous êtes davantage dans une gamme réaliste.[…] Plus la valeur est petite, plus le déséquilibre dans la distribution est important. Avec une plus grande valeur, nous avons une distribution uniforme. Avec SRAS-1, nous savons que ce facteur de dispersion est d'environ 0,1. Cela signifie que 73% de toutes les personnes atteintes du SRAS contaminent moins d'une personne, mais 6% en contaminent plus de 8. Il y a une bonne explication de ce très faible facteur de dispersion. Ce virus du SRAS doit pénétrer dans les poumons pour déclencher l'infection, et ne se réplique pas dans les voies respiratoires supérieures, mais seulement dans les poumons. Vous pouvez imaginer que si vous avez un virus dans vos poumons, vous êtes très malade et allez à l'hôpital et n'infectez probablement personne d'autre. Mais il y a quelques patients qui ont des poumons pleins de virus et qui ne se sentent pas malades, toussent et circulent alors qu'ils sont malades. Bien sûr, ils contaminent beaucoup d'autres personnes.
Hennig: Mais c’est un peu différent avec ce coronavirus parce qu'il se réplique dans les voies respiratoires supérieures?
Drosten: C'était la découverte fondamentale de fin janvier, qui est toujours vraie aujourd'hui et qui devient de plus en plus claire. Soit dit en passant, il y a une nouvelle étude intéressante dont nous pourrons discuter la semaine prochaine, qui confirme très bien que, contrairement au SRAS-1, ce virus se réplique fortement dans les voies respiratoires supérieures. C'est pourquoi tout le monde pensait initialement que la dispersion dans l'infection par le SRAS-2 est probablement très différente. Parce qu'un virus qui se réplique autant dans les voies respiratoires supérieures se propagera de manière très uniforme, c'est imparable, tout le monde l'a dans la gorge et personne ne remarque au début qu'il est infecté. […] En raison de la réplication dans les voies respiratoires supérieures, tout le monde pensait que la distribution serait beaucoup plus uniforme.
Dans une prochaine étape, je vais essayer d'expliquer pourquoi nous avons un avantage de contrôle et un avantage épidémiologique ici.
Petits calculs...
Nous devons faire un petit calcul. Admettons que nous avons une maladie infectieuse dans laquelle nous avons une distribution inégale ; 10 patients dont 9 qui n'en infecteront qu'un seul autre. Cela ressemble à R=1. Et le 10e infecte 10 autres. Cela signifie que dans la prochaine génération, nous n'aurons pas 10 cas, mais 19. […] Si nous n’avons qu’un seul cas à un endroit, la probabilité la plus élevée est qu'il n'y aura qu'un seul cas subséquent. Autrement dit, si nous disons que la durée de la série de la maladie est de six jours, soit environ une semaine, la première semaine, nous n’avons qu’un patient. La deuxième semaine, nous n'avons encore qu'un seul patient. La troisième semaine, nous avons encore un patient. Il y a toujours de nouveaux patients, de nouvelles infections, mais on ne s'en aperçoit pas.[...] Peu importe si les infections précédentes ont déjà guéri. Nous voulons simplement calculer combien de nouvelles personnes sont infectées chaque semaine, et ce n'est qu'une par semaine. Cette asymétrie de la distribution inclut en fait des valeurs inférieures à un. Par conséquent, à un moment donné, cela peut ne pas aller plus loin, c'est ce qu'on appelle l'extinction. Nous en parlerons ensuite. Nous avons là une situation calme, un seul nouveau cas par semaine que nous ne remarquons pas. Nous jouons un peu à la roulette russe, à un moment donné, on tombe sur celui qui en infecte 10. Nous avons 10 nouveaux cas de semaine en semaine. Ça peut démarrer sans qu’on s’en rende compte. [...] Et avec ces 10 cas, il est possible que ces 10 n'en infectent qu'un de plus et qu'il n'y ait personne qui en infecte 10 autres. La semaine d’après, nous n'aurons que 10 nouveaux cas, 10 qui n’en donneront qu’à nouveau 10. Il peut également arriver que nous ayons 9 qui n’en infectent qu’un et un qui en infecte dix. Cela signifie que les dix deviendront 19 la semaine suivante. Et sur cette vingtaine, nous n'avons qu'un seul qui en infecte dix. Donc 18 cas plus dix d'un super épandeur, soit 28. Nous sommes déjà proches de 30. Continuons le calcul: 3 en contaminent 10, et 25 n’en contaminent qu’un. Donc 10+10+10+25 = 55. Dans la génération suivante, nous en sommes à environ 100. Ensuite, ça explose. […]
Il peut toujours arriver qu'une telle chaîne d'infection (un, puis un, puis un), ne se poursuive pas à un moment donné, car la personne reste chez elle ; c'est l'auto-extinction. Avec ces distributions asymétriques, cela est beaucoup plus probable que si deux nouveaux cas surgissaient d’un cas à chaque génération. Néanmoins, nous aurions le même R, à savoir 2. […] Avec la même valeur R, mais avec une distribution inégale, nous avons cette phase de démarrage lente et bégayante, où rien ne se produit au début ou même s'éteint. Ensuite, nous arrivons inévitablement au patient numéro dix - c'est de la pure stochastique. Ce n’est pas nécessairement le dixième, cela peut se produire avec le troisième. C’est la bille rouge dans une boîte de billes jaunes, on peut avoir la rouge dès le premier tirage. C'est une coïncidence. Cette bille rouge, ce patient contaminant dix patients, amorce le cluster. Alors on en a 10, puis 19, 28, 55, 101, ce qui double encore. C'est à nouveau une cinétique exponentielle régulière et vous ne pouvez pas faire grand-chose, cela ne disparaît plus de lui-même.[…]
Avec la même valeur R, on peut avoir une situation où une personne infectée quelque part, par exemple dans une école, provoque directement une épidémie exponentielle. Ou [alors une situation où il ne se passe rien pendant] des semaines, voire plus d'un mois ou deux mois. Si on testait chaque élève de cette école avec la PCR, on trouverait ce cas, mais nous ne pouvons pas le faire pour le moment. Cependant, une fois qu'un cluster apparaît, il faut intervenir.
[…] Mais il y a autre chose qui est très important. Il y a une différence de contrôlabilité et cela dépend aussi de la dispersion. En termes simples: nous savons maintenant que cette bille rouge, ce patient très contagieux, contribue de manière significative au processus d'infection. Si nous savions à l'avance quel patient est le plus contagieux, ce serait facile à contrôler, nous n'aurions plus à nous soucier de toute cette pandémie.
Hennig: Mais nous ne le savons pas.
Drosten: Le seul problème est que ce n’est pas écrit sur son front. Voilà le gros problème. Maintenant, il existe un moyen de cibler les situations les plus susceptibles de produire un superspreading event. Le patient qui en infecte dix autres n'est pas forcément aussi contagieux à cause d’une plus forte charge virale. C'est peut-être le cas, mais une autre raison peut également être qu'il se trouve dans une situation sociale dans laquelle il peut infecter tant de personnes. Si vous supprimez ces situations sociales, vous supprimez également les événements de superspreading.
Superspreading events
Hennig: Il existe diverses études à ce sujet. Par exemple, un groupe de chercheurs des États-Unis, du Canada et d'Australie a étudié cette stochastique. Ils nomment quatre catégories d’événements, la chorale, le bateau de croisière, les conditions de travail (abattoirs, hébergement en dortoir), mais aussi des comportements sociaux. Et puis il y a aussi ce que vous venez de dire, les facteurs biologiques qui sont probablement les facteurs les moins connus.
Drosten: Exactement. Soit dit en passant, je veux dire que j'ai été guidé par un superbe article dans "Science" de Kai Kupferschmidt, sans aucun doute l'un des meilleurs journalistes scientifiques que nous avons en Allemagne. Il écrit beaucoup pour "Science". Il a fait une très belle revue sur ce sujet complexe, disponible gratuitement. [...] Il y a une considération très intéressante pour le contrôle d’une épidémie dans une étude fondamentale de Lloyd Smith, dans "Nature" en 2005. Ce sont des modélisateurs mathématiques qui tentent de cartographier la réalité. […] On peut éviter les situations sociales dans lesquelles les patients infectieux peuvent en infecter plusieurs […]
Hennig: Par exemple, empêcher les rassemblements, fermer les entreprises ...
Drosten: Oui, ou simplement un masque [...] cela suffit pour arrêter une épidémie qui a un R de 3 et un facteur de dispersion de 0,1. Et c'est le SRAS-1, ce sont les chiffres pour le SRAS-1. […] Vous avez une mesure de contrôle qui n'est efficace qu'à 30%, mais la moitié de sa puissance se reflète dans les événements de superspreading. Et l'épidémie s'arrête. Je ne veux pas dire que cela s'applique également au SRAS-2, car nous ne connaissons pas le facteur de dispersion du SRAS-2. Je pense qu'il est en fait supérieur à 0,1. Je serais très surpris si c'était comme le SRAS-1.[…]
[Il y a] des études qui ont déjà été faites sur le facteur de dispersion du SRAS-2. L'une a été réalisée relativement tôt, une étude de modélisation de Berne. Sur la base d'une post-analyse des incidences signalées à Wuhan, les auteurs arrivent à une estimation qui se situe entre 0,3 et 0,6, avec une médiane à 0,54. C'était une première estimation que beaucoup de ceux qui étaient intéressés utilisaient. [...] D'autres études sont ensuite apparues.
Une étude vient de Londres. Il estime quelque chose entre 0,1 et 0,3. On dit que 10% des personnes infectées représentent 80% de toutes les infections. Cela signifierait que c’est très facile à contrôler. Cependant, il y a un problème avec cette étude, que les auteurs soulèvent eux-mêmes, c'est la base de données [qui est] incertaine, hétérogène et fragile. Vous pouvez y avoir les meilleures statistiques et les résultats peuvent être trompeurs. [...] Nous savons tous à quel point la détection des infections était hétérogène et incomplète en janvier et début février, à l'époque, la plupart des pays n'avaient aucune possibilité de tester. Il se pourrait donc que cette valeur, qui est estimée ici, ne soit pas correcte. Néanmoins, il s'agit d'un excellent travail méthodologique et, pour cette seule raison, il devrait être publié.
Il y a une autre étude qui vient d'un groupe chinois. La valeur estimée est de 0,45, mais là, le facteur de dispersion n'était qu'un aspect secondaire. Ensuite, il y a une autre étude d'Israël qui estime sur une base différente, à savoir le séquençage, qui [donne] quelque chose de similaire: qu'environ 1 à 10% de tous les cas conduisent à 80% de tous les cas secondaires. Les auteurs le répètent ouvertement et franchement, le tout n'est basé que sur 212 séquences. De plus, l'évolution de ce virus est un peu trop lente pour voir une mutation dans les cas de transmission. Il y a d'autres virus à ARN, où c'est comme ça, où on peut voir au moins une mutation à chaque processus de transmission. Vous savez toujours qui a infecté qui.[…] Vous ne pouvez pas faire cela avec ce virus. C'est pourquoi vous devez travailler avec des détours statistiques. Les auteurs ne font délibérément pas d’estimation correcte du facteur de dispersion, ils suggèrent simplement qu'ils disent que 1 à 10% des cas pourraient être responsables de 80% des cas secondaires. Leur estimation se situe dans une fourchette basse.
Il y a une étude de Gabriel Leung, l'un des principaux épidémiologistes de cette épidémie, qui a déjà fait un excellent travail sur le SRAS-1. Il le fait différemment, beaucoup plus systématiquement. Il a sélectionné 53 clusters parmi les clusters de Hong Kong. […] Les clusters ont une certaine taille minimale afin que vous puissiez également effectuer une évaluation statistique. Ce qui ressort ici est une autre estimation selon laquelle 20% des personnes infectées provoquent environ 80% des infections ultérieures. Ils estiment le facteur de dispersion, à 0,45. Malheureusement, c'est une valeur relativement élevée qui ne peut pas susciter d'euphorie. [On ne peut pas dire que nous ayons tué l’épidémie avec le lockdown et que maintenant c’est sous contrôle]. Malheureusement, ce n'est pas si simple. Mais nous aurons un avantage avec la dispersion. Une autre leçon importante de l'étude de Gabriel Leung, est comment isoler les cas pour empêcher de tels clusters. [...] Si vous isolez rapidement la personne diagnostiquée positive, il est déjà trop tard. Vous ne pouvez plus gagner de temps avec les diagnostics dans un cluster.
Changer de stratégie
Hennig: Parce que la transmission fonctionne déjà simultanément?
Drosten: Parce que tout fonctionne déjà, exactement. Nous avons un virus qui se diffuse avant l'apparition des symptômes. Et nous avons des superspreading events – que nous découvrons avec un test PCR - mais on peut supposer qu'il existe depuis longtemps avec un nombre inconnu d’infectées. Dans cette chorale (de Berlin), près de 90 % des participants ont été infectés. Il y a une conclusion très importante dans cette étude, [...] lorsque nous découvrons un cas, nous devons immédiatement regarder l'environnement du cas concernant ses contacts récents. Nous devons regarder s’il était dans un cluster, dans un super spreading event les deux ou trois derniers jours ?
Hennig: Comme être allé à la gym, par exemple.
Drosten: Par exemple, exactement. Et s'il était dans une telle situation, il faut considérer toutes les personnes qui l’étaient aussi comme infectées et les isoler immédiatement, sans attendre de diagnostic. On ne peut pas dire que les 20 personnes qui étaient dans la salle de gym doivent d'abord passer un test PCR et puis on verra. Et celui qui est positif sera isolé. Voilà comment on l’aurait fait classiquement. C’est une erreur, il faut changer de stratégie. L'important est que la décision d'isoler doit être prise immédiatement, sans tenir compte du résultat du diagnostic. Ces nouvelles données datent d'une dizaine de jours et ça a vraiment changé la situation de base. [...]
Hennig: Cette recherche des contacts, [peut se faire via] l'application que beaucoup attendent, ou en laissant vos coordonnées partout afin que vous puissiez être averti rapidement.
Drosten: Absolument, nous en avons beaucoup parlé dans un épisode passé lorsque nous avons discuté de l'étude de Christophe Fraser, dans "Science"[…]
Je pense que tout le monde peut imaginer ce que peut être un événement à grande diffusion. Je pense que nos mesures actuelles empêchent également de nombreux événements de super-propagation. Ce que j'ai dit plus tôt peut sembler un peu pessimiste, mais ce n’est pas le cas, c'est un message très optimiste, car ce que nous faisons en ce moment, [couvre déjà un bon nombre de ces situations] Nous devons réajuster certaines mesures.
Hennig: Les sports d'intérieur, par exemple.
Drosten: Exactement. Et la durée joue également un rôle, être dans une pièce pendant dix minutes est quelque chose de complètement différent [que d’être] dans une pièce avec beaucoup de monde pendant deux heures. C'est très clair, la composante temps joue également un rôle. […]
Je commence à penser que nous avons une chance d'entrer dans l’automne et l’hiver avec ce contrôle général des mesures, sans vaccination, et sans une seconde vague mortelle. Nous avons une chance. Cependant, nous devons examiner de près comment nous ajustons nos mesures actuelles pour empêcher spécifiquement les événements de super-propagation. Et je dis cela parce qu'il y a un précédent. C'est l'exemple du Japon. Cela a été publié hier dans "Science". Le Japon a connu une lente courbe descendante. Et cela, malgré un lockdown modéré, comparé aux autres pays asiatiques. Ils ne font pas seulement appel à la responsabilité individuelle, comme la Suède, mais ils font différemment. Il a longtemps été difficile de comprendre exactement ce que les Japonais faisaient, ils ne communiquent pas à ce sujet. Le Japon a une population plus importante que l’allemande et la densité est élevée. Il y a quelqu'un à la barre qui a eu son baptême du feu pendant l'épidémie de SRAS-1, [et en a tiré des leçons] : s'il y a un cluster, nous n'effectuons aucun autre diagnostic, nous définissons tous les membres du cluster comme infectés et les isolons immédiatement. C'est le cœur de la stratégie japonaise et nous voyons le succès.
Hennig: Le nombre de décès est très faible au Japon.
Drosten: Oui, l'incidence diminue lentement mais sûrement. Ce n'est pas une baisse drastique comme dans les pays qui ont fait un lockdown complet. Je pense également que dans de nombreux autres pays, cela n'aurait pas été possible. Ici, on a une personne faisant autorité [qui a juste agi] sur la base de sa propre expérience. Cela s'est bien passé, mais cela aurait pu aussi mal tourner. Les données n'étaient pas vraiment là. [...] Nous devons prendre cela comme exemple pour un avenir proche. Nous avons maintenant avec l’été un moment où nous pouvons ajuster nos mesures. […] Donc si un enseignant est infecté, regardez quelles classes il a eues ces derniers jours? Ces élèves doivent tous rester à la maison pendant une semaine ou deux. Je dirais une semaine car le temps infectieux est également beaucoup plus court que ce que nous pensions initialement. Mais vous n'avez probablement pas à fermer toute l'école à cause de cela.
vendredi 29 mai 2020
mercredi 27 mai 2020
Bild, écoles, enfants, intérieur, espoir. Podcast #43 du 26 mai 2020
L'affaire de la Bildzeitung
Korinna Hennig: Parlons d’abord de ce qui a enflammé Twitter hier soir. Le journal "Bild" a cité diverses personnalités contre vous, vous et votre équipe, à propos de l’étude sur la concentration virale chez les enfants, dont nous avons discuté dans l'épisode 37. Vous aviez vous-même pointé les limites de ces résultats, je cite notre podcast: "Vous devez simplement être très prudent et très critique avec vos propres données". Le document en question est une préimpression, une prépublication qui n'a pas encore été examinée par d'autres scientifiques. Maintenant, « Bild » cite d'autres scientifiques, qui se sont désolidarisés de l’article et ont déclaré que le journal ne les avait pas contactés. D'où viennent alors ces citations?
Christian Drosten: Quatre scientifiques ont été cités, qui ont principalement commenté sur Twitter et dans des prépublications qu'ils ont écrites à propos de notre étude. [...] Ce que nous avons fait est: Nous avons évalué les charges virales, à partir de prélèvements faits en laboratoire et regardé si les charges virales étaient différentes selon les groupes d'âge. Nous avons utilisé pour cela des méthodes statistiques relativement approximatives. [...] Et puis nous l'avons publiée telle quelle. Le résultat est clair: il y a une charge virale très élevée chez les enfants. Et c'est exactement ce que nous voulons dire. En principe, cela aurait pu être publié sans aucune analyse statistique. [...] Des statisticiens se sont manifestés, qui ne sont ni médecins, ni épidémiologistes, mais qui ont dit à juste titre: ce sont des méthodes assez approximatives que vous utilisez. Nous le savions depuis le début, et ce n'était pas tout à fait involontaire. [...] Mais cela n'a absolument aucune conséquence pour l'interprétation médicale et la signification des données. La différence de charge virale n'est pas du tout entre les enfants et les adultes, mais entre les adultes les plus âgés et les autres adultes. Mais ce n'était pas l'objet de notre travail. [...] L'article qui a été publié dans « Bild » n'indique pas en quoi consistent les critiques.
[...] Nous travaillons maintenant avec notre équipe à une mise à jour de cette étude avant de la soumettre officiellement à la publication. Nous espérons que nous pourrons le faire d'ici la fin de cette semaine. Non seulement nous avons amélioré les statistiques, mais nous avons également approfondi les données [...] les échantillons d'enfants asymptomatiques étaient bien représentés au début, en Allemagne. Les échantillons d'enfants que nous avons eu dans la phase ultérieure avaient tendance à provenir davantage d'enfants admis à l'hôpital avec des formes sévères, souffrant d’autres maladies. Chez ces enfants, la concentration de virus dans la gorge diminue naturellement avec le temps. Si nous analysons la première phase de nos tests - où nous avons eu plus de cas asymptomatiques et légèrement symptomatiques- lorsque nous analysons cela séparément, nos résultats sont beaucoup plus tranchés. Il est clair que les enfants ont la même concentration de virus que les autres groupes d'âge. Nous allons présenter cela dans une étude de très haute qualité.
Les pédiatres exigent la réouverture des écoles
Hennig: Il y a quelques jours, cinq sociétés médicales, dont trois de pédiatres, ont publié conjointement un article dans lequel ils ont évalué 37 sources. Ils formulent une demande très claire: les écoles et les maternelles doivent rouvrir sans restrictions. Derrière cela, il y a aussi le souci de l'éducation et de la vie sociale des enfants. Mais il y a aussi une conclusion médicale à partir des études: "Les enfants jouent un rôle significativement moindre dans la propagation du virus par rapport aux adultes." Comment évaluez-vous cela?
Drosten: Je connais certains de ces auteurs. Certains d'entre eux ont déjà publié une déclaration similaire. Ils savent aussi que je suis en désaccord avec beaucoup de choses sur l'interprétation de certaines publications. Nous avons déjà discuté de certaines d’entre elles dans le podcast et j'ai expliqué pourquoi je pense qu’elles ont des lacunes. En termes simples: si vous examinez les familles en vous demandant si les enfants peuvent y introduire le virus, mais comme ils ne peuvent pas sortir pendant la période de confinement, on ne peut pas faire une telle étude, ou si vous le faites, vous verrez que les enfants ont toujours un faible rôle. Cela n’est pas dû au fait que les enfants ne le transmettent pas, mais parce que ce ne sont pas les enfants qui l'introduisent dans la famille parce qu'ils ne vont pas à la garderie et à l'école. Dans beaucoup de ces études, cette donnée est soulevée par les auteurs. Cependant, cette prudence n'a pas été retenue dans l'avis des sociétés spécialisées[…]
Il y a aussi une autre considération. On parle toujours de cette étude islandaise, où les enfants sont toujours en bout des chaînes de transmissions. Il faut dire qu’on a le même problème dans cette enquête [qui a été faite au début de l’épidémie], où ce sont des adultes qui ont introduit le virus dans le pays, un très petit pays, puis ont été testés. […]
Mais je veux dire autre chose à propos de l’avis de ces experts. Je pense qu'il est juste de mettre l'accent sur le bien-être des enfants et les nombreux autres facteurs qui accompagnent la fermeture des écoles. Cette dimension sociale très importante, la politique doit la prendre en compte, et la politique a également besoin de divers points de vue. […] Les politiciens doivent faire quelque chose maintenant. Quand un politicien m'appelle, ou quand je siège à une commission avec d’autres virologues et d'autres scientifiques, je commence aussi à dire que, d'une part, il y a la science et les données, [que] nous devons supposer que les enfants sont peut-être aussi contagieux que les adultes. Mais d'un autre côté, en tant qu'individu, je dirais également que je reconnais pleinement qu’il n'est plus supportable que les écoles et les crèches restent fermées. Dans le débat actuel sur les mesures d'assouplissement qui prennent désormais effet partout, cela n'est plus audible. Pourquoi, par exemple, dire que nous pouvons ouvrir les restaurants, mais toujours pas les écoles. Je dois le reconnaître.[...]
Je peux ensuite faire des propositions : [tester les] adultes, qui développent des symptômes [puisque] les enfants sont souvent asymptomatiques. Ce n'est pas un gaspillage de ressources. […] Nous pouvons également tester tous les éducateurs asymptomatiques qui le souhaitent avec la méthode du pooling, où vous regroupez les échantillons des personnes dont vous pensez qu'ils sont négatifs [...]
Hennig: Juste pour expliquer: s'il y a un échantillon positif, vous retirez ces échantillons et testez à nouveau.
Drosten: Exactement. Vous testez à nouveau les membres individuels du pool. Il existe également différentes approches pour cela. Mais vous pouvez dire que c'est techniquement possible et ce n'est pas non plus un gaspillage de ressources financières. […] Je pense que si vous voulez lever l’obligation scolaire pour les enfants qui ont une personne à risque dans la famille, alors vous devez également vous demander si certains enseignants pourraient être exemptés du contact direct avec les élèves pour la même raison.
Hennig: Puisque nous discutons de la vie quotidienne à l’école, [j'ai moi-même des enfants qui, quand ils arrivent, doivent se laver ou se désinfecter les mains]. Cela a-t-il un sens, puisque nous savons que nous devons d’avantage faire attention aux aérosols et gouttelettes qu’à l'infection via les mains? Faut-il repenser les protocoles dans les écoles?
Drosten: Oui, je pense que cela devra se produire dans les prochains jours et semaines. Ce n'est pas facile, ces directives sont autre chose qu'une recommandation donnée dans un podcast. Nous en avons parlé à plusieurs reprises : ouvrez la fenêtre, mettez un ventilateur devant la fenêtre, entrouvrez la porte, afin de créer un flux d'air dans la classe. Ainsi, l’aérosol est dirigé vers la fenêtre. Je peux dire ça, mais une autorité sanitaire ne peut pas écrire cela rapidement, il y a d’autres considérations, comme la sécurité, le droit du travail, les finances - qui paie les ventilateurs... […] Il était fondé de dire au début, en février environ, qu’il fallait se laver les mains et désinfecter à la maison et garder une distance d'un mètre et demi à cause des gouttelettes, car c'est à cette distance qu’elles tombent ensuite au sol. Mais maintenant, de nombreuses études sont sorties, dont nous avons déjà largement discuté dans le podcast.
Les contaminations se font à l'intérieur
Il y a deux ou trois autres nouvelles études qui confirment cela: les contaminations se produisent à l'intérieur, ce qui indique clairement une composante aérosole. [...] Pour moi, la meilleure de ces études est toujours celle de Hong Kong, qui me dit que probablement 50% de la substance infectieuse, le virus infectieux, est dans les particules d'aérosol et non dans les gouttelettes. Nous n'avons pas vu de nouvelles données scientifiques pour la transmission par contact. Attention, je ne parle pas des cliniques ici. Nous avons des données scientifiques pour les cliniques qui prouvent même que le virus s'accumule sur les surfaces et il est très clair que nous devons utiliser des désinfectants dans les cliniques. Mais ce sont des espaces où il y a des patients infectés traités pendant des jours.[...]
Il y a une nouvelle observation très importante, qui n'est pas si nouvelle si on pense au SRAS-1. Mais maintenant, les données sont réunies pour le SARS-2. C'est un sujet qui nécessiterait un épisode entier du podcast, le sujet de la dispersion, l'inégalité de la distribution des événements infectieux. Le constat est que très peu de gens infectent un grand nombre de personnes et la plupart des gens n'en infectent aucune ou très peu. Cela signifie que nous avons des événements de diffusion explosifs qui alimentent cette épidémie, quelque chose comme la chorale, où tout le monde a été infecté pendant la répétition, ou ce qui s'est passé à Francfort dans l'église ou dans un restaurant en Basse-Saxe.
[...] Cela peut être modélisé et résumé mathématiquement. Il existe toute une série de bonnes nouvelles qui disent qu'un tel phénomène est également à l’œuvre dans l'épidémie de SRAS-2. Ceci a une implication très importante, car ces événements de contaminations de masse ont lieu via l'aérosol. [Donc] si vous supprimez cet événement de transmission, alors vous avez contrôlé toute l'épidémie. C'est exactement ce que nous voulons. [...]
Hennig: J'ai vu une étude japonaise dans laquelle on estimait que le risque de transmission à l'intérieur était 19 fois plus élevé qu'à l'extérieur.
Drosten: C'est une étude qui a été publiée le 16 avril. Il s'agit d'une étude intéressante et robuste. Ce sont 110 cas qui ont été examinés où la question posée était: qui a été infecté, où et comment? Était-ce à l'intérieur ou à l'extérieur? Sur ces 110 cas, 27 constituaient la génération zéro, les autres ont été contaminés par ces 27. L’analyse des risques relatifs indique qu'on est en fait 18,7 fois plus susceptible d'être infecté à l'intérieur. Il est clair qu’il faut déplacer le maximum d’activités à l'extérieur. Nous avons déjà parlé de gastronomie, qui peut ouvrir ses terrasses. Ensuite, [on peut dire] qu’on n’a pas besoin d'une distance d'1,5 m sur la terrasse, car nous savons que ce n'est qu'une partie du processus de contamination. Peut-être qu'un mètre ou même un peu moins suffit. Peut-être qu'une distance normale suffit. [...] Dans les pays scandinaves, par exemple, on ne fait cours à certaines classes qu'à l'extérieur, et si le temps est mauvais, les cours sont annulés. [...]
Hennig: à propos de ce que font les pays scandinaves, avons-nous des données plus fiables sur leur situation? Ou d’Asie?
Drosten: Oui, il y a une autre étude parue le 7 avril, où des cas ont été examinés dans 320 villes de Chine. 318 foyers ont été analysés. Par définition, un cluster était constitué d'au moins trois cas, soit un total de 1245 cas d'infection. On peut dire qu'il n'y a eu qu'un seul de ces 318 foyers contagieux qui ait démarré à l'extérieur. 80% dans la famille, mais il faut dire qu'à cette époque, lorsque l'étude a été réalisée, du 4 janvier au 11 février, ils étaient confinés depuis trois semaines. Dans certaines villes, mais pas dans toutes. Ainsi, 245 foyers de contagion sur 318 étaient dans les familles. 108 étaient associés aux transports en commun. Si vous additionnez cela, c'est plus de 300. C'est parce qu'il y avait plusieurs situations possibles pour chaque foyer. Mais 108, soit 34% des foyers épidémiques, étaient liés à l'utilisation des transports en commun, et seulement 14 l’étaient à des visites de restaurants.
Il y a une autre étude qui vient de sortir, une prépublication, je crois que le groupe vient de Londres. C’est une revue de la littérature, [une compilation]. Où y a-t-il déjà eu des clusters de plus de 50 cas? Les emplacements sont les suivants: églises, dortoirs pour travailleurs, maisons de retraite, hôpitaux, navires, écoles, installations sportives, bars, magasins et salles de conférence. [...]
Pour les transports en commun, il m'est difficile d'évaluer le risque. Quel est le renouvellement de l’air dans un autobus ? Dans le métro - à Hong Kong ou à Shanghai, dans ces grandes villes asiatiques, les rames de métro sont construites de telle manière qu'elles sont un immense espace ouvert, un long couloir sans wagons. Lorsque le train démarre, il y a un flux d'air qui va d’un bout à l’autre. Pour autant que je sache, il est même filtré, [alors que] si je pense à la ligne U2 à Berlin, qui est très ancienne, qui roule parfois à 25 km/h, il n’y a pas de renouvellement d’air, encore moins l’été quand il fait très chaud. [...] Je ne suis pas technicien, [je ne sais pas si dans les trains la climatisation procède à un renouvellement de l’air]. Il est bien connu qu’à bord d'un avion la contamination par aérosol est relativement faible, [contrairement à celle par gouttelettes, qui concerne les rangées devant et derrière la personne malade, et les sièges à gauche et à droite]. Il y a des données pour le montrer.
Hennig: Cela signifie que, lorsque la distance n'est pas maintenue pour des raisons économiques, la protection anti-postillons pourrait prévenir les autres d’une infection par les gouttelettes?
Drosten: Oui, il est vrai que la protection anti-postillons empêche théoriquement la contamination par aérosol, parce qu'un aérosol est créé en excrétant d'abord une gouttelette qui, en séchant rapidement, devient une petite particule d'aérosol flottante. Si la gouttelette est bloquée par le tissu dès le début, aucune gouttelette d'aérosol n'en résultera.
Hennig: Cela signifie qu'il s'agit toujours de grosses gouttelettes. Jusqu'à présent, j'avais compris que respirer et parler fort créait directement de plus petites gouttelettes.
Drosten: Oui, ce sont des états transitoires. Ce n'est pas noir ou blanc, il y a des zones grises. Mais il y a une proportion de particules d’aérosol qui ont commencé sous forme de gouttelettes.
Part d'enfants contaminés
Hennig: De nouvelles études traitent de la question du taux d'attaque secondaire. Par exemple, dans quelle mesure les enfants sont-ils infectés, peut-être par la mère qui est rentrée d'un voyage d'affaires et a amené le virus avec elle? Si nous regardons les données, ce taux d'attaque secondaire est d’environ 15% . Cela semble étonnamment bas, du point de vue d'un profane, car en famille nous vivons ensemble de façon étroite.
Drosten: Oui, c'est vrai. On pourrait penser que nous devrions être à 25 ou 35%, comme dans les pandémies de grippe. C'est vraiment moins ici. D'une part, cela pourrait être dû à une immunité fondamentale non détectée, nous en avons déjà discuté. Soit dit en passant, il y a de nouvelles études dont nous devons parler une autre fois. Mais il existe des données montrant qu'au niveau de l’immunité cellulaire, quelques personnes peuvent avoir bénéficié de contacts antérieurs avec des coronavirus du rhume inoffensifs, qui ont certaines propriétés en commun avec le nouveau virus dans leur structure protéique. Mais il se pourrait également que la distribution asymétrique des infections joue un rôle. On n’est que brièvement et violemment contagieux, il y a un jour ou deux où vous êtes vraiment contagieux.
Hennig: avant l'apparition des symptômes.
Drosten: Exactement, la veille du début des symptômes est la journée la plus contagieuse. Ensuite, nous savons maintenant, grâce à ces très bonnes études du groupe Gabriel Leung de Hong Kong, que l'infectiosité est en principe terminée au bout de trois ou quatre jours. Maximum après une semaine, c'est complètement terminé. [On peut imaginer, si on] travaille à plein temps, qu’on ne voit les enfants qu'une heure le soir et 30 minutes le matin. Ou le conjoint - vous dormez ensemble, vous êtes pratiquement certain d'être infecté. Qu'en est-il de la tante qui vit dans la même maison, quel contact infectieux si vous ne la voyez qu'une heure par jour? Vous pouvez comprendre qu'en moyenne, seulement 15% des membres du ménage soient infectés. Il s'agit peut-être d'une combinaison de cette distribution asymétrique de l'infection et d'une immunité éventuelle. [...]
Une étude chinoise, publiée en avril, fait état d’un taux d'attaque secondaire, dans les familles (14 ou 18%), inférieur chez les moins de 20 ans (seulement 5,2%). Cela peut avoir de l'importance, mais il y a toujours le problème des conditions de quarantaine en Chine, où le cas index est retiré du ménage : le premier infecté, s'il est connu, est logé dans un hôtel pendant quelques jours.[...] Il existe une autre étude où seuls 4% des moins de 18 ans sont infectés et 17% des plus de 18 ans, ce qui est également une grande différence.
Il y a cependant une nouvelle étude suisse, réalisée à Genève où on a analysé deux groupes, les 20 à 49 ans et les 5 à 19 ans. Les enfants ont un taux d'attaque de 6% et les adultes 8,5. Il n'y a aucune différence. Il existe une étude publiée en Suède, publiée en suédois, mais comme je parle le bas-allemand, je peux presque comprendre le suédois. Il y a aussi un résumé en anglais. [On a testé des personnes de façon aléatoire]: 2,8% des 0 à 15 ans sont positifs avec la PCR, 2,4% chez les 16 à 29 ans, 2,6% chez les 30 à 59 ans et les plus de 60 ans 2 %. Il n'y a aucune différence. Le virus se répartit de la même façon dans la population. C’est pourquoi je suis toujours si prudent avec ces études sur les contacts intra-familiaux dans une situation de confinement. Il n’y a pas seulement nos données techniques sur la charge virale, mais aussi de telles études effectuées dans différentes conditions environnementales, ainsi que quelque chose d'intuitif: que nous avons tous un pharynx qui est probablement assez similaire.
Contrôler l'épidémie
Hennig: M. Drosten, en conclusion: pensez-vous que nous puissions vivre dans une sorte de scénario pré-corona cet été grâce à notre attention concernant les aérosols?
Drosten: Oui, je pense que c'est possible. C'est peut-être la chose la plus importante dont nous discutons aujourd'hui. Sur la base de ces découvertes de plus en plus nombreuses sur la dispersion, nous avons une nouvelle perspective […] Il y a maintenant un nouvel espoir en raison de cette distribution des infections. Si 20% des personnes infectées infectent 80% des cas secondaires, 80% des cas ne peuvent donc être attribués qu'à 20% des sources d'infection. Il faut ensuite intervenir particulièrement dans ce domaine. Il y a une étude intéressante de Hong Kong qui vient d'être publiée dont nous pourrons peut-être discuter en détail la prochaine fois. Elle dit quelque chose de très intéressant dans la discussion. Tout d'abord, vous devez et pouvez investir dans ces zones à risque, puis il est beaucoup plus facile de gérer l'épidémie globale, même sans vaccination. Vous avez même la possibilité que cette population ne risque pas la maladie, mais constitue un risque de transmission. Je ne parle pas des personnes souffrant de problèmes cardiaques et des personnes âgées, je parle des personnes plus impliquées dans ces grands clusters de transmission, pour des raisons professionnelles, par exemple. [Il y a peut-être là une immunisation précoce]. Et l'épidémie disparaît plus tôt que prévu. Quelque chose comme ça peut arriver, il y a cet espoir.
Et puis il y a un deuxième élément d'information très important dans cette discussion, à savoir que les infections vont si vite [qu’il faut agir immédiatement quand on repère un «super spreading event»] vous devez isoler tout le cluster immédiatement, sans attendre le diagnostic, car vous n'avez pas le temps d’attendre. Si vous voulez empêcher les infections de créer une épidémie qui ne peut plus être contrôlée, vous devez mettre immédiatement en quarantaine l'ensemble du cluster. De telles mesures pourraient permettre de contrôler l'épidémie.
Korinna Hennig: Parlons d’abord de ce qui a enflammé Twitter hier soir. Le journal "Bild" a cité diverses personnalités contre vous, vous et votre équipe, à propos de l’étude sur la concentration virale chez les enfants, dont nous avons discuté dans l'épisode 37. Vous aviez vous-même pointé les limites de ces résultats, je cite notre podcast: "Vous devez simplement être très prudent et très critique avec vos propres données". Le document en question est une préimpression, une prépublication qui n'a pas encore été examinée par d'autres scientifiques. Maintenant, « Bild » cite d'autres scientifiques, qui se sont désolidarisés de l’article et ont déclaré que le journal ne les avait pas contactés. D'où viennent alors ces citations?
Christian Drosten: Quatre scientifiques ont été cités, qui ont principalement commenté sur Twitter et dans des prépublications qu'ils ont écrites à propos de notre étude. [...] Ce que nous avons fait est: Nous avons évalué les charges virales, à partir de prélèvements faits en laboratoire et regardé si les charges virales étaient différentes selon les groupes d'âge. Nous avons utilisé pour cela des méthodes statistiques relativement approximatives. [...] Et puis nous l'avons publiée telle quelle. Le résultat est clair: il y a une charge virale très élevée chez les enfants. Et c'est exactement ce que nous voulons dire. En principe, cela aurait pu être publié sans aucune analyse statistique. [...] Des statisticiens se sont manifestés, qui ne sont ni médecins, ni épidémiologistes, mais qui ont dit à juste titre: ce sont des méthodes assez approximatives que vous utilisez. Nous le savions depuis le début, et ce n'était pas tout à fait involontaire. [...] Mais cela n'a absolument aucune conséquence pour l'interprétation médicale et la signification des données. La différence de charge virale n'est pas du tout entre les enfants et les adultes, mais entre les adultes les plus âgés et les autres adultes. Mais ce n'était pas l'objet de notre travail. [...] L'article qui a été publié dans « Bild » n'indique pas en quoi consistent les critiques.
[...] Nous travaillons maintenant avec notre équipe à une mise à jour de cette étude avant de la soumettre officiellement à la publication. Nous espérons que nous pourrons le faire d'ici la fin de cette semaine. Non seulement nous avons amélioré les statistiques, mais nous avons également approfondi les données [...] les échantillons d'enfants asymptomatiques étaient bien représentés au début, en Allemagne. Les échantillons d'enfants que nous avons eu dans la phase ultérieure avaient tendance à provenir davantage d'enfants admis à l'hôpital avec des formes sévères, souffrant d’autres maladies. Chez ces enfants, la concentration de virus dans la gorge diminue naturellement avec le temps. Si nous analysons la première phase de nos tests - où nous avons eu plus de cas asymptomatiques et légèrement symptomatiques- lorsque nous analysons cela séparément, nos résultats sont beaucoup plus tranchés. Il est clair que les enfants ont la même concentration de virus que les autres groupes d'âge. Nous allons présenter cela dans une étude de très haute qualité.
Les pédiatres exigent la réouverture des écoles
Hennig: Il y a quelques jours, cinq sociétés médicales, dont trois de pédiatres, ont publié conjointement un article dans lequel ils ont évalué 37 sources. Ils formulent une demande très claire: les écoles et les maternelles doivent rouvrir sans restrictions. Derrière cela, il y a aussi le souci de l'éducation et de la vie sociale des enfants. Mais il y a aussi une conclusion médicale à partir des études: "Les enfants jouent un rôle significativement moindre dans la propagation du virus par rapport aux adultes." Comment évaluez-vous cela?
Drosten: Je connais certains de ces auteurs. Certains d'entre eux ont déjà publié une déclaration similaire. Ils savent aussi que je suis en désaccord avec beaucoup de choses sur l'interprétation de certaines publications. Nous avons déjà discuté de certaines d’entre elles dans le podcast et j'ai expliqué pourquoi je pense qu’elles ont des lacunes. En termes simples: si vous examinez les familles en vous demandant si les enfants peuvent y introduire le virus, mais comme ils ne peuvent pas sortir pendant la période de confinement, on ne peut pas faire une telle étude, ou si vous le faites, vous verrez que les enfants ont toujours un faible rôle. Cela n’est pas dû au fait que les enfants ne le transmettent pas, mais parce que ce ne sont pas les enfants qui l'introduisent dans la famille parce qu'ils ne vont pas à la garderie et à l'école. Dans beaucoup de ces études, cette donnée est soulevée par les auteurs. Cependant, cette prudence n'a pas été retenue dans l'avis des sociétés spécialisées[…]
Il y a aussi une autre considération. On parle toujours de cette étude islandaise, où les enfants sont toujours en bout des chaînes de transmissions. Il faut dire qu’on a le même problème dans cette enquête [qui a été faite au début de l’épidémie], où ce sont des adultes qui ont introduit le virus dans le pays, un très petit pays, puis ont été testés. […]
Mais je veux dire autre chose à propos de l’avis de ces experts. Je pense qu'il est juste de mettre l'accent sur le bien-être des enfants et les nombreux autres facteurs qui accompagnent la fermeture des écoles. Cette dimension sociale très importante, la politique doit la prendre en compte, et la politique a également besoin de divers points de vue. […] Les politiciens doivent faire quelque chose maintenant. Quand un politicien m'appelle, ou quand je siège à une commission avec d’autres virologues et d'autres scientifiques, je commence aussi à dire que, d'une part, il y a la science et les données, [que] nous devons supposer que les enfants sont peut-être aussi contagieux que les adultes. Mais d'un autre côté, en tant qu'individu, je dirais également que je reconnais pleinement qu’il n'est plus supportable que les écoles et les crèches restent fermées. Dans le débat actuel sur les mesures d'assouplissement qui prennent désormais effet partout, cela n'est plus audible. Pourquoi, par exemple, dire que nous pouvons ouvrir les restaurants, mais toujours pas les écoles. Je dois le reconnaître.[...]
Je peux ensuite faire des propositions : [tester les] adultes, qui développent des symptômes [puisque] les enfants sont souvent asymptomatiques. Ce n'est pas un gaspillage de ressources. […] Nous pouvons également tester tous les éducateurs asymptomatiques qui le souhaitent avec la méthode du pooling, où vous regroupez les échantillons des personnes dont vous pensez qu'ils sont négatifs [...]
Hennig: Juste pour expliquer: s'il y a un échantillon positif, vous retirez ces échantillons et testez à nouveau.
Drosten: Exactement. Vous testez à nouveau les membres individuels du pool. Il existe également différentes approches pour cela. Mais vous pouvez dire que c'est techniquement possible et ce n'est pas non plus un gaspillage de ressources financières. […] Je pense que si vous voulez lever l’obligation scolaire pour les enfants qui ont une personne à risque dans la famille, alors vous devez également vous demander si certains enseignants pourraient être exemptés du contact direct avec les élèves pour la même raison.
Hennig: Puisque nous discutons de la vie quotidienne à l’école, [j'ai moi-même des enfants qui, quand ils arrivent, doivent se laver ou se désinfecter les mains]. Cela a-t-il un sens, puisque nous savons que nous devons d’avantage faire attention aux aérosols et gouttelettes qu’à l'infection via les mains? Faut-il repenser les protocoles dans les écoles?
Drosten: Oui, je pense que cela devra se produire dans les prochains jours et semaines. Ce n'est pas facile, ces directives sont autre chose qu'une recommandation donnée dans un podcast. Nous en avons parlé à plusieurs reprises : ouvrez la fenêtre, mettez un ventilateur devant la fenêtre, entrouvrez la porte, afin de créer un flux d'air dans la classe. Ainsi, l’aérosol est dirigé vers la fenêtre. Je peux dire ça, mais une autorité sanitaire ne peut pas écrire cela rapidement, il y a d’autres considérations, comme la sécurité, le droit du travail, les finances - qui paie les ventilateurs... […] Il était fondé de dire au début, en février environ, qu’il fallait se laver les mains et désinfecter à la maison et garder une distance d'un mètre et demi à cause des gouttelettes, car c'est à cette distance qu’elles tombent ensuite au sol. Mais maintenant, de nombreuses études sont sorties, dont nous avons déjà largement discuté dans le podcast.
Les contaminations se font à l'intérieur
Il y a deux ou trois autres nouvelles études qui confirment cela: les contaminations se produisent à l'intérieur, ce qui indique clairement une composante aérosole. [...] Pour moi, la meilleure de ces études est toujours celle de Hong Kong, qui me dit que probablement 50% de la substance infectieuse, le virus infectieux, est dans les particules d'aérosol et non dans les gouttelettes. Nous n'avons pas vu de nouvelles données scientifiques pour la transmission par contact. Attention, je ne parle pas des cliniques ici. Nous avons des données scientifiques pour les cliniques qui prouvent même que le virus s'accumule sur les surfaces et il est très clair que nous devons utiliser des désinfectants dans les cliniques. Mais ce sont des espaces où il y a des patients infectés traités pendant des jours.[...]
Il y a une nouvelle observation très importante, qui n'est pas si nouvelle si on pense au SRAS-1. Mais maintenant, les données sont réunies pour le SARS-2. C'est un sujet qui nécessiterait un épisode entier du podcast, le sujet de la dispersion, l'inégalité de la distribution des événements infectieux. Le constat est que très peu de gens infectent un grand nombre de personnes et la plupart des gens n'en infectent aucune ou très peu. Cela signifie que nous avons des événements de diffusion explosifs qui alimentent cette épidémie, quelque chose comme la chorale, où tout le monde a été infecté pendant la répétition, ou ce qui s'est passé à Francfort dans l'église ou dans un restaurant en Basse-Saxe.
[...] Cela peut être modélisé et résumé mathématiquement. Il existe toute une série de bonnes nouvelles qui disent qu'un tel phénomène est également à l’œuvre dans l'épidémie de SRAS-2. Ceci a une implication très importante, car ces événements de contaminations de masse ont lieu via l'aérosol. [Donc] si vous supprimez cet événement de transmission, alors vous avez contrôlé toute l'épidémie. C'est exactement ce que nous voulons. [...]
Hennig: J'ai vu une étude japonaise dans laquelle on estimait que le risque de transmission à l'intérieur était 19 fois plus élevé qu'à l'extérieur.
Drosten: C'est une étude qui a été publiée le 16 avril. Il s'agit d'une étude intéressante et robuste. Ce sont 110 cas qui ont été examinés où la question posée était: qui a été infecté, où et comment? Était-ce à l'intérieur ou à l'extérieur? Sur ces 110 cas, 27 constituaient la génération zéro, les autres ont été contaminés par ces 27. L’analyse des risques relatifs indique qu'on est en fait 18,7 fois plus susceptible d'être infecté à l'intérieur. Il est clair qu’il faut déplacer le maximum d’activités à l'extérieur. Nous avons déjà parlé de gastronomie, qui peut ouvrir ses terrasses. Ensuite, [on peut dire] qu’on n’a pas besoin d'une distance d'1,5 m sur la terrasse, car nous savons que ce n'est qu'une partie du processus de contamination. Peut-être qu'un mètre ou même un peu moins suffit. Peut-être qu'une distance normale suffit. [...] Dans les pays scandinaves, par exemple, on ne fait cours à certaines classes qu'à l'extérieur, et si le temps est mauvais, les cours sont annulés. [...]
Hennig: à propos de ce que font les pays scandinaves, avons-nous des données plus fiables sur leur situation? Ou d’Asie?
Drosten: Oui, il y a une autre étude parue le 7 avril, où des cas ont été examinés dans 320 villes de Chine. 318 foyers ont été analysés. Par définition, un cluster était constitué d'au moins trois cas, soit un total de 1245 cas d'infection. On peut dire qu'il n'y a eu qu'un seul de ces 318 foyers contagieux qui ait démarré à l'extérieur. 80% dans la famille, mais il faut dire qu'à cette époque, lorsque l'étude a été réalisée, du 4 janvier au 11 février, ils étaient confinés depuis trois semaines. Dans certaines villes, mais pas dans toutes. Ainsi, 245 foyers de contagion sur 318 étaient dans les familles. 108 étaient associés aux transports en commun. Si vous additionnez cela, c'est plus de 300. C'est parce qu'il y avait plusieurs situations possibles pour chaque foyer. Mais 108, soit 34% des foyers épidémiques, étaient liés à l'utilisation des transports en commun, et seulement 14 l’étaient à des visites de restaurants.
Il y a une autre étude qui vient de sortir, une prépublication, je crois que le groupe vient de Londres. C’est une revue de la littérature, [une compilation]. Où y a-t-il déjà eu des clusters de plus de 50 cas? Les emplacements sont les suivants: églises, dortoirs pour travailleurs, maisons de retraite, hôpitaux, navires, écoles, installations sportives, bars, magasins et salles de conférence. [...]
Pour les transports en commun, il m'est difficile d'évaluer le risque. Quel est le renouvellement de l’air dans un autobus ? Dans le métro - à Hong Kong ou à Shanghai, dans ces grandes villes asiatiques, les rames de métro sont construites de telle manière qu'elles sont un immense espace ouvert, un long couloir sans wagons. Lorsque le train démarre, il y a un flux d'air qui va d’un bout à l’autre. Pour autant que je sache, il est même filtré, [alors que] si je pense à la ligne U2 à Berlin, qui est très ancienne, qui roule parfois à 25 km/h, il n’y a pas de renouvellement d’air, encore moins l’été quand il fait très chaud. [...] Je ne suis pas technicien, [je ne sais pas si dans les trains la climatisation procède à un renouvellement de l’air]. Il est bien connu qu’à bord d'un avion la contamination par aérosol est relativement faible, [contrairement à celle par gouttelettes, qui concerne les rangées devant et derrière la personne malade, et les sièges à gauche et à droite]. Il y a des données pour le montrer.
Hennig: Cela signifie que, lorsque la distance n'est pas maintenue pour des raisons économiques, la protection anti-postillons pourrait prévenir les autres d’une infection par les gouttelettes?
Drosten: Oui, il est vrai que la protection anti-postillons empêche théoriquement la contamination par aérosol, parce qu'un aérosol est créé en excrétant d'abord une gouttelette qui, en séchant rapidement, devient une petite particule d'aérosol flottante. Si la gouttelette est bloquée par le tissu dès le début, aucune gouttelette d'aérosol n'en résultera.
Hennig: Cela signifie qu'il s'agit toujours de grosses gouttelettes. Jusqu'à présent, j'avais compris que respirer et parler fort créait directement de plus petites gouttelettes.
Drosten: Oui, ce sont des états transitoires. Ce n'est pas noir ou blanc, il y a des zones grises. Mais il y a une proportion de particules d’aérosol qui ont commencé sous forme de gouttelettes.
Part d'enfants contaminés
Hennig: De nouvelles études traitent de la question du taux d'attaque secondaire. Par exemple, dans quelle mesure les enfants sont-ils infectés, peut-être par la mère qui est rentrée d'un voyage d'affaires et a amené le virus avec elle? Si nous regardons les données, ce taux d'attaque secondaire est d’environ 15% . Cela semble étonnamment bas, du point de vue d'un profane, car en famille nous vivons ensemble de façon étroite.
Drosten: Oui, c'est vrai. On pourrait penser que nous devrions être à 25 ou 35%, comme dans les pandémies de grippe. C'est vraiment moins ici. D'une part, cela pourrait être dû à une immunité fondamentale non détectée, nous en avons déjà discuté. Soit dit en passant, il y a de nouvelles études dont nous devons parler une autre fois. Mais il existe des données montrant qu'au niveau de l’immunité cellulaire, quelques personnes peuvent avoir bénéficié de contacts antérieurs avec des coronavirus du rhume inoffensifs, qui ont certaines propriétés en commun avec le nouveau virus dans leur structure protéique. Mais il se pourrait également que la distribution asymétrique des infections joue un rôle. On n’est que brièvement et violemment contagieux, il y a un jour ou deux où vous êtes vraiment contagieux.
Hennig: avant l'apparition des symptômes.
Drosten: Exactement, la veille du début des symptômes est la journée la plus contagieuse. Ensuite, nous savons maintenant, grâce à ces très bonnes études du groupe Gabriel Leung de Hong Kong, que l'infectiosité est en principe terminée au bout de trois ou quatre jours. Maximum après une semaine, c'est complètement terminé. [On peut imaginer, si on] travaille à plein temps, qu’on ne voit les enfants qu'une heure le soir et 30 minutes le matin. Ou le conjoint - vous dormez ensemble, vous êtes pratiquement certain d'être infecté. Qu'en est-il de la tante qui vit dans la même maison, quel contact infectieux si vous ne la voyez qu'une heure par jour? Vous pouvez comprendre qu'en moyenne, seulement 15% des membres du ménage soient infectés. Il s'agit peut-être d'une combinaison de cette distribution asymétrique de l'infection et d'une immunité éventuelle. [...]
Une étude chinoise, publiée en avril, fait état d’un taux d'attaque secondaire, dans les familles (14 ou 18%), inférieur chez les moins de 20 ans (seulement 5,2%). Cela peut avoir de l'importance, mais il y a toujours le problème des conditions de quarantaine en Chine, où le cas index est retiré du ménage : le premier infecté, s'il est connu, est logé dans un hôtel pendant quelques jours.[...] Il existe une autre étude où seuls 4% des moins de 18 ans sont infectés et 17% des plus de 18 ans, ce qui est également une grande différence.
Il y a cependant une nouvelle étude suisse, réalisée à Genève où on a analysé deux groupes, les 20 à 49 ans et les 5 à 19 ans. Les enfants ont un taux d'attaque de 6% et les adultes 8,5. Il n'y a aucune différence. Il existe une étude publiée en Suède, publiée en suédois, mais comme je parle le bas-allemand, je peux presque comprendre le suédois. Il y a aussi un résumé en anglais. [On a testé des personnes de façon aléatoire]: 2,8% des 0 à 15 ans sont positifs avec la PCR, 2,4% chez les 16 à 29 ans, 2,6% chez les 30 à 59 ans et les plus de 60 ans 2 %. Il n'y a aucune différence. Le virus se répartit de la même façon dans la population. C’est pourquoi je suis toujours si prudent avec ces études sur les contacts intra-familiaux dans une situation de confinement. Il n’y a pas seulement nos données techniques sur la charge virale, mais aussi de telles études effectuées dans différentes conditions environnementales, ainsi que quelque chose d'intuitif: que nous avons tous un pharynx qui est probablement assez similaire.
Contrôler l'épidémie
Hennig: M. Drosten, en conclusion: pensez-vous que nous puissions vivre dans une sorte de scénario pré-corona cet été grâce à notre attention concernant les aérosols?
Drosten: Oui, je pense que c'est possible. C'est peut-être la chose la plus importante dont nous discutons aujourd'hui. Sur la base de ces découvertes de plus en plus nombreuses sur la dispersion, nous avons une nouvelle perspective […] Il y a maintenant un nouvel espoir en raison de cette distribution des infections. Si 20% des personnes infectées infectent 80% des cas secondaires, 80% des cas ne peuvent donc être attribués qu'à 20% des sources d'infection. Il faut ensuite intervenir particulièrement dans ce domaine. Il y a une étude intéressante de Hong Kong qui vient d'être publiée dont nous pourrons peut-être discuter en détail la prochaine fois. Elle dit quelque chose de très intéressant dans la discussion. Tout d'abord, vous devez et pouvez investir dans ces zones à risque, puis il est beaucoup plus facile de gérer l'épidémie globale, même sans vaccination. Vous avez même la possibilité que cette population ne risque pas la maladie, mais constitue un risque de transmission. Je ne parle pas des personnes souffrant de problèmes cardiaques et des personnes âgées, je parle des personnes plus impliquées dans ces grands clusters de transmission, pour des raisons professionnelles, par exemple. [Il y a peut-être là une immunisation précoce]. Et l'épidémie disparaît plus tôt que prévu. Quelque chose comme ça peut arriver, il y a cet espoir.
Et puis il y a un deuxième élément d'information très important dans cette discussion, à savoir que les infections vont si vite [qu’il faut agir immédiatement quand on repère un «super spreading event»] vous devez isoler tout le cluster immédiatement, sans attendre le diagnostic, car vous n'avez pas le temps d’attendre. Si vous voulez empêcher les infections de créer une épidémie qui ne peut plus être contrôlée, vous devez mettre immédiatement en quarantaine l'ensemble du cluster. De telles mesures pourraient permettre de contrôler l'épidémie.
vendredi 22 mai 2020
Abattoirs, Nembro, H1N1, adjuvants. Podcast #42 du 19 mai 2020
La question des abattoirs
Korinna Hennig: Le sujet qui attire l'attention de nos auditeurs est ce qui se passe dans les abattoirs. Déjà d'un point de vue virologique: quelle est la probabilité qu'un virus contamine la viande du supermarché?
Christian Drosten: Je ne pense pas que ce soit problématique. Ces virus ne se transmettent pas de cette manière. La viande est conservée un certain temps, et puis ces virus ne sont pas très stables. Il faut savoir qu’à la surface d'un morceau de viande, il existe toutes sortes de substances biologiques qui attaquent également le virus ; des protéases, par exemple, des enzymes dégradant les protéines. Je n'ai aucune inquiétude à ce sujet maintenant, d'autant plus que la viande est également cuisinée, ce qui fait immédiatement disparaître le virus. Ce n'est pas un virus qui résiste à la chaleur. Ce n'est pas ça qui doit nous inquiéter avec les abattoirs. Aux États-Unis aussi, des transmissions ont lieu dans des abattoirs. Il faut se demander si ce ne sont que les conditions de vie précaires des employés, leur lieu de résidence qui est en cause, ou s'il pourrait y avoir un autre facteur impliqué, comme la température ambiante sur le lieu de travail - il faudrait enquêter. Si j'ai bien compris, les températures sont basses dans les abattoirs, on a des températures frigorifiques dans des pièces qui ont la taille d'un hangar. Je me demande de plus en plus si ces taux de transmission élevés dans les abattoirs ne préfigurent pas ce que nous connaîtrons cet hiver. Lorsqu'il fait plus froid, le virus se transmet mieux.
[...] Mais je n'ai pas trouvé de preuves ou de données à ce sujet dans la littérature. Il faut garder un œil dessus, mais il sera difficile de collecter ces données, de mener ces études.
L'étude de Nembro
Hennig: [Le débat sur la mortalité due au virus éclate continue]: Quelle est la relation entre le nombre de personnes décédées dans une région et le virus? Les chiffres sont-ils sur- ou sous-estimés? la cause de décès est-elle réellement liée au SRAS-2? Une étude épidémiologique italienne, à laquelle la Charité a participé, pourrait nous éclairer. Il s'agit de Nembro, une commune d’environ 11000 habitants gravement touchée, dans la province de Bergame, en Lombardie, dans le nord de l'Italie. Là, le nombre de décès a été comparé sur une période de 8 ans. L'un des résultats est qu'à la mi-avril, beaucoup plus de personnes sont décédées que sur une année entière. Nous parlons ici de la mortalité « toutes causes» - ce sont des décès avec des causes très différentes.
Drosten: [...] Ce qui est mis en avant ici est la surmortalité. Nous avons déjà parlé de publications dans les journaux où l’on voit qu'il y a une surmortalité très nette. Dans certains cas, cela n'a pas encore été précisément quantifié. Ensuite elle a de nouveau baissé parce que des mesures de lockdown ont été prises [...] Nous avons vu qu'il y a une surmortalité qui est beaucoup plus élevée que les décès dus au SRAS-2 signalés. Il y a aussi des cas qui n'ont jamais été diagnostiqués et qui n'ont pas été testés avec la PCR - par exemple, un décès à la maison. Il existe d'autres causes de décès qui sont indirectement liées à cette maladie - par exemple, lorsque les lits d'hôpital ne sont pas disponibles pour d'autres maladies ou lorsque les gens ne vont pas à l'hôpital par crainte d'être contaminés. Tous ces effets se cumulent.
Une étude a été réalisée dans un endroit en Italie qui compte 11 500 habitants. La mortalité normale est de 10 pour 1 000, de sorte que 10 personnes sur 1 000 meurent chaque année, généralement 10 pour 1 000, maximum 21. Et en mars, il y a eu 155 décès à cet endroit, soit 15 fois plus [...]. Cela signifie qu'en principe, tout le monde connaît directement ou indirectement une personne décédée de cette maladie.
Hennig: La moitié environ des décès était due au coronavirus.
Drosten: 85 cas confirmés ont été enregistrés. Il y a aussi eu quelques cas en avril. Au total, il y en a eu 178, dont 85 ont été confirmés en laboratoire.
Hennig: Un argument souvent avancé est que le système de soins en Italie a été détruit pas les politiques de restructurations, que la situation y est très différente de celle qu’on a en Allemagne. Cependant, les auteurs de l'étude ne le soulignent pas pour Nembro. Peut-on donc comparer avec un pays comme l'Allemagne?
Drosten: Oui, je pense que vous pouvez le faire. C'est une région relativement riche en Italie. Il est décrit ici que la structure médicale y est développée. Mais tout cela s'est produit de façon inattendue, on ne pouvait pas s’y préparer. Et oui, il y a plus de lits de soins intensifs en Allemagne, mais les auteurs ne veulent pas vraiment insister là-dessus. La situation n’est pas très différente dans le nord de l'Italie, où il y a beaucoup de personnes âgées. Mais chez nous aussi. Je pense qu'il est important d'en parler, car il y a toujours sur les réseaux sociaux ce discours que cette maladie est inoffensive, qu’elle n’est pas très différente d’une grippe saisonnière normale. Ici on voit que le virus n’a circulé que quelques semaines dans la population avant que le lockdown survienne et qu’on a une augmentation frappante de la mortalité. […] Les choses ne se sont pas calmées d’elles-mêmes. […]
Il y a un bon article du "New York Times" sur la ville de Kano au Nigeria. Lorsqu’on lit ça, on se rend compte qu'il s'agit d'une épidémie massive qui se déroule là-bas.[…] Soit dit en passant, la situation au Nigeria n'est pas si mauvaise, en comparaison. [...] On peut imaginer que le virus circule dans la population. Le journaliste a interviewé environ 100 personnes dans son cercle de connaissances, et presque toutes ces 100 personnes ont déclaré qu'au cours des dernières semaines, elles avaient eu des symptômes de rhume avec perte d'odorat et de goût. [...] Nous ne savons pas comment cette épidémie se manifeste réellement dans les populations africaines, qui ont moins de personnes âgées, mais davantage de [maladies parasitaires]. Nous verrons plus de rapports à ce sujet dans les prochaines semaines. […] Je pense que les médias en Allemagne, en particulier la télévision, devraient parler plus souvent de ce qui se passe à l'étranger. Pour autant que je sache, ce qui s'est passé à New York n'a pas encore été largement rapporté.[De nombreuses personnes en Allemagne ne se rendent pas compte de la situation car ils ne lisent pas] la presse anglophone.[...]
La pandémie H1N1 de 2009
Hennig: Je voudrais aborder un autre sujet que nous avons toujours dû remettre à plus tard. Historiquement, la pandémie de coronavirus peut être comparée à d'autres épidémies et pandémies. Beaucoup de gens se souviennent de la grippe porcine H1N1 il y a plus de dix ans. L'OMS avait émis un avertissement à l’époque et elle a récemment déclaré que le coronavirus était dix fois plus meurtrier. Avions-nous mal évalué la grippe porcine à l'époque?
Drosten: On a surestimé la gravité de la pandémie de grippe porcine, mais la façon dont c’est présenté aujourd’hui n'est pas non plus correcte. Nous savons aujourd'hui exactement pourquoi nous avons fait cette erreur. On ne peut pas non plus dire que cette grippe était anodine. Les personnes décédées dans le monde ont été aussi nombreuses que lors d'une saison de grippe, ni plus, mais pas non plus moins. Mais le profil d'âge était différent, les adultes d'âge moyen ont été davantage touchés. Et nous avions là un artefact immunologique que nous n’avons pas compris à l’époque. 20% seulement des personnes décédées avaient plus de 65 ans. Avec la grippe normale, ou avec le SRAS-2, cela concerne les personnes qui dépassent l'âge de la retraite. Avec la pandémie H1N1-2009, ce sont les adultes d'âge moyen, les 25 - 35 ans, qui ont été touchés. Je me souviens, à l'époque - j'étais virologue à Bonn - il y avait des adultes dans toutes les unités de soins intensifs, avec des pneumonies virales aiguës, pour qui on ne pouvait plus rien faire.
Il ne faut pas oublier que la pathogenèse de la grippe est différente de celle du coronavirus actuel. Dans le cas de la grippe, il existe un médicament antiviral pour ceux qui n'ont pas de protection immunitaire, le Tamiflu, mais il doit être administré très tôt. Et il y a des antibiotiques pour la phase ultérieure. Avec la grippe, il arrive souvent que vous ne mourez pas directement du virus. En 2009, il y avait souvent une pneumonie virale directe, mais il y a eu de nombreux cas d’infection bactérienne secondaire, durant laquelle le cours s’aggrave, mais qu’on peut traiter avec des antibiotiques. Avec ce coronavirus, [on ne peut pas utiliser les antibiotiques]. Nous avons un besoin urgent de recherches sur les médicaments antiviraux. Nous avons un besoin urgent de connaissances sur la façon d'utiliser les immunomodulateurs existants et même les médicaments antiviraux (le remdesivir), comment l'utiliser contre ce virus.
Hennig: Qu'est-ce qui peut expliquer que beaucoup de jeunes ont été affectés à l’époque? Les plus âgés avaient-ils quelque chose comme une immunité?
Drosten: Oui, c’est ce qui s’est passé, mais à l’époque, on ne s’en doutais pas. Au début, les tests de laboratoire recherchaient des anticorps, et on ne pensait pas que le nouveau virus H1N1, qui était nouveau à l'époque, et l'ancien virus H1N1, qui était déjà présent dans la population, étaient apparentés. [On a donc conclu à l’époque qu’il n’y avait pas d’immunité croisée, ce qui était prématuré]. Et lorsque ce virus est arrivé, on a aussi évalué sa pathogénicité de base lors d'expériences sur des animaux. Il existe un modèle animal classique pour la grippe avec le furet […] [qui permet] d'effectuer des expériences de transmission, on peut observer comment un virus, par exemple, endommage les poumons. C’est ce qui a été fait relativement tôt. Et les résultats étaient clairs : ce nouveau virus H1N1 est au moins aussi nocif pour les poumons dans les expérimentations animales que le virus H3N2, le principal virus grippal en circulation à l'époque. [...]
Ce qu’on n’a remarqué après plusieurs mois était surprenant ; les personnes âgées ne tombaient pas si gravement malades. [...] On a vu que les patients qui avaient un certain âge avaient une immunité fondamentale - à la fois au niveau cellulaire et au niveau des anticorps, mais cela se voyait particulièrement bien au niveau cellulaire. Et nous savons aujourd'hui d'où cela vient, ce que nous ne savions pas à l'époque. […] L'ancien virus H1N1 offrait une protection croisée, malgré le peu de ressemblance. C'est toute l'incertitude que nous avons aujourd'hui concernant la question de la protection croisée du coronavirus du rhume commun avec le nouveau coronavirus... J'essaie toujours de faire des comparaisons avec la situation actuelle. Nous ne savons pas exactement à quel point cette protection croisée est solide. De nouvelles études sortent ces jours-ci, présentant à nouveau des données d’immunité croisée, mais certainement pas dans les mêmes proportions qu’à l'époque la pandémie H1N1 de 2009.
Il y a eu eu une pandémie en 1918, la grippe espagnole, et cette pandémie a été causée par un virus H1N1. Ce virus H1N1 a circulé jusqu'en 1957. En 1957, un virus H2N2, alors la grippe asiatique, est arrivé. Ce virus est resté jusqu'en 1968 et a été remplacé par le virus H3N2, la grippe de Hong Kong. Ce virus H3N2 circule encore aujourd'hui. Il n'a pas été remplacé par le virus H1N1 en 2009. Le virus H1N1 n'avait pas le pouvoir de remplacer ce virus H3N2. À ce jour, nous avons le H3N2 comme virus de la grippe. Mais ça se complique maintenant. En 1977, il y a eu une nouvelle petite pandémie, la grippe russe, due à un virus H1N1. Ce virus H1N1 est identique au virus H1N1 de la grippe espagnole et ses successeurs, qui a circulé entre 1918 et 1947 (sic) (je pense qu'il voulait dire 1957). Le virus a donc été réintroduit en 1977 après avoir complètement disparu pendant 20 ans, est revenu sous forme de petite pandémie et est resté jusqu'en 2009.
Hennig: Comment est-ce possible?
Drosten: Nous ne le savons pas vraiment. Peut-être que dans une partie reculée du monde, par exemple dans des populations isolées du reste de l'humanité, un tel virus a été conservé et est revenu. On ne sait pas. En tout cas, ce virus est resté jusqu'en 2009. Avec le recul de 2009, nous avions maintenant deux groupes dans la population qui avaient une mémoire immunologique contre le H1N1. Et le groupe le plus important est le groupe de ceux qui ont eu leur première maladie grippale avec le virus de la grippe espagnole et son successeur direct jusqu'en 1957. On peut faire le calcul très facilement : 2009 - 1957 = 52. Tous ceux qui avaient 52 ans et plus à l'époque avaient eu leur première grippe avec le virus H1N1. Nous parlons du principe du "péché antigénique d'origine" (original antigenic sin), pour résumer grossièrement : la grippe que vous voyez en premier dans votre vie est celle contre laquelle vous avez la meilleure mémoire immunitaire.
[Et] Nous avons un autre groupe, à savoir les jeunes qui ont eu leur première grippe à l'époque de la grippe russe. C'était deux ou trois cohortes de naissances qui ont été affectées par cette grippe russe. Mais la plupart de ces générations avaient le virus H3N2 de 1968 comme "péché antigénique d'origine". Quelques cohortes ont eu leur premier contact avec cette grippe russe en 1977, avec le H1N1 à nouveau. Et ils ont 32 ans en 2009. Il s'agit en fait du groupe d'adultes d'âge moyen en bonne santé. Parmi eux il y a un sous-groupe qui avait probablement cette protection immunitaire. Et puis, depuis la grippe russe en 1977, le virus H1N1 a également été ajouté au vaccin. Cela signifie que nous avons également vacciné en parallèle jusqu'à la pandémie de 2009 contre un virus H1N1. Tous ces effets réunis sont une explication pour laquelle cette pandémie de grippe H1N1 a eu un impact beaucoup plus faible que ce à quoi on s’attendait. Il y a tellement de choses inattendues qui se produisent en même temps ; les études animales indiquent qu'il s'agit d'un virus relativement pathogène, les premières caractérisations en laboratoire du virus indiquent qu'il n'y a pas de réactivité croisée. Puis il s'avère qu’on a complètement oublié quelque chose d'important […] Mais aujourd'hui - il y a aujourd'hui de nombreuses accusations contre la médecine, contre l'épidémiologie, contre la recherche sur les vaccins etc certains disent « qu’ on a fait tout un foin à l’époque pour pas grand-chose en fin de compte. Et que cela se répète avec le SRAS-2, et ce sont les mêmes personnes qui en parlent ». Malheureusement, ce n'est pas si simple.
Les vaccins, les adjuvants
Hennig: Vous avez déjà mentionné le vaccin. Il y a eu beaucoup de critiques contre le vaccin H1N1, qui a été acheté en grandes quantités n'a pas pu être vendu aux gens car la volonté de se faire vacciner n'était pas si élevée. Était-ce un problème de communication?
Drosten: Oui, le problème du vaccin de la grippe porcine de 2009 est un sujet très complexe, avec des allégations incroyables et totalement injustifiées, mêlées de théories du complot, où ne peut même plus argumenter. Mais la discussion sur la vaccination à l'époque était très complexe et il y avait également de nombreux malentendus. C'était une époque où nous n'étions pas aussi avancés qu'aujourd'hui dans le développement et la recherche de vaccins pré-pandémiques. Aujourd'hui, nous avons quelque chose comme le CEPI, une alliance de donateurs d'État conçue pour promouvoir le développement de vaccins entre le monde universitaire et l'industrie, en particulier pour les virus pandémiques émergents. […] On pensait que si une pandémie survient, il faut avoir une autorisation d'approbation en prenant des vaccins HN1 [...]- même si vous savez que vous ne les utiliserez pas du tout. C'était une très bonne idée à l'époque et le résultat a été qu'un vaccin pandémique contre le virus de la grippe porcine H1N1 a été fabriqué selon le modèle de base d'un vaccin prépandémique à virus H5N1. Il a été approuvé et était alors disponible sur le marché des vaccins. En même temps, d'autres vaccins H1N1 ont également été fabriqués qui n'étaient pas soumis à cette procédure d'approbation, mais qui ont été approuvés normalement. Il ne s'agissait pas de vaccins combinés comme ceux utilisés contre la grippe, où se trouvent tous les vaccins saisonniers. Au lieu de cela, il s'agissait de vaccins uniques. Tout cela a été fait au cours du premier semestre 2009 et les programmes de vaccination ont commencé à la fin de l'automne. Un contre-discours est né dans la société, pas seulement en Allemagne. Des allégations ont été faites, dont certaines se fondaient sur une mauvaise communication ; par exemple, il y avait différents vaccins en Allemagne. Et un vaccin, celui qui a été produit à l'aide de ce processus prépandémique, a été acheté par le gouvernement fédéral, tandis que les Länder ont acheté d'autres vaccins à d'autres fabricants préparés différemment. Une grande différence à l'époque était que ce vaccin commandé par le gouvernement fédéral n'avait pas d'adjuvant. Et une discussion a éclaté sur ces potentialisateurs, leur dangerosité, avec des arguments parfois assez farfelus.
Hennig: On a beaucoup parlé d’effets secondaires.
Drosten: Oui, exactement. (Drosten explique comment Bund et Länder ont dû commander des vaccins durant un temps très court) Mais encore de nombreuses choses ont été affirmées comme: «les fonctionnaires fédéraux reçoivent le vaccin sûr et les gens normaux reçoivent ce qui reste». Puis il y a eu la discussion sur les adjuvants, les potentialisateurs. Il faut dire qu'ils étaient nécessaires car on peut produire beaucoup plus de vaccin avec des potentialisateurs que sans. Sans eux, vous avez besoin de plus d'antigène vaccinal, mais la production de l'antigène est précisément ce qui manque dans une situation urgente. Durant une pandémie, on ne peut pas produire un nombre illimité de doses. Et dans la pandémie actuelle, nous serons également confrontés au fait qu'on ne pourra pas produire une quantité illimitée de vaccin.
Hennig: Peut-être pouvons-nous expliquer ce que sont ces amplificateurs.
Drosten: En principe, ces potentialisateurs sont différentes substances connues pour irriter le système immunitaire, ce qui fait que les globules blancs sont davantage attirés. Certains d'entre eux sont des produits chimiques relativement simples, utilisés depuis longtemps. Traditionnellement, il s'agissait de sels d'aluminium complexes. Cependant, de bien meilleurs adjuvants modernes sont produits par l'industrie pharmaceutique. [Certains améliorent] particulièrement bien la réponse immunitaire, avec peu d'effets secondaires. [...] Ces adjuvants sont ajoutés au vaccin pour le rendre simplement plus efficace. Et à ce moment-là, il y avait un nouvel adjuvant moderne et on a alors entendu : «Cela n'a pas été suffisamment testé, c’est mis sur le marché pour que nous servions de cobayes». […] Puis il y a eu une autre spéculation, [avec un autre] composant [prétendument] responsable de graves lésions neurologiques, voire de symptômes psychiatriques [...] Il y a même eu ce documentaire sur Arte...
Hennig: Profiteure der Angst. (en français : Grippe A, un virus fait débat)
Drosten: Oui, voilà. Beaucoup de choses y sont résumées, de manière très mauvaise, où l'on entend des gens très unilatéraux, qui n'ont aucune idée sur ces questions et où des accusations graves sont portées. L'autre partie n'est pas du tout entendue. À ce jour, cette vidéo circule à nouveau parmi les complotistes ou dans les cercles anti-vaccination - maintenant avec la croyance qu’il pourrait y avoir une vaccination forcée contre le virus du SRAS-2. Tout part dans tous les sens, et certains chiffres cités sont faux. On a par exemple un soi-disant expert, qui intervient aujourd’hui à nouveau, qui parlait à l'époque d'effets secondaires de la vaccination de l'ordre de un pour mille - c'est complètement absurde. Aucun des vaccins qui étaient utilisés à l'époque, ou ceux utilisés aujourd'hui, n'a de tels effets secondaires. Un tel vaccin ne serait jamais autorisé. […] Cela s’ajoute aux accusations d’enrichissement personnel et de corruption d'experts médicaux, qui elles sont justifiées. Je ne peux pas me prononcer là-dessus. C'est un argument qui apparaît dans ce film et qui revient dans le contexte de cette pandémie de SRAS-2.
Je dis cela parce que je suis moi-même exposé à de telles accusations. Les gens affirment publiquement: Drosten gagne de l'argent grâce à la pandémie. Quelqu'un a dit un jour que je gagnais de l'argent avec les diagnostics parce que nous les avons développés. Ce n'est pas vrai. Je ne gagne pas un sou avec ça. Et dans cette vidéo, d'autres accusations sont formulées; certains scientifiques siégeant dans des conseils consultatifs ainsi qu’à l'OMS et dans certaines sociétés pharmaceutiques qui perçoivent des salaires. Si cela atteint de telles proportions, si de tels conflits d’intérêts existent, ce n’est pas normal, c’est répréhensible. Je tiens également à dire que je doute que cela soit le cas aujourd’hui, mais je ne peux pas en juger non plus. Je ne peux vraiment parler que de moi. J'ai toujours dit ici dans le podcast que je n'ai rien à voir avec la recherche sur les vaccins, ce n'est pas mon domaine. Et je n'ai aucune relation avec aucune entreprise, je ne perçois aucun revenu supplémentaire, contrairement à ce que certains prétendent. [...]
Il existe des données extrêmement bonnes sur ces adjuvants. Je pense que nous pouvons déjà dire aujourd'hui qu'ils ne sont pas dangereux. Le fait est qu'ils sont utiles, surtout en cas de pandémie, car nous [pouvons] vacciner beaucoup plus de personnes. Il existe également des preuves que la réponse immunitaire est meilleure lorsque des potentialisateurs sont inclus. Il y a vraiment un très grand nombre d’observations cliniques […] nous avons de bons retours à tous les âges. Si ça n'était pas le cas, cela ne serait pas autorisé. Les critères d'approbation des vaccins sont extrêmement stricts et en principe nous n'avons pas besoin d'avoir cette discussion.
Hennig: Pensez-vous qu'il est possible que nous puissions également avoir une immunité croisée comme ce fut le cas avec le H1N1? Y a-t-il de l'espoir?
Drosten: Je pense que la plus grande inconnue ici est cette question de l'immunité fondamentale. Il est vrai que certaines études sur l'immunité cellulaire suggèrent que les personnes qui n'ont jamais été en contact avec le virus du SRAS-2 montrent néanmoins une réactivité de leurs cellules mémoire T lors des tests de laboratoire. Vous pouvez donc voir qu'ils ont, bien que faiblement développés, une mémoire immunitaire contre un virus qu'ils n'ont jamais connu. Cela doit être dû au fait qu'il existe une certaine relation entre les propriétés protéiques de ce nouveau virus et les quatre coronavirus communs en circulation. Ces sites se retrouvent également dans le protéome de ces virus. Si vous les comparez les uns aux autres, il y a des endroits qui ont non seulement des similitudes entre eux, mais qui correspondent aussi aux cellules immunitaires. Nous disons que ce sont des épitopes de cellules T. Ce sont certaines zones de la structure protéique qui sont particulièrement bien adaptées pour être reconnues et présentées par ces cellules T.
Korinna Hennig: Le sujet qui attire l'attention de nos auditeurs est ce qui se passe dans les abattoirs. Déjà d'un point de vue virologique: quelle est la probabilité qu'un virus contamine la viande du supermarché?
Christian Drosten: Je ne pense pas que ce soit problématique. Ces virus ne se transmettent pas de cette manière. La viande est conservée un certain temps, et puis ces virus ne sont pas très stables. Il faut savoir qu’à la surface d'un morceau de viande, il existe toutes sortes de substances biologiques qui attaquent également le virus ; des protéases, par exemple, des enzymes dégradant les protéines. Je n'ai aucune inquiétude à ce sujet maintenant, d'autant plus que la viande est également cuisinée, ce qui fait immédiatement disparaître le virus. Ce n'est pas un virus qui résiste à la chaleur. Ce n'est pas ça qui doit nous inquiéter avec les abattoirs. Aux États-Unis aussi, des transmissions ont lieu dans des abattoirs. Il faut se demander si ce ne sont que les conditions de vie précaires des employés, leur lieu de résidence qui est en cause, ou s'il pourrait y avoir un autre facteur impliqué, comme la température ambiante sur le lieu de travail - il faudrait enquêter. Si j'ai bien compris, les températures sont basses dans les abattoirs, on a des températures frigorifiques dans des pièces qui ont la taille d'un hangar. Je me demande de plus en plus si ces taux de transmission élevés dans les abattoirs ne préfigurent pas ce que nous connaîtrons cet hiver. Lorsqu'il fait plus froid, le virus se transmet mieux.
[...] Mais je n'ai pas trouvé de preuves ou de données à ce sujet dans la littérature. Il faut garder un œil dessus, mais il sera difficile de collecter ces données, de mener ces études.
L'étude de Nembro
Hennig: [Le débat sur la mortalité due au virus éclate continue]: Quelle est la relation entre le nombre de personnes décédées dans une région et le virus? Les chiffres sont-ils sur- ou sous-estimés? la cause de décès est-elle réellement liée au SRAS-2? Une étude épidémiologique italienne, à laquelle la Charité a participé, pourrait nous éclairer. Il s'agit de Nembro, une commune d’environ 11000 habitants gravement touchée, dans la province de Bergame, en Lombardie, dans le nord de l'Italie. Là, le nombre de décès a été comparé sur une période de 8 ans. L'un des résultats est qu'à la mi-avril, beaucoup plus de personnes sont décédées que sur une année entière. Nous parlons ici de la mortalité « toutes causes» - ce sont des décès avec des causes très différentes.
Drosten: [...] Ce qui est mis en avant ici est la surmortalité. Nous avons déjà parlé de publications dans les journaux où l’on voit qu'il y a une surmortalité très nette. Dans certains cas, cela n'a pas encore été précisément quantifié. Ensuite elle a de nouveau baissé parce que des mesures de lockdown ont été prises [...] Nous avons vu qu'il y a une surmortalité qui est beaucoup plus élevée que les décès dus au SRAS-2 signalés. Il y a aussi des cas qui n'ont jamais été diagnostiqués et qui n'ont pas été testés avec la PCR - par exemple, un décès à la maison. Il existe d'autres causes de décès qui sont indirectement liées à cette maladie - par exemple, lorsque les lits d'hôpital ne sont pas disponibles pour d'autres maladies ou lorsque les gens ne vont pas à l'hôpital par crainte d'être contaminés. Tous ces effets se cumulent.
Une étude a été réalisée dans un endroit en Italie qui compte 11 500 habitants. La mortalité normale est de 10 pour 1 000, de sorte que 10 personnes sur 1 000 meurent chaque année, généralement 10 pour 1 000, maximum 21. Et en mars, il y a eu 155 décès à cet endroit, soit 15 fois plus [...]. Cela signifie qu'en principe, tout le monde connaît directement ou indirectement une personne décédée de cette maladie.
Hennig: La moitié environ des décès était due au coronavirus.
Drosten: 85 cas confirmés ont été enregistrés. Il y a aussi eu quelques cas en avril. Au total, il y en a eu 178, dont 85 ont été confirmés en laboratoire.
Hennig: Un argument souvent avancé est que le système de soins en Italie a été détruit pas les politiques de restructurations, que la situation y est très différente de celle qu’on a en Allemagne. Cependant, les auteurs de l'étude ne le soulignent pas pour Nembro. Peut-on donc comparer avec un pays comme l'Allemagne?
Drosten: Oui, je pense que vous pouvez le faire. C'est une région relativement riche en Italie. Il est décrit ici que la structure médicale y est développée. Mais tout cela s'est produit de façon inattendue, on ne pouvait pas s’y préparer. Et oui, il y a plus de lits de soins intensifs en Allemagne, mais les auteurs ne veulent pas vraiment insister là-dessus. La situation n’est pas très différente dans le nord de l'Italie, où il y a beaucoup de personnes âgées. Mais chez nous aussi. Je pense qu'il est important d'en parler, car il y a toujours sur les réseaux sociaux ce discours que cette maladie est inoffensive, qu’elle n’est pas très différente d’une grippe saisonnière normale. Ici on voit que le virus n’a circulé que quelques semaines dans la population avant que le lockdown survienne et qu’on a une augmentation frappante de la mortalité. […] Les choses ne se sont pas calmées d’elles-mêmes. […]
Il y a un bon article du "New York Times" sur la ville de Kano au Nigeria. Lorsqu’on lit ça, on se rend compte qu'il s'agit d'une épidémie massive qui se déroule là-bas.[…] Soit dit en passant, la situation au Nigeria n'est pas si mauvaise, en comparaison. [...] On peut imaginer que le virus circule dans la population. Le journaliste a interviewé environ 100 personnes dans son cercle de connaissances, et presque toutes ces 100 personnes ont déclaré qu'au cours des dernières semaines, elles avaient eu des symptômes de rhume avec perte d'odorat et de goût. [...] Nous ne savons pas comment cette épidémie se manifeste réellement dans les populations africaines, qui ont moins de personnes âgées, mais davantage de [maladies parasitaires]. Nous verrons plus de rapports à ce sujet dans les prochaines semaines. […] Je pense que les médias en Allemagne, en particulier la télévision, devraient parler plus souvent de ce qui se passe à l'étranger. Pour autant que je sache, ce qui s'est passé à New York n'a pas encore été largement rapporté.[De nombreuses personnes en Allemagne ne se rendent pas compte de la situation car ils ne lisent pas] la presse anglophone.[...]
La pandémie H1N1 de 2009
Hennig: Je voudrais aborder un autre sujet que nous avons toujours dû remettre à plus tard. Historiquement, la pandémie de coronavirus peut être comparée à d'autres épidémies et pandémies. Beaucoup de gens se souviennent de la grippe porcine H1N1 il y a plus de dix ans. L'OMS avait émis un avertissement à l’époque et elle a récemment déclaré que le coronavirus était dix fois plus meurtrier. Avions-nous mal évalué la grippe porcine à l'époque?
Drosten: On a surestimé la gravité de la pandémie de grippe porcine, mais la façon dont c’est présenté aujourd’hui n'est pas non plus correcte. Nous savons aujourd'hui exactement pourquoi nous avons fait cette erreur. On ne peut pas non plus dire que cette grippe était anodine. Les personnes décédées dans le monde ont été aussi nombreuses que lors d'une saison de grippe, ni plus, mais pas non plus moins. Mais le profil d'âge était différent, les adultes d'âge moyen ont été davantage touchés. Et nous avions là un artefact immunologique que nous n’avons pas compris à l’époque. 20% seulement des personnes décédées avaient plus de 65 ans. Avec la grippe normale, ou avec le SRAS-2, cela concerne les personnes qui dépassent l'âge de la retraite. Avec la pandémie H1N1-2009, ce sont les adultes d'âge moyen, les 25 - 35 ans, qui ont été touchés. Je me souviens, à l'époque - j'étais virologue à Bonn - il y avait des adultes dans toutes les unités de soins intensifs, avec des pneumonies virales aiguës, pour qui on ne pouvait plus rien faire.
Il ne faut pas oublier que la pathogenèse de la grippe est différente de celle du coronavirus actuel. Dans le cas de la grippe, il existe un médicament antiviral pour ceux qui n'ont pas de protection immunitaire, le Tamiflu, mais il doit être administré très tôt. Et il y a des antibiotiques pour la phase ultérieure. Avec la grippe, il arrive souvent que vous ne mourez pas directement du virus. En 2009, il y avait souvent une pneumonie virale directe, mais il y a eu de nombreux cas d’infection bactérienne secondaire, durant laquelle le cours s’aggrave, mais qu’on peut traiter avec des antibiotiques. Avec ce coronavirus, [on ne peut pas utiliser les antibiotiques]. Nous avons un besoin urgent de recherches sur les médicaments antiviraux. Nous avons un besoin urgent de connaissances sur la façon d'utiliser les immunomodulateurs existants et même les médicaments antiviraux (le remdesivir), comment l'utiliser contre ce virus.
Hennig: Qu'est-ce qui peut expliquer que beaucoup de jeunes ont été affectés à l’époque? Les plus âgés avaient-ils quelque chose comme une immunité?
Drosten: Oui, c’est ce qui s’est passé, mais à l’époque, on ne s’en doutais pas. Au début, les tests de laboratoire recherchaient des anticorps, et on ne pensait pas que le nouveau virus H1N1, qui était nouveau à l'époque, et l'ancien virus H1N1, qui était déjà présent dans la population, étaient apparentés. [On a donc conclu à l’époque qu’il n’y avait pas d’immunité croisée, ce qui était prématuré]. Et lorsque ce virus est arrivé, on a aussi évalué sa pathogénicité de base lors d'expériences sur des animaux. Il existe un modèle animal classique pour la grippe avec le furet […] [qui permet] d'effectuer des expériences de transmission, on peut observer comment un virus, par exemple, endommage les poumons. C’est ce qui a été fait relativement tôt. Et les résultats étaient clairs : ce nouveau virus H1N1 est au moins aussi nocif pour les poumons dans les expérimentations animales que le virus H3N2, le principal virus grippal en circulation à l'époque. [...]
Ce qu’on n’a remarqué après plusieurs mois était surprenant ; les personnes âgées ne tombaient pas si gravement malades. [...] On a vu que les patients qui avaient un certain âge avaient une immunité fondamentale - à la fois au niveau cellulaire et au niveau des anticorps, mais cela se voyait particulièrement bien au niveau cellulaire. Et nous savons aujourd'hui d'où cela vient, ce que nous ne savions pas à l'époque. […] L'ancien virus H1N1 offrait une protection croisée, malgré le peu de ressemblance. C'est toute l'incertitude que nous avons aujourd'hui concernant la question de la protection croisée du coronavirus du rhume commun avec le nouveau coronavirus... J'essaie toujours de faire des comparaisons avec la situation actuelle. Nous ne savons pas exactement à quel point cette protection croisée est solide. De nouvelles études sortent ces jours-ci, présentant à nouveau des données d’immunité croisée, mais certainement pas dans les mêmes proportions qu’à l'époque la pandémie H1N1 de 2009.
Il y a eu eu une pandémie en 1918, la grippe espagnole, et cette pandémie a été causée par un virus H1N1. Ce virus H1N1 a circulé jusqu'en 1957. En 1957, un virus H2N2, alors la grippe asiatique, est arrivé. Ce virus est resté jusqu'en 1968 et a été remplacé par le virus H3N2, la grippe de Hong Kong. Ce virus H3N2 circule encore aujourd'hui. Il n'a pas été remplacé par le virus H1N1 en 2009. Le virus H1N1 n'avait pas le pouvoir de remplacer ce virus H3N2. À ce jour, nous avons le H3N2 comme virus de la grippe. Mais ça se complique maintenant. En 1977, il y a eu une nouvelle petite pandémie, la grippe russe, due à un virus H1N1. Ce virus H1N1 est identique au virus H1N1 de la grippe espagnole et ses successeurs, qui a circulé entre 1918 et 1947 (sic) (je pense qu'il voulait dire 1957). Le virus a donc été réintroduit en 1977 après avoir complètement disparu pendant 20 ans, est revenu sous forme de petite pandémie et est resté jusqu'en 2009.
Hennig: Comment est-ce possible?
Drosten: Nous ne le savons pas vraiment. Peut-être que dans une partie reculée du monde, par exemple dans des populations isolées du reste de l'humanité, un tel virus a été conservé et est revenu. On ne sait pas. En tout cas, ce virus est resté jusqu'en 2009. Avec le recul de 2009, nous avions maintenant deux groupes dans la population qui avaient une mémoire immunologique contre le H1N1. Et le groupe le plus important est le groupe de ceux qui ont eu leur première maladie grippale avec le virus de la grippe espagnole et son successeur direct jusqu'en 1957. On peut faire le calcul très facilement : 2009 - 1957 = 52. Tous ceux qui avaient 52 ans et plus à l'époque avaient eu leur première grippe avec le virus H1N1. Nous parlons du principe du "péché antigénique d'origine" (original antigenic sin), pour résumer grossièrement : la grippe que vous voyez en premier dans votre vie est celle contre laquelle vous avez la meilleure mémoire immunitaire.
[Et] Nous avons un autre groupe, à savoir les jeunes qui ont eu leur première grippe à l'époque de la grippe russe. C'était deux ou trois cohortes de naissances qui ont été affectées par cette grippe russe. Mais la plupart de ces générations avaient le virus H3N2 de 1968 comme "péché antigénique d'origine". Quelques cohortes ont eu leur premier contact avec cette grippe russe en 1977, avec le H1N1 à nouveau. Et ils ont 32 ans en 2009. Il s'agit en fait du groupe d'adultes d'âge moyen en bonne santé. Parmi eux il y a un sous-groupe qui avait probablement cette protection immunitaire. Et puis, depuis la grippe russe en 1977, le virus H1N1 a également été ajouté au vaccin. Cela signifie que nous avons également vacciné en parallèle jusqu'à la pandémie de 2009 contre un virus H1N1. Tous ces effets réunis sont une explication pour laquelle cette pandémie de grippe H1N1 a eu un impact beaucoup plus faible que ce à quoi on s’attendait. Il y a tellement de choses inattendues qui se produisent en même temps ; les études animales indiquent qu'il s'agit d'un virus relativement pathogène, les premières caractérisations en laboratoire du virus indiquent qu'il n'y a pas de réactivité croisée. Puis il s'avère qu’on a complètement oublié quelque chose d'important […] Mais aujourd'hui - il y a aujourd'hui de nombreuses accusations contre la médecine, contre l'épidémiologie, contre la recherche sur les vaccins etc certains disent « qu’ on a fait tout un foin à l’époque pour pas grand-chose en fin de compte. Et que cela se répète avec le SRAS-2, et ce sont les mêmes personnes qui en parlent ». Malheureusement, ce n'est pas si simple.
Les vaccins, les adjuvants
Hennig: Vous avez déjà mentionné le vaccin. Il y a eu beaucoup de critiques contre le vaccin H1N1, qui a été acheté en grandes quantités n'a pas pu être vendu aux gens car la volonté de se faire vacciner n'était pas si élevée. Était-ce un problème de communication?
Drosten: Oui, le problème du vaccin de la grippe porcine de 2009 est un sujet très complexe, avec des allégations incroyables et totalement injustifiées, mêlées de théories du complot, où ne peut même plus argumenter. Mais la discussion sur la vaccination à l'époque était très complexe et il y avait également de nombreux malentendus. C'était une époque où nous n'étions pas aussi avancés qu'aujourd'hui dans le développement et la recherche de vaccins pré-pandémiques. Aujourd'hui, nous avons quelque chose comme le CEPI, une alliance de donateurs d'État conçue pour promouvoir le développement de vaccins entre le monde universitaire et l'industrie, en particulier pour les virus pandémiques émergents. […] On pensait que si une pandémie survient, il faut avoir une autorisation d'approbation en prenant des vaccins HN1 [...]- même si vous savez que vous ne les utiliserez pas du tout. C'était une très bonne idée à l'époque et le résultat a été qu'un vaccin pandémique contre le virus de la grippe porcine H1N1 a été fabriqué selon le modèle de base d'un vaccin prépandémique à virus H5N1. Il a été approuvé et était alors disponible sur le marché des vaccins. En même temps, d'autres vaccins H1N1 ont également été fabriqués qui n'étaient pas soumis à cette procédure d'approbation, mais qui ont été approuvés normalement. Il ne s'agissait pas de vaccins combinés comme ceux utilisés contre la grippe, où se trouvent tous les vaccins saisonniers. Au lieu de cela, il s'agissait de vaccins uniques. Tout cela a été fait au cours du premier semestre 2009 et les programmes de vaccination ont commencé à la fin de l'automne. Un contre-discours est né dans la société, pas seulement en Allemagne. Des allégations ont été faites, dont certaines se fondaient sur une mauvaise communication ; par exemple, il y avait différents vaccins en Allemagne. Et un vaccin, celui qui a été produit à l'aide de ce processus prépandémique, a été acheté par le gouvernement fédéral, tandis que les Länder ont acheté d'autres vaccins à d'autres fabricants préparés différemment. Une grande différence à l'époque était que ce vaccin commandé par le gouvernement fédéral n'avait pas d'adjuvant. Et une discussion a éclaté sur ces potentialisateurs, leur dangerosité, avec des arguments parfois assez farfelus.
Hennig: On a beaucoup parlé d’effets secondaires.
Drosten: Oui, exactement. (Drosten explique comment Bund et Länder ont dû commander des vaccins durant un temps très court) Mais encore de nombreuses choses ont été affirmées comme: «les fonctionnaires fédéraux reçoivent le vaccin sûr et les gens normaux reçoivent ce qui reste». Puis il y a eu la discussion sur les adjuvants, les potentialisateurs. Il faut dire qu'ils étaient nécessaires car on peut produire beaucoup plus de vaccin avec des potentialisateurs que sans. Sans eux, vous avez besoin de plus d'antigène vaccinal, mais la production de l'antigène est précisément ce qui manque dans une situation urgente. Durant une pandémie, on ne peut pas produire un nombre illimité de doses. Et dans la pandémie actuelle, nous serons également confrontés au fait qu'on ne pourra pas produire une quantité illimitée de vaccin.
Hennig: Peut-être pouvons-nous expliquer ce que sont ces amplificateurs.
Drosten: En principe, ces potentialisateurs sont différentes substances connues pour irriter le système immunitaire, ce qui fait que les globules blancs sont davantage attirés. Certains d'entre eux sont des produits chimiques relativement simples, utilisés depuis longtemps. Traditionnellement, il s'agissait de sels d'aluminium complexes. Cependant, de bien meilleurs adjuvants modernes sont produits par l'industrie pharmaceutique. [Certains améliorent] particulièrement bien la réponse immunitaire, avec peu d'effets secondaires. [...] Ces adjuvants sont ajoutés au vaccin pour le rendre simplement plus efficace. Et à ce moment-là, il y avait un nouvel adjuvant moderne et on a alors entendu : «Cela n'a pas été suffisamment testé, c’est mis sur le marché pour que nous servions de cobayes». […] Puis il y a eu une autre spéculation, [avec un autre] composant [prétendument] responsable de graves lésions neurologiques, voire de symptômes psychiatriques [...] Il y a même eu ce documentaire sur Arte...
Hennig: Profiteure der Angst. (en français : Grippe A, un virus fait débat)
Drosten: Oui, voilà. Beaucoup de choses y sont résumées, de manière très mauvaise, où l'on entend des gens très unilatéraux, qui n'ont aucune idée sur ces questions et où des accusations graves sont portées. L'autre partie n'est pas du tout entendue. À ce jour, cette vidéo circule à nouveau parmi les complotistes ou dans les cercles anti-vaccination - maintenant avec la croyance qu’il pourrait y avoir une vaccination forcée contre le virus du SRAS-2. Tout part dans tous les sens, et certains chiffres cités sont faux. On a par exemple un soi-disant expert, qui intervient aujourd’hui à nouveau, qui parlait à l'époque d'effets secondaires de la vaccination de l'ordre de un pour mille - c'est complètement absurde. Aucun des vaccins qui étaient utilisés à l'époque, ou ceux utilisés aujourd'hui, n'a de tels effets secondaires. Un tel vaccin ne serait jamais autorisé. […] Cela s’ajoute aux accusations d’enrichissement personnel et de corruption d'experts médicaux, qui elles sont justifiées. Je ne peux pas me prononcer là-dessus. C'est un argument qui apparaît dans ce film et qui revient dans le contexte de cette pandémie de SRAS-2.
Je dis cela parce que je suis moi-même exposé à de telles accusations. Les gens affirment publiquement: Drosten gagne de l'argent grâce à la pandémie. Quelqu'un a dit un jour que je gagnais de l'argent avec les diagnostics parce que nous les avons développés. Ce n'est pas vrai. Je ne gagne pas un sou avec ça. Et dans cette vidéo, d'autres accusations sont formulées; certains scientifiques siégeant dans des conseils consultatifs ainsi qu’à l'OMS et dans certaines sociétés pharmaceutiques qui perçoivent des salaires. Si cela atteint de telles proportions, si de tels conflits d’intérêts existent, ce n’est pas normal, c’est répréhensible. Je tiens également à dire que je doute que cela soit le cas aujourd’hui, mais je ne peux pas en juger non plus. Je ne peux vraiment parler que de moi. J'ai toujours dit ici dans le podcast que je n'ai rien à voir avec la recherche sur les vaccins, ce n'est pas mon domaine. Et je n'ai aucune relation avec aucune entreprise, je ne perçois aucun revenu supplémentaire, contrairement à ce que certains prétendent. [...]
Il existe des données extrêmement bonnes sur ces adjuvants. Je pense que nous pouvons déjà dire aujourd'hui qu'ils ne sont pas dangereux. Le fait est qu'ils sont utiles, surtout en cas de pandémie, car nous [pouvons] vacciner beaucoup plus de personnes. Il existe également des preuves que la réponse immunitaire est meilleure lorsque des potentialisateurs sont inclus. Il y a vraiment un très grand nombre d’observations cliniques […] nous avons de bons retours à tous les âges. Si ça n'était pas le cas, cela ne serait pas autorisé. Les critères d'approbation des vaccins sont extrêmement stricts et en principe nous n'avons pas besoin d'avoir cette discussion.
Hennig: Pensez-vous qu'il est possible que nous puissions également avoir une immunité croisée comme ce fut le cas avec le H1N1? Y a-t-il de l'espoir?
Drosten: Je pense que la plus grande inconnue ici est cette question de l'immunité fondamentale. Il est vrai que certaines études sur l'immunité cellulaire suggèrent que les personnes qui n'ont jamais été en contact avec le virus du SRAS-2 montrent néanmoins une réactivité de leurs cellules mémoire T lors des tests de laboratoire. Vous pouvez donc voir qu'ils ont, bien que faiblement développés, une mémoire immunitaire contre un virus qu'ils n'ont jamais connu. Cela doit être dû au fait qu'il existe une certaine relation entre les propriétés protéiques de ce nouveau virus et les quatre coronavirus communs en circulation. Ces sites se retrouvent également dans le protéome de ces virus. Si vous les comparez les uns aux autres, il y a des endroits qui ont non seulement des similitudes entre eux, mais qui correspondent aussi aux cellules immunitaires. Nous disons que ce sont des épitopes de cellules T. Ce sont certaines zones de la structure protéique qui sont particulièrement bien adaptées pour être reconnues et présentées par ces cellules T.
samedi 16 mai 2020
concilier économie et santé, étude de Hambourg, Kawasaki. Podcast #41 du 14 mai 2020
Ouverture des frontières
Korinna Hennig: Il est difficile pour un virologue de plaider pour un assouplissement des mesures. Une réouverture des frontières vous paraît-elle possible?
Christian Drosten: Je pense que dans les régions frontalières, la situation du territoire voisin est étudiée de près [et] je pense qu'ils sont bien informés de la situation de l'infection de l'autre côté de la frontière. Localement, c'est définitivement possible.
Hennig: Et au niveau mondial, ou disons européen: est-ce que nous en sommes à un point où, comme le virus circule partout, peu importe à quel endroit on se trouve ? Ou ne peut-on pas le dire parce que nous avons une situation favorable en Allemagne?
Drosten: Oui, dans l'ensemble, nous avons peu d'incidence en Allemagne. Nous avons réussi à ramener les nouveaux cas à un niveau très bas grâce à nos mesures de distanciation sociales précoces. Il y a d'autres pays où cela n'a pas encore été réalisé. Mais même dans des pays comme l'Angleterre – où il y a encore un grand nombre de personnes décédées - des mesures drastiques ont été imposées. Là aussi, le nombre de nouvelles infections a considérablement diminué. En général, il est important et utile, en particulier pour l'économie, de rouvrir les frontières. Les dommages économiques dont nous discutons [viennent surtout du fait que les exportations ne se font plus, et pas à cause de ce qui se passe à l’intérieur du pays]. Je le dis qu'en tant que profane et non en tant qu'expert en économie. [En ce qui concerne les voyages, il est difficile de dire quelle sera la situation dans tel ou tel pays dans deux mois]
Santé et économie ne s'opposent pas
Hennig: Puisque nous parlons économie, [...] il y a une nouvelle étude qui [n’oppose pas les mesures prises pour lutter contre la pandémie aux intérêts économiques, mais qui] calcule si les contraintes macroéconomiques n'entraînent que des coûts ou si un assouplissement extrême pourrait être problématique pour l'économie. J'ai lu la première phrase: "Dans le débat public sur la poursuite de la lutte contre la pandémie, les mesures de protection de la santé sont souvent présentées en opposition aux intérêts de l'économie. Cela ne rend pas justice au problème." […]
Drosten: Je trouve très intéressant que la recherche en sciences de la vie et la recherche économique travaillent ensemble. Cela a été fait ici par le Helmholtz Center for Infection Research de Braunschweig, c'est-à-dire le groupe de travail de Michael Meyer-Hermann, et par l'Institut Ifo de Munich, de Clemens Fuest. Tous les deux sont des scientifiques bien connus du public[...] Ces deux groupes de travail se sont appuyés sur des calculs de simulation.
Ce sont deux univers très différents. Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises des modèles épidémiologiques, [qui tentent de décrire] le processus de transmission de l'infection à la population: c'est ce que fait le groupe de travail de Michael Meyer-Hermann. Et le modèle de simulation économique de l'Institut Ifo essaie de comprendre quels secteurs de l'économie sont affectés par quelles restrictions et dans quelle mesure, qu’est-ce qui entraîne des pertes, comment cela peut être exprimé, par exemple comme pourcentage du PIB etc. Ici, je ne peux pas du tout avoir mon mot à dire car je ne peux pas vraiment comprendre ce qui se fait là-dedans. Mais je pense qu'il est très important que nous discutions de cette étude, qui a été publiée hier. Parce que c'est vraiment quelque chose de nouveau en Allemagne, voire dans le monde.
Hennig: Si vous dites que vous n'êtes pas un spécialiste, mais nous pouvons quand même discuter de l'étude parce que nous l'avons lue. Le point de départ de l'ensemble est: On suppose que 300 nouvelles infections par jour en Allemagne seraient gérables pour les autorités sanitaires […] pour qu’elles remontent les chaînes de contamination. À votre avis, est-ce un paramètre de calcul raisonnable?
Drosten: Ici, bien sûr, des hypothèses sont faites. [On peut penser que globalement, 400 services de santé arriveront à gérer 300 cas par jour] Mais il y aura toujours le cas où il y aura une fréquence élevée à certains endroits, qu’on aura du mal à traiter localement. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui sont simplifiées. Premièrement, cet aspect de la variabilité régionale. Ensuite, comme ils le disent eux-mêmes, il y a un grand manque de données empiriques. [Il n’y a pas que les malades et les décès du SRAS-2 , mais également] d'autres problèmes de santé. Ainsi, les dommages collatéraux causés par le fait que les patients ne se rendent pas à l'hôpital pour d'autres maladies, de peur d'être infectés. Des dommages psychologiques, qui ont des effets secondaires considérables, ainsi que des effets économiques. Il ne faut pas oublier cela. […] Mais le résultat final de cette étude est qualitativement robuste. Ce message dit simplement: Il n’est pas vrai que limiter les interactions sociales n'est bon que pour l'épidémie, et pas pour l'économie. D’un point de vue économique, on pourrait penser que si tout redevient comme avant, on pourrait enfin faire des affaires, mais le fait est que nous vivons dans une société qui ne tolère pas que la vie des personnes âgées soient sacrifiée [...]
C'est pourquoi, inévitablement, si le nombre de cas et de décès augmente, les freins seront à nouveau serrés. C’est une hypothèse de base très importante dans cette étude. [C’est ce qu’on appelle « the hammer and the dance » ; on a dans un premier temps frappé avec un marteau - comme on ne sait pas comment interrompre l'infection, on a tout verrouillé partout, [demandé aux gens de ne plus sortir, de ne plus se voir]. C’est maintenant derrière nous. Vient ensuite la danse avec le tigre, où on essaie de garder le tout sous contrôle mais sans tout verrouiller, car alors l’économie (entre autres) souffre. […] [On teste donc plusieurs choses : ouvrir progressivement les écoles, les terrasses des restaurants, et on observe, on réajuste au bout d’un mois], c'est la danse avec le tigre. Vous l'avez au bout de la laisse et vous devez le contrôler.
[Si les infections et les décès augmentent et qu’il faille à nouveau prendre des mesures, quelles conséquences cela a-t-il sur l'économie ?] On définit un statu quo, atteint le 20 avril (= début du déconfinement en Allemagne), avec un R à un peu plus de 0,6, c'est-à-dire bien en dessous de 1. Soit dit en passant, j'ai vérifié ce matin, le RKI annonce un R de 0,81, donc nous sommes assez bons pour le moment. […] Prenons donc cela comme une hypothèse de base. Nous supposons maintenant que nous aurons un R de 1 ou 0,7 ou 0,5 ou 0,1 après le 20 avril jusqu’à l’été 2021, on suppose quelque peu implicitement que d'ici l'été 21 un vaccin sera disponible et la pandémie prendra alors fin. Cela me paraît réaliste. Qu'est-ce que cela signifie pour la médecine et l'économie? Le calcul dit ici que nous aurons quelques dizaines de milliers de morts en Allemagne avec un R autour de 1, ce qui correspond à une mauvaise saison de grippe, mais il faut également prendre en compte les dommages collatéraux du fait que les gens ne vont pas à l'hôpital à cause de la peur d'y attraper maladie. Cela signifie que quel que soit le scénario, nous ne sommes pas en mesure de le comparer à la grippe saisonnière. [...]
[Maintenant, avec un R à 1, l’économie peut mettre jusqu'à l'automne ou l'hiver 2021 pour se remettre]. Le phénomène intéressant ici est que l'économie se voit moins restreinte avec un R à 1. Mais les coups de frein constants, avec des mesures de quarantaine, conduit à un processus long pour l’économie, avant qu’elle ne revienne à son niveau de départ.
Dans d'autres scénarios, avec une valeur cible de R = 0,3 ou 0,1 grâce à des restrictions importantes (ce que nous ne prévoyons pas pour le moment), entraîneraient un effondrement de l'économie, qui mettra beaucoup de temps pour se reconstruire. Pour le dire simplement, dans des secteurs entiers de l'économie, les entreprises en faillite devront être remplacées par de nouvelles entreprises.
Et il y a un juste milieu, [avec un R à 0,75. C’est un bon compromis qui provoque une baisse modérée de l’activité et permet une reprise économique assez rapide]. Cela maintient le nombre de personnes décédées à un niveau tolérable, bien en dessous de 10000 - c'est-à-dire ceux qui sont morts directement du virus, pas la surmortalité. [...]
Hennig: Vous venez de mentionner le nombre de morts. C'est un aspect que j'ai également trouvé très intéressant, d'un point de vue profane, car on pourrait dire que la vie humaine est la plus importante, et donc je prends le chiffre le plus petit pour R. Mais on voit ici que jusqu'à 0,75 le nombre de décès reste à peu près le même. Il n’augmente pas massivement, il n’y a pas de grande différence en nombre de morts si j'ai R= 0,75 ou R=0,4?
Drosten: Oui, exactement. En effet, on peut supposer que, sur la base de l’incidence, c'est-à-dire de l'activité infectieuse actuelle dans la population, vous pouvez actuellement très bien suivre les chaînes de contaminations, grâce à la capacité des autorités sanitaires - jusqu'à R = 0,8. Mais si vous vous retrouvez dans la zone de R=1, alors le tout s'accumule et vous avez alors plus de difficulté à contrôler. Ce n'est pas modélisé ici, mais nous devons ajouter que si vous lâchez prise et qu’on atteint 1,3, voire 1,5, alors on ne peut plus rien maîtriser et les décès augmentent à nouveau, de façon exponentielle.
Hennig: Nous avons dit dans les épisodes précédents que la plupart des contagions se sont produites au sein des ménages. Tant que nous étions dans un lock-out, d'autres situations n’ont pas pu se réaliser. Qu’en est-il maintenant?
Drosten: Oui, il existe différentes choses en cours, par exemple observer les familles et enfin répondre à la question du taux auquel les enfants sont infectés – mais là il faudra probablement attendre des mois [...] il y a des projets d'études, mais elles ne couvrent pas toutes les écoles, […] il doit y avoir une coïncidence qu'une infection se produise dans l'une des classes observées à ce moment dans le cadre d'une étude. Il doit y avoir beaucoup de coïncidences. C'est pourquoi en Allemagne, il est probable que les autorités sanitaires soient davantage susceptibles de remarquer une épidémie, et d’aller voir spécifiquement. C’est une tâche très importante pour les autorités sanitaires, beaucoup plus que pour la science, de faire ce suivi. Et puis je pense que dans d'autres pays où il y a beaucoup plus d'activité infectieuse dans la population, par exemple aux États-Unis, nous verrons des données scientifiques dans un temps relativement court, au sujet de l'école et de la famille, car il n'est pas nécessaire d'attendre ces coïncidences.
Les complications médicales
Hennig: Dans les cas les plus lourds on observait jusque là principalement une pneumonie. Récemment, il y a eu des rapports cliniques qui parlent d'embolie pulmonaire dans plusieurs pays. S'agit-il d'une complication qui s'avère également être typique du virus?
Drosten: Oui, certainement. Nous avons un nombre croissant de rapports cliniques, qui ont maintenant été résumés, qui donnent l'impression que ce ne sont pas que les poumons qui sont touchés. Nous avons déjà mentionné dans ce podcast qu’il y avait souvent un problème avec le cœur, à New York, de nombreux patients sont venus à l'hôpital avec ce qui ressemblait à une crise cardiaque, mais ce n'était pas une crise cardiaque. [...] Peut-être 20 % des patients adultes ont une atteinte cardiaque primaire avec cette maladie, que les poumons soient impliqués ou non.
[…] le système de coagulation sanguine semble affecté [...]. Nous avons discuté à plusieurs reprises que ces sensations olfactives et gustatives sont également des infections neurologiques. L'odorat arrive au sommet du toit nasal en tant que partie du système nerveux central, le cerveau. Les fibres qui font partie du bulbe olfactif font partie du cerveau. Et le virus y va apparemment directement et détruit les composants sensoriels de ce bulbe olfactif, heureusement seulement pendant un certain temps, c'est réversible.
Nous avons une très bonne étude de Hambourg dans le "New England Journal of Medicine". Ils ont évalué une série de sections de pathologie et se sont concentrés spécifiquement sur une chose, les lésions rénales. Les médecins de soins intensifs ont constaté très tôt que le rein était également endommagé chez les patients gravement malades. Ceci est également connu pour d'autres infections à coronavirus, par exemple le MERS du Moyen-Orient. On a toujours pensé qu'il s'agissait d'une réaction du rein au traitement intensif. Il y a toujours des épisodes où la pression artérielle chute très fortement et le rein en souffre. Et maintenant, nous avons déjà dit ici que la coagulation du sang est perturbée, et le rein peut également en souffrir. Mais les collègues de Hambourg ont maintenant montré que le virus se répliquait apparemment également dans les cellules rénales. Il doit y arriver d'une manière ou d'une autre, peut-être qu'il provient du poumon affecté, peut-être aussi de l'intestin, et on sait maintenant que le virus peut s’y répliquer. Peut-être que cela arrive dans le rein par la circulation sanguine. Dans tous les cas, ce qui peut être démontré est: des indications claires de réplication du virus dans le tissu rénal et donc une explication qui est directement liée au virus pour ces lésions rénales. Il y a également une prise de conscience croissante que les patients avec une atteinte pulmonaire légère peuvent développer des lésions rénales.
Hennig: En ce qui concerne la question de la coagulation sanguine, on pourrait en conclure que les anticoagulants aident. Ou est-ce une réflexion hasardeuse ?
Drosten: Ce n'est pas mal pensé. Par exemple, dans certains pays, l'utilisation d'anticoagulants en unité de soins intensifs est répandue. Le déroulement de la maladie ne serait alors pas aussi critique. Il existe des preuves solides et croissantes que l'utilisation d'anticoagulants, en particulier chez les cas les plus lourds est bénéfique pour le patient. Cela fait déjà partie de la routine du traitement clinique.
Hennig: Nous faisons un podcast scientifique et non un magazine avec des conseils de santé. Il est donc très important de répéter à ce stade: chacun doit clarifier avec son médecin ce que cela signifie pour lui.
Drosten: Vous devez dire que même un médecin généraliste serait submergé. Lorsque les patients arrivent en nombre et demandent: devrais-je peut-être m’injecter de l'héparine à titre préventif tous les jours? La réponse est certainement: non. Nous ne parlons pas de ce niveau-là, mais de la première ligne de la science clinique, c'est-à-dire où les conclusions sont faites sur la base d’observations scientifiques précises sur des cohortes de patients définies. Ce n'est pas toujours facile à mettre en pratique. En tant que patient, vous devez être confiant dans le fait que, si le pire arrive, si vous devez vous rendre à l'hôpital, [et que là, on saura quoi faire]. Ce n'est pas aux gens de prendre cette responsabilité, il n’y a pas lieu d’en discuter avec son médecin de famille. Le fait est que les connaissances spécialisées sont là où se trouvent les spécialistes. Vous en aurez un si vous êtes si malade et que vous avez besoin d'un spécialiste. Faites confiance à la médecine, s'il vous plaît.
Hennig: Si on est une personne ayant une tendance à la thrombose, peut-on penser qu’on soit à risque?
Drosten: L'inverse pourrait également s'appliquer: les patients qui suivent un traitement anticoagulant à long terme parce qu'ils ont une tendance à la thrombose pourraient penser qu'ils ont également une protection contre un développement sévère de la maladie grâce à leurs médicaments. Je ne peux pas exclure cela pour le moment.
Hennig: On ne peut pas le dire avec certitude, comme tant de choses dans ce podcast.
Drosten: Non, non. Nous n’avons aucune justification scientifique pour le dire.
Kawasaki
Hennig: Nous avons parlé de complications et de parcours difficiles, donc probablement rien qui ne concernera le plus grand nombre, mais qu’il faut considérer comme un risque. Je voudrais parler des enfants qui souffrent du soi-disant syndrome de Kawasaki. Les jeunes enfants en particulier ont une inflammation vasculaire et les artères qui sont affectées. Un tel tableau clinique a également été signalé chez des enfants infectés par le coronavirus dans plusieurs pays. Il existe maintenant une étude en Italie, qui fournit les premiers résultats concrets en comparant les données des patients dans le temps avant et après le début de l'épidémie de coronavirus. Est-ce aussi quelque chose qu’il faut surveiller?
Drosten: La pédiatrie internationale discute actuellement d'un nouveau syndrome très similaire au syndrome de Kawasaki. Kawasaki est un pédiatre japonais qui l'a décrit il y a longtemps. Il s'agit d'une maladie rare.
Ce qui se passe là est très similaire au syndrome de Kawasaki. Mais c'est aussi quelque peu différent. Le syndrome de Kawasaki lui-même est une entité clinique quelque peu diffuse, où il y a même un certain désaccord sur ses manifestations. Ce qui est toujours en désaccord, c'est la cause, les pédiatres ne savent pas exactement si c'est lié à l'infection ou si c'est quelque chose de rhumatismal. Cependant, il existe un tableau clinique. Il s'agit d'une inflammation systémique chez les enfants. Cela affecte les vaisseaux sanguins, mais aussi la peau et les yeux. Cela a des conséquences pour le cœur, à savoir l'apport sanguin au cœur, mais aussi apparemment au muscle cardiaque. Mais il y a aussi d'autres choses qui vont plus dans le sens d'une maladie inflammatoire générale, par exemple de la fièvre, un gonflement des ganglions lymphatiques, un œdème, c'est-à-dire des ballonnements des tissus sous-cutanés par exemple ou des tissus autour des vaisseaux, dans certains cas même des de (« Höhlenergüsse » = sécrétions dans les cavités ?), comme l'épanchement péricardique. Et puis des choses comme une éruption cutanée, par exemple. Donc, vous pouvez voir, c'est une entité clinique très, très difficile à saisir, dont certains symptômes se retrouvent dans de nombreuses autres maladies. [...] Peut-être que cela portera son propre nom à l'avenir et ne s'appellera pas le syndrome de Kawasaki, mais qui sait, inflammation associée au SRAS-2 chez les enfants ou quelque chose du genre. Je dis ça comme ça, ça ne s'appellera pas ainsi. Mais peut-être un terme distinct car il deviendra de plus en plus clair qu’il s’agit d’autre chose. Et c’est difficile à saisir car c’est rare. Et c'est une bonne chose que ce soit rare.
Il y a une étude dans une clinique de Bergame dans le nord de l'Italie, une grande clinique pour enfants, qui voyait habituellement un patient atteint du syndrome de Kawasaki tous les trois mois. Et soudain, ils voient dix patients par mois. Ces dix patients sont apparus au cours du mois d’épidémie du SRAS-2 dans la région. C’est à Bergame que nous avons vu ces terribles images de convois militaires qui transportaient les morts. Nous savons que, heureusement, les enfants sont rarement symptomatiques quand ils sont infectés par le SRAS-2 et parmi ces enfants admis dans cette clinique avec une suspicion de covid19, seuls 3,5 % présentaient ce syndrome de Kawasaki apparent. La différence entre le syndrome de Kawasaki général et le syndrome de type Kawasaki associé au SRAS, c’est qu’il y a apparemment davantage de symptômes cardiaques, jusqu'à des changements dans le cardiogramme et peut-être aussi des signes de myocardite. [...] le traitement de cette maladie se compose de trois choses. [immunoglobulines en intraveineuse, corticostéroïdes, aspirine]. Tous les patients examinés ici dans l'étude ont récupéré avec ce traitement. Le syndrome de Kawasaki est également très facile à traiter chez les enfants. [Néanmoins, je vois d’ici comment les médias vont dramatiser les choses]
Hennig: Très, très rare et facile à traiter, c'est votre message. M. Drosten, nous avons parlé de beaucoup de choses négatives autour de ce virus. Y a-t-il cependant quelque chose qui vous a donné de l'espoir cette semaine?
Drosten: Ce qui m'impressionne, par exemple, ce sont toujours nos bons progrès en Allemagne. Je trouve très positif que nous n'ayons toujours pas d'augmentation soutenue du nombre d'infections. […] Ce qui m'inquiète, c'est le nombre croissant de campagnes de diffamation en Allemagne, qui déroutent le public et causent de gros dégâts. Je pense que nous devons surveiller cela et peut-être le commenter à l'avenir. C'est aussi ce qui me pousse, malgré toutes les attaques, à expliquer certaines découvertes scientifiques à un très large public d'auditeurs qui me donnent beaucoup de retours positifs.
Voir aussi le blog de Marc Gozlan: Covid-19 : ce que les autopsies nous apprennent sur les caillots sanguins et embolies pulmonaires
Korinna Hennig: Il est difficile pour un virologue de plaider pour un assouplissement des mesures. Une réouverture des frontières vous paraît-elle possible?
Christian Drosten: Je pense que dans les régions frontalières, la situation du territoire voisin est étudiée de près [et] je pense qu'ils sont bien informés de la situation de l'infection de l'autre côté de la frontière. Localement, c'est définitivement possible.
Hennig: Et au niveau mondial, ou disons européen: est-ce que nous en sommes à un point où, comme le virus circule partout, peu importe à quel endroit on se trouve ? Ou ne peut-on pas le dire parce que nous avons une situation favorable en Allemagne?
Drosten: Oui, dans l'ensemble, nous avons peu d'incidence en Allemagne. Nous avons réussi à ramener les nouveaux cas à un niveau très bas grâce à nos mesures de distanciation sociales précoces. Il y a d'autres pays où cela n'a pas encore été réalisé. Mais même dans des pays comme l'Angleterre – où il y a encore un grand nombre de personnes décédées - des mesures drastiques ont été imposées. Là aussi, le nombre de nouvelles infections a considérablement diminué. En général, il est important et utile, en particulier pour l'économie, de rouvrir les frontières. Les dommages économiques dont nous discutons [viennent surtout du fait que les exportations ne se font plus, et pas à cause de ce qui se passe à l’intérieur du pays]. Je le dis qu'en tant que profane et non en tant qu'expert en économie. [En ce qui concerne les voyages, il est difficile de dire quelle sera la situation dans tel ou tel pays dans deux mois]
Santé et économie ne s'opposent pas
Hennig: Puisque nous parlons économie, [...] il y a une nouvelle étude qui [n’oppose pas les mesures prises pour lutter contre la pandémie aux intérêts économiques, mais qui] calcule si les contraintes macroéconomiques n'entraînent que des coûts ou si un assouplissement extrême pourrait être problématique pour l'économie. J'ai lu la première phrase: "Dans le débat public sur la poursuite de la lutte contre la pandémie, les mesures de protection de la santé sont souvent présentées en opposition aux intérêts de l'économie. Cela ne rend pas justice au problème." […]
Drosten: Je trouve très intéressant que la recherche en sciences de la vie et la recherche économique travaillent ensemble. Cela a été fait ici par le Helmholtz Center for Infection Research de Braunschweig, c'est-à-dire le groupe de travail de Michael Meyer-Hermann, et par l'Institut Ifo de Munich, de Clemens Fuest. Tous les deux sont des scientifiques bien connus du public[...] Ces deux groupes de travail se sont appuyés sur des calculs de simulation.
Ce sont deux univers très différents. Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises des modèles épidémiologiques, [qui tentent de décrire] le processus de transmission de l'infection à la population: c'est ce que fait le groupe de travail de Michael Meyer-Hermann. Et le modèle de simulation économique de l'Institut Ifo essaie de comprendre quels secteurs de l'économie sont affectés par quelles restrictions et dans quelle mesure, qu’est-ce qui entraîne des pertes, comment cela peut être exprimé, par exemple comme pourcentage du PIB etc. Ici, je ne peux pas du tout avoir mon mot à dire car je ne peux pas vraiment comprendre ce qui se fait là-dedans. Mais je pense qu'il est très important que nous discutions de cette étude, qui a été publiée hier. Parce que c'est vraiment quelque chose de nouveau en Allemagne, voire dans le monde.
Hennig: Si vous dites que vous n'êtes pas un spécialiste, mais nous pouvons quand même discuter de l'étude parce que nous l'avons lue. Le point de départ de l'ensemble est: On suppose que 300 nouvelles infections par jour en Allemagne seraient gérables pour les autorités sanitaires […] pour qu’elles remontent les chaînes de contamination. À votre avis, est-ce un paramètre de calcul raisonnable?
Drosten: Ici, bien sûr, des hypothèses sont faites. [On peut penser que globalement, 400 services de santé arriveront à gérer 300 cas par jour] Mais il y aura toujours le cas où il y aura une fréquence élevée à certains endroits, qu’on aura du mal à traiter localement. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui sont simplifiées. Premièrement, cet aspect de la variabilité régionale. Ensuite, comme ils le disent eux-mêmes, il y a un grand manque de données empiriques. [Il n’y a pas que les malades et les décès du SRAS-2 , mais également] d'autres problèmes de santé. Ainsi, les dommages collatéraux causés par le fait que les patients ne se rendent pas à l'hôpital pour d'autres maladies, de peur d'être infectés. Des dommages psychologiques, qui ont des effets secondaires considérables, ainsi que des effets économiques. Il ne faut pas oublier cela. […] Mais le résultat final de cette étude est qualitativement robuste. Ce message dit simplement: Il n’est pas vrai que limiter les interactions sociales n'est bon que pour l'épidémie, et pas pour l'économie. D’un point de vue économique, on pourrait penser que si tout redevient comme avant, on pourrait enfin faire des affaires, mais le fait est que nous vivons dans une société qui ne tolère pas que la vie des personnes âgées soient sacrifiée [...]
C'est pourquoi, inévitablement, si le nombre de cas et de décès augmente, les freins seront à nouveau serrés. C’est une hypothèse de base très importante dans cette étude. [C’est ce qu’on appelle « the hammer and the dance » ; on a dans un premier temps frappé avec un marteau - comme on ne sait pas comment interrompre l'infection, on a tout verrouillé partout, [demandé aux gens de ne plus sortir, de ne plus se voir]. C’est maintenant derrière nous. Vient ensuite la danse avec le tigre, où on essaie de garder le tout sous contrôle mais sans tout verrouiller, car alors l’économie (entre autres) souffre. […] [On teste donc plusieurs choses : ouvrir progressivement les écoles, les terrasses des restaurants, et on observe, on réajuste au bout d’un mois], c'est la danse avec le tigre. Vous l'avez au bout de la laisse et vous devez le contrôler.
[Si les infections et les décès augmentent et qu’il faille à nouveau prendre des mesures, quelles conséquences cela a-t-il sur l'économie ?] On définit un statu quo, atteint le 20 avril (= début du déconfinement en Allemagne), avec un R à un peu plus de 0,6, c'est-à-dire bien en dessous de 1. Soit dit en passant, j'ai vérifié ce matin, le RKI annonce un R de 0,81, donc nous sommes assez bons pour le moment. […] Prenons donc cela comme une hypothèse de base. Nous supposons maintenant que nous aurons un R de 1 ou 0,7 ou 0,5 ou 0,1 après le 20 avril jusqu’à l’été 2021, on suppose quelque peu implicitement que d'ici l'été 21 un vaccin sera disponible et la pandémie prendra alors fin. Cela me paraît réaliste. Qu'est-ce que cela signifie pour la médecine et l'économie? Le calcul dit ici que nous aurons quelques dizaines de milliers de morts en Allemagne avec un R autour de 1, ce qui correspond à une mauvaise saison de grippe, mais il faut également prendre en compte les dommages collatéraux du fait que les gens ne vont pas à l'hôpital à cause de la peur d'y attraper maladie. Cela signifie que quel que soit le scénario, nous ne sommes pas en mesure de le comparer à la grippe saisonnière. [...]
[Maintenant, avec un R à 1, l’économie peut mettre jusqu'à l'automne ou l'hiver 2021 pour se remettre]. Le phénomène intéressant ici est que l'économie se voit moins restreinte avec un R à 1. Mais les coups de frein constants, avec des mesures de quarantaine, conduit à un processus long pour l’économie, avant qu’elle ne revienne à son niveau de départ.
Dans d'autres scénarios, avec une valeur cible de R = 0,3 ou 0,1 grâce à des restrictions importantes (ce que nous ne prévoyons pas pour le moment), entraîneraient un effondrement de l'économie, qui mettra beaucoup de temps pour se reconstruire. Pour le dire simplement, dans des secteurs entiers de l'économie, les entreprises en faillite devront être remplacées par de nouvelles entreprises.
Et il y a un juste milieu, [avec un R à 0,75. C’est un bon compromis qui provoque une baisse modérée de l’activité et permet une reprise économique assez rapide]. Cela maintient le nombre de personnes décédées à un niveau tolérable, bien en dessous de 10000 - c'est-à-dire ceux qui sont morts directement du virus, pas la surmortalité. [...]
Hennig: Vous venez de mentionner le nombre de morts. C'est un aspect que j'ai également trouvé très intéressant, d'un point de vue profane, car on pourrait dire que la vie humaine est la plus importante, et donc je prends le chiffre le plus petit pour R. Mais on voit ici que jusqu'à 0,75 le nombre de décès reste à peu près le même. Il n’augmente pas massivement, il n’y a pas de grande différence en nombre de morts si j'ai R= 0,75 ou R=0,4?
Drosten: Oui, exactement. En effet, on peut supposer que, sur la base de l’incidence, c'est-à-dire de l'activité infectieuse actuelle dans la population, vous pouvez actuellement très bien suivre les chaînes de contaminations, grâce à la capacité des autorités sanitaires - jusqu'à R = 0,8. Mais si vous vous retrouvez dans la zone de R=1, alors le tout s'accumule et vous avez alors plus de difficulté à contrôler. Ce n'est pas modélisé ici, mais nous devons ajouter que si vous lâchez prise et qu’on atteint 1,3, voire 1,5, alors on ne peut plus rien maîtriser et les décès augmentent à nouveau, de façon exponentielle.
Hennig: Nous avons dit dans les épisodes précédents que la plupart des contagions se sont produites au sein des ménages. Tant que nous étions dans un lock-out, d'autres situations n’ont pas pu se réaliser. Qu’en est-il maintenant?
Drosten: Oui, il existe différentes choses en cours, par exemple observer les familles et enfin répondre à la question du taux auquel les enfants sont infectés – mais là il faudra probablement attendre des mois [...] il y a des projets d'études, mais elles ne couvrent pas toutes les écoles, […] il doit y avoir une coïncidence qu'une infection se produise dans l'une des classes observées à ce moment dans le cadre d'une étude. Il doit y avoir beaucoup de coïncidences. C'est pourquoi en Allemagne, il est probable que les autorités sanitaires soient davantage susceptibles de remarquer une épidémie, et d’aller voir spécifiquement. C’est une tâche très importante pour les autorités sanitaires, beaucoup plus que pour la science, de faire ce suivi. Et puis je pense que dans d'autres pays où il y a beaucoup plus d'activité infectieuse dans la population, par exemple aux États-Unis, nous verrons des données scientifiques dans un temps relativement court, au sujet de l'école et de la famille, car il n'est pas nécessaire d'attendre ces coïncidences.
Les complications médicales
Hennig: Dans les cas les plus lourds on observait jusque là principalement une pneumonie. Récemment, il y a eu des rapports cliniques qui parlent d'embolie pulmonaire dans plusieurs pays. S'agit-il d'une complication qui s'avère également être typique du virus?
Drosten: Oui, certainement. Nous avons un nombre croissant de rapports cliniques, qui ont maintenant été résumés, qui donnent l'impression que ce ne sont pas que les poumons qui sont touchés. Nous avons déjà mentionné dans ce podcast qu’il y avait souvent un problème avec le cœur, à New York, de nombreux patients sont venus à l'hôpital avec ce qui ressemblait à une crise cardiaque, mais ce n'était pas une crise cardiaque. [...] Peut-être 20 % des patients adultes ont une atteinte cardiaque primaire avec cette maladie, que les poumons soient impliqués ou non.
[…] le système de coagulation sanguine semble affecté [...]. Nous avons discuté à plusieurs reprises que ces sensations olfactives et gustatives sont également des infections neurologiques. L'odorat arrive au sommet du toit nasal en tant que partie du système nerveux central, le cerveau. Les fibres qui font partie du bulbe olfactif font partie du cerveau. Et le virus y va apparemment directement et détruit les composants sensoriels de ce bulbe olfactif, heureusement seulement pendant un certain temps, c'est réversible.
Nous avons une très bonne étude de Hambourg dans le "New England Journal of Medicine". Ils ont évalué une série de sections de pathologie et se sont concentrés spécifiquement sur une chose, les lésions rénales. Les médecins de soins intensifs ont constaté très tôt que le rein était également endommagé chez les patients gravement malades. Ceci est également connu pour d'autres infections à coronavirus, par exemple le MERS du Moyen-Orient. On a toujours pensé qu'il s'agissait d'une réaction du rein au traitement intensif. Il y a toujours des épisodes où la pression artérielle chute très fortement et le rein en souffre. Et maintenant, nous avons déjà dit ici que la coagulation du sang est perturbée, et le rein peut également en souffrir. Mais les collègues de Hambourg ont maintenant montré que le virus se répliquait apparemment également dans les cellules rénales. Il doit y arriver d'une manière ou d'une autre, peut-être qu'il provient du poumon affecté, peut-être aussi de l'intestin, et on sait maintenant que le virus peut s’y répliquer. Peut-être que cela arrive dans le rein par la circulation sanguine. Dans tous les cas, ce qui peut être démontré est: des indications claires de réplication du virus dans le tissu rénal et donc une explication qui est directement liée au virus pour ces lésions rénales. Il y a également une prise de conscience croissante que les patients avec une atteinte pulmonaire légère peuvent développer des lésions rénales.
Hennig: En ce qui concerne la question de la coagulation sanguine, on pourrait en conclure que les anticoagulants aident. Ou est-ce une réflexion hasardeuse ?
Drosten: Ce n'est pas mal pensé. Par exemple, dans certains pays, l'utilisation d'anticoagulants en unité de soins intensifs est répandue. Le déroulement de la maladie ne serait alors pas aussi critique. Il existe des preuves solides et croissantes que l'utilisation d'anticoagulants, en particulier chez les cas les plus lourds est bénéfique pour le patient. Cela fait déjà partie de la routine du traitement clinique.
Hennig: Nous faisons un podcast scientifique et non un magazine avec des conseils de santé. Il est donc très important de répéter à ce stade: chacun doit clarifier avec son médecin ce que cela signifie pour lui.
Drosten: Vous devez dire que même un médecin généraliste serait submergé. Lorsque les patients arrivent en nombre et demandent: devrais-je peut-être m’injecter de l'héparine à titre préventif tous les jours? La réponse est certainement: non. Nous ne parlons pas de ce niveau-là, mais de la première ligne de la science clinique, c'est-à-dire où les conclusions sont faites sur la base d’observations scientifiques précises sur des cohortes de patients définies. Ce n'est pas toujours facile à mettre en pratique. En tant que patient, vous devez être confiant dans le fait que, si le pire arrive, si vous devez vous rendre à l'hôpital, [et que là, on saura quoi faire]. Ce n'est pas aux gens de prendre cette responsabilité, il n’y a pas lieu d’en discuter avec son médecin de famille. Le fait est que les connaissances spécialisées sont là où se trouvent les spécialistes. Vous en aurez un si vous êtes si malade et que vous avez besoin d'un spécialiste. Faites confiance à la médecine, s'il vous plaît.
Hennig: Si on est une personne ayant une tendance à la thrombose, peut-on penser qu’on soit à risque?
Drosten: L'inverse pourrait également s'appliquer: les patients qui suivent un traitement anticoagulant à long terme parce qu'ils ont une tendance à la thrombose pourraient penser qu'ils ont également une protection contre un développement sévère de la maladie grâce à leurs médicaments. Je ne peux pas exclure cela pour le moment.
Hennig: On ne peut pas le dire avec certitude, comme tant de choses dans ce podcast.
Drosten: Non, non. Nous n’avons aucune justification scientifique pour le dire.
Kawasaki
Hennig: Nous avons parlé de complications et de parcours difficiles, donc probablement rien qui ne concernera le plus grand nombre, mais qu’il faut considérer comme un risque. Je voudrais parler des enfants qui souffrent du soi-disant syndrome de Kawasaki. Les jeunes enfants en particulier ont une inflammation vasculaire et les artères qui sont affectées. Un tel tableau clinique a également été signalé chez des enfants infectés par le coronavirus dans plusieurs pays. Il existe maintenant une étude en Italie, qui fournit les premiers résultats concrets en comparant les données des patients dans le temps avant et après le début de l'épidémie de coronavirus. Est-ce aussi quelque chose qu’il faut surveiller?
Drosten: La pédiatrie internationale discute actuellement d'un nouveau syndrome très similaire au syndrome de Kawasaki. Kawasaki est un pédiatre japonais qui l'a décrit il y a longtemps. Il s'agit d'une maladie rare.
Ce qui se passe là est très similaire au syndrome de Kawasaki. Mais c'est aussi quelque peu différent. Le syndrome de Kawasaki lui-même est une entité clinique quelque peu diffuse, où il y a même un certain désaccord sur ses manifestations. Ce qui est toujours en désaccord, c'est la cause, les pédiatres ne savent pas exactement si c'est lié à l'infection ou si c'est quelque chose de rhumatismal. Cependant, il existe un tableau clinique. Il s'agit d'une inflammation systémique chez les enfants. Cela affecte les vaisseaux sanguins, mais aussi la peau et les yeux. Cela a des conséquences pour le cœur, à savoir l'apport sanguin au cœur, mais aussi apparemment au muscle cardiaque. Mais il y a aussi d'autres choses qui vont plus dans le sens d'une maladie inflammatoire générale, par exemple de la fièvre, un gonflement des ganglions lymphatiques, un œdème, c'est-à-dire des ballonnements des tissus sous-cutanés par exemple ou des tissus autour des vaisseaux, dans certains cas même des de (« Höhlenergüsse » = sécrétions dans les cavités ?), comme l'épanchement péricardique. Et puis des choses comme une éruption cutanée, par exemple. Donc, vous pouvez voir, c'est une entité clinique très, très difficile à saisir, dont certains symptômes se retrouvent dans de nombreuses autres maladies. [...] Peut-être que cela portera son propre nom à l'avenir et ne s'appellera pas le syndrome de Kawasaki, mais qui sait, inflammation associée au SRAS-2 chez les enfants ou quelque chose du genre. Je dis ça comme ça, ça ne s'appellera pas ainsi. Mais peut-être un terme distinct car il deviendra de plus en plus clair qu’il s’agit d’autre chose. Et c’est difficile à saisir car c’est rare. Et c'est une bonne chose que ce soit rare.
Il y a une étude dans une clinique de Bergame dans le nord de l'Italie, une grande clinique pour enfants, qui voyait habituellement un patient atteint du syndrome de Kawasaki tous les trois mois. Et soudain, ils voient dix patients par mois. Ces dix patients sont apparus au cours du mois d’épidémie du SRAS-2 dans la région. C’est à Bergame que nous avons vu ces terribles images de convois militaires qui transportaient les morts. Nous savons que, heureusement, les enfants sont rarement symptomatiques quand ils sont infectés par le SRAS-2 et parmi ces enfants admis dans cette clinique avec une suspicion de covid19, seuls 3,5 % présentaient ce syndrome de Kawasaki apparent. La différence entre le syndrome de Kawasaki général et le syndrome de type Kawasaki associé au SRAS, c’est qu’il y a apparemment davantage de symptômes cardiaques, jusqu'à des changements dans le cardiogramme et peut-être aussi des signes de myocardite. [...] le traitement de cette maladie se compose de trois choses. [immunoglobulines en intraveineuse, corticostéroïdes, aspirine]. Tous les patients examinés ici dans l'étude ont récupéré avec ce traitement. Le syndrome de Kawasaki est également très facile à traiter chez les enfants. [Néanmoins, je vois d’ici comment les médias vont dramatiser les choses]
Hennig: Très, très rare et facile à traiter, c'est votre message. M. Drosten, nous avons parlé de beaucoup de choses négatives autour de ce virus. Y a-t-il cependant quelque chose qui vous a donné de l'espoir cette semaine?
Drosten: Ce qui m'impressionne, par exemple, ce sont toujours nos bons progrès en Allemagne. Je trouve très positif que nous n'ayons toujours pas d'augmentation soutenue du nombre d'infections. […] Ce qui m'inquiète, c'est le nombre croissant de campagnes de diffamation en Allemagne, qui déroutent le public et causent de gros dégâts. Je pense que nous devons surveiller cela et peut-être le commenter à l'avenir. C'est aussi ce qui me pousse, malgré toutes les attaques, à expliquer certaines découvertes scientifiques à un très large public d'auditeurs qui me donnent beaucoup de retours positifs.
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