Korinna Hennig: Monsieur Drosten, jetons un coup d'œil aux recherches en cours. L'Imperial College de Londres vient de publier une modélisation, c'est-à-dire une extrapolation ou une prévision du nombre d'infections et de décès en utilisant l'exemple de la Grande-Bretagne et des États-Unis. À l'âge de 60 ans, plus d'une personne infectée sur quatre devrait se retrouver en soins intensifs. Que pensez-vous de ce calcul?
Les hypothèses de travail du modèle britannique
Christian Drosten: Je pense que c'est une étude très importante. Il s'agit probablement d'une des études à l'origine des décisions politiques du Royaume-Uni. Dans cette étude, des hypothèses sont faites - et c'est toujours le cas dans ces études de modélisation. Dans ce modèle, les plus petits détails ont été programmés. Par exemple, on suppose que la période d’incubation est de 5,1 jours en moyenne, ce qui est certainement exact. On pense que l'infectiosité chez les patients symptomatiques commence douze heures avant le début des symptômes. Je serais également d'accord avec cela. Je dirais presque que ça commence probablement un jour avant le début des symptômes, mais je ne peux le dire que sur la base de données de laboratoire, bien que l'étude sur la contagiosité de Munich suggère quelque chose comme ça. On suppose aussi que les deux tiers de tous les cas sont symptomatiques. Donc un tiers des personnes ne remarquent pas l'infection ou du moins ne la prennent pas au sérieux tant les signes sont bénins.
Korinna Hennig: Comme un petit mal de gorge?
Christian Drosten: Oui, voilà. On suppose donc que seulement deux tiers des cas restent confinés à la maison, avec ou sans test. On suppose un taux de mortalité par infection - pas le taux de mortalité par cas, car les personnes infectées passent inaperçues - de 0,9 %.
Korinna Hennig: Mais c’est un facteur important, les personnes infectées non détectées.
Christian Drosten: C'est vrai, c'est un facteur important. Mais nous ne savons pas si c'est vraiment un tiers, c'est juste une estimation. Vous pouvez voir à partir de cela que de telles estimations sont courageuses, qu'elles peuvent être complètement fausses et qu'elles peuvent avoir des effets extrêmes à l’issue du calcul. C'est toujours le problème avec les modèles, à certains endroits vous devez paramétrer des estimations. Donc là, vous avez un calcul qui semble extrêmement compliqué, et soudain, il y a une approximation importante: Oui, nous avons demandé à un expert et il l'a apprécié. C'est le problème avec de telles études. Mais passons.
Donc, les deux tiers des cas sont symptomatiques, c'est une estimation. La mortalité par infection est de 0,9 %. Dans une autre étude du même groupe, récemment publiée, l'estimation n'était que de 0,6%. Ce sont à peu près les chiffres que nous avons toujours donnés dans ce podcast. Ensuite, ils supposent un taux d'hospitalisation de 4,4% de personnes infectées qui se rendent à l'hôpital. C'est possible.
Korinna Hennig: Mais cela ne signifie pas en soins intensifs, juste aller à l'hôpital.
Christian Drosten: Exactement. Et puis ils estiment qu'un tiers de ceux qui vont à l'hôpital ont besoin de ventilation. Je pense que c'est un chiffre élevé. Mais ils supposent également que vous pouvez convertir cela à 1,32% de toutes les personnes infectées. Et c'est peut-être le cas, je ferais moi-même également de telles estimations.
Ensuite, on suppose que 50% des patients ventilés mourront dans l'unité de soins intensifs. Cette valeur est calculée en fonction de la structure par âge de l'Angleterre, on suppose ici qu'une très forte proportion de personnes âgées sera concernée par une ventilation mécanique.
Je ne sais pas exactement ce qu’il en serait en Allemagne. Mes amis, qui sont des médecins de soins intensifs me disent qu'ils supposeraient que 30 à 40% des patients dans ce cas mourraient en soins intensifs en Allemagne, et non 50%. Mais moi, je ne peux pas me prononcer.
Et puis il y a d’autres paramètres auxquels on peut penser ici, il y a des considérations telles que la mise en quarantaine. Donc, supposons qu'il y a un cas dans une famille et que tous les membres doivent rester à la maison pendant 14 jours. Selon l'étude, seulement 50% des ménages y adhéreraient. Je pense que c'est une hypothèse un peu raide. Donc, si vous savez qu'il y a un cas et que le service de santé dit que tout le monde doit rester à la maison, je ne peux pas imaginer que la moitié d'entre eux ne le feraient tout simplement pas.
Korinna Hennig: Vous venez de faire une petite comparaison concernant les décès, citant vos collègues. Dans quelle mesure pensez-vous que cela est transférable à l'Allemagne? Cette étude porte sur la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Christian Drosten: Exactement. Je pense que c'est assez transférable à l'Allemagne. Je ne pense pas que les Anglais soient si différents de nous. Il existe certaines différences dans le système de santé, par exemple nous avons une très bonne et forte capacité de ventilation en soins intensifs. Et quelle combinaison de mesures devons-nous prendre ? Si on n’isole que les personnes positives, ainsi que toute sa famille pendant 14 jours et qu’on éloigne les plus de 70 ans, mais que le reste de la population continue de vivre normalement et que les écoles restent ouvertes. Dans ces conditions, vous pourriez vous attendre à avoir huit fois plus de cas à ventiler que les capacités. Cela signifie que vous avez une situation italienne. Avec un tri des patients à ventiler.
Ne pas attendre une immunité de groupe
Korinna Hennig: Donc, ce n'est pas gérable. Beaucoup de nos auditeurs nous ont demandé: Ne serait-il pas logique d'isoler complètement les patients âgés et de permettre aux autres de développer l'immunité collective en attendant? Mais ces chiffres sont clairement contre.
Christian Drosten: En effet, ils disent donc que vous pouvez oublier cela. Pour que la vie puisse continuer comme avant, seules les personnes infectées et leurs familles sont maintenues à la maison. Et en principe, les personnes âgées de la population sont prises en charge, mais ne doivent pas quitter la maison - et cela pendant trois mois, c'est l'hypothèse ici. Cela ne mène à rien, sauf si vous voulez accepter la même situation qu'en Italie. Et je ne pense pas que nous voulions l'accepter.
[…]
[Dans les faits, actuellement en Allemagne, nous sommes déjà tous à la maison. Les écoles sont fermées et les gens travaillent à la maison.
Korinna Hennig: Le modèle britannique doit être mis en œuvre sur une longue période]
Christian Drosten: Plus de cinq mois. Et quelle décision politique prendre ? Faut-il vraiment fermer les écoles et les universités? Il y a les deux variantes dans le modèle, c'est à dire avec ou sans fermeture des écoles, et dans les deux cas vous pouvez retarder les infections, donc aplatir la courbe, comme on dit. Mais avec la fermeture des écoles, c’est beaucoup plus efficace. En lisant entre les lignes, il est clair que la fermeture des écoles est beaucoup plus efficace que la seule mise en quarantaine des familles.
[...]
[Le message caché de cette étude est qu’il faut fermer les écoles et les universités, puisque les mises en quarantaine des familles ne sont pas respectées par tous.]
Et encore plus important: cela doit être maintenu pendant cinq mois. Et c'est extrêmement long, c'est vraiment difficile à mettre en œuvre. Et il est également dit que si on abandonne les mesures au bout de 5 mois, l’infection revient, en tant que vague d'hiver. C'est quelque chose que nous devons absolument éviter, car alors nous n'aurions pas gagné grand-chose. Nous n'aurions que différé le problème dans le temps.Bien sûr, ce décalage pourrait être une victoire si on trouve une nouvelle façon de résoudre le problème.
Un "stop and go" durerait deux ans
[est-ce qu’on pourrait imaginer des périodes alternant fermeture puis réouverture des écoles, en attendant un vaccin ou un médicament?]
Christian Drosten: Cela vaut la peine d’y réfléchir: pourrait-on faire quelque chose comme ça? Et ce qui en ressort, c'est que vous pouvez le faire. Le nombre de cas graves peut toujours être maintenu dans une fourchette basse. Mais cela prendrait deux ans, c'est impensable. Le message de cette étude est finalement: nous avons besoin d'autre chose, nous devons faire quelque chose.
Eh bien, nous pouvons certainement le faire, aussi en Allemagne. Nous pouvons maintenant vraiment aplanir la courbe et réduire le nombre de cas dans les prochains mois, jusqu’au début de l'été, afin de ne pas saturer le système de soins et veiller à ce que tous ceux qui en ont besoin puissent être ventilés.
Nous pouvons le faire, mais nous devons également trouver autre chose. Nous devons trouver un vaccin ou un médicament à donner aux personnes âgées.
[Ce qui suit est un plaidoyer pour que le circuit d’autorisation de mise sur le marché des vaccins soit simplifié.]
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