mercredi 3 juin 2020

Clusters, symptômes, se protéger, RKI, pistes thérapeutiques. Podcast #45 du 2 juin 2020

Korinna Hennig: à Göttingen, les autorités se plaignent du fait que tous les cas contacts ne se soient pas présentés au test. Les mesures ayant bien fonctionné, les gens perdent de vue que c’est parce que les mesures ont bien fonctionné que nous sommes dans une bonne situation. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de la prévention.

Christian Drosten: Oui, exactement, c'est ce qu’on voit en ce moment. Après l'assouplissement des mesures, on s’attend intuitivement à une augmentation du nombre de cas. Nous avons discuté dans les derniers épisodes pourquoi cela ne se produit pas si rapidement. L'une des explications est la faible incidence, et c'est une bonne chose qu’il en soit ainsi. Ensuite, c'est aussi un apprentissage de l'ensemble de la population, le port de masque devient de plus en plus populaire. Il y a une prise de conscience que cette maladie se propage dans de grands rassemblements, en particulier à l'intérieur, en raison de la composante aérosole. Tout ça, ce sont les nouvelles données. Il n'y a pratiquement pas de grands rassemblements à cause des mesures politiques, mais aussi parce que la population a beaucoup appris. Toute la discussion sur l’ouverture des écoles doit également être comprise dans ce contexte - une école n'est qu'un rassemblement de personnes. Mais c'est socialement important. On ne peut pas dire: Eh bien, gardons les écoles fermées, mais demandons-nous: comment pouvons-nous gérer cela?


Comment empêcher les clusters ? 


Hennig: La dernière fois, nous avons brièvement parlé de la fonction de sentinelle, à propos des tests. Où les épidémies peuvent-elles se propager, par exemple dans des endroits sensibles comme les hôpitaux, mais aussi les maisons de retraite. À votre avis, cela a-t-il été suffisamment fait ?

Drosten: La gestion est à nouveau différente selon les Länder, voire localement. J'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de travail en cours pour reformuler les recommandations. Mais il faut être clair: comment empêcher les clusters, comment empêcher le super-spreading? On peut l’empêcher en isolant immédiatement tout le cluster dès que quelqu'un du cluster a été testé positif. Cela est déjà spécifié dans les recommandations du RKI et c’est ce que font les autorités sanitaires: si une personne est reconnue positive, on vérifie ses cas contact et on décide qui doit être mis en quarantaine immédiatement. Cela inclut également les éventuels membres d'un cluster. 


Hennig: Est-ce toujours compréhensible? Pour Göttingen, par exemple, on parle de plusieurs fêtes de famille, qui se sont ensuite poursuivies dans d'autres clusters. Nous avons également eu l'exemple de la répétition d’une chorale aux États-Unis et d'un événement similaire à Berlin, où il faut d'abord regarder à quelle répétition les gens se sont contaminés ? 

Drosten: Oui, ce sont des situations différentes que vous décrivez. Par exemple, cette situation avec plusieurs fêtes de famille, c'est vraiment un travail de détective pour les autorités sanitaires. C'est relativement difficile. Cependant, ce n'est pas vraiment un exemple de "stopper un super-spreading event". Ce serait plus le cas de la répétition de chant - une situation typique que vous devez arrêter immédiatement et que vous devez reconnaître par un diagnostic fin. Ces diagnostics doivent être faits de manière proactive dans des situations particulières, comme dans le secteur des soins ou dans l'éducation, c'est-à-dire dans les écoles et les crèches. La nouveauté n'est pas de mettre en quarantaine les clusters, mais elle est dans les mesures de diagnostic intelligentes, c'est-à-dire de trouver les cas qui indiquent un tel cluster. Ce sont souvent des membres symptomatiques du cluster. Vous trouverez difficilement l'asymptomatique, à moins de tester tous les asymptomatiques, mais ce n’est pas prévu pour le moment, c'est très complexe d’un point de vue logistique; non seulement les coûts sont un problème, mais aussi la logistique. Mais les symptômes nous donnent une bonne ligne directrice pour les diagnostics. Ceci, bien sûr, est également inclus dans les directives RKI. À ce stade, il n'est pas nécessaire de réajuster. Mais il est important que nous comprenions tous: si je ressens des symptômes, je dois le signaler immédiatement. Et si je ressens des symptômes et que je sais aussi que j’ai été dans une situation de cluster les deux derniers jours environ - alors je dois le signaler. 

Les symptômes

Hennig: à propos des symptômes: au début de l'année, nous parlions toujours de toux et de fièvre. Plus récemment, cependant, il a également été fait état de nez qui coule - le RKI a publié, par exemple, qu'un cinquième des cas d'infection confirmés parlent de nez qui coule. Et on parle aussi de diarrhée chez les enfants. Est-ce qu’on connaît suffisamment ces symptômes? Si je n'ai qu'un rhume, est-ce que je devrais faire attention? 


Drosten: Oui, les lignes directrices ont également été ajustées. Il est vrai qu'au début de l'épidémie, le SRAS nous a servi de modèle pour l’établissement des symptômes et on a dit qu’il fallait qu’il y ait une atteinte des voies respiratoires profondes. Par exemple, des signes de pneumonie, d'essoufflement, de fièvre. Au fil du temps, il est apparu que des symptômes plus bénins sont également possibles.[...]

Comment se protéger ?


Hennig: Il y a maintenant une étude dans la revue "The Lancet" effectuées par un groupe, principalement du Canada: Une méta-analyse qui a évalué diverses sources de données afin de mesurer l'effet des mesures: distanciation, protection de la bouche et du nez et protection oculaire. Au total 170 études provenant de 16 pays. Est-il toujours pertinent de garder ses distances lorsque le nombre de nouvelles infections est relativement faible? Les grands-parents peuvent-ils à nouveau prendre leurs petits-enfants sur les genoux ?

Drosten: C'est vraiment difficile à dire. Je pense que vous devez faire appel à votre bon sens: il y a simplement des risques résiduels dans la vie. Mais la question de savoir si la règle générale de la distanciation doit être prise au sérieux se situe à un niveau différent. Bien sûr que cette exigence doit toujours être prise au sérieux là où elle peut être mise en œuvre. Même à l'extérieur, bien sûr, vous devez le faire, vous devez le prendre au sérieux. Parfois, il y a des situations où cela n'est pas possible. Il y a actuellement un grand débat à propos de l'école, où en réalité ce n'est pas possible. Nous savons tous comment les enfants se comportent. Ensuite, bien sûr, il y a certaines situations quotidiennes où nous avons tendance à oublier cela. Il y a de nouveau eu des fêtes ce week-end, où bien sûr, presque personne n'a respecté les règles de distanciation. Il faut être conscient que nous ne voyons les infections qu’avec un temps de latence; non seulement il faut un certain temps à une personne pour ressentir des symptômes, mais aussi pour se faire dépister. Ensuite, le résultat du laboratoire doit être communiqué [et apparaître] dans les statistiques. Cela ne peut pas être accéléré si facilement. L'incidence dans la population peut soudainement se révéler complètement différente, car il peut y avoir des retards dans la déclaration à de nombreux endroits en même temps. 


Les rapports du RKI 
(qui sont traduits en anglais)
 
Hennig: C’est une bonne transition pour parler du rapport de l'Institut Robert Koch (RKI), que nous pouvons examiner de plus près aujourd'hui. Le RKI s'efforce désormais de prendre en compte ce décalage entre l'infection, le début de la maladie et l'enregistrement par les autorités. L'un des mots-clés utilisés dans le rapport est appelé "nowcasting". C'est-à-dire que le taux de reproduction R est corrigé. Comment devons-nous comprendre cela exactement?

Drosten: C'est vrai que cette correction est nécessaire pour déterminer de manière fiable le nombre R, surtout maintenant que nous avons très peu de cas dans la population. Toutes ces statistiques du RKI ne sont jamais parfaites car il y a des erreurs et des omissions dans le système de déclaration. […] D'autre part, il existe également des cas asymptomatiques, sans maladie. Le début de la maladie est estimé - ou imputé – à partir de formules. [...]


Hennig: Des estimations à partir de valeurs empiriques. Drosten: Exactement. Et puis il y a une prévision immédiate (« nowcast »). C’est la mesure de ce que vous appréciez, de ce qui sera soumis plus tard, mais n'a pas encore été notifié, car il y a constamment des retards dans le système de notification. Et ces deux choses sont nécessaires pour dire combien de cas il y a actuellement dans [un court laps de temps et combien de cas il y avait dans un temps équivalent précédent]. Je crois qu’il s’agit de quatre jours. [C’est comme ça que R est calculé].

Hennig: Les derniers rapports du RKI, qui sont quotidiens, montrent que le groupe qui compte le plus de personnes infectées sont les 20 à 49 ans. Une proportion plus faible est constituée d'enfants de moins de 10 ans - hier, par exemple, c'était 2%. Et puis nous savons que des taux d'infection particulièrement élevés peuvent être observés dans la tranche d'âge «90 ans et plus». C'est le problème des maisons de retraite dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Si vous regardez les derniers rapports, y a-t-il des sujets qui vous préoccupent particulièrement? 


Drosten: Oui. Nous avons ces statistiques d'incidence, c'est-à-dire les cas rapportés à 100.000 habitants en Allemagne par groupe d'âge et par sexe. Ce serait, par exemple, la figure 6 du rapport du 1er juin. Vous pouvez voir comment le tout se distribue, et aussi dans le temps. Si on le regarde tous les jours, vous remarquez que quelque chose bouge. Au début, nous avions un pic d'incidence dans la population adulte, les 30 - 60 ans. Puis, elle est soudainement devenue plus importante parmi les groupes plus âgés. Mais ce que nous constatons plus récemment, c'est une augmentation parmi les 20 à 29 ans et les 10 à 19 ans. Et si vous regardez de près: même de 0 à 9 ans. Jetez un œil au rapport du 26 mai. Le RKI ne publie pas tous les jours les mêmes informations car certaines statistiques ne changent pas tellement. Mais de temps en temps, il y a un graphique par âges et c'est très intéressant. Ce qu’on voit ici est, par exemple, de la semaine 12 à 21: si vous regardez les cohortes des enfants, c'est-à-dire de 0 à 9 ans et de 10 à 19 ans, elles doublent presque durant ce temps. Les plus jeunes participent pleinement à ce doublement […]. C'est remarquable car les écoles étaient fermées. [...] C'est quelque chose que nous devons prendre en compte lors de l'ouverture des écoles. Nous les ouvrons maintenant avec une faible incidence dans la population, mais avec une situation différente chez les enfants. Vous devez garder toutes ces choses à l'esprit.[…] 

Hennig: Cela signifie donc: Semaine 12 - c'est-à-dire après la fin mars - le nombre a déjà augmenté chez les enfants. 

Drosten: Exactement, ce ne sont que des phénomènes de diffusion, qui se produisent dans les familles. Ils sont donc contaminés sans que les enfants aillent à l'école. Mais il est vrai que ces phénomènes de diffusion sont déjà visibles. Je tiens à dire ce que beaucoup ne savent pas: ces rapports de l'Institut Robert Koch sont destinés à un public spécialisé, aux médecins par exemple, mais aussi aux autorités sanitaires etc. Il s'agit certainement du niveau d'information le plus solide que nous ayons en Allemagne. Cependant, il n'est pas destiné à fournir une information à la population générale, ce n'est pas le travail de l'Institut Robert Koch. Il existe d'autres structures pour cela[…].

Il existe actuellement beaucoup d’informations indiquant que le R a beaucoup augmenté. C'est vrai et vous devez l’observer, cependant, une légère augmentation de la valeur R dans une situation avec une faible incidence dans la population n'est pas aussi inquiétante qu'à une époque où l'incidence est élevée. En aucun cas, la valeur R ne doit alors augmenter. Pour le moment, cependant, nous devons moins regarder la valeur R que l'incidence. 


Hennig: Donc, le nombre de nouvelles infections. 

Drosten: oui, le nombre de personnes nouvellement infectées. […] 

Rassemblements à l’extérieur 

Hennig: Monsieur Drosten, je voudrais également jeter un œil sur d'autres pays.[...] En France, par exemple, les rassemblements de personnes dans les festivals seront bientôt autorisés, mais en plein air. [De votre point de vue de virologue] est-ce un sujet de préoccupation? Cela peut-il bien se passer?

Drosten: Une grande foule de gens me causerait du souci même à l'extérieur, même si le risque d'infection y est certainement beaucoup plus faible que s'il devait avoir lieu dans une salle. Malheureusement, je ne peux pas en dire plus à ce sujet pour le moment, je pense que les observations devraient être faites maintenant. Et qui sait si nous n’aurons pas non plus des surprises - qu'il n'y aura peut-être pas beaucoup d'infections même si nous nous réunissons à l'extérieur. C'est concevable. Mais c'est toujours comme ça: quand beaucoup de gens se réunissent au même endroit, ils sont en fait plus proches les uns des autres, et avec la transmission par les gouttelettes, nous perdons l’avantage d'être à l'extérieur. Et bien sûr, il y aura aussi des cas. Mais la question est combien? Cela produira-t-il vraiment des clusters, des superspreading events ?


Masques et détection des clusters 

Hennig: Nous avons récemment parlé de la méthode japonaise et du fait que la détection ciblée de tels clusters peut changer la donne. Mais nous avons également quelques autres pays, où tout s'est très bien passé. La Grèce par exemple ou le Portugal. Savez-vous ce qui s'est mieux passé là-bas? Qu'ont-ils fait différemment? […] 

Drosten: Je pense qu'ils ont pris des mesures assez tôt. Ils ont rapidement eu des informations sur ce que faisaient les autres pays. Je pense qu'il est plus important de réexaminer l'exemple du Japon, et cette impression que le simple fait de prêter attention aux clusters constitue la solution, c'est peut-être trop simplifié. Les Japonais ont fait plus qu’observer les clusters. Au Japon, comme dans de nombreux autres pays asiatiques, il est beaucoup plus courant de porter un masque, même avant le SRAS-2. Beaucoup de gens ont des masques. Il est normal de porter des masques, d'acheter des masques, cela n'est pas remis en question. Cette mesure, qui existe dans la population générale, combinée à une mesure qui concerne la population qui est particulièrement concernée par la formation de superspreading events - c'est en fait exactement ce qui est décrit dans cet article "Nature" de Jamie Lloyd-Smith, dont nous avons parlé la dernière fois, qui a en fait été modélisé comme particulièrement efficace. En d'autres termes, une mesure efficace à seulement 30%, mais [où la moitié de cette efficacité se dirige vers la population responsable des clusters]. Il s'agit d'une approximation quantitative[...]. 

Hennig: Mais nous ne connaissons pas le nombre de contaminés au Japon. On a toujours dit qu'ils n'avaient pas testé en masse. 

Drosten: C'est tout à fait exact. Les tests ne sont pas si nombreux au Japon. Au Japon, les gens se sont beaucoup fié aux diagnostics pour détecter les clusters à un stade précoce et ont accordé moins d'attention à la propagation du virus dans la population générale.  

Pas encore d’immunité collective 

Hennig: Si nous examinons l’ensemble des pays, alors on peut dire qu’on est encore loin de l'immunité collective. [Que ce soit à New York ou en Suède] 

Drosten: Oui, je ne connais pas les données les plus récentes pour la Suède. Mais l'impression de base lorsque vous effectuez des tests d'anticorps est que vous vous trouvez à moins de 10 % dans les populations européennes. Bien sûr, vous avez de très fortes variations locales - donc là où il y a eu des épidémies plus graves, vous avez des données plus élevées. Mais dans l'ensemble, ce n'est pas tant que ça. Nous devons également faire beaucoup d'efforts pour comprendre dans quelle mesure l'immunité doit aider à contrôler la deuxième vague et dans quelle mesure la dispersion peut aider. En d'autres termes: le contrôle ciblé des clusters, car ce sont deux effets qui se renforcent mutuellement. 

BCG, Remdesivir, chloroquine, «human challenge trials»
 
Hennig: Beaucoup de nos auditeurs posent également des questions sur l'état actuel de la recherche de médicaments ou de vaccins. La vaccination contre la tuberculose, de vaccination BCG, de Bacillus Calmette-Guérin, qui ne se fait plus en Allemagne depuis longtemps. Mais il y a eu des observations dans d'autres pays avant même la crise sanitaire actuelle que cette vaccination pourrait éventuellement réduire la mortalité infantile car elle pourrait activer de manière non spécifique le système immunitaire, pour le dire simplement. Aujourd’hui, une variante génétiquement modifiée est à l'étude en Allemagne. Serait-ce un moyen non pas de prévenir l'infection, mais d'atténuer une progression grave de la maladie jusqu'à ce qu'un vaccin soit disponible? Ou pensez-vous que ces espoirs sont exagérés? 


Drosten: Je n'en ai pas la moindre idée. La vaccination BCG est très répandue dans le monde. Pour expliquer brièvement: c'est une vaccination contre la tuberculose, utilisée dans de nombreux pays. Et on a vu très tôt lorsque l'épidémie SRAS-2 est arrivée [qu’il y avait] moins de cas, des cas moins graves, ce qui semblait être lié à vaccination BCG. Cependant, il est vite devenu évident que bon nombre de ces corrélations statistiques étaient en fait des facteurs de confusion, ce n'était donc qu'une coïncidence. Mais il y a de nouvelles [pistes qui] disent que cette vaccination BCG crée quelque chose comme une mémoire immunitaire plus générale et plus large, dans le domaine de l'immunité innée, c'est-à-dire l'immunité peu spécifique du pathogène. La discussion est loin d'être terminée. [Mais on est loin de comprendre ce qui se passe]. Je serais très surpris si cela se traduisait par des mesures à large échelle. 

Hennig: Récemment, le remdesivir, un médicament qui a été développé pour Ebola, suscitait de grands espoirs. Nous en avons déjà discuté dans le podcast. Il y a eu une étude dans le "New England Journal of Medicine" qui montrait que la durée de la maladie pouvait être raccourcie de quelques jours, mais on ne sait toujours pas s'il sera possible d'empêcher les cas graves. Faut-il poursuivre les recherches ? 

Drosten: Le gros problème avec le remdesivir est que les études réalisées l’ont été avec l'intention d'aider les patients qui ne vont pas bien. Et malheureusement, avec cette maladie, ce sont les patients infectés depuis longtemps. Nous en avons parlé dans les épisodes précédents, il y a trois phases. L'une est la phase virale, la première semaine. L'autre est la phase immunitaire. Et la troisième est la phase inflammatoire. Donc première, deuxième, troisième semaine. C'est si simplifié que n’importe quel clinicien dirait: Mais qu’est-ce que vous racontez comme bêtises, M. Drosten? Mais on peut garder cela à l'esprit en tant que modèle. La phase où les patients viennent à l'hôpital, où les choses empirent - c’est dans la deuxième semaine. La phase de réplication virale, où le virus se propage, est terminée. Et là on a un médicament qui agit contre le virus. La logique est que vous devez administrer ce médicament beaucoup plus tôt, à un moment où les patients sont dans la première semaine et sont légèrement malades, donc ils n'ont en fait aucune infection grave. C'est une décision clinique très difficile - même dans les études - de dire: il s'agit d'un patient dans un stade précoce, qui se porte plutôt bien, et presque tous les patients se portent plutôt bien à ce stade. Maintenant, nous lui donnons cette substance qui est difficile à obtenir, sauf pour des études. C'est pourquoi nous ne savons pas vraiment comment le remdesivir fonctionne réellement dans les premières phases. Mais ce n'est qu'un des problèmes, un autre problème est que l'ingrédient actif du remdesivir n'est pas facile à synthétiser chimiquement. […] Vous ne pouvez pas facilement augmenter [la quantité] si je comprends bien. Mais je ne suis pas un expert dans la production de médicaments. Ce qu’on pourrait considérer, c'est trouver une autre forme posologique, par exemple l'inhalation. […] Mais je ne pense pas que cela va se produire rapidement. 

Hennig: Un autre médicament qui fait la une des journaux est la chloroquine. Nous en avons déjà parlé ici, une substance contre le paludisme. Il y a de gros titres sur Trump et le Brésil. Cependant, il existe également des publications qui supposent que la chloroquine a non seulement des effets limités, mais peut également être nocive. Néanmoins, les chercheurs disent qu’il ne faut pas arrêter toutes les études cliniques à cause de ces annonces. Qu’en dites-vous ? 

Drosten: Bien sûr, les études cliniques doivent déjà être terminées, car sinon, tout cela aurait été un gaspillage d'énergie - du moins quand il est clair qu'elles ne sont pas nocives. Sinon, vous risquez de manquer quelque chose. Qui sait. Il est connu que la chloroquine possède certaines propriétés anti-inflammatoires. Je pense que c'est avant tout un appel à l'exhaustivité. Ce n'est pas comme si la chloroquine mettait un patient en danger, là, tout de suite. […] 

Hennig: La clinique universitaire Eppendorf de Hambourg a récemment lancé un appel pour tester un vaccin sur des volontaires. [...] Comment évaluez-vous le débat sur les Human Challenge Trials? Est-ce une voie dangereuse? 

Drosten: Bien sûr, c'est une voie dangereuse, si on pense à l’individu. Nous savons très bien que l'infection virale peut très mal se dérouler, même pour des jeunes. On pourrait faire cela si on avait déjà un médicament, donc s'il s'avère que le vaccin ne protège pas, vous pouvez au moins arrêter l'infection qui survient avec un médicament. […] 

Hennig: Monsieur Drosten, nous discutons maintenant depuis un peu plus de trois mois. Vos collègues nous ont répété à maintes reprises que les virologues n'étaient pas totalement surpris qu'il y ait une pandémie, parce que c’était prévisible. Et les zoonoses sont également un sujet toujours abordé. Vous attendiez-vous à ce que ce soit un coronavirus qui en soit à l’origine, et que cela se produise maintenant? 

Drosten: Que ça arrive maintenant, non, c'est tout aussi surprenant qu'à tout autre moment. Qu'il y a des facteurs écologiques qui favorisent quelque chose comme ça, oui. Après tout, c'est mon domaine de recherche. J'ai souvent dit que ce serait un coronavirus, que le premier candidat serait clairement un virus grippal. Mais avec tout ce qu’on voit avec le MERS dans les pays arabes, ou au Moyen-Orient et en Afrique, [il y avait un peu d’inquiétude]. Mais qu'un tout nouveau virus apparaisse soudainement, et qui se transmette si facilement, cela me surprend. Je suis également surpris qu'il s'agisse d'un virus semblable au SRAS, car le SRAS avait une autre propriété à l'époque de sa propagation.

Hennig: Dans les voies respiratoires plus profondes. 

Drosten: Exactement. [...]