La contagiosité
Korinna Hennig: Je voudrais brièvement évoquer notre dernier épisode d'avant-hier. Nous avons récemment parlé de l'étude concernant l'infectiosité - également d'après vos propres investigations – et la question qui se pose est: dans quelle mesure une personne malade est-elle contagieuse, et pendant combien de temps? Pour vous, c’est clair: les plus contagieux le sont la veille du début des symptômes et pendant quatre jours (ou au plus tard au bout de sept jours), ensuite ils ne sont apparemment plus contagieux. Le virus ne peut alors être détecté que comme matériel génétique. Des questions de compréhension se sont posées, car de nombreux patients ne se rendent à l'hôpital que lorsque les choses vont mal, souvent après une semaine. Et pourtant, nous avons toujours du personnel hospitalier infecté. Quelle nécessite pour eux d'être équipés d'un matériel de protection lors de la prise en charge des patients Covid 19?
Christian Drosten: Cela va de pair dans la mesure où ces enquêtes, auxquelles je fais référence, sont des enquêtes sur les modes de transmission, en particulier dans les familles. Donc dans un environnement normal, pas à l'hôpital. Cela signifie que si vous deviez faire une étude exclusive sur le personnel hospitalier, cela pourrait être un peu différent - j’en dirai plus dans un instant. Donc, cette étude - et ce n'est pas seulement une seule étude, il y a une ou deux autres études qui confirment également pleinement cela, qui disent qu'environ 44% de la transmission se produit avant le début des symptômes et que la probabilité de transmission la plus élevée se situe la veille du début des symptômes. Quatre jours après le début des symptômes le risque de transmission est terminé et quasiment exclu plus d'une semaine après le début des symptômes.
Je ne donne délibérément aucun chiffre ici. Ce sont des calculs issus de modèles, dans lesquels probabilités sont calculées.
Maintenant, revenons à l'hôpital: il y a une discussion ouverte en ce moment sur le fait de savoir si un patient intubé est contagieux, s'il l’est au début de l'intubation – cette dégradation de l’état du patient se produit souvent après une bonne semaine – s’il l’est encore après quelques jours ou à la fin de la phase de ventilation. De nouvelles questions se posent dans la pratique clinique car, par exemple, le sevrage du ventilateur peut souvent être effectué dans des services qui ne sont pas au cœur de l'unité de soins intensifs. Là où vous devez maintenant vous habituer à respirer normalement. Il s'agit d'un problème distinct de soins intensifs. Si vous saviez que les patients n'étaient plus infectieux dans cette phase tardive, vous pourriez le faire dans des stations de sevrage spéciales.
Nous sommes actuellement en train de refaire des tests sur ces patients. En revanche, le moment où un patient est intubé est probablement le début d'un parcours plus difficile, c'est-à-dire quand un patient est sur le point d'entrer dans l'unité de soins intensifs, à la fin de la première semaine. Pendant l'intubation, il y a une connexion plus directe avec les voies respiratoires profondes, où le virus se multiplie vraiment. Nous pensons que cette procédure médicale d'intubation, par exemple, présente un risque particulier pour le personnel médical, de sorte que vous devez vous protéger. C'est aussi la discussion que nous continuons d'avoir, que la situation d'exposition du personnel médical à l'hôpital est spéciale et que par conséquent des masques respiratoires spéciaux doivent y être utilisés, mais qui ne devraient pas être utilisés à l'extérieur de l’hôpital - en raison des problèmes d’approvisionnement d'une part, mais aussi parce que ces niveaux de protection plus élevés tels que les masques FFP2 et 3 ne peuvent pas être achetés du tout.
Quelles lésions?
Korinna Hennig: Dans tous les journaux, les médias en ligne ou dans les études scientifiques, on évoque des lésions pulmonaires à long terme. Que fait le virus dans les poumons ? Il y a des rapports d'Innsbruck, par exemple, sur des dommages aux poumons. On parle d'embolie pulmonaire, mais aussi d'anomalies neurologiques. «Science» parle également d’atteintes rénales. La recherche étudie-t-elle déjà systématiquement ces cas? Avez-vous une idée? Ou s'agit-il toujours de rapports de cas uniques, mais qui ne sont pas vraiment significatifs?
Christian Drosten: Non, il y a des études observationnelles cliniques, surtout maintenant. Ce que vous évoquez là, ce sont des histoires assez compliquées. L'histoire des troubles de la coagulation sanguine qui conduisent à de petites zones d'embolie pulmonaire est initialement une observation de la médecine des soins intensifs. Il existe maintenant des études observationnelles, non seulement en un seul endroit, mais dans de nombreux endroits où cela est étudié. Cela conduit à des dommages des tissus pulmonaires en général, et à des dommages plus durables à l'échange de gaz. Vous devez alors vous demander s'il y a des cicatrices ou une fibrose pulmonaire. Cela fait l'objet d'une enquête plus approfondie. Il en va de même pour les conséquences neurologiques. Il existe des preuves que ce virus peut provoquer une encéphalite, une inflammation du parenchyme cérébral, une inflammation des tissus cérébraux.
Que fait le virus dans le cerveau?
A partir de ces premières observations, on se demande également quels sont les autres phénomènes neurologiques. Par exemple, il a très fréquemment été signalé une perte d'odorat, qui est également un dommage neurologique. Le bulbe olfactif qui atteint le haut du nez fait partie du système nerveux central. En principe, c'est l'extension du nerf olfactif. Et cela fait partie du cerveau. Nous avons une connexion directe entre le cerveau et l'environnement extérieur. Notre anatomie empêche les agents pathogènes d'y pénétrer. Mais un tel virus se propage dans la substance cellulaire. Il existe également des données avec d'autres virus, par exemple avec la grippe, ou le virus de la rage, que l’on soupçonne de pénétrer dans le cerveau par cette voie. En observation clinique, par exemple dans le cadre de coupes anatomiques ainsi que dans le domaine de l'expérimentation animale, on se demande maintenant de quoi il s'agit. Le virus pourrait-il y arriver de cette façon?
Korinna Hennig: Cependant, au moins maintenant, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, n'est-ce pas?
Christian Drosten: Non, ce sont des observations faites sur de rares cas et qu’on ne peut pas généraliser. Vous voyez ces cas rares et ensuite vous vous demandez si cela se produit aussi de façon atténuée dans les autres cas, ça fait partie des hypothèses dans les études d'observation cliniques. Mais on sait que ce n'est pas le cas chez les personnes qui ont survécu à cette maladie, et il y en a heureusement déjà beaucoup. Ce qui est déjà connu, c'est que cette perte d'odorat peut durer quelques semaines.
La mortalité
Korinna Hennig: Dans la tête des gens il y a la conviction que le pire est déjà passé. On se demande quand est-ce que les crèches vont-elles enfin rouvrir? Vous avez examiné les chiffres de la Grande-Bretagne, ainsi que ceux de la France, où il y a un nouveau modèle. En Angleterre, le confinement a eu lieu le 23 mars, il y a environ quatre semaines, et l'Office for National Statistics fait état d'un nombre dramatique de morts depuis la première semaine complète d'avril, un chiffre qui n'a pas été aussi élevé depuis 20 ans. Sommes-nous ici en train de parler de surmortalité?
Christian Drosten: Oui, exactement. Nous commençons lentement maintenant à voir la mortalité. Il y a eu beaucoup de déclarations ces dernières semaines selon lesquelles ce virus serait inoffensif, puisqu’on ne voyait pas la mortalité. Et puis la comparaison avec la grippe a toujours été faite. Ensuite, il a été dit qu'en 2017, il y avait une épidémie de grippe aussi grave, avec 25 000 ou 30 000 décès. Cela ne se voit pas encore avec ce virus : nous avons encore moins de 6000 morts. C'est toujours une comparaison molle parce que vous comparez deux choses différentes. Le taux de mortalité est déterminé pendant la saison grippale. Cela signifie que vous voyez combien de personnes meurent normalement en moyenne annuelle. Ensuite, vous prenez précisément cette fenêtre de temps, durant laquelle vous savez que la grippe circule dans la population, et vous comparez avec le nombre de personnes décédées. Ensuite, vous faites la différence est la sur-mortalité est attribuée à la grippe. Ce sont des décès directs dus au virus, mais ce sont aussi des décès dus à la grippe que l’on ignorait car ce sont souvent des personnes décédées à la maison. Dans de nombreux cas, ils étaient déjà malades. Peut-être qu'ils étaient cloués au lit et ils sont morts à cette période. Mais si vous comptez le nombre de décès de ce type, il y en a beaucoup plus pendant la saison de la grippe. Ensuite, vous devez savoir que pour quelqu'un qui est âgé et alité avec des poumons mal ventilés, s'il contracte une infection grippale, la mort peut arriver très rapidement. Cela arrive parfois si rapidement que vous ne remarquez même pas qu'il a une maladie virale aiguë. Même la pneumonie subséquente, bactérienne, peut passer inaperçue. Surtout chez les patients très âgés, cela peut se produire sans fièvre élevée, sans que les soignants s'en rendent compte ou que les membres de la famille s'en rendent compte. Ces cas sont tous inclus. Comme on ne sait pas s'il s'agit d'une infection virale aiguë, il faudrait faire un test, mais cela ne fonctionne pas de cette façon dans la réalité.
Ensuite, il y a les cas où on voit que c’est une infection virale aiguë. On fait un test et on sait alors que c'est la grippe. Et apparemment le patient en est mort, peut-être même dans l'unité de soins intensifs. En comptant comme ça, nous avons en Allemagne quelques centaines de cas dans une saison ou peut-être un peu plus de 1000 ou 2000 maximum, vraiment maximum. Et cela est réparti sur toute la saison grippale, entre Noël et quelques semaines après le carnaval. Nous sommes dans une autre saison maintenant.
Il y a cette représentation que vous avez mentionnée, de l'Office de statistique anglais. J'en ai trouvé une autre ce matin, qui pourrait être encore plus intéressante à regarder car elle englobe encore plus de pays qui a été publiée dans le "New York Times". Vous pouvez y voir de jolis graphiques qui montrent la mortalité dans de nombreux pays ; il y a l'Angleterre, mais aussi l'Espagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, la Suède, l'Indonésie (Jakarta) et la Turquie (Istanbul).
Là vous pouvez très bien voir comment la mortalité évolue au cours de l'année. Certains d'entre eux ont des moyennes pluriannuelles. On voit comment la mortalité a soudainement augmenté cette année, vraiment rapidement, vous pouvez donc voir que c'est un effet très net qui se produit ici. Dans de nombreux pays, le taux de mortalité actuel double ces dernières semaines. Et toutes ces courbes pointent vers le haut. Heureusement cela ne va pas se poursuivre, car tous ces pays ont mis en place de fortes mesures de distanciation sociale. Nous ne voyons actuellement pratiquement aucune éclosion incontrôlée du SRAS-2. Mais même avec ces mesures drastiques de distanciation, nous voyons que nous n’en sommes qu’au début, dans de nombreux pays. Nous ne pouvons qu'espérer que cela ne durera pas longtemps.
Pourquoi l'Allemagne s'en sort bien
Nous sommes dans une situation particulièrement bonne en Allemagne car nous avons commencé ces mesures de distanciation très tôt. Les politiciens ont besoin de deux critères pour introduire ces mesures. Premièrement, certaines images doivent être vues qui montrent la gravité de la situation, c'est-à-dire le poids écrasant sur les soins intensifs. Cela prend souvent la forme d'images télévisées, où vous vous dites: bien sûr, nous ne voulons pas de cela arrive chez nous. Et puis deuxièmement: le virus est déjà arrivé dans notre pays, il est avec nous, il n'est pas seulement introduit. Nous ne pouvons pas juste fermer les frontières, nous l'avons déjà dans le pays. Dans de nombreux pays, les politiciens ont pris conscience de la gravité car il y avait des morts, de plus en plus de morts. Seulement, ces décès ont lieu un mois après l'infection.
Il faut du temps pour mourir. Vous devez être infecté, puis vous êtes un peu malade, puis vous tombez gravement malade. Et vous décédez après un mois. Cela a été le signal dans de nombreux pays. Mais vous aviez déjà perdu un mois. Nous n'avons pas perdu ce mois-ci en Allemagne car nous avons commencé à diagnostiquer très tôt et massivement. Nous avons commencé à Berlin en janvier. Fin janvier, nous avons équipé tous les hôpitaux universitaires de tests. L'Allemagne a été en mesure de tester sur une vaste zone à la mi-février et a de nouveau considérablement augmenté sa capacité en mars. Donc après le carnaval nous ne nous sommes pas contentés de voir qu’il y avait des cas importés. Il y avait un cas au Bade-Wurtemberg à l'époque, importé d'Italie. Un collègue du Bade-Wurtemberg m'a appelé et m'a dit: "Nous n’avons pas seulement ce cas importé. Nous avons commencé dans de nombreux laboratoires à tester le SRAS-2 de manière aléatoire et nous sommes tombés sur un cas qui n’a rien à voir avec le cas introduit." Et là vous réalisez soudainement qu'il circule déjà ici dans le pays. Cela a la même valeur d'information que si nous avions eu des morts, comme en Italie, en Angleterre ou en France.
C'est pourquoi nous avons un mois de longueur d'avance en Allemagne. Et je regrette de voir que nous sommes sur le point de gaspiller cette avance ici en Allemagne. Si nous regardons où nous en sommes dans le développement de l’épidémie - il existe également une publication statistique - nous sommes parmi les meilleurs pays du monde. Nous sommes l'un des rares pays au monde où les chiffres sont vraiment en baisse. Nous sommes le pays avec la plus grande population et les nouvelles les plus transparentes. Et tout à coup, nous voyons les centres commerciaux qui sont à nouveau fréquentés, où tout le centre ville est à nouveau plein de monde. Pourquoi? Parce que chaque petit magasin de moins de 800 m2 est ouvert. Vous devez vous demander si tout cela a vraiment du sens. Pour une fois, j'exprime un avis ici dans ce podcast.
Korinna Hennig: Les chiffres en provenance d'Angleterre montrent qu’il ne s'agit plus seulement de morts de plus de 70 ans, ce qui est assez dramatique. Pouvez-vous déjà dire que la létalité se glisse dans les groupes d'âge inférieurs?
Christian Drosten: Oui, bien sûr. Ce n'est pas un événement qui ne concerne que les personnes de plus de 80 ans, comme on le pense parfois, mais bien sûr, vous pouvez également voir des cas de décès dans des groupes d'âge plus jeunes.
La situation en France
Korinna Hennig: Si nous regardons maintenant vers l'avenir: quelle est la prochaine étape? Il existe une étude de modélisation réalisée en France qui estime ce que produirait un assouplissement des mesures. Le 17 mars, il y a eu le confinement en France. Le 11 mai, ces mesures devraient être réduites. Le taux de reproduction en France a baissé de manière significative de R 3,3 à R 0,5. Alors, que dit ce modèle?
Christian Drosten: Ce n'est pas vraiment clair pour les prévisions. Il ne s'agit en fait que d'une prévision de la situation à la fin de ces mesures de lockdown. On prévoit que 3,7 millions ou 5,7% de la population française seront infectés d'ici là. Ils auront soit une infection active ou auront déjà traversé l'infection en grande partie. Ce n'est pas un nombre qui signifie une quelconque immunité de groupe. Ça n'aidera pas. La vague d'infections recommencera en France s'il n'y a pas un effet saisonnier très fort et qui n’a pas encore été obervé - il fait encore beaucoup plus chaud en France qu'ici - mais j'espère que le nombre d'infections sera un peu contenu les prochains mois en raison de cette chaleur et de cet effet estival.
Même dans les provinces de France les plus touchées, en Île-de-France ou dans le Grand Est, vous n’avez que 12,3 et 11,8% de personnes infectées. Et ce sont des zones où des patients ont été placés dans des trains pour être transportés vers d’autres régions. C'était une situation vraiment catastrophique. Même dans ces provinces, où cette situation catastrophique a existé, le niveau d'immunité ne sera que de 12,3 ou 11,8% à la fin de ce très long lock-out.
C'est une modélisation très, très renommée. Je crois donc fermement à ces chiffres. Soit dit en passant, une dernière chose: ce calcul nous fournit également de bonnes informations sur la mortalité. Peut-être pourrons-nous en discuter à nouveau et les mettre en perspective. Mais dans l'ensemble, nous pouvons déduire de cette étude: dans une situation que nous n'avons jamais eue en Allemagne, dans une situation d'urgence vraiment dramatique, même là, l'activité infectieuse n'a pas été si élevée, on ne peut pas parler de contagion massive.
Korinna Hennig: Vous venez de le mentionner. Que disent ces chiffres de la France sur la probabilité d'avoir une évolution sévère ou même de mourir à l'hôpital?
Christian Drosten: Oui, nous avons ici un travail de modélisation qui inclut également certaines informations supplémentaires de l'extérieur. Entre autres, les taux d’infection sur un grand navire de croisière. Ces données sont ensuite calculées en parallèle et dérivées de celles-ci.
Korinna Hennig: le Diamond Princess?
Christian Drosten: C'est exactement ce que font les modélisateurs épidémiologiques. Pour résumer le résultat de l'étude. On peut dire que 2,6% des personnes infectées doivent se rendre à l'hôpital. Soit dit en passant, tout cela est calculé sans les maisons de retraite qui sont une situation distincte. Nous pourrons en reparler brièvement.
Mais dans la population normale, 2,6% des personnes contaminées doivent se rendre à l'hôpital. Nous connaissons maintenant très bien la mortalité de ces cas. Cela ne signifie pas la mortalité des malades, mais bien celles des contaminés. Il s'agit ici de 0,53% de mortalité par contamination. Cela correspond à la gamme d'estimations avec laquelle de nombreux modèles épidémiologiques ont également été réalisés en Allemagne. La plage d'estimation a toujours été d'un demi-point de pourcentage. J'ai toujours dit 0,3 à 0,7 %. Neil Ferguson dit 0,6, 0,7 et 0,9 %, selon la population qu’il modélisait. D'autres modèles épidémiologiques supposent également une telle mortalité par infection. Et ici, vous pouvez le retrouver: 0,53%. La mortalité par infection chez les personnes de plus de 80 ans est de 8,3%. Et sans ceux qui vivent dans des maisons de retraite, où l’épidémie est beaucoup plus grave.
L'Allemagne n'est pas tirée d'affaire
Korinna Hennig: Vous avez dit que cela est relativement transférable en Allemagne. Et si nous regardons ensuite exactement cette composante des maisons de retraite, qu'est-ce que cela nous dirait?
Christian Drosten: Nous avons maintenant reçu des informations en Allemagne selon lesquelles les maisons de retraite sont très gravement touchées. Vous pouvez maintenant le voir dans les statistiques des cas et des décès en Allemagne. Nous avions donc une moyenne d'âge exceptionnellement jeune en Allemagne. Mais maintenant, en plus d'un pic d'environ 50 ans, qui est l'âge médian actuel, nous avons un autre pic dans la population âgée. Cela se traduira par une augmentation du taux de mortalité en Allemagne. Mais pour le moment, nous avons atteint beaucoup d’objectifs en Allemagne avec des mesures peu contraignantes. Tout le monde était autorisé à sortir, les familles étaient autorisées à sortir. En France, il est interdit de quitter l'appartement. Pendant une période, vous n'étiez même pas autorisé à sortir pour faire du jogging seul.
Korinna Hennig: Tout comme en Italie et en Espagne.
Christian Drosten: Oui, exactement. Nous devons comprendre cela. Nous avons réussi à accomplir tant de choses en Allemagne grâce à un lockdown très peu contraignant parce que nous avons commencé tôt, parce que nous avons remarqué notre épidémie tôt grâce aux tests. Lidée est ainsi née, par exemple dans le document de synthèse de l'Association Helmholtz, qu'il est possible d'éradiquer pratiquement l'épidémie en Allemagne avec un chiffre de reproduction autour de 0,2 mais seulement si les mesures actuelles, c'est-à-dire le confinement modéré valable jusqu'à la semaine dernière, avaient été poursuivies pendant quelques semaines seulement. Mais la politique a décidé contre.
Korinna Hennig: Donc, garder les magasins fermés.
Christian Drosten: Exactement, les magasins. Nous ne pouvons pas évaluer l'assouplissement qui vient maintenant. Je pense que la politique l’a fait pour une bonne raison. D'après ce qui vient d'être publié sur l'assouplissement, je peux déjà voir que les détails ont été étudiés et qu'on veille à limiter le nombre de nouvelles infections. Nous l'avons entendu à nouveau dans les discours de la chancelière, qui a également souligné très fortement qu'il fallait continuer à prendre cela au sérieux afin de réduire davantage le nombre d'infections. Je pense que nous devons veiller à rester en dessous de R=1, c'est très important. Nous sommes dans une zone très fragile. Hier, à l'Institut Robert Koch, je n'ai pas vu les chiffres aujourd'hui, mais hier, le nombre était revenu à 0,9. Mais c’est difficile à apprécier, il y a d’autres facteurs comme les retards de déclarations après le week-end, que nous savons maintenant corriger. Mais on ne peut pas tout prendre en compte.
À titre d'exemple, je suis tombé malade le week-end de Pâques mais ce n'était pas si grave. J'ai eu de la fièvre mais je ne suis pas allés chez le médecin car c’était le week-end. Ces cas ne seront jamais enregistrés maintenant. Ils ne seront pas contre-corrigés non plus, mais ils existent. Ils sont peut-être à l'origine d'une nouvelle chaîne d'infections.
Prenez les mesures au sérieux
Il ne sert à rien de se laver les mains de temps en temps. Ou de mettre de temps en temps un masque. Vous ne pouvez pas faire cela « de temps en temps » si vous voulez que le R en Allemagne reste en dessous de 1. Avec autant d'interprétations individuelles des gestes barrière, je ne serais pas surpris si, en mai ou fin juin, nous nous retrouvions soudain dans une situation que nous ne pourrions plus contrôler, si nous n'y prenons garde.
Si vous assouplissez complètement les mesures ou si tout le monde commence à avoir son interprétation des gestes barrière, de nouvelles chaînes d'infection se formeront dans de nombreux endroits en Allemagne et pas seulement dans certains coins de Berlin, Hambourg, du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie du Nord-Westphalie ou d'autres zones à forte prévalence, où quelque chose a été introduit au début. Il y aura beaucoup plus de points de départ pour les chaînes d'infection. Et puis il y a un effet grave, la diffusion croissante dans des population plus âgées ayant un taux de mortalité plus élevés.
Critique d'une étude chinoise sur les mutations du virus
Korinna Hennig: Une autre grande question est: que se passe-t-il si le virus mute? Nous avons parlé de mutations dans un premier épisode, l'épisode huit. C'était le 6 mars. À l'époque, vous nous aviez dit que les virus mutaient toujours. Ils l'ont toujours fait. Jusqu'à présent, nous n'avons aucune preuve que cela modifie les propriétés du virus, par exemple la façon dont il se diffuse. Maintenant, il y a un préprint en provenance de Chine, par des auteurs de Hangzhou et Yichang, qui a examiné onze patients de la première épidémie en Chine. Si nous entrons dans cette étude, quel genre d'indices nous donne-t-elle concernant l'évolution du virus?
Christian Drosten: Oui, malheureusement, cette étude a déjà été largement discutée sur les réseaux sociaux. Elle a attiré beaucoup d'attention internationale. Nous devons en discuter car cela a déclenché certaines conclusions qui ne sont vraiment pas tenables, surtout chez les personnes qui ne connaissent pas bien la virologie. Fondamentalement, c'est le domaine d'étude supplémentaire de la caractérisation des phénotypes. Ainsi, nous pouvons séquencer des virus et obtenir le génome et nous pouvons construire un arbre généalogique et dire quel virus est lié à quel virus. Mais cela ne nous dit rien sur la dangerosité de ces différents virus. Pour cela, nous devons faire des tests en laboratoire. La façon la plus simple de comparer la dangerosité des virus est de les laisser simplement se développer dans des cultures cellulaires et de voir quel virus se développe le plus rapidement. Et si c'est le cas vous devez faire d'autres tests. Par exemple, certains tests sur la défense immunitaire peuvent être étudiés directement en culture cellulaire. Nos cellules ont toutes un petit système immunitaire. Vous pouvez directement intervenir dans les cultures cellulaires pour voir si un virus sait se défendre contre l'immunité de cette cellule. Parfois vous pouvez voir à partir de cultures cellulaires qu'un tel virus peut soudainement faire plus, par exemple, contre ce système immunitaire inné de la cellule. On pourrait en conclure qu'il s'agit d'une indication d'une évolution vers une virulence plus élevée à partir d'un virus.
Etude de la mutation du virus
Vous devez également utiliser des systèmes de culture cellulaire plus complexes, tels que des modèles du poumon humain. Il existe des modèles de laboratoire où, par exemple, des morceaux de poumon sont infectés qui ont été explantés dans le cadre de la chirurgie du cancer pour les patients. Ou que vous fabriquez une muqueuse pulmonaire artificielle en laboratoire. Et finalement l'expérimentation animale. Le fait que vous regardiez ces virus lorsque vous les comparez dans un modèle animal est-il différent? Cette étude n'a fonctionné que sur la première étape de l'investigation, la croissance comparative dans une simple culture cellulaire. Ce qui a été comparé ici était des isolats de virus, dont chacun avait une connexion avec Wuhan. Ils provenaient de patients qui s'étaient déjà rendus à Wuhan ou qui avaient eu un contact indirect avec Wuhan. Ils ont été collectés dans une phase relativement précoce, du 22 janvier jusqu'au 04.02. Et vous avez déjà une diversité, c'est-à-dire les isolats de virus qui ont été examinés ici, qui couvrent une grande partie de l'arbre viral connu aujourd'hui. C'est ce qui est intéressant dans l'étude. Les auteurs parlent de mutations fondatrices observables. Vous pouvez donc voir certaines mutations dans ces génomes viraux, qui sont au pied de grandes branches de l'arbre généalogique actuel. Vous pouvez donc les retrouver dans des sections de l'arbre généalogique tel que nous le connaissons aujourd'hui. Cela le rend représentatif. Mais ne vous y trompez pas. Il y a eu une évolution supplémentaire dans chacune de ces sections de l'arbre généalogique. Ce n'est pas l'image des virus tels que nous les avons aujourd'hui, mais tels qu'ils étaient à l'époque. Cependant, cela n'a pas été délibérément choisi pour être représentatif, mais plutôt parce que ces virus proviennent directement de Wuhan. A cette époque, il y avait la population fondatrice de tous les virus, à l'époque de la ville. Maintenant, les virus ont été isolés en culture cellulaire, puis ces isolats viraux ont été répliqués pour comparaison et avec la PCR, qui est un test que nous utilisons pour rechercher des virus dans la gorge du patient, nous avons maintenant recherché des virus dans des cultures cellulaires. Bien sûr, vous pouvez le faire. Vous pouvez également rechercher quantitativement. Vous pouvez voir non seulement si le virus se multiplie, mais combien de virus se multiplie. Et la différence qui a été trouvée est jusqu'à 270 fois. Un virus croît 270 fois plus que certains autres virus.
Korinna Hennig: Cela semble menaçant.
Christian Drosten: Cela semble menaçant et c'est exactement comme cela que ça a été communiqué. Vous pouvez déjà voir que les virus sont plus ou moins dangereux. Le virus le plus dangereux croît 270 fois plus. Ceci est ensuite twitté et trouve sa place dans de courts articles de presse, qui ne sont pas nécessairement écrits par des journalistes scientifiques, mais qui sont généralement reproduits dans de courts communiqués de presse. C'est une situation difficile car il faut l'évaluer. Habituellement, ces informations scientifiques sont rendues publiques après que d'autres scientifiques les ont examinées dans le cadre du processus d'examen par les pairs. Je suis souvent impliqué dans la recherche de tels articles, à la fois comme réviseur et rédacteur. Cela signifie que je vois ces mailings dès la première minute et en tant qu'éditeur, vous avez même parfois la décision de dire que nous ne les envoyons même pas pour examen. Nous ne laissons même pas un scientifique le regarder. Cela ne s'est pas produit ici.
Nous devons regarder d'abord, qu'est-ce que cela signifie qu'un virus dans une culture cellulaire se réplique 270 fois plus qu'un autre? Vous devez toujours dire: cela dépend du moment où vous regardez. Mais à la fin de la réplication, c'est à peu près à part. Vous ne pouvez pas dire que vous devez examiner la phase de croissance exponentielle, qui n'a été effectuée que dans une mesure limitée dans l'étude. Il existe également des enquêtes statistiques, mais cette valeur multipliée par 270 ne vient pas d'elle, mais provient d'une phase finale où il y a une grande dispersion. C'est le seul problème d'interprétation. L'autre problème d'interprétation est quel est l'état initial? Cela signifie-t-il donc que l'évolution a vraiment créé un virus qui se réplique 270 fois mieux que la moyenne ou le virus normal? Vous ne savez même pas quel est le virus normal. Si vous regardez de plus près, vous pouvez voir qu'il n'y a en fait qu'un écart de 270 fois. Mais cela ne signifie pas que quelque chose a empiré ici. Il se peut également que quelque chose se soit aggravé.
Korinna Hennig: Que signifie le pire dans le cas? Du point de vue des virus?
Christian Drosten: Les virus subissent des mutations et une mutation est purement statistiquement toujours mauvaise pour le virus. Je peux voir cela à partir des données ici. Ensuite, il y a une autre grosse erreur technique. Ce dont nous avons maintenant discuté est une question d'interprétation. Nous pouvons l'interpréter de toute façon et je ne peux rien faire pour cette étude, cette interprétation, une différence de 270 fois. Vous avez regardé dans une zone où il y a beaucoup de dispersion. Et puis je ne sais pas si c'est une augmentation de la réplication ou simplement une extension de la zone de réplication. Nous l'avons plutôt ici. Nous avons une diffusion de la gamme. Nous ne pouvons pas en dire plus.
Korinna Hennig: Que signifie étendre la zone dans ce cas?
Christian Drosten: Cela signifie qu'ils ne se reproduisent pas tous également.
Korinna Hennig: reproduit 270 fois différemment.
Christian Drosten: Exactement. Ensuite, dans le contexte d'une multiplication exponentielle de virus en culture cellulaire, 270 fois est relativement peu, car nous avons ici une zone de multiplication, donc si nous calculons: que faisons-nous dans la culture cellulaire au début? Qu'est-ce qui sort finalement? C'est de l'ordre de cent mille fois. Vous devez regarder de plus près à 270x. Ensuite, il y a un problème technique avec cette étude. Vous ne pouvez le voir que si vous le connaissez. Les auteurs disent un peu indirectement, combien de virus ils sement, une certaine dose de virus. Mais si vous regardez les diagrammes de cette publication, vous pouvez voir: Même la dose de départ, ce que vous mettez dans la culture cellulaire, oscille entre ces virus individuels d'un facteur 100. Vous pouvez le voir indirectement à partir d'un certain paramètre dans la méthode de mesure utilisée. Vous pouvez voir que ce ne sont pas des expériences propres. Vous avez une très grande fluctuation de la dose de graines, un problème de laboratoire typique. Quand un doctorant vient à moi avec de telles données, je dis que c'est une expérience formidable et intéressante. Mais vous devez tout recommencer car la dose de semences n'est jamais correcte. Ensuite, le doctorant quitte mon bureau un peu frustré et doit refaire deux semaines de travail. En réalité, il savait déjà que j'allais me plaindre. S'il l'a fait une ou deux fois, l'expérience, alors il ne viendra pas me voir bientôt. Mais s'il voit que la dose est mauvaise, l'expérience est lancée dans le bac et recommencée.
Korinna Hennig: Cela signifie que cela ne dit rien en principe. Donc pour tous ceux qui ont lu ça sur les réseaux sociaux et qui disent: Oh mon Dieu, le virus est en train de muter, ça pourrait changer. Cela pourrait changer ses propriétés et aggraver les choses pour nous. Vous ne pouvez pas le dire de cela.
Christian Drosten: Cette étude ne dit rien dans cet état. On donnera probablement aux auteurs la possibilité de refaire simplement ces expériences. Il existe également de nos jours des revues scientifiques qui publient toutes les conneries. Mais même dans ce cas, un scientifique doit l'examiner si vous voulez discuter de quelque chose comme ça en public. Surtout si vous voulez en tirer certaines conclusions pour la politique ou la société ou la médecine. Vous devez toujours laisser les experts l'évaluer à nouveau. C'est une formation d'opinion scientifique. Malheureusement, certains scientifiques sont très fortement touchés par l'émeute. Ils écrivent quelque chose dans leurs titres qui semble dramatique. Ils présentent leurs données avec drame, sans se soucier des conséquences.
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