samedi 8 août 2020

Rentrée scolaire: prise de position de la société de virologie. 6 août 2020


Avis de la commission ad hoc SARS-CoV-2 de la Societé de Virologie: Mesures préventives SRAS-CoV-2 à la rentrée scolaire après les vacances d'été, 6 août 2020



Au cours des dernières semaines, il y a eu une augmentation des nouvelles infections par le SRAS-CoV-2. Étant donné que les vacances dans certains États fédéraux sont sur le point de se terminer ou viennent de se terminer, les inquiétudes quant à la décision d'ouvrir des écoles se multiplient. À notre connaissance aujourd'hui, les infections par le SRAS-CoV-2 chez les enfants sont dans la grande majorité bénignes, avec des taux d'hospitalisation, de complications et de décès significativement plus faibles que chez les adultes.

Nous soutenons toutes les mesures qui visent à maintenir les écoles et les établissements d'enseignement ouverts au cours de l’hiver prochain. Pour que l’école soit fonctionnelle, il est impératif de soulager les parents qui travaillent, mais aussi de veiller au bien-être des enfants. Cependant, le fonctionnement de l'école doit être lié à un projet pragmatique éliminant ou du moins réduisant considérablement le risque de propagation de l'infection dans les écoles. Pour supprimer efficacement la propagation du virus dans l’ensemble de la société, il est fondamental de maintenir une faible circulation du virus dans les écoles. En même temps, un contrôle efficace des nouvelles infections autour des écoles, c'est-à-dire dans l'environnement privé des élèves et des enseignants, est le meilleur moyen d'empêcher le virus d'entrer dans les écoles.

Nous mettons en garde contre l'idée que les enfants ne sont pas impliqués dans la pandémie et la transmission. De telles idées ne sont pas conformes aux connaissances scientifiques. Un manque de mesures de prévention et de contrôle pourrait rapidement conduire à des flambées, qui obligeraient alors les écoles à fermer à nouveau. Sous-estimer le risque de transmission dans les écoles serait contre-productif pour le bien-être de l'enfant et la reprise économique.

Les taux d’infection chez les enfants et leur rôle dans la pandémie n’ont été jusqu’ici que partiellement recensé
s dans les études scientifiques. Des publications scientifiques plus récentes et des observations concrètes dans certains pays indiquent que le rôle minime des enfants, comme supposé initialement, doit être remis en question. La majorité des premières études ont été menées dans les conditions (exceptionnelles) de réduction des contacts («lockdown») avec des fermetures d'écoles ou pendant une période de faible incidence, comme immédiatement après la levée du lockdown en Allemagne. La décision s’est fondée sur une information limitée quant à la situation prévisible à court terme en Allemagne. Dans certaines circonstances, il se peut que les enfants représentent une part non négligeable des infections par le SRAS-CoV-2. Le pourcentage d'enfants dans le nombre total de nouvelles infections en Allemagne se situe désormais dans une fourchette qui correspond au pourcentage d'enfants dans la population totale (1). 

L'incidence connue de l'infection par le SRAS-CoV-2 montre le taux d'infection réel dans la population avec un temps de retard. Les mesures de lutte contre un processus d'infection dynamique sont généralement sujettes à une latence. Nous avons donc tendance à adopter une attitude prudente lors de l'interprétation des données scientifiques. Les cas chez les enfants peuvent avoir été négligés dans la phase initiale de l'épidémie, car ce sont les symptomatiques qui ont été principalement testés et les symptômes chez les enfants sont généralement moins prononcés. Depuis, il a été constaté que la charge virale chez les enfants ne diffère pas (ou pas dans une mesure cliniquement pertinente) de la charge virale des adultes en ce qui concerne les concentrations d'ARN détectables dans les écouvillons (2-5). Des preuves de la pertinence de la mesure de la charge virale pour la détection de matériel viral réellement infectieux sont désormais disponibles (6-8). Il est encore difficile d'interpréter les données sur la fréquence réelle de transmission chez les enfants par rapport aux adultes. Les résultats de quelques études menées avec soin sur les ménages ont montré que les enfants étaient infectés à peu près aussi souvent que les adultes (9,10). La fréquence de transmission par les enfants reste incertaine. Une nouvelle étude observationnelle complète réalisée en Italie suggère que davantage d'infections sont causées par les enfants, ce que les auteurs attribuent à des contacts plus intenses (11). Une étude de Zhang et al. a pu montrer que les enfants, malgré une fréquence de contacts supposés plus élevés, s’infectaient à peu près autant que les adultes, ce qui a mené à en déduire que les enfants avaient une sensibilité moindre (10). Une étude de modélisation menée en Israël estime que les enfants sont deux fois moins sensibles à l’infection que les adultes, à l’aide d’une reconstitution statistique des trajectoires probables des contaminations (12). Bien que ces études soient basées sur l’observation des ménages, il existe peu de données disponibles sur une situation scolaire réelle. Dans une étude plus récente menée en Corée du Sud, une fréquence de transmission chez les élèves du secondaire (10-19 ans) s'est avérée comparable à celle des adultes, même s'il n'y avait généralement que peu ou pas de symptômes (13). Une étude australienne a examiné 12 enfants et 15 adultes ayant fréquenté l'école et la garderie pendant leur phase infectieuse (comptée à partir du jour 2 avant l'apparition des symptômes). Sur 633 contacts testés en laboratoire, 18 cas de transmissions ont été trouvés. Ce nombre ne doit pas être considéré comme faible, car dès qu’il y a eu connaissance de chaque cas index, toute la classe / groupe a été immédiatement mise en quarantaine et l'ensemble de l'établissement a été fermé pendant environ deux jours, et les écoles ne pratiquaient les cours en présentiel que pendant la moitié de la période de l'étude (14).

Des exemples de clusters de SRAS-CoV-2 dans les écoles en Israël et en Australie étayent le risque de flambée épidémique dans le secteur de l'éducation, en particulier en cas d'augmentation du taux global d'infection dans la population (15,16).

L'une des dernières découvertes importantes concernant le SRAS-CoV-2, qui doit être prise en compte lors de l'ouverture de l'école, concerne la possibilité désormais reconnue de transmission par aérosol, c'est-à-dire la transmission par l'air, en particulier à l'intérieur lorsque la circulation de l’air est insuffisante (17). Plus il y a de personnes dans un espace clos et plus le temps passé là-dedans est long, plus le risque de transmission est grand.

En ce qui concerne l'ouverture des écoles à l'automne, cela signifie que des mesures supplémentaires doivent être prises pour y minimiser le risque de transmission. Cela comprend, par exemple, la réduction de la taille des classes en fonction du nombre de nouvelles infections, l'utilisation des ressources spatiales et la recherche de solutions pragmatiques pour améliorer l'échange d'air dans les bâtiments publics tels que les écoles. La mise en œuvre de mesures techniques pour assurer un renouvellement suffisant de l'air ambiant ne relève pas de la compétence de l’infectiologie. L'intégration d’une expertise technique est urgente. En ce qui concerne la classe, d'un point de vue virologique, de petits groupes fixes comprenant le personnel enseignant devraient être définis avec le moins de mélange possible des groupes au quotidien. Les cours pourraient être dispensés aussi souvent que possible en petits groupes à différents moments de la journée et de la semaine. Des solutions numériques combinant des unités d'enseignement en face à face et de travail à domicile pourraient offrir d'autres possibilités de soulager les capacités spatiales.

En cas d'augmentation critique des nouvelles infections vers la fin de l'année avec une participation régulière des établissements scolaires, une prolongation des vacances de Noël devrait être envisagée afin de réduire les périodes de haute activité infectieuse. En particulier, une prolongation sur la nouvelle année semble judicieuse, car les voyages liés aux vacances et les fêtes de famille peuvent entraîner une nouvelle augmentation du risque d'infection à Noël.

Les preuves de l'effet protecteur de l'utilisation large et correcte des masques grand public se sont accrues entre-temps (18, 19). En ce qui concerne le risque réel de transmission entre élèves qui ne présentent pas (encore) de symptômes de la maladie au moment de la contagiosité, nous parlons d'un point de vue purement virologique pour le port généralisé des masques grand public pour tous les niveaux scolaires, y compris pendant les cours. Cela devrait s'accompagner d'une explication adaptée à l'âge des enfants à la nécessité et à l’importance des mesures de prévention. Une hygiène des mains cohérente doit bien sûr être maintenue, même si la transmission via les surfaces a probablement été surestimée et la transmission aérienne sous-estimée. Ici, les recommandations datant du premier semestre devraient être révisées. Les mesures relatives à la transmission par gouttelettes, aérosols ou par contact ne sont pas interchangeables.

Les écoliers atteints d'une infection respiratoire aiguë devraient également être testés en laboratoire, même s'ils présentent des symptômes bénins, si cela est possible, car ils jouent un rôle indispensable dans la détection précoce de clusters scolaires. Jusqu'au résultat du test, ils devraient rester à l'écart de l'école. Un diagnostic de laboratoire pourrait être effectué par des médecins résidents ou des centres de test spécialement aménagés. Un test particulièrement sensible devrait être assuré au personnel enseignant. L'objectif de l’organisation des tests des élèves, et surtout du personnel enseignant, devrait être d’avoir les résultats dans les 24 heures après le prélèvement de l'échantillon.

Les élèves et les enseignants qui ont été testés positifs sont des indicateurs de clusters. Pour le traitement des clusters, une courte mise en quarantaine générale et immédiate pourrait être envisagée. L'isolement immédiat des clusters a fait ses preuves au Japon dans l'endiguement de la première vague (20,21). C’est également prévu dans les recommandations du RKI, mais la mise en œuvre dans la pratique est souvent retardée par le désir d'une clarification diagnostique préliminaire de l'étendue du cluster. Cependant, pour éviter des contaminations scolaires plus importantes, une quarantaine immédiate, brève, de l'ensemble du groupe est nécessaire. À la fin d'une courte quarantaine, les membres du cluster pourraient être testés en vue de leur “libération” càd qu’une autre quarantaine ne serait alors plus nécessaire. Il est important de créer des groupes qui ne se mélangent pas (généralement des groupes-classe) à l'école. La nécessité d'une courte quarantaine si une infection est détectée dans la classe doit être sue de tous et mise en œuvre par la direction de l'école en coordination avec les services de santé.



Auteurs et membres de la commission ad hoc SARS-CoV-2 (ordre alphabétique):


Prof. Ralf Bartenschlager
Virologie moléculaire
Universitätsklinikum Heidelberg

Prof. Stephan Becker
Institut de Virologie
Universität Marburg

Prof. Melanie Brinkmann
TU Braunschweig
Helmholtz Centre for Infection Braunschweig
Braunschweig

Prof. Jonas Schmidt-Chanasit
Bernhard-Nocht-Institut für Tropenmedizin, Hamburg

Prof. Sandra Ciesek
Institut für Medizinische Virologie
Universitätsklinikum Frankfurt

Prof. Christian Drosten
Institut de Virologie,
Charité Universitätsmedizin Berlin

Prof. Isabella Eckerle
Centre for Emerging Viral Diseases
Universitätsklinikum Genf, Schweiz

Prof. Marcus Panning
Institut für Virologie
Universitätsklinikum Freiburg

Prof. Stephanie Pfänder
Abteilung f. Molekulare u. Medizinische Virologie
Ruhr-Universität Bochum

Prof. John Ziebuhr
Medizinische Virologie
Universität Giessen



Références

1. https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Situationsb...

2. Jones et al. An analysis of SARS-CoV-2 viral load by patient age. medRxiv 2020.06.08.20125484

3. Jacot et al. Viral load of SARS-CoV-2 across patients and compared to other respiratory viruses. medRxiv 2020.07.15.20154518

4. Baggio et al. SARS-CoV-2 viral load in the upper respiratory tract of children and adults with early acute COVID-19. medRxiv 2020.07.17.20155333

5. Heald-Sargent et al. Age-Related Differences in Nasopharyngeal Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Levels in Patients With Mild to Moderate Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). JAMA Pediatr. Published online July 30, 2020.

6. Wölfel et al. Virological assessment of hospitalized patients with COVID-2019. Nature 2020, 465–469

7. van Kampen et al. Shedding of infectious virus in hospitalized patients with coronavirus disease-2019 (COVID-19): duration and key determinants. medRxiv 2020.06.08.20125310

8. L`Huillier et al. Infectious SARS-CoV-2 in nasopharynx of symptomatic neonates, children, and adolescents. Emerg Infect Dis. 2020 Oct

9. Bi et al. Epidemiology and transmission of COVID-19 in 391 cases and 1286 of their close contacts in Shenzhen, China: a retrospective cohort study. Lancet Infect Dis 2020 Aug;20(8):911-919

10. Zhang et al. Changes in contact patterns shape the dynamics of the COVID-19 outbreak in China. Science 26 Jun 2020: 1481-1486

11. Fateh-Moghadam et al. Contact tracing during Phase I of the COVID-19 pandemic in the Province of Trento, Italy: key findings and recommendations. medRxiv 2020.07.16.20127357

12. Dattner et al. The role of children in the spread of COVID-19: Using household data from Bnei Brak, Israel, to estimate the relative susceptibility and infectivity of children. medRxiv 2020.06.03.20121145

13. Park et al. Contact tracing during coronavirus disease outbreak, South Korea, 2020. Emerg Infect Dis. 2020 Oct

14. Macartney et al. Transmission of SARS-CoV-2 in Australian educational settings: a prospective cohort study. The Lancet Child & Adolescent Health. Published August 03, 2020

15. Stein-Zamir et al . A large COVID-19 outbreak in a high school 10 days after schools’ reopening, Israel, May 2020. Euro Surveill. 2020;25(29)

16. https://www.dhhs.vic.gov.au/coronavirus-update-victoria-thursday-16-july...

17. https://www.who.int/news-room/commentaries/detail/transmission-of-sars-c...

18. Robert Koch-Institut: Erfassung der SARS-CoV-2-Testzahlen in Deutschland (Update vom 7.5.2020). Epid Bull 2020;19:21

19. Chu et al. Physical distancing, face masks, and eye protection to prevent person-to-person transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: a systematic review and meta-analysis. The Lancet June 27, 2020, Vol 395, 10242, p.1973-1987

20. https://www.sciencemag.org/news/2020/05/japan-ends-its-covid-19-state-em...

21. https://www.zeit.de/wissen/gesundheit/2020-05/coronavirus-ansteckung-cov...

jeudi 6 août 2020

Clusters/ quarantaine/ tests: Un plan pour l'automne (Die Zeit, 5 août 2020)

Texte initialement réservé aux abonnés et lecteurs de la version papier et rendu accessible à tous en raison du grand intérêt public.

L'auteur:

Christian Drosten est l'un des spécialistes des coronavirus les plus respectés au monde. Le responsable de la virologie de la Charité de Berlin est également devenu "le grand éclaireur national". Des dizaines de milliers de personnes écoutent son podcast sur la NDR. En janvier 2020, son groupe de recherche a développé la première méthode de détection au monde pour détecter le virus Sars-CoV-2. Plus tard, il a également conseillé le gouvernement fédéral en tant qu'expert.





Lorsque l'épidémie de Covid 19 a atteint l'Allemagne, le pays a réagi rapidement et bien. Dans pratiquement aucun autre grand pays industriel, si peu de gens sont morts de la maladie. Nous avons pu mieux contrôler cette première vague que beaucoup d'autres car nous avons pu tester tôt et il y avait une plus grande confiance entre société, politique et sciences de l'infection qu'ailleurs. Notre confinement précoce et court a sauvé l'économie de nombreux dommages. Il n’y a pas qu’aux États-Unis que l’on peut voir ce qu’un assouplissement trop précoce, puis une marche arrière, signifie pour l’économie.

Mais maintenant, nous courons le risque de gâcher notre succès. Il y a une raison principale à cela: nous apprenons beaucoup sur le virus, mais nous n’adaptons que timidement nos recommandations. Nous devons nous poser quelques questions: quelles conséquences tirons-nous de la connaissance que le virus se transmet principalement par voie aérienne - pas seulement par la voie classique des gouttelettes, mais aussi par les aérosols? Quelles conséquences en 
automne et en hiver pour les bâtiments publics, pour les crèches et les écoles, pour les bureaux et les collectivités, pour les hôpitaux et les maisons de retraite? Quand porterons-nous systématiquement notre masque, également sur notre nez, et pas seulement en dessous? Quelles solutions techniques et pragmatiques existe-t-il pour un renouvellement d'air adéquat - dans un pays d'ingénieurs, et non pas un pays d'inquiets? Et comment envisageons-nous l'utilisation des vaccins qui seront certainement disponibles l'année prochaine? Même en n'offrant pas une protection complète, ils ralentiraient considérablement la propagation du virus et rendraient la maladie moins grave. 

L'enjeu est de connaître notre marge de manœuvre en attendant qu’un vaccin soit disponible. Une contamination générale mal maîtrisée pourrait détruire nos succès antérieurs, à la fois médicaux et économiques.

Si on veut faire une recommandation d'action judicieuse pour l'automne, on doit d'abord comprendre les différences entre la première et la deuxième vague. La première vague est survenue lorsque le virus a été introduit par des skieurs et autres voyageurs, qui l'ont propagé à l’intérieur de leur groupe d'âge. Il s'en est suivi une propagation parmi les personnes âgées, en particulier dans les maisons de retraite et les établissements de soins. Il a ensuite été possible de contrôler la propagation exponentielle du virus et d'arrêter la première vague sans qu’elle se répande largement. Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. À mesure que notre connaissance du pathogène augmente, nous devons réviser nos concepts. Et surtout, il faut se préparer au fait que la deuxième vague aura une dynamique complètement différente.

Alors que le virus s’est introduit dans la population avec la première vague, il va se propager avec la deuxième vague à partir de la population. Car entretemps il s'est répandu de plus en plus uniformément à l’intérieur des couches sociales et des classes d'âge. Et après les vacances, nous verrons que les nouvelles infections seront 
géographiquement mieux réparties qu'avant.

Tout cela a des conséquences sur la remontée des chaînes de contaminations: alors qu’on a pu remonter jusqu’ici la plupart des chaînes, de nouveaux cas pourront bientôt survenir partout en même temps, dans tous les Kreise, dans toutes les tranches d'âge. Les autorités sanitaires qui manquent de personnels seront alors complètement débordées et ne pourront pas s'occuper de la mise en quarantaine de chaque personne contact. Beaucoup d'entre elles avaient capitulé devant cette tâche lors de la première vague.

Mais sommes-nous pour autant exposés à une deuxième vague sans protection? Non. Si on regarde de plus près, la distribution ne se fait pas homogènement et on peut en profiter. Les spécialistes des infections observent une répartition étonnamment inégale du nombre de contaminations par patient. Le taux de reproduction R ne représente qu'une moyenne. Si on prend une valeur R de 2 comme exemple, chaque patient infecte deux autres. Mais seulement en moyenne. Dans notre exemple, neuf patients sur dix n'en infectent qu'un autre, mais l'un des dix en infecte onze autres. Au total, dix patients sont à l’origine de vingt cas ultérieurs.

N'imaginons pas ces dix personnes infectées en même temps, mais l'une après l'autre, alors nous avons une chaîne d'infection. Neuf des dix cas de cette chaîne sont des émetteurs uniques, et ils ne jouent aucun rôle dans la propagation exponentielle du pathogène. Avec l'un des dix, il y a une transmission multiple, un cluster. Alors que la chaîne se rompt parfois lors de transferts uniques, plusieurs nouvelles chaînes peuvent démarrer à partir d'un cluster. Cela signifie croissance exponentielle.

Cela dépend donc des clusters. Ce sont eux le moteur de l'épidémie. Les autorités doivent concentrer leurs efforts sur eux si la deuxième vague débute à plusieurs endroits en même temps. Comment faire?

Un regard vers le Japon aide. Le pays a mis en garde très tôt ses citoyens contre les foules importantes, les lieux clos et les contacts rapprochés. Comme ailleurs en Asie, les masques sont largement acceptés. Au lieu de tester beaucoup et de manière non ciblée, le Japon a décidé de prévenir les grappes de transmission dès le début. À cette fin, le pays a dressé des listes officielles des situations sociales typiques dans lesquelles les clusters se produisent et les a rendues publiques. Les autorités sanitaires recherchent les cas typiques de clusters dans l'historique des contacts d'un cas reconnu.

Le confinement ciblé des clusters est apparemment plus important que la recherche de cas individuels avec des tests menés à grande échelle. Le Japon a réussi à maîtriser la première vague sans confinement malgré un nombre important d'infections importées.

Je plaide désormais pour que les autorités sanitaires, si elles sont débordées, ne réagissent uniquement (ou du moins principalement) à un test positif que s’il est dû à un cas venant d’un possible cluster. Les nombreux tests que les politiciens préparent actuellement se révéleront bientôt positifs et accableront les autorités sanitaires - on ne peut pas éliminer le virus en testant, et un test positif demande une réaction.

Ce qu’il faut faire: regarder en amont est plus important que regarder en aval. Parce que les contaminations ne sont généralement reconnues que plusieurs jours après l'apparition des symptômes. Le patient a de la fièvre, attend le lendemain, puis va chez le médecin. Il ne reçoit le résultat de son test que le lendemain.
Souvent un autre jour est perdu parce que le patient hésite, le médecin de famille le dissuade ou le laboratoire envoie les prélèvements à un sous-traitant. Donc, généralement au moins quatre jours se sont écoulés depuis que le patient a ressenti les premiers symptômes. À ce stade, il n'est guère contagieux. On sait maintenant que la phase infectieuse dure environ une semaine, dont les deux premiers jours avant l'apparition des symptômes. Certaines autorités sanitaires isolent encore le cas identifié pour éviter qu'il n'en infecte d'autres. Ce n'est pas une erreur, mais cela pourrait tout aussi bien être pris en charge par le médecin de famille du patient.

Le service de santé doit regarder en amont: le patient travaillait-il dans un open-space, était-il à une fête avec des proches alors qu'il était vraiment contagieux, c'est-à-dire deux jours avant l'apparition des symptômes? Plus important encore: où le patient aurait-il pu s'infecter une semaine avant l'apparition des symptômes - cela aurait-il pu se produire dans un cluster? Chaque citoyen devrait tenir un journal de contact cet hiver. En se concentrant sur la source de l'infection, le patient nouvellement diagnostiqué devient un indicateur d’une source d’infections non détectée qui se sont multipliées entre-temps. Les membres d'un cluster source doivent immédiatement être placés en isolement chez eux. Beaucoup d'entre eux pourraient être très contagieux sans le savoir. Il n'y a pas le temps pour les tests. Il faut expliquer ça aux politiciens, aux employeurs et aux citoyens.

Les médecins-conseils savent déjà tout ça et essaient d'agir en conséquence. Mais lorsque plusieurs cas apparaissent, ils subissent une pression énorme - par exemple, pour qu’ils effectuent des tests avant de placer les clusters les plus importants en quarantaine. C'est pourquoi ils ont besoin de directives auxquelles ils peuvent se référer. Quelles situations du quotidien, quelle taille de groupe sont particulièrement risquées? Un cluster source peut être, par exemple, un open-space, une équipe de football ou un cours pour adultes.

Une classe dans une école peut aussi être un cluster, il faut s'y préparer, surtout pour cet automne. Comme il n'y a qu'une faible proportion de cas symptomatiques chez les plus jeunes élèves, chaque cas symptomatique peut signifier qu’il y a un cluster. La stratégie japonaise pourrait aider à garder les écoles ouvertes plus longtemps avant d’avoir à les fermer. La condition préalable est claire: dans le quotidien scolaire, les classes doivent être séparées les unes des autres afin de garder des unités épidémiologiques fermées.

Nous avons besoin de tests de contagiosité plutôt que d'infection

Mais si, dans la dynamique de la seconde vague, on trouvait une foule de clusters partout, n'imposerait-on pas à terme un confinement général? Ne devrait-on pas alors envoyer partout des gens en quarantaine? Et cela ne conduirait-il pas à des résistances?

Peut-être pas si vous utilisez la stratégie à bon escient. Tout d'abord: si vous regardez des données plus récentes sur l'excrétion du virus, l'isolement pendant 5 jours des membres d’un cluster est suffisant, et le week-end peut être compté. J'appellerais cette conjonction de quarantaine et d'isolement "temps d’affaiblissement" pour ne pas diluer la terminologie. À la fin de ces cinq jours (et pas avant), on teste les membres du cluster. Une telle règle unique pour les clusters est gérable et c'est toujours mieux qu'un confinement général.

En outre, nous avons besoin d'un changement crucial de notre stratégie: tester la contagiosité plutôt que l'infection. Les tests PCR courants fournissent déjà les informations au sujet de la charge virale. Une faible charge virale signifie qu'un patient n'est plus contagieux. Si nous osions définir un seuil pour la charge virale à partir des données scientifiques disponibles, les médecins pourraient alors immédiatement libérer les personnes placées en quarantaine se situant sous ce seuil. La plupart le seraient.

Mettre fin à la quarantaine même sans test serait envisageable en temps de crise, car la stratégie des clusters fonctionne de toute façon avec des risques résiduels. Toutes les personnes impliquées doivent accepter qu'il n'est pas possible d’empêcher chaque infection en temps de crise. Très peu de médecins conseils voudraient en assumer seuls la responsabilité. Car en cas de doute, leurs décisions doivent pouvoir tenir devant un tribunal. C'est pourquoi un médecin ne peut souvent rien faire d'autre que de se conformer à des directives externes, comme les recommandations du Robert Koch Institute (RKI). Celles-ci visent un suivi correct et complet des cas. Mais si les autorités sanitaires se retrouvent débordées durant la deuxième vague, il risque d’y avoir un confinement général.

L'expérience d'autres pays nous enseigne déjà qu'il est impossible d'interrompre complètement les transmissions individuelles. Ainsi, dans les moments difficiles, nous devons permettre aux autorités sanitaires d'ignorer le risque résiduel. Il faut déployer le peu de personnel là où ça compte: les clusters.

Les recommandations existantes du RKI sont précises et correctes, mais les bureaux ont aussi besoin de directives pour les moments critiques. Cela inclut une surveillance simplifiée des contacts individuels, une définition des situations de cluster, qui sont immédiatement et unitairement soumis à la quarantaine, ainsi qu'un temps court d’"affaiblissement" des clusters avec une charge virale résiduelle tolérée. Il faut un consensus là-dessus.

Les autorités sanitaires et le RKI ont très bien géré cette pandémie et méritent le plus grand respect pour cela. La deuxième vague oblige désormais l'ensemble de la population, les employeurs et les politiques à réfléchir. Si les infections augmentent brusquement, nous avons besoin d'un moyen pragmatique pour arrêter la multiplication des clusters: sans confinement, mais avec un risque résiduel. Tout le monde doit comprendre et partager cette voie, y compris en respectant certaines mesures telles que le port du masque et une restriction concernant les fêtes privées. Le moment pour une gestion de crise peut varier d'une région à l'autre.

Dans le meilleur des cas, nous n’en aurons pas besoin.