samedi 20 février 2021

Vaccin AstraZeneca et variant sud-africain, données épidémiologiques et étude en laboratoire du variant anglais. Podcast #76 du 16 février 2021 (extraits)

[…]

Vaccin AstraZeneca et variant sud-africain


Hennig: Le vaccin AstraZeneca a maintenant une mauvaise réputation auprès du public. Il a pris un départ cahoteux, cela a beaucoup à voir avec la communication. Les données de l'étude étaient un peu déroutantes, il y avait différents dosages, puis trop peu de données sur l'efficacité sur les personnes âgées, des titres parfois très trompeurs. […] Nous attendons les données de la vie réelle d'Angleterre qui pourraient venir bientôt. Sur une si grande échelle, diriez-vous que le vaccin AstraZeneca est en fait meilleur que sa réputation, du moins sa réputation en Allemagne?

Drosten: Oui, je peux le dire sans hésitation. Quand j’observe la discussion publique sur ce vaccin, je constate que beaucoup de choses ont été mal comprises. C'est vrai, tout est question de communication. [...] ce vaccin Astra est un vaccin semi-académique. Il a été développé par l'Université d'Oxford et il est très étroitement surveillé par des groupes de travail universitaires [...] cela crée également un développement de connaissances typique de la science. La chose typique pour la science est que l'information est présentée par bouts parce que certains groupes de travail [veulent] publier leur sous-étude, parce qu’ils doivent publier, car ce sont des scientifiques. La science est évaluée en fonction du nombre de publications. [...] parfois, il aurait été préférable de les voir dans un contexte plus large et dans une comparaison internationale avec des chiffres nettement plus grands et plus fiables, avant d'en tirer des conclusions.

[Pour] les autres vaccins, l'ensemble de la situation des données a été rassemblé et coordonné plus étroitement par une société pharmaceutique [...]

Hennig: Cela rappelle presque le fédéralisme […] Les données pour les personnes âgées avec le vaccin AstraZeneca sont collectées, [mais] n'ont pas encore été évaluées. Quand pensez-vous que nous en apprendrons davantage sur la Grande-Bretagne pour que la Commission permanente de vaccination puisse alors dire: Nous recommandons maintenant le vaccin pour les personnes âgées parce que nous avons maintenant suffisamment de données?

Drosten: Je dois passer mon tour. Je ne suis pas du tout impliqué dans ces processus. Je n'ai aucune idée de la progression de la compilation de ces données. Je ne peux en fait lire que les études publiées et essayer de les rendre compréhensibles.

Hennig: Vous avez déjà indiqué qu'il y avait une autre étude, déjà largement commentée sur les réseaux sociaux, où il s'agit de l'efficacité contre l'un des deux variants qui nous préoccupent, le variant d'Afrique du Sud, B.1.3.5.1. La grande question était: quelle est l'efficacité du vaccin AstraZeneca contre cette variante du virus? L'Afrique du Sud a décidé d'arrêter le programme de vaccination avec AstraZeneca pour le moment. Et la base de ceci est une étude qui a été largement citée. Cela vaut la peine de l'examiner de plus près. [...]

Drosten: Nous pouvons simplement décrire cette étude. Cela fait partie du grand programme d'étude de ces vaccins AstraZeneca. C'est une partie qui s'est produite en Afrique du Sud. C’est maintenant disponible sous forme de preprint. Il y a 1010 patients examinés qui ont reçu un placebo. Donc pas le vaccin ChAdOx. Et le même nombre, 1011, vaccinés. Comme il est dit dans le manuscrit, ces personnes vaccinées ont "au moins une dose", c'est-à-dire qu'elles ont reçu au moins une dose du vaccin au moment de l'évaluation. C'est une imprécision mémorable dans cette étude. J'étais un peu surpris à ce sujet. J'ai essayé de comprendre combien avaient reçu le vaccin complet, deux doses. Je n'ai pas vu cela dans le manuscrit. C'est peut-être dans les données complémentaires. Mais elles ne sont pas disponibles sur la page de la publication. Il est un peu difficile d'en tirer de grandes conclusions pour le moment. […]

De quoi parlons-nous réellement? Nous avons ici - et c'est probablement simplement le nombre de ceux qui ont reçu deux doses - deux sous-groupes. 717 patients avec placebo, probablement des double vaccinés, 750 patients avec vaccin. Et dans un groupe, les patients sous placebo, il y a 23 cas de maladie légère ou modérée. Et parmi les 750 vaccinés, il y at 19 cas de maladie légère ou modérée. C'est 3,2% dans le groupe placebo et 2,5% dans le groupe vacciné. Mais ce n'est pas statistiquement significatif, ou si vous vouliez convertir cela en efficacité vaccinale, c'est significatif d'une certaine manière, donc ces valeurs d'efficacité de la vaccination, c'est quelque chose comme une conversion du risque relatif, cela conduit à une efficacité vaccinale - c'est toujours cette valeur protectrice qui est donnée - de 21,9% contre les maladies légères ou modérées. C'est bien sûr peu. Mais il est vrai qu'un effet peut être clairement vu dans l'étude. En effet, au moment de l'étude, il est arrivé qu'en Afrique du Sud, une proportion de plus en plus grande de la population virale était constituée du variant B.1.3.5.1, c'est-à-dire du variant d'échappement immunitaire sud-africain. Et si vous évaluez maintenant ces patients qui ont été infectés dans l'étude, 92,3% d'entre eux, c'est-à-dire presque tous, sont infectés par ce variant d'immune escape. C'est donc important de le savoir.

[...]

Hennig: Mais on en parle aussi: il s'agit de cas légers et modérés. En fait, nous voulons des vaccins pour prévenir les maladies graves et la mort. Est-ce grave si le vaccin permet quelques cas légers et modérés et faut-il arrêter tout un programme de vaccination à cause de cela?

Drosten: Oui, c'est l'un des points les plus importants[...] Qu'attendez-vous réellement d'un vaccin? Je crois, d'un autre côté, que vous devez comprendre ce qu'un scientifique veut réellement. Un scientifique veut obtenir les dernières informations immédiatement. Et les dernières informations ici sont: Vous pouvez dire à partir de cette étude: il existe vraiment une sorte de fuite immunitaire contre cette vaccination. Le fait est que la vaccination contre ce variant sud-africain est vraiment moins protectrice. Mais alors la question est maintenant la traduction médicale de tout cela. Tout d'abord, vous devez dire: sur la base de cette étude, vous ne pouvez rien dire sur les cas sévères. [Ici], ce sont soit des cas légers, où vous avez eu un peu mal à la gorge ou ne vous sentiez pas si bien, ou des cas modérés, avec de la fièvre. [...] Tout le reste n'a pas pu être enregistré dans l'étude, [car le groupe observé était trop] petit. Cet article ne suffit pas pour en dire quoi que ce soit. […] qu'attendez-vous d'une telle vaccination, par exemple si vous vous faites vacciner contre la grippe, c'est exactement la même chose. Un vaccin contre la grippe ne me protège pas vraiment non plus d'une infection. Une vaccination antigrippale me protège également avant tout d'une évolution sévère avec une hospitalisation, etc.


Hennig: Et une vaccination contre la grippe ne m'empêche pas toujours de transmettre le virus de toute façon, même si je suis moi-même protégé contre la maladie.

Drosten: Oui, c'est exact. Là encore, on ne peut exclure avec une certitude absolue que l'on ne transmet pas le virus malgré la vaccination. Il faut dire que les données que vous pouvez voir ici pour ce vaccin Covid-19 sont très encourageantes. Ils ont vraiment l'air mieux que la grippe. On peut déjà supposer que cette vaccination dans son ensemble, je veux dire presque, empêche la transmission. Mais je pense que nous devrions revenir sur cette idée de la gravité de la maladie.

Hennig: "Le vaccin ne fonctionne pas avec les variantes", on peut dire ça, on ne peut pas l'écrire comme ça.

Drosten: Ce titre est vraiment insensé. Vous ne pouvez pas le dire comme ça. Cette étude ne fournit pas d’éléments dans ce sens. Seulement 21,9% contre les maladies légères et modérées qui surviennent malgré la vaccination. Nous pouvons dire que la raison pour laquelle cela a un si mauvais effet est susceptible d'être expliquée par le fait que ce variant d'échappement immunitaire est devenu endémique chez ces patients pendant la durée de l'étude. Mais même dans ce cas, je pourrais répéter: je vais mettre un astérisque sur la déclaration et ensuite écrire en petits caractères en bas de page: Nous pouvons également regarder les patients qui ont été examinés. Et si nous regardons cela dans le tableau, nous remarquons une chose. Seuls quelques patients ont été étudiés, mais 42 à 45% d'entre eux sont des fumeurs.

Hennig: Je l'ai remarqué aussi.

Drosten: C'est bien sûr une population vaccinée que nous n'aurions pas en Europe. Ce ne sont pas des personnes en très bonne santé qui ont été examinées ici. L'Afrique du Sud est vraiment un pays plus pauvre que le nôtre. La constitution de base de la population n'est pas non plus si bonne. Vous devez inclure des choses comme ça ici. Et […] si vous faites maintenant des comparaisons entre pays, où il y a ce vaccin AstraZeneca, vous pouvez voir que le succès de la vaccination et l'effet protecteur en Angleterre sont toujours bien meilleurs que, par exemple, dans les bras d'étude au Brésil ou en Afrique du Sud. C'est le cas régulièrement. Vous devez prendre tout cela en compte ici.

[…]
Ici en Allemagne, l'accent devrait être mis sur le variant anglais. Encore une fois, nous savons de l'autre étude qu'elle n'a aucun inconvénient en termes d'effet protecteur du vaccin Astra. [...] Nous devons absolument nous fier à ce vaccin Astra en Allemagne. Je pense que c'est un très bon vaccin. Et je ne pense pas que ces restrictions, qui s’appliquent en Afrique du Sud […] sont moins pertinentes pour nous. Il faut toujours voir les programmes de vaccination dans un contexte national.


L’immunité: les cellules T


On peut peut-être contrer deux choses, deux arguments très importants. Un argument vient de l'étude sud-africaine elle-même: après avoir été un peu perplexe à cause de l'efficacité étonnamment faible contre les maladies légères et modérées, on a également examiné l'immunité. Il faut dire qu'il y a à nouveau les données du test de neutralisation. Je les trouve un peu étranges, il n'y a que quelques patients. Deux tests de neutralisation différents ont été réalisés, avec des résultats très différents. En tant que personne qui fait aussi de tels tests, je me demande s'il n'y a pas eu de difficultés techniques. […] les premières données sur l'immunité cellulaire [montrent] quelque chose d'intéressant. Le répertoire immunitaire des lymphocytes T a été examiné à travers une étude de diagnostic moléculaire et a identifié 87 épitopes de lymphocytes T présents dans cette population, qui regroupent les lymphocytes T en groupes clonaux. Et on a vu que 75 de ces 87 épitopes T-Tell importants sont conservés dans le variant 1.3.5.1, c'est-à-dire dans le variant d'échappement sud-africain. En bref: si vous pouvez voir qu'il y a des pertes significatives dans l'effet protecteur et dans le résultat de l'anticorps neutralisant, ces pertes sont très limitées dans le cas de l'immunité des lymphocytes T. C'est exactement ce que nous avons toujours dit dans les arguments généraux: il y a deux choses très différentes, que vous regardiez ce qu'un tel vaccin fait, peut ou ne peut pas faire sous la forme d'une réponse anticorps. Peut-être que cela se traduit un peu par les gradients légers et modérés. Et ce qu'elle fait ensuite avec les maladies graves. Vous pouvez vraiment l'imaginer de cette façon, c'est peut-être une très bonne construction auxiliaire: je vais me faire vacciner. Ensuite, j'ai des anticorps et ces anticorps ne protègent pas principalement mes muqueuses. Souvent, ce n'est qu'après la deuxième dose qu'il y a une quantité relativement élevée d'IgA après une telle vaccination et qui apparaît également sur les muqueuses.

Hennig: anticorps sur les muqueuses.

Drosten: Oui, exactement. Les anticorps IgA sont un type particulier d'anticorps qui atteint les muqueuses à partir du sang et qui empêche vraiment le virus d'entrer. Si j'ai ces anticorps sur mes muqueuses après la vaccination, je ne peux pas être infecté ou avoir une infection légère. Mais quand il s'agit de [ce qui compte vraiment], [le fait de] tomber gravement malade ou non, aller en unité de soins intensifs ou pas, [là] les cellules T ont également un mot à dire. De deux façons. Les cellules T sont celles qui interviennent à partir de leur fonction de mémoire. Elles se souviennent du virus, [décident si] les garnisons doivent être renforcées. Maintenant, les cellules B doivent également être réveillées et produire la portion supplémentaire d'anticorps de sorte qu'après un court laps de temps, après quelques jours, cette infection naissante s'arrête brusquement. Et c'est comme ça pour le patient, il avait une infection grippale, mais cela n'a plus vraiment d'importance. Dans l'autre ligne de défense, avec les cellules T cytotoxiques, il arrive aussi que les cellules T s'activent à partir de leur mémoire et agissent contre les cellules infectées par le virus et empêchent la propagation du virus sur la membrane muqueuse. Ces deux bras de défense sont contrôlés par les lymphocytes T. Et cela se produit quand une maladie initiale est déjà en route.


[…] Une vaccination est probablement robuste contre un immune escape. Parce que l’escape que nous percevons maintenant en laboratoire, nous ne le percevons que parce que nous faisons des tests de neutralisation en laboratoire. Donc le test de laboratoire, le test de neutralisation, qui pousse un scientifique à dire qu'une différence peut être vue ici, ici pour la première fois je peux dire qu'il y a une différence non seulement dans la séquence du virus, mais aussi dans la fonction du virus, il y a un escape ici. Ce terme [est employé parce que dans les tests de neutralisation en laboratoire] il y a une perte d'efficacité. Mais pour le patient et l’efficacité vaccinale, cela ne signifie probablement rien de plus que : serai-je infecté - oui ou non?[…] Le variant sud-africain est un variant qui a certains échanges d'acides aminés dans des endroits où nous savons déjà que les anticorps se lient. Et lorsque ces endroits changent, l'effet neutralisant de ces anticorps change. Nous pouvons mesurer cela en laboratoire. Mais cet effet neutralisant des anticorps n'est qu'une partie de l'immunité, une partie de ce que nous percevons comme une immunité en termes d'efficacité globale, c'est-à-dire comme un effet de vaccination. Après une certaine expérience dans les études avec ces vaccins, après connaissance de la littérature, on peut arriver à l'image, qui, d'ailleurs, est très bien résumée dans un article de synthèse de Florian Krammer, qu'il a publié dans "Nature", on peut en venir à l'hypothèse de travail que la présence d'anticorps dans le sang et de lymphocytes T est susceptible de vous empêcher d'avoir une évolution sévère et que la présence d'anticorps sur la membrane muqueuse vous évitera en premier lieu d'être infecté. Et cette présence d'anticorps sur la membrane muqueuse, par exemple, ne peut être observée qu'avec certains vaccins après la deuxième dose. Ceci est souvent associé au fait que vous mesurez à nouveau longtemps après la vaccination. Ainsi, la réponse à la vaccination devient encore meilleure avec les vaccins vecteurs avec un certain temps d'attente. Vous devez ajouter cela, bien sûr, car ce n'est inclus dans aucune de ces études pour le moment. Ces études se font rapidement, après une courte période d'observation.

Alors que nous savons avec certitude que ceux qui ont reçu le vaccin Astra et d'autres vaccins vecteurs sont toujours immunisés. Cette immunité mûrit et offre alors une protection encore meilleure. Donc, tous ces messages […], ces simplifications [...] cela détruit la confiance du public dans ces vaccins.

[…]
Nous devons absolument travailler avec le vaccin Astra. Et il n'y a aucune raison de ne pas le faire. Donc, ce n'est vraiment pas un vaccin maintenant qui devrait en quelque sorte être considéré comme secondaire ou quoi que ce soit. Il a des propriétés différentes dans certaines régions. Mais il y a aussi des propriétés très bénéfiques.

Et en passant, je veux le répéter peut-être, juste pour expliquer l'étude sud-africaine que les auteurs eux-mêmes fournissent. Il existe un autre vaccin contre l'adénovirus ...

Hennig: ... de Johnson & Johnson ...

Drosten: ... exactement, le vaccin Johnson & Johnson, qui est également basé sur un adénovirus. C'est le même principe, le dosage est pratiquement le même. L'antigène, la construction du virus qui se trouve là-dedans, la protéine de surface, est quelque peu différent dans le détail, mais probablement pas dans son effet. Il faut dire qu'il existe des données d'études beaucoup plus volumineuses qui peuvent avoir été collectées pendant une période plus longue. Des données d'étude sont également possibles et des évaluations ont été possibles contre une évolution plus sévère de la maladie. On peut tout simplement dire qu'une vaste étude a également été menée en Afrique du Sud. Et dans tous les lieux d'étude dans lesquels cette étude a été menée, un total de 85% peut être annoncé contre des maladies plus graves. 85% de protection contre les maladies nécessitant une hospitalisation. Dans toute l'étude, il n'y a pas eu un seul décès parmi les personnes vaccinées. Ce que vous pouvez également ajouter, c'est que vers la fin de la période d'évaluation, c'est une vaccination à dose unique, ici vous n'avez pas d'approbation pour deux doses, mais une approbation pour une dose. Si vous attendez plus longtemps, vous pouvez voir cette maturation de la protection immunitaire. L'effet protecteur contre l'évolution sévère de la maladie est alors, si l'on attend encore, le jour 49, que dans l'étude, il n'y a pas eu d'évolution plus sévère du tout. Ainsi, cet effet protecteur de 85% après une période d'évaluation de 28 jours est à nouveau nettement meilleur.

Hennig: Et à cause de cette analogie, parce qu'il s'agit d'un vaccin très similaire, les auteurs de l'étude sur le vaccin AstraZeneca concluent, du moins de manière spéculative, que des expériences similaires pourraient également être faites avec le vaccin AstraZeneca, non?

Drosten: Je suis presque sûr que la protection immunitaire mûrira également dans le vaccin AstraZeneca. Nous ne percevrons pas les problèmes dans la mesure décrite dans cette étude sur l'Afrique du Sud, je crois. Je ne pense pas que nous le percevrons dans la même mesure en Afrique du Sud. J'irais presque jusqu'à dire que cette décision politique, qui a également été prise là-bas, est le résultat direct de cette étude Connexion. Le premier auteur de cette étude sud-africaine est également le président de la Commission nationale des vaccins d'Afrique du Sud. Il y a donc un lien très direct avec cette décision politique qui a été prise en Afrique du Sud de suspendre temporairement la commande et l'inoculation de ce vaccin AstraZeneca.



Variant anglais d'un point de vue épidémiologique


Hennig: J'aimerais jeter un autre regard sur le variant anglais. Justement parce que vous avez dit que nous attendons maintenant de nouvelles données aussi bien pour le variant anglais que pour le sud-africain. Le variant anglais avait récemment fait la une des journaux parce que certains chercheurs britanniques avaient supposé une possible augmentation de la mortalité. Où au début vous pensiez que c'était plus contagieux. Mais il n’est pas plus pathogène et ne change rien à la pandémie à cet égard. Cependant, cela n'était pas basé sur une base de données complètement stable. Il existe un document de travail, compilé à partir de diverses sources, qui vise à fournir des avis scientifiques au gouvernement britannique. Et il y a maintenant eu une mise à jour, donc quelques chiffres supplémentaires. Pouvez-vous nous en parler? Combien de points d'interrogation devons-nous ajouter à ces données pour savoir si ce variant pourrait également avoir un effet sur l'évolution de la maladie?

Drosten: Oui, c'est le cas ici qu'un groupe consultatif du gouvernement a publié un document complet en janvier. Il y a maintenant une mise à jour à ce sujet. Ce document résume un certain nombre d'études, dont aucune n'a encore été publiée. C'est ce qui est malheureux dans la situation. Cela signifie qu'à ce niveau d'information, ce sont déjà des sources d'information secondaires, c'est-à-dire des résumés d'études scientifiques qui ne sont pas encore accessibles au public. Nous pourrions bien sûr les parcourir en détail maintenant. Peut-être devrions-nous dire à l'avance: vous évaluez à combien les patients avec ce variant anglais, et combien de patients qui ont reçu d'autres virus, combien d'entre eux doivent être hospitalisés ou décéder plus tard. Maintenant, toutes ces données ne sont pas des données complètes, mais seulement des ensembles partiels de données de qualité variable. Celles-ci sont en partie basées sur les données d'enregistrement, par exemple sur les admissions à l'hôpital dans tout le pays, où vous regardez ensuite en arrière. Mais ils sont aussi en partie tels que vous ne prenez qu'une petite partie des données du test PCR et suivez pratiquement ce que deviendront ces patients. Dans tous les cas, ils ne sont pas uniformément répartis géographiquement. Ensuite, ils sont évalués à l'aide de méthodes statistiques légèrement différentes. Parfois, les différences entre les données de base ne sont pas très claires. C'est pourquoi il est relativement difficile de le résumer brièvement.

Ainsi, par exemple, la London School for Hygiene and Tropical Medicine s'est concentrée sur un peu moins de 3400 décès survenus chez un million de patients testés. En passant, si vous regardez le taux de mortalité par infection, cela représente 0,34% de mortalité par infection. Cela n’est pas assez pour un pays comme la Grande-Bretagne. Cela signifie que quelque chose manque. Donc, un groupe de défunts doit également manquer ici. Peut-être qu'ils sont très vieux dans les maisons de retraite. On ne sait pas. Les auteurs se donnent beaucoup de mal, par exemple, pour effectuer des calculs correctifs de la congestion des hôpitaux. Mais contrôler vraiment quelque chose comme ça est relativement difficile. Et il y a d'autres incertitudes. Par exemple, ce qui est évalué est en réalité ce que l'on appelle l'échec de la cible du gène S, c'est-à-dire un échec d'un fragment de PCR dans le laboratoire de diagnostic et non la présence du variant 1.1.7 directement via séquençage. Et cela n'est possible que plus tard dans l'ensemble de données pour certaines raisons. Si vous prenez cette partie de l'évaluation qui repose sur l'ensemble de données plus solide, alors vous pouvez dire qu'il y a quelque chose comme une situation de risque relatif résumée que vous mourrez après un diagnostic PCR 1,58 fois si vous avez le variant que si vous en avez un autre virus. À première vue, bien sûr, cela semble considérable. Mais alors vous devez dire, de quoi cela vient-il? On pourrait dire, par exemple, qu'il y a une sous-déclaration des résidents des maisons de retraite en particulier. Et il y a ce relatif - je ne dois pas dire le risque relatif, parce que le terme est défini statistiquement, et ce n'est pas ici - c'est un soi-disant rapport de risque qui a été recueilli ici. Ce n'est plus 1,58, mais il est limité à 2,43 pour les résidents des maisons de retraite. Et cela nous montre qu'il y a ici des effets inégalement répartis. Cela indique quelque chose que nous savons également qui s'est produit en Angleterre, à savoir qu'il y a eu des vagues de mortalité très élevées dans les maisons de retraite. Et vous ne savez pas exactement comment ces données entrent en jeu ici.

Hennig: Cela signifie qu'ils ne doivent pas être directement attribuables au variant.

Drosten: Oui, exactement. Ceux-ci sont plus susceptibles d'être dus à des différences temporelles dans lesquelles ça s'est produit. En termes simples, lorsque nous avons une forte augmentation du variant par rapport à décembre. Mais si nous avons une forte augmentation de toute l'épidémie en décembre, et soudainement à la fin décembre, une forte évolution de l’épidémie avec de nombreux décédés dans les maisons de retraite, et la question est alors: est-ce maintenant dû au variant B1.1.7, ou est-ce parce que ces flambées se sont produites fin décembre? Mais si de telles flambées avaient été causées par l'autre virus, alors autant de personnes seraient mortes. C'est précisément le problème que le fait qu'il y ait des flambées majeures augmente la mortalité en soi, car, par exemple, il n'est plus possible pour le patient d'être reconnu relativement tôt et donc de venir à l'hôpital plus tôt et de voir son état s'améliorer et d’avoir de meilleures chances de survie. Ce sont donc tous des effets supplémentaires dont vous devez tenir compte.

C'est la même chose avec une autre sous-étude réalisée par l'Imperial College. En utilisant deux approches statistiques différentes, ils ont également trouvé une mortalité relative des cas de variants par rapport aux non-variants de 1,36 et 1,29, respectivement. C'est donc encore une augmentation statistiquement vérifiable. Mais ici aussi, vous devez vous demander: quel est le groupe contrôle? Avec ces données de l'Imperial College, il faut dire qu'ils se donnent beaucoup de mal, par exemple, pour contrôler des choses comme le fait que vers la fin décembre il y avait vraiment une très forte augmentation de l'incidence en Angleterre et que les hôpitaux étaient alors surchargés. Dans des hôpitaux surchargés, la mortalité augmente simplement parce que les patients arrivent tardivement, par exemple. Ou parce que le personnel infirmier n'est tout simplement plus là. Une infirmière de soins intensifs n'a plus à s'occuper de deux patients, mais plutôt de cinq ou six. Ensuite, les choses tournent mal et les patients ont de moins bonnes chances de survie. Vous devez juste être clair à ce sujet. Et on peut essayer de contrer statistiquement ces effets. Mais je veux presque dire aussi que cela ne peut pas être réalisé en dernier ressort. Et vous devez toujours le savoir. Je pense que c'est là que nous nous arrêtons, il y a tellement de données et les deux plus gros sets de données statistiques ici sont la London School et Imperial, qui examinent les décès.

Un autre ensemble de données a examiner de près sont les admissions à l'hôpital. Il y a 92 000 cas du variant et un nombre similaire de personnes non infectées avec le variant. Ils ont ensuite été comparés en les appariant selon l'âge par tranches de dix ans. Et puis on s’est demandé, combien d'entre eux viennent réellement à l'hôpital après le diagnostic? Le résultat: il n'y a pas de différence statistiquement vérifiable. Le soi-disant rapport de cotes, le risque relatif, n'est que de 1,07, ce qui est statistiquement non significatif. Donc, si vous évaluez un grand nombre de cas, vous êtes également susceptible de vous rendre à l'hôpital. Si vous regardez les décès, cela ne diffère pas beaucoup. Avec ce nombre de décès, nous sommes à 0,09% pour les variants et 0,07% pour les non-variants. Nous sommes proches de ce à quoi nous nous attendons réellement dans un tel groupe de patients. Maintenant, vous pouvez dire de toute façon, si vous divisez ces taux de mortalité les uns par les autres, alors vous êtes de retour à un nombre relatif de 1,29. Et cela revient à ce que l'Imperial College et la London School ont découvert. Il y a donc de telles considérations dans le document.

On peut maintenant continuer à évaluer les décès ici. Public Health England a fait cela aussi. Ce qu'ils ont fait ici, par exemple, ce sont les décès chez ceux qui ont eu au moins 28 jours entre le premier échantillon et la fin de l'étude. En d'autres termes, ce sont des patients qui ont été diagnostiqués jusqu'au début décembre. L'étude a donc fait un point lors de l'évaluation début janvier, c'est-à-dire avec le défunt. Autrement dit, ce sont des personnes décédées qui ont reçu leur diagnostic de PCR début décembre. On ne voit aucune différence. Fait intéressant, une réévaluation a été effectuée le 19 janvier, c'est-à-dire dans le dernier tiers du mois, et on a retravaillé avec la même cohorte. Mais maintenant vous n’êtes plus en décembre. Vous avez donc déjà des patients qui ont été diagnostiqués juste avant Noël. Ici, vous voyez soudain une mortalité relative de 1,65. Mais c'est la même cohorte de patients, la même géographie, la même structure de collecte de données. Quelle est la différence? Ceux qui ont été diagnostiqués juste avant Noël meurent d'un seul coup à un taux nettement plus élevé, ceux qui meurent à un risque 65% plus élevé. Comment pouvez-vous expliquer quelque chose comme ça? Cela a une très triste explication. Ce sont les patients qui avaient besoin d'un lit d'hôpital pendant la période de congestion de l'hôpital, et ils sont morts à des taux plus élevés. Maintenant, vous pouvez voir que tout d'un coup, nous ne parlons plus du variant, nous parlons en fait du développement de l'épidémie en Angleterre. Une évolution dramatique, et c'est précisément le problème. C'est donc ce que nous devons essayer de tirer de toutes ces données statistiques. Et les statisticiens essaient de le faire avec les meilleures méthodes. Mais quelque chose comme ça ne peut jamais réussir dans son intégralité. Par conséquent, je continue d'être prudent dans l'interprétation de ces données.

Hennig: Mais cela signifie que le temps pourrait fournir une réponse plus claire. A savoir quand les mesures d'intervention non pharmaceutiques et le programme de vaccination en Grande-Bretagne montrent un peu plus leurs effets et que les chiffres continuent de baisser globalement. Ensuite, il n'y a plus ces effets de surcharge et vous pourriez plutôt regarder, peut-on alors calculer l’effet du variant?

Drosten: Vous pouvez bien sûr résoudre tous ces problèmes avec plus de calme et une période d'observation plus longue. Ils seront également résolus à l'avenir. Je m'attendrais, par exemple, à ce que les scientifiques qui ont maintenant temporairement rassemblé ces données et ne les ont même pas publiées sous forme de prépublication, mais ne les ont saisies que lors d'une consultation gouvernementale, qu'ils savent très bien que tout est encore beaucoup trop instable et c'est pourquoi rien n’a été publié [...]. C'est exactement ce problème d'information que nous avons. [...] Il faut juste faire attention et garder la tête froide.

Hennig: Nous mettons toujours le document en lien dans le podcast. Mais si vous gardez cette lecture en tête, vous remarquerez également à quel point cet article est difficile à interpréter pour le profane.

Drosten: C'est presque impossible à gérer. Je le remarque également de plus en plus lors de la préparation du podcast. Il est presque impossible de capter toutes ces informations et d’en rendre compte sans erreur. Cela est complètement impossible pour les non-experts. Puis, à un moment donné, ce que vous lisez dans n'importe quel journal devient également erratique, car ce que le journal capte n'est qu'une infime partie de la vérité, et aucun journaliste ne peut suivre toutes les informations.


Observation du variant anglais en laboratoire


Hennig: Vous observez également ce variant dans votre laboratoire, en culture cellulaire. Avez-vous fait des progrès pour tenter d'expliquer pourquoi le variant B.1.1.7 d'Angleterre est apparemment plus contagieux?

Drosten: Je pourrais peut-être vous donner un rapport approximatif sur ce que nous faisons. […] Pour le moment, [les experts] hésitent encore à propos de l'évaluation du variant britannique, car ce que vous voyez est étonnant. Une telle augmentation du taux de transmission du jour au lendemain n'est pas quelque chose auquel vous êtes habitué en tant que spécialiste des infections. J'ai le sentiment que les épidémiologistes le voient clairement. Ils regardent les chiffres. Et il faut vraiment dire simplement que ces chiffres se confirment dans les pays respectifs. On a la même base numérique partout, cette mutation se multiplie partout, y compris ici en Allemagne et aussi dans les autres pays, au Danemark, où on a de bons chiffres, c'est comme ça. Cela devient de plus en plus. Au Danemark, si je comprends bien, vous êtes déjà aux alentours de 30%. Cela ne peut pas être écarté d'emblée. En public on a alors aussi l'opinion, eh bien, le variant, il est devenu de plus en plus dominant en Angleterre, mais en même temps on voit les interventions non pharmaceutiques, c'est-à-dire le lock-out fonctionne. Alors quel est le problème? Il n'y a aucune raison d'être contrarié. Les mutations virales ont toujours existé. [...] Seulement, à ce moment-là, en Angleterre, il y avait déjà 25% de séroprévalence dans ces régions.

Hennig: Les anticorps dans la population.

Drosten: Exactement. Je veux dire par là: l'Angleterre est déjà sur la voie de l'immunité collective. [...] Si nous regardons maintenant à Londres, dans les quartiers fortement touchés, nous constatons de tels taux de détection d'anticorps. À un moment donné, il suffit de dire que ce n'est plus seulement l'effet du lockdown, mais que l'immunité collective aide déjà. C'est une aide que nous n'aurions pas ici en Allemagne. Nous n'avons pas ces taux de détection d'anticorps. Il faut vraiment faire attention à ne pas comparer les pommes avec les poires ou l'Angleterre avec l'Allemagne. [...]

Aucune étude d'Angleterre n’a encore été publiée dans laquelle on aurait vu que ce virus est plus agressif ou virulent […] Nous pouvons donc nous demander, par exemple: le virus pénètre-t-il plus facilement dans les cellules? Ou ce virus peut-il réellement développer un niveau plus élevé, c'est-à-dire une concentration plus élevée de virus dans la culture cellulaire? Donc plus de virus infectieux? Ou la réplication démarre-t-elle plus rapidement que le virus de comparaison? Ou ce variant peut-il mieux déjouer la première barrière de défense des cellules? Par exemple, le système d'interféron ou d'autres composants de l'immunité innée et les premières barrières de défense cellulaire, l'apoptose et tout ce qui existe. Tout cela peut être étudié dans des expériences. Et puis, bien sûr, la question: comment est-ce réellement dans des modèles plus complexes? Si vous le demandez, pas seulement une simple culture cellulaire, mais vous pouvez également prélever un morceau de muqueuse nasale et l'infecter en laboratoire. Ce sont des expériences complexes. Vous avez besoin de semaines. Mais nous nous demandons si nos collègues anglais avaient cette avance. Et nous n'avons toujours pas entendu parler d'eux. Aucune annonce sur ce qui concerne les différences dans le laboratoire. Et ici en Allemagne, y compris mon laboratoire ici, nous n'avons en fait commencé à travailler correctement avec ce variant qu'en janvier. Nous avons commencé les premiers isolats de virus peu avant Noël. Puis, entre les vacances, nous avons isolé le virus en culture, puis il faut au moins deux semaines pour l'avoir au laboratoire sous une forme très propre et ensuite aussi sous une forme définie quantitativement. Pour que l'on puisse dire que cette solution virale contient maintenant non seulement le virus d'une manière ou d'une autre, mais qu'elle est exactement cinq fois dix à la puissance de six unités infectieuses par millilitre. Parce que ce que nous devons faire maintenant, ce sont des comparaisons très fines, où nous disons ce virus et le variant, c'est-à-dire le virus de comparaison et le variant, nous les laissons maintenant se concurrencer en laboratoire dans différents tests pour l'entrée de cellules, pour le niveau de réplication, pour la vitesse de réplication, pour l'immunité innée etc. Et pour résumer: nous faisons actuellement tout cela, il y a plusieurs équipes qui travaillent dessus [...]


Ces données, pour l’instant, ne montrent pas que ce variant est plus dangereux. Nous voyons dans toutes sortes d'expériences que les deux variants sont à peu près les mêmes. Ensuite, il y a quelques expériences, où il semble que le variant ait un léger avantage. Ensuite, il y a quelques expériences où le type sauvage a également un avantage. Mais jusqu'à présent, il n'y a pas de données convaincantes. Et je ne peux pas dire maintenant qu'il est en quelque sorte assez mature maintenant pour que je puisse en parler en détail. Je ne peux que donner un sentiment général pour le moment dans une interview. Ce n'est pas encore assez mûr. Les expériences ne sont pas non plus terminées. Cela peut toujours être le cas, et je m'attends à ce que quelque part, un laboratoire découvre à un moment donné que la clé est là, qui expliquerait ces découvertes épidémiologiques. Je ne remets pas fondamentalement en question ces découvertes épidémiologiques. Donc, après tout ce que nous avons vu maintenant, après les nombreux ensembles de données indépendants des différents pays, il faut dire, même avec tous les doutes, que nous regardons ces données avec les yeux ouverts, de manière impartiale et en connaissant les variables de perturbation, mais je dois dire que tout cela ne peut pas être uniquement des défauts d'attention. Ce n'est pas seulement une insistance excessive et du hype, mais il doit être vrai que ce variant se propage plus largement. Mais maintenant pour découvrir en laboratoire ce que c'est exactement... On est encore loin de dire que c'est telle ou telle molécule.

Hennig: Scientifiquement parlant, c’est bien sûr passionnant, mais une épreuve pour le grand public.

Drosten: également pour les scientifiques, tous mes collaborateurs ici à l'institut et pour de nombreux collègues dans des instituts amis, cela est vraiment frustrant pour le moment.

[…]

samedi 6 février 2021

Vaccination, gestion de la pandémie jusqu’en juin, Manaus. Podcast #74 du 2 février 2021 [partie 2]


[...]

Drosten: [Vers Pâques, 9 millions de personnes auront été vaccinées] La question est, bien entendu, de savoir ce qui se passe si dans un débat social et politique, il y a une très forte demande de mettre fin aux mesures et, […] de déclarer cette pandémie terminée.

La question est: que se passerait-il alors? À quoi devrions-nous être préparés? […] Vous pouvez imaginer si vous savez qu'en ce moment pendant la vague hivernale en Angleterre, avec une population d'environ 60 millions d'habitants, entre 60 000 et 70 000 cas par jour se sont produits. Il est très facile d'avoir un nombre nettement plus important en Allemagne, qui peut également être de l'ordre de 100 000.

Hennig: nouvelles infections par jour.

Drosten: Exactement. Dans l'état actuel des choses, quand vous dites un chiffre, on le retrouve dans le titre. Et on lit: "Drosten met en garde - 100 000 infections par jour en mai". Ce n'est pas le but [...] Le but est de concevoir un scénario, puis, étant donné un tel scénario, de considérer quelles options il y a et quelles sont les attentes pour l'avenir.


Vacciner les enfants?

Hennig: Lorsque nous parlons de ce scénario, nous arrivons en fait au concept d'immunité collective. On a parlé des enfants, et il y a déjà un gros sujet dont on ne parle pas vraiment, à savoir: les enfants ne devraient-ils pas être également vaccinés? [...] Nous n'avons pas encore de vaccin pour les enfants. Mais si on regarde, il y a statistiquement 13,5 millions d'enfants et d'adolescents en Allemagne, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 18 ans […] N’y a-t-il pas une énorme lacune dans le système de vaccination s'ils ne devaient pas être vaccinés à long terme, ou quel en serait l'effet?

Drosten: En ce qui concerne les enfants et les vaccins, on peut dire que cela n’a pas été oublié. L'approbation du vaccin doit définir des priorités et dans cette situation d'urgence, vous devez travailler là où vous pouvez avancer le plus rapidement. [...] En sachant également que c'est là que la gravité de la maladie se situe chez les adultes. Donc, si vous regardez la liste des études de vaccins à la London School, il y a le London School Vaccine Tracker, [on voit qu’]il y a 156 études répertoriées sur les vaccins ; presque tous des vaccins actifs. [...] Et de ces nombreuses études, il n'y en a qu'un petit nombre qui sont menées sur des enfants. Nous en avons trois de fabricants renommés. A savoir Biontech, puis le vaccin ChAdOx, c'est-à-dire le vaccin AstraZeneca et ensuite Moderna. En effet, ces vaccins sont actuellement étudiés dans des cohortes pédiatriques.

Hennig: Mais à partir de douze ans, non?

Drosten: C'est vrai, chez Biontech et Moderna, c'est à partir de douze ans. Et avec le vaccin ChAdOx, dans une étude, c'est apparemment déjà à partir de cinq ans. Dans tous les cas, ces études ont lieu jusqu’en été ou en automne. Ils pourraient s'arrêter un peu plus tôt si des effets importants et visibles sont observés. Je ne peux pas du tout juger de la situation. Je n'ai vu aucune donnée là-dessus. […] Sion a de telles données en été, on peut compter sur le fait que l'approbation aura lieu à l'automne et qu’on pourra alors vacciner les enfants. Nous ne pouvons que l'espérer. Il y aura certainement à nouveau un débat sur cette question de savoir si les enfants doivent être vaccinés. Je ne veux rien dire à ce sujet pour le moment. Je voudrais plutôt souligner qu’il faut aussi s’attendre à ce qu’un grand nombre d’enfants soient infectés, comme on peut s’y attendre aussi dans d’autres groupes d’âge, en l’absence de vaccin. Soit dit en passant, il existe d'autres études sur les vaccins chez les enfants. Je compte cinq autres études ici, toutes -sauf une- avec des vaccins chinois. Celui qui fait exception est un vaccin du Vietnam. Ce sont certainement tous des vaccins qui sont hors de question ici pour nous, pour notre région. Mais il y a ces trois études et la [première] sera probablement terminée cet été. Avant, il n’y aura tout simplement pas de vaccins approuvés avant l'automne. Toni Fauci a expliqué que les enfants aux États-Unis seront vaccinés plus tôt. Je ne sais pas ce qu'il entend par là. Peut-être connaît-il mieux les données d'étude. Je ne sais pas ce que signifie sa déclaration. Mais il a davantage réfléchi à la question, à propos de la situation aux USA, en tout cas plus que moi.

Hennig: Mais il faut revoir les arguments pour et contre la vaccination des enfants. Même si vous avez dit que vous ne voulez pas entrer dans le détail. Il y a un argument souvent répété selon lequel les enfants sont en fait à peine affectés. En règle générale, ils ne tombent malades que légèrement, voire pas du tout. Et nous ne savons même pas exactement quel est l'effet des vaccinations que nous avons jusqu'à présent, si on peut transmettre le virus. C’est le concept d'immunité stérilisante. Et jusqu'à présent, nous n'avons que des données d'expérimentation animale pour les vaccins. Mais il n'y a toujours pas de données concrètes sur la question de [la transmission]

Drosten: Il faut peser beaucoup de choses. Cette considération fait certainement partie du processus de réalisation de l'immunité. C'est quelque chose qui est présenté en noir et blanc dans le débat public. L'un va dire que nous devons vacciner, puis l'autre dira, mais nous ne savons même pas si cette vaccination réduira la transmission. Et avec les enfants, il n’est question que de transmission. Ils ne tirent aucun bénéfice de la vaccination. Les enfants ne se vaccinent pratiquement que pour protéger les adultes. Tout cela n'est pas entièrement correct. C'est présenté de manière trop grossière [...] les enfants aussi peuvent avoir une évolution sévère. Et il y a aussi des patients à haut risque parmi les enfants. De nombreux enfants courent un risque et on ne voudrait pas qu'ils contractent ce virus. Mais […] les pédiatres sont autorisés à vacciner ces enfants avec un vaccin pour adultes. [...] Un enfant à risque recevra un vaccin.

[Et puis] nous ne savons pas à quoi nous attendre si tous les enfants en Allemagne sont complètement infectés à court terme. Je pense que c'est une situation dont personne ne veut et dont personne ne veut répondre. C'est pourquoi il est impératif de poursuivre cette possibilité de vacciner les enfants, également en raison des complications qui peuvent survenir, qui sont rares. Il faut le répéter. Par exemple, il existe le syndrome inflammatoire multisystémique chez les enfants.

Hennig: C'est similaire au syndrome de Kawasaki.

Drosten: Exactement, nous avons déjà discuté de tout cela dans le passé (épisode 41). Mais ce n'est pas le syndrome de Kawasaki. Cela se produit dans une tranche d'âge différente. Ils ont environ sept ans, cela semble être le pic de fréquence, si je me souviens bien. Et il y a d'autres choses. Les enfants ont aussi des symptômes. Et bien sûr, nous ne savons pas exactement à quoi nous attendre si les cas d'enfants devenaient nombreux. Et il y aura aussi un grand nombre de parents qui [voudront] que leurs enfants soient vaccinés.

Hennig: Ou les enfants eux-mêmes.

Drosten: Exactement. […] 


Immunité stérilisante après vaccination

La question est: la vaccination apporte-t-elle réellement quelque chose? Du point de vue de l’immunité stérilisante. L'immunité stérilisante doit d'abord être expliquée, elle vient avec des vaccins qui ont une très forte réponse en anticorps neutralisants.

Hennig: Pour la rougeole et les oreillons, par exemple.

Drosten: Ce sont des exemples. D'autres exemples pourraient être donnés qui ont également une réponse anticorps neutralisant très forte ou une réponse lymphocytaire T très forte. Prenez la fièvre jaune, par exemple. Vous ne mesurez même pas les anticorps neutralisants, car ils sont assez minables chez les vaccinés. Néanmoins, c'est presque un dogme que, même s’il faut faire un rappel tous les dix ans, vous ne contracterez plus cette maladie et ne pourrez plus la transmettre très, très longtemps, probablement à vie après avoir été vacciné contre la fièvre jaune. Mais le mécanisme de transmission est beaucoup plus compliqué. Le virus pénètre dans le sang et se transmet par les moustiques, de sorte que la transmission se fait difficilement. Mais il est également vrai que quelqu'un qui a été vacciné n'a pas de virus dans le sang après avoir été piqué par un moustique.

Mais nous avons là une maladie complètement différente. Et parce que cela passe par les voies respiratoires, parce que c'est une immunité des muqueuse qui joue un rôle ici, il est presque inutile de penser que nous pouvons obtenir une immunité stérilisante. Une personne qui a été vaccinée peut encore avoir un peu de réplication du virus sur les muqueuses. La seule question est: qu'est-ce que cela signifie réellement? Dans les études menées sur les vaccins, cela a été fait en partie, mais n'a pas été bien évalué, on peut mesurer le virus chez ceux qui ont été infectés en dépit de la vaccination, et vous pouvez alors voir dans certains cas que l'ARN viral peut être détecté. Dans certaines expériences sur les animaux, où vous faites cela en parallèle, vous pouvez voir que vous ne pouvez pas isoler autant de virus vivants en laboratoire. L'explication serait: le virus est là sur les muqueuses, mais il y a aussi des anticorps dans les muqueuses et ils gélatinisent le virus dès que le virus émerge de la membrane muqueuse. Le virus peut alors être détecté par un test de laboratoire, mais il ne serait alors plus infectieux car les anticorps le protègent. Ce serait une simple considération. Vous m'avez interrogé sur mon instinct en tant que virologue. Mon intuition est que la vaccination empêchera le virus de se propager. Même si on peut le détecter en laboratoire, une personne vaccinée transmettra certainement de moins en moins le virus, même si ce sera variable en d'un vaccin à l'autre.

Hennig: [Tous les vaccins ne donnent pas d’immunité stérilisante.] N'est-ce pas la même chose avec la coqueluche et la grippe?

Drosten: Il existe de nombreuses maladies virales où ce n'est pas le cas. Pas avec la grippe de toute façon. L'une des maladies virales les plus connues, la polio, la poliomyélite, il y a un excellent vaccin, la vaccination orale, un vaccin vivant, après quoi les enfants sont tout sauf immunisés à vie si vous regardez simplement la réplication du virus. Néanmoins, il suffit d’avoir très peu d’anticorps dans le sang pour ne plus tomber gravement malade. On peut donc donner de nombreux exemples où les meilleurs vaccins semblent présenter une telle lacune. Mais ce n'est souvent pas du tout un argument légitime. En ce qui concerne la polio, par souci d'exhaustivité, il est vrai que les enfants qui sont infectés dans l'intestin peuvent continuer d'excréter et de transmettre du virus infectieux. C'est quelque chose dont vous profitez. Cela s'applique même au vaccin vivant. Étant donné que le virus de la vaccination est transmis à d'autres enfants de la région et que vous obtenez un effet de vaccination environnementale, ce qui est particulièrement important pour l'éradication de ce virus dans les zones rurales d'Afrique ou dans d'autres zones où il est difficile d'atteindre chaque enfant, est tout à fait souhaitable.

[...]

Je crois aussi qu'en tant que personne vaccinée, si vous deviez être infecté malgré la vaccination, vous êtes plus susceptible de ne pas infecter l'environnement, d’être un moins bon vecteur. Mais peut-être que j'insisterais aussi sur d'autres choses, si vous voulez parler de ce sujet de vaccination ici avec une perspective sur l’avenir. C'est la question de savoir comment les choses vont se passer maintenant. Je dois dire que je suis très agréablement surpris par ces chiffres qui sont maintenant publiés. [...] Ce sont toutes des estimations et cela dépend de beaucoup de choses, de nombreux facteurs d'influence. Personne ne peut dire pour le moment quels problèmes logistiques le secteur de la vaccination rencontrera en cours de route. Peut-être que certains lots dans les installations de production ne sont tout simplement pas bons. Donc, vous rencontrez toujours quelque chose comme ça dans la production de vaccins. Mais c'est quelque chose d'assez encourageant. La situation est bien meilleure que je ne le pensais il y a quelques jours. Parce que la situation globale de la disponibilité des vaccins évolue très rapidement[...]


Rythme de la vaccination et levée des restrictions

Ici, en Allemagne, la question est de savoir à quoi pouvons-nous nous attendre? Je pense que l’un de ces points où vous devez vous rendre compte que quelque chose pourrait changer est vers le printemps. Je veux en fait dire deux choses. […] il existe apparemment des contrats pour la livraison de près de 55 millions de doses de vaccin au deuxième trimestre. [on peut donc vacciner] 27 millions de personnes. Mais il y a aussi d’autres [livraisons prévues, de vaccin nécessitant] une seule dose.

Hennig: De Johnson & Johnson.

Drosten: Exactement, Johnson & Johnson. Il y a plus de dix millions de doses sur la liste. C'est un chiffre énorme en soi. Ensuite, il y a évidemment des contrats d'approvisionnement supplémentaires avec Biontech etc. [...] vous avez plus de 50 millions de personnes qui devraient théoriquement être vaccinées au deuxième trimestre. Maintenant, il faut être clair: nous sommes 83 millions de personnes en Allemagne, mais les réseaux de contacts entre ces 83 millions ne sont pas tous ouverts. Et l'immunité collective n'a pas d'effet soudain, ce n'est pas un effet en noir et blanc.

Hennig: Cela ne commence pas à 66 ou 70%, puis soudainement les chiffres diminuent.

Drosten: Exactement. C'est en fait comme ça - vous pouvez le voir ces jours-ci - il y a des données d'Israël, qui ne sont pas encore vraiment publiées. Mais qui ont déjà été rassemblées par des scientifiques et diffusées sur les médias sociaux et sur les sites Web, où il semble que si environ 50% d'un groupe d'âge est vacciné, il est surprenant de constater que peu importe que ce soit une ou deux doses, le taux d'hospitalisation dans ce groupe d'âge diminue - en comparaison avec d'autres groupes d'âge qui n'ont pas cette couverture vaccinale élevée. C'est extrêmement encourageant. […] Je ne veux pas entrer plus en détail ici car cela n'a pas encore été publié. Mais cela me semble plausible. Et bien sûr, je dois ajouter que cela se produit avec l'aide d'une intervention non pharmaceutique. Cela ne signifie donc pas qu’on pourra supprimer les mesure. C'est juste ce que je veux dire, ce n'est pas noir ou blanc, mais d'une part ça devient un peu plus gris clair et d'autre part ça devient un peu plus gris foncé. De cette manière, ces effets se compensent, [...] la vaccination d'une part et les mesures de réduction des contacts, les interventions non pharmaceutiques d'autre part.

Hennig: Mais en fonction de l'incidence, [elles peuvent être] particulièrement dures ou un peu plus ciblées, comme nous l'avons déjà discuté avec les zones vertes.

Drosten: Exactement, c'est la stratégie No Covid qui, je pense, devrait certainement être envisagée maintenant dans un proche avenir. Parce que nous n’en serons pas à ce point aussi vite. J'ai dit beaucoup de choses positives. Malheureusement, je dois redire certaines choses qui ne sont peut-être pas faciles à entendre. Une chose, par exemple, est le premier trimestre avec 9,15 millions de doses de vaccin possibles. Il faut toujours être clair qu'une dose qui doit être livrée au premier trimestre sera expédiée de l'usine et qu'elle ne se retrouvera pas au centre de vaccination ou au cabinet médical avant la deuxième voire la troisième semaine du deuxième trimestre. Tous ces chiffres sont des estimations [...] Toute cette logistique incroyable qui est derrière et qui devient de plus en plus compliquée à mesure que nous voulons inoculer par unité de temps, cela n'est bien sûr pas inclus ici. En fait, la complexité dans ce domaine est si élevée qu'une modélisation scientifique distincte devrait être effectuée. Avec toutes ces variables de perturbation qui apportent cela au patient, la vaccination comprend, c'est-à-dire la logistique, la livraison, l'arrivée effective dans l'entrepôt, la coopération des cabinets médicaux. Alors, combien de médecins résidents diront réellement: Oui, nous irons dans un centre de vaccination d'urgence et nous ne ferons presque que des vaccinations. C'est une tâche incroyable à laquelle nous devons nous attaquer ensemble en peu de temps. Tout le monde doit accepter cela.

Hennig: Et les cabinets médicaux ne peuvent pas inoculer tous les vaccins car la question de la chaîne de froid se pose aussi.


Drosten: Oui, ça aussi [...] Comment cela peut-il également changer au fil du temps avec l'approbation de nouveaux vaccins au fil du temps? [...] Que peuvent faire les cliniques ambulatoires […] qu'en est-il des médecins du travail, […] des pharmacies? Donc, cette masse incroyable de vaccinations, qui doit ensuite être augmentée [...] nous devons également anticiper cela dans une étude scientifique afin que les politiciens reçoivent des scénarios avec lesquels ils peuvent planifier. Parce que l'économie demandera quand pouvons-nous ouvrir tel ou tel secteur.

[Dans] le futur proche, le premier trimestre, il faut malheureusement se rendre compte que si vous avez un maximum de 9,15 millions de doses,[…] les vaccinés sont avant tout des patients très âgés qui sont susceptibles de ne pas se trouver au milieu des réseaux de transmission.[…] ils ne sont pas forcément les grands distributeurs, mais plutôt les destinataires du virus, ils ont au bout de la chaîne de transmission. Et pour contrôler l'activité épidémique, nous devons vacciner les épandeurs. Il se pourrait donc que nous ne voyions aucun effet de la vaccination jusqu'à Pâques. Il faut planifier [...] avec quelles précautions lever progressivement les mesures. Car s'attendre à un effet de la vaccination maintenant serait imprudent, un peu prématuré. Pour le moment, malheureusement, il faut supposer que le processus de contaminations devra encore être contrôlé par cette intervention non pharmaceutique.




Hennig: À votre avis, quelle est l'importance des différences dans les taux d'efficacité des vaccins? [...]

Drosten: Oui, je ne peux que dire des choses très terre-à-terre à ce sujet, car je n'ai tout simplement pas les données des études d'approbation, et dans d’autres cas, je n'ai pas lu la littérature spécifique. C'est juste au-delà de ma capacité. Je n'ai pas le temps de tout lire. La vaccination n'est pas mon domaine. [...] En fin de compte: ils protègent tous très, très bien contre une évolution sévère, ce dont nous avons vraiment peur en tant que patients.


Quelle part d'immunisés faut-il?


Hennig: […] en conclusion, je voudrais revenir sur la question de l’immunité collective [...] mathématiquement liée à la valeur R, […] influencé par les mesures, la composition de la population, etc. Ce concept, cette valeur cible de la réalisation de l'immunité collective grâce à la vaccination, par exemple, peut-il changer avec les variants?

Drosten: Vous pouvez calculer cela en utilisant les variants. Il est vrai qu'une variante qui est 35% plus infectieuse nécessite également 35% de réduction de contacts supplémentaires ou une proportion correspondante de vaccinés afin de ramener la valeur R en dessous de un. De tels calculs simples peuvent être effectués. Le problème avec ceci est que ce n'est pas aussi facile que de l'écrire sur un morceau de papier. Donc, ce calcul très simple, nous avons un R0 de 3 pour un virus et le contrôle est obtenu lorsque RT, c'est-à-dire le taux de propagation actuel, est de 1. Nous devons vacciner les deux tiers. C'est bien en moyenne. Mais il y a beaucoup de choses qui jouent un rôle. Une chose sont les réseaux de contacts et la fréquence des contacts. Imaginons les choses de cette façon, nous avons cette population, ce n'est pas forcément des gens, imaginons des fourmis. Nous avons un virus de la fourmi et nous pourrions vacciner ces fourmis. Maintenant, nous avons ce tas de fourmis en désordre. Cela fait une énorme différence si nous les mélangeons toutes et que les deux tiers d'entre elles sont vaccinées.

Ensuite, en moyenne, un virus de fourmi avec un R égal à trois ne se propagera plus aussi largement. Ensuite, le nombre de fourmis infectées sera relativement constant. Mais si nous divisons notre terrarium avant la vaccination et disons que nous mettons un tiers des fourmis dans une boîte dans le terrarium et les deux tiers dans l'autre boîte et maintenant nous vaccinons ces deux tiers, alors nous verrons bien sûr que la population sera divisée et le tiers non vacciné devient complètement infecté et aucun d'entre eux n'est protégé. C'est l'exemple extrême d'une population non mélangée qui est simplement séparée artificiellement. La vérité dans une population se situe quelque part entre les deux. Même dans une population bien vaccinée en moyenne, il y a toujours des niches où il n'y a pas autant de personnes vaccinées et où le virus résiste. Cela fait également partie de ce phénomène d'immunité de la population. Nous voyons cela avec la rougeole, par exemple, où nous avons des épidémies régionales, même si la population allemande est en fait assez bien vaccinée.

Hennig: La bonne nouvelle à ce sujet est que nous pouvons jouer le jeu de l'immunité collective avec des mesures en essayant de séparer les réseaux les uns des autres.

Drosten: C'est vrai. Dans une large mesure, ces mesures sont également des interventions non pharmaceutiques. Il y a des domaines dans la société qui ont des fonctions de réseau fortes, malheureusement aussi les écoles, mais aussi d'autres, les open space etc., où l'effet de cette réduction des contacts n'est pas seulement dû au fait que chaque individu est retiré de la vie quotidienne, mais aussi en interrompant certaines connexions réseau. Avec ce virus et la sur-dispersion, la propriété du virus de se propager principalement dans des clusters, nous allons probablement passer sous certains seuils de réseau à un moment donné, où nous avons en fait besoin de beaucoup moins de personnes vaccinées que 70%, en combinaison avec des mesures d'intervention non pharmaceutiques légères [...]. Ce serait un grand espoir que, par exemple, vers la fin du deuxième trimestre, quelque chose comme une immunité de la population soit déjà disponible. Bien que 70% de la population n'ait pas encore été vaccinée. Tout simplement parce que ce virus se propage en grappes et à un moment donné un effet de seuil est atteint, où les connexions entre elles ne peuvent plus se faire par les réseaux de transmission.


La situation à Manaus 

Hennig: je voudrais jeter un dernier regard sur un domaine très spécial. Nous nous étions mis d'accord depuis longtemps, puis nous l'avons reporté encore et encore car de nouveaux sujets continuaient à surgir. Mais pour la compréhension de toute cette situation avec les variants, avec la question de l’immune-escape, avec les vaccinations et la question des réinfections, je trouve cela très instructif pour les connaissances de base. Il y avait pas mal de gros titres sur Manaus, sur cette ville de l'état d'Amazonas au Brésil. N'y avait-il pas d'immunité collective avant d’être durement touché par une autre vague? [...] il y a un article de "Science", qui a également été cité dans de nombreux journaux, qui postulaient en fait qu'en octobre, ils 70% de la population avait été infectée. Et s'ils sont tous à nouveau infectés maintenant, alors la conclusion évidente était que cela devait être dû au nouveau variant. Comment voyez-vous cela?

Drosten: Il y a en fait ce papier, qui était très douteux dès le départ. Qui se fonde sur de petites études faites auprès de la population, des donneurs de sang, par exemple. C'est juste une partie de la population qui n'est pas nécessairement représentative. Ensuite, on a corrigé. Non seulement ils ont fait un test de laboratoire et ont ensuite utilisé les taux de détection des anticorps pour voir combien de personnes dans la population étaient déjà immunisées, mais ils ont également corrigé ces taux de détection. On a donc dit que le test n'avait qu'une certaine sensibilité, et que donc le nombre réel devait être plus élevé. Un facteur de correction a été ajouté. Mais il est également vrai que le taux d'anticorps est plus élevé chez les patients hospitalisés que dans ces cas bénins, ce à quoi on s'attendrait plutôt chez les donneurs de sang. Une nouvelle correction. Il est également vrai que les anticorps disparaissent après un certain temps. Et ici, nous avons une distance entre l'infection et le test de laboratoire. Et nous devons contrecarrer cette disparition des anticorps. Quelqu'un qui n'a pas d'anticorps est toujours immunisé. Il y a donc une justification pour faire valoir cet argument. Et puis vous avez fait un calcul de compensation qui était relativement facile à formuler. Pour résumer: en fin de compte, il a été conclu qu'avec de nombreux facteurs de correction, 76% de la population de Manaus aurait dû être immunisée à la fin du mois d'octobre. Il y a déjà la question de savoir comment cela doit être interprété, qu'une nouvelle vague dramatique s'est néanmoins produite en décembre. Et une explication à cela est que c'est un immune-escape qui y circule.

Hennig: P1, la variante brésilienne.

Drosten: Exactement. Les gens sont infectés même s'ils ont eu une infection initiale. Et bien qu'il existe une immunité de la population, il y a eu cette nouvelle vague. Donc, fondamentalement, la pandémie recommence, selon la vue superficielle. Le problème avec ceci est le suivant: il n'est pas vraiment normal qu'une nouvelle vague arrive dans une population qui a déjà été complètement infectée avec autant de cours sévères. Une grosse vague de rhumes, j'y aurais cru tout de suite. Mais il m'est difficile d'accepter une nouvelle vague de cas très graves d’une telle ampleur avec comme explication un immune-escape. Il faut à nouveau examiner très attentivement les données de base. Et se demander: était-il seulement exact que l'immunité collective s'était déjà développée là-bas à Manaus? Ou est-ce que l'explication du fait que l'incidence a chuté entre-temps, comme par elle-même, dû à autre chose? A savoir ce que nous venons de discuter: les effets de réseau avec immunité partielle existante. Si bien qu'en réalité l'immunité était peut-être de l'ordre de 30, 40, 50 pour cent de la population et que les réseaux de contact ne pouvaient plus se fermer et cette baisse apparente de l'activité infectieuse s'expliquerait plus probablement par cela. Et c'est un très bel exemple de ce dont nous avons discuté plus tôt, il n'y a pas de seuil d'immunité collective que l’on puisse calculer rapidement.

Hennig: Cela signifie, que la mutation qui existe là-bas ne doit pas nous jeter dans un état de panique; nous ne partons pas de zéro avec l'infection. Je pense que le premier trimestre sera difficile. Mais vous êtes très optimiste à propos des vaccinations, notamment en Europe.


Contamination des 40 à 60 ans après Pâques


Drosten: Je ne veux pas que l’on ne comprenne que le seul côté optimiste. Nous ne pouvons pas espérer beaucoup de protection via la vaccination jusqu'à Pâques, mais plutôt une protection pour les groupes à risque. Cela enlève la mortalité. Il est important d'être clair à ce sujet. Mais tout ce qui va dans le sens de la réduction de l'incidence, que vous disiez vraiment maintenant nous voulons No-Covid et nous voulons tenir aussi longtemps qu'il ne reste plus rien. Ou que vous disiez que c’est difficile en Allemagne, mais au moins nous voulons aller assez loin pour que les autorités sanitaires reprennent le contrôle du traçage, je pense que c'est absolument essentiel. Il n'y a pas de discussions parallèles pour moi. Donc, ces discussions à propos d’occupation maximale de lits qu’on pourrait tolérer, je les considère comme vraiment malavisées. C'est une chose que je veux dire.

L'autre chose que je voudrais également dire est - malgré toute la joie que j'ai à propos de ces nouveaux chiffres de disponibilité des vaccins au deuxième trimestre - vous devez toujours prendre des mesures de restrictions et réaliser qu'après Pâques, nous ne pourrons pas utiliser cet effet d'immunité de la population. [...]

De toute évidence, vous voudrez lever les mesures après Pâques. Mais où et à quelle vitesse? Je voudrais simplement mentionner un autre scénario, peut-être, afin que vous puissiez mieux comprendre pourquoi il y a une grande source de préoccupation. Nous devrons peut-être revenir à notre comparaison avec la grippe. On entend parfois presque négligemment dans les discussions publiques, qu’on ne peut pas arrêter l’épidémie, qu’il faut la laisser courir à un moment donné, que toute cette considération sur l'atténuation (mitigation)... je n’approuve que dans une mesure très limitée. Parce que nous ne sommes pas confrontés à la grippe ici et parce que nous avons maintenant des connaissances sur la mortalité des cas. À la fin, je voudrais mentionner un petit scénario sur un groupe de population qui ne sera peut-être pas encore vacciné [...] ce sont les 40 à 60 ans. Nous en avons 23,6 millions en Allemagne dans cette tranche d'âge.

Maintenant, soyons très optimistes : nous avons un effet dès le début de la vaccination, mais aussi avec des interventions non pharmaceutiques restantes, des restrictions de contact, etc.[…] calculons que seulement [la moitié], soit environ 12 millions des 40 à 60 ans, soient infectés. [Et qu’on ait] dix pour cent de cours sévères, soit 1,2 million de personnes entre 40 et 60 ans. Cela signifie que chacun de nous a une ou deux personnes dans ce cas dans son cercle d'amis. C'est un chiffre qui ne peut être pris en charge par les hôpitaux. […] Nous aurions alors beaucoup de personnes gravement malades à la maison[…]. Et l'effet qui en résulterait serait la peur. Nous aurions alors les exemples devant nos yeux dans notre cercle d'amis. Les gens restreindraient alors à nouveau leur vie sociale, cette fois à cause d’un sentiment que nous avons peut-être un peu perdu, à savoir la peur de l'infection. Et c'est peut-être quelque chose auquel, par exemple, un Clemens Fuest a fait allusion dans sa déclaration quand il dit que c’est le virus et non les mesures qui nuisent à l'économie.

Hennig: 80%, a-t-il dit, 80% des dégâts sont dus au virus et non aux mesures.

Drosten: Cela n'apporte tout simplement rien à aucune organisation culturelle, aucun restaurant, si les gens ont peur, se tiennent à l'écart pour une durée indéfinie. Et il n'est d'aucune utilité pour une entreprise industrielle si les arrêts maladie sont si nombreux qu'il n'est plus possible de planifier sérieusement le processus de production. Et même si les employés disent à un moment donné, par peur et par respect pour le virus, il n'est pas correct de tout laisser ouvert. Et je pense que nous devons absolument éviter cette situation. [...] Soyons prudents, ne relâchons pas si vite, c'est bien sûr le plus grand défi auquel seront confrontés les politiciens dans les semaines à venir. [...] On entend aussi déjà: Méfiez-vous de l'idée selon laquelle la pandémie se terminera après Pâques. Et tout cela ne peut être répété assez souvent, de manière neutre et sans émotion si possible. C'est le grand défi en ce moment, où vous devez juste faire attention à la façon dont vous vous exprimez.

vendredi 5 février 2021

Variant anglais, les enfants et leur rôle dans la pandémie. Podcast #74 du 2 février 2021 [partie 1]


Foule à l’extérieur


Korinna Hennig: […] à Hambourg, où est basé le NDR, il y avait de la neige ce week-end. C'est devenu rare dans le nord. Les familles se bousculent pour faire de la luge sur les quelques pistes de la ville. Ce ne sont pas des rendez-vous, à proprement parler, ils sont conformes aux règles. […] quel rôle joue réellement l'effet température, dont on parlait cet été,[...]? Maintenant, il fait froid, ce sont des températures que le virus aime et nous avons toujours une incidence assez élevée. Cet effet extérieur a-t-il encore un sens?

Christian Drosten: Oui, je pense. Je ne peux pas en parler d'après mon expérience scientifique, mais tout au plus d'après ma connaissance de la littérature. Selon elle, 19 fois plus de transmissions ont lieu à l'intérieur qu'à l'extérieur. [...] C'est une étude qui a été réalisée à Wuhan. Il faisait froid à l'époque, on peut donc dire que cela a même été enregistré dans ces conditions. En même temps, il y a eu relativement peu d'autres études systématiques, du moins à ma connaissance. Par conséquent, il est relativement difficile de spéculer à ce sujet. Mais je pense que dans l'ensemble, il y a un léger effet de température avec ce virus. [...] Mais je ne voudrais pas dire que sortir ne sert à rien dans le froid. Je pense que la même règle de base s'applique là aussi, à savoir que l'air extérieur est beaucoup plus dilué. Il y a toujours un vent léger quelque part. Et bien sûr, même lorsque vous êtes à l'extérieur sur une piste de luge, avec beaucoup de monde. Mais c'est une proximité différente que si vous étiez maintenant dans les transports en commun ou dans une salle de [réunion].

Hennig: Cela signifie donc, surtout pour les enfants, qu’on peut leur permettre de se rencontrer […] à l'extérieur?

Drosten: Oui, bien sûr. Les enfants doivent avoir la possibilité de faire de l'exercice normalement. Avec toutes les restrictions qui existent actuellement, il faut bien sûr agir avec un certain sens des proportions.

[...]


Le variant anglais : immune-escape, enfants


Hennig: ce variant anglais, [...] ne fait pas d'immune-escape. Il n'échappe pas aux anticorps censés protéger contre le virus après une infection ou une vaccination.

Drosten: Oui, [...] c'est vrai. Probablement pas un immune-escape important, peut-être un peu. Mais ce n'est pas facile à confirmer pour le moment. Il n'y a pas de données convaincantes à ce sujet, mais plutôt une contagiosité plus élevée. Dans le même temps, dans les médias sociaux, on a parlé de virus appartenant à ce clade 1.1.7 récemment découverts, qui ont également acquis une autre mutation. À savoir la mutation E484K. Il s'agit très probablement d'une mutation d'échappement immunitaire. Autrement dit, l'évolution continue. Ce virus a convergé au moins deux fois indépendamment et a acquis la mutation E484 au sein du clade B.1.1.7. On peut supposer qu'il y a maintenant un immune-escape. Le tout reste donc une considération très pertinente. Encore une fois, vous devez l'aborder avec une tête froide et d'abord s’en assurer. Le fait que cela se soit produit de manière convergente, que la même évolution ait eu lieu indépendamment deux fois dans ce seul clade, suggère que c'est quelque chose de réel, qu'il y a une réelle pression de sélection ici, qu'il a une pertinence biologique.

Il faut aussi dire que tout cela est certainement encore un phénomène rare. Si rare que nous ne l'avons peut-être pas encore ici chez nous. En résumé, il faut dire: cela souligne une fois de plus combien il est important pour le moment de prendre au sérieux les mesures d'intervention non pharmaceutiques, de se rendre compte que tout vient de l'extérieur pour le moment. [Il faut donc repenser les contrôles aux frontières]

Hennig: Cette mutation E484K est celle qui joue également un rôle dans les variants brésilien et sud-africain.

Drosten: Exactement, c'est également le cas avec ces variants. Maintenant, nous avons des situations en Afrique du Sud et au Brésil où nous devons supposer qu'au moins localement, il existe déjà des populations qui sont immunisées ou du moins largement immunisées. Il est donc plausible qu'un tel variant soit né sous la pression de sélection immunologique.

Hennig: Nous parlerons du Brésil plus tard. Vous avez dit qu’il fallait garder la tête froide. Mais je sais que beaucoup de personnes âgées qui sont actuellement vaccinées ou qui viennent de se faire vacciner avec la première dose sont inquiètes à ce sujet. Elles demandent, «est-ce que cela rend ma vaccination sans valeur?» [...]

Drosten: La vaccination actuelle, dont nous parlons principalement, est le vaccin Biontech Pfizer. Il y a le vaccin Moderna, puis le vaccin AstraZeneca. Mais avant tout, les personnes âgées sont principalement concernées par Biontech. C'est un vaccin qui produit une réponse immunitaire très forte. Les données disponibles ne suggèrent pas que le variant britannique, c'est-à-dire la variante 1.1.7 - sans cette mutation supplémentaire - provoque un escape significatif. Non seulement il y a les anticorps neutralisants, mais il y a aussi les lymphocytes T. Mais on ne peut pas encore dire exactement ce que fait ce variant 484. Mais ce n'est pas une considération pour ces jours, ces semaines. Nous n'avons pas à en avoir peur pour le moment. Cette vaccination fonctionnera si vous pouvez l'obtenir maintenant. […] Comme je l’ai déjà dit, je suis convaincu que la vaccination fonctionnera également contre ce variant 1.1.7.

Hennig: Nous devons discuter brièvement d'une autre chose à propos de ce variant. On entend encore et encore dans les conversations que le variant est un peu plus contagieux pour tout le monde, mais d'après tout ce que nous savons maintenant, les enfants ne sont pas affectés de manière disproportionnée par cette augmentation.

Drosten: Exactement, nous en avons déjà parlé lors du premier podcast de la nouvelle année[...] Ce virus n'est pas un virus affectant spécifiquement les enfants, mais à l'époque, il était surestimé chez les enfants à cause des écoles ouvertes. [lien vers l’épisode]



Le virus circule dans les écoles


Hennig: En ce qui concerne les enfants, […] les pédiatres ont une fois de plus souligné les graves conséquences de la fermeture des écoles pour les enfants, en particulier ceux issus de familles [en difficulté], ainsi que les conséquences de l'isolement pour les enfants en général. [...]Au niveau régional, les ouvertures d'écoles sont déjà réexaminées. Ce serait en fait une bonne occasion de jeter un regard d'un point de vue scientifique, comment on peut spécifiquement contenir le processus d'infection dans les écoles. Nous avons souvent discuté du sujet des enfants dans le podcast, il y a en fait maintenant un consensus sur le fait que les enfants sont impliqués dans le processus d'infection. […] Une étude autrichienne a récemment fourni un peu plus d'indices. [...] À votre avis, les résultats sont-ils un peu plus proches de la réalité que de nombreuses autres études?

Drosten: C'est une étude importante qui a été réalisée en Autriche. Puisque nous parlons de ce sujet maintenant [...], il y a juste un lourd fardeau sur les enfants. Bien sûr, vous devez regarder [...] l'activité infectieuse dans les écoles. En ce moment, nous voyons deux tendances dans le débat public. Ce que les pédiatres disent, par exemple, ce qu'ils voient et savent de leur expérience professionnelle [il en ressort que] les enfants doivent retourner à l'école dès que possible. Nous ne voulons même pas remettre en question cela ici. C'est tout à fait exact et cela doit être une priorité absolue. Je pense que plus important pour nous dans ce contexte et peut-être aussi pour moi en tant que personne qui a une expérience professionnelle différente, à savoir virologique, donc je peux regarder les données épidémiologiques et virologiques, [pour approcher de la] vérité ? Et toutes les deux ou trois semaines, une nouvelle information est ajoutée.

Pour le moment, nous avons deux lignes d'argumentation dans le débat public et aussi entre experts. Un argument est le suivant: si vous résumez toutes les études, vous pouvez voir que les enfants ne sont pas fortement infectés et que vous ne trouvez pas beaucoup d'enfants infectés. Nous avons deux niveaux [...] dans la littérature scientifique. L'un est le travail original et l'autre est la revue, qui résume ensuite ces travaux originaux et les évalue. Ces évaluations conjointes ont généralement un statut de traitement avant les vacances d'automne. Donc, tout ce que nous savons à ce niveau [date d’]avant la pause d'automne. Maintenant, nous avons la possibilité de regarder un peu plus loin. [grâce aux] données de l'Office for National Statistics en Angleterre, par exemple, qui montrent clairement que sous le lockdown partiel avant Noël, avec les écoles laissées ouvertes, l’[incidence y a été] jusqu'à quatre fois plus élevé que dans la population adulte environnante. Et puis pendant les vacances elle a ont chuté drastiquement, de sorte que vous pouvez maintenant dire - et vous pourriez dire que pratiquement très rapidement après les vacances - les écoliers ont la même fréquence d'infection que le reste de la population. […]

Et maintenant, nous avons également une nouvelle étude d'Autriche, [un preprint] et qui [...] montre quelque chose de très similaire. À savoir, après les vacances d'automne, il est devenu très clair que le virus se multiplie dans les écoles lorsque les écoles sont ouvertes. Et que sinon, les élèves ont le même niveau d'infection que le reste de la population. Des échantillons ont été prélevés en deux fois en Autriche. L'objectif à l'époque était d'échantillonner 250 écoles, de sélectionner au hasard 60 élèves par école et également de sélectionner au hasard 10% d'enseignants. On y est presque arrivé au premier tour. Au deuxième tour, moins[…] car il a été décidé [de fermer la majorité des écoles]. Mais les chiffres sont suffisamment importants pour être comparés. 245 écoles ont été incluses dans le premier tour, soit un total de plus de 10 000, presque 11 000 participants. Le premier tour s'est déroulé de la fin septembre au 22 octobre. Au deuxième tour, l'échantillonnage a eu lieu du 10 au 16 novembre. L'étude a dû être annulée après 3745 participants à cause du lockdown. Néanmoins, les chiffres sont significatifs, au premier tour on a une prévalence momentanée dans la PCR d'environ 0,4% et au second tour de 1,42%.

Hennig: Donc plus que triplé en un mois.

Drosten: Exactement. Cela correspond à peu près à l'observation qui a été faite en Angleterre et dit simplement la même chose: si le virus est à l'école, il s’y multiplie également. Si vous laissez les écoles ouvertes alors que d'autres parties, en particulier les loisirs pour adultes, sont fermées, alors après un certain temps, vous avez une fréquence nettement plus élevée d'infections parmi les écoliers. C'est juste quelque chose qui devrait être considéré de manière neutre. Dans le passé, les gens ont souvent eu des arguments quelque peu trompeurs, à savoir: vous pouvez ouvrir les écoles en toute sécurité car il n'y a pratiquement pas d'infections là-bas. Au fil des mois, nous avons discuté encore et encore pourquoi on peut aussi penser que ces études présentent des faiblesses décisives et que certains tests ont été effectués à des moments et à des endroits, avec des fréquences où le virus ne pouvait pas être trouvé correctement et où il fallait s'attendre à des erreurs pour d’autres raisons. Il est tout à fait normal en science que de telles études soient menées et que l'on discute de leur signification.

Ce qui n’est pas normal, c’est [l’utilisation qui en a été faite, à l’intérieur de la science mais aussi en politique]. Cela est lié à un terme entendu maintes et maintes fois: les écoles ou les enfants ne sont pas les moteurs de la pandémie.[...] Je pense que cette façon de voir a empêché l'urgence du problème d'être perçue [et d’aborder les solutions avec] pragmatisme. Cela n'a pas été fait en partie, en partie à cause de […] ce terme, que quelqu'un soit un moteur ou un non-moteur de la pandémie. Je pense que nous devons examiner [d’un point de vue] épidémiologique ce qui se cache réellement derrière ce terme.



Enfants "moteurs de la pandémie" : l’exemple de la grippe


Hennig: Qu'est-ce que c'est […], le moteur de la pandémie?

Drosten: J'ai un peu l'impression que certaines personnes [intéressées par l’épidémiologie se sont surtout informées dans des manuels traitant] essentiellement de la grippe. Donc, en ce qui concerne la grippe, nous avons à la fois la grippe saisonnière, qui peut survenir de temps en temps[...]. Et nous avons la grippe pandémique, qui se présente comme un nouveau virus qui affecte les adultes très fortement et se propage comme le virus que nous avons maintenant, ce virus du SRAS. La seule question est: est-ce vraiment la même chose? Avec la grippe saisonnière, l'effet est très clair. Avec la grippe saisonnière, nous, adultes et enfants d'un certain âge, avons tous été en contact avec le virus et avons une certaine immunité. Mais les petits enfants n'ont pas ça. C'est pourquoi le virus se concentre vraiment chez les jeunes enfants. Il existe de nombreux cas parce qu'ils sont naïfs sur le plan immunologique. Ils sont le segment de la population où le virus peut se multiplier. De là, il se propage encore et encore chez les adultes. En ce sens, les enfants sont les moteurs de la grippe saisonnière. Les écoles aussi, si vous voulez, en tant que situations sociales. De nombreux modèles de pensée dans la planification d'une pandémie proviennent de la grippe. J'ai le sentiment qu’il n’y a même pas de distinction correcte entre la grippe saisonnière et pandémique.

Mais même avec la grippe pandémique, notamment dans le domaine de l'épidémiologie, j'ai le sentiment qu'elle est parfois oubliée car on ne focalise pas autant sur l'immunologie. Dans tous les cas, ce que j'entends parfois un peu entre les lignes, c'est qu'on ne pensait pas que même avec une grippe pandémique, la population adulte et aussi les enfants plus âgés conservaient encore une immunité de fond en raison de leur contact antérieur avec le virus de la grippe prépandémique.

Hennig: Avec une autre variante du virus de la grippe.

Drosten: Exactement, lorsqu'un virus de la grippe pandémique survient, l'hémagglutinine, l'antigène de surface principal, est pratiquement toujours différente. La protéine est échangée par réassortiment, c'est-à-dire par une nouvelle combinaison des segments du génome du virus de la grippe. Il y a cette vieille histoire avec le cochon comme "récipient de mélange" et la source chez les oiseaux aquatiques. Ensuite, il y a souvent des protéines qui sont échangées entre les porcs et les humains. Les protéines virales internes, qui proviennent en fait d'un pool de gènes et qui sont souvent très similaires au virus qui a précédemment circulé dans la population humaine. Ces gènes viraux internes, qui sont presque tous des protéines structurales, sont tous présents dans la particule virale, certains d'entre eux sont également dans une certaine mesure conservés, notamment dans leurs sites de reconnaissance immunitaire, dans leurs épitopes, notamment les épitopes des lymphocytes T. On peut dire que les adultes ne sont pas complètement naïfs sur le plan immunologique avec un virus de grippe pandémique. Il y a toujours un peu de protection résiduelle. Cela a été très clairement observé lors de la pandémie H1N1 de 2009. Nous en avons déjà discuté dans le podcast à la fin du printemps (épisode 42). J'avais déjà tout expliqué à ce moment-là, que les personnes âgées avaient une immunité de fond très spéciale que vous ne pouviez pas vraiment saisir au début. Et c'était aussi la raison pour laquelle cette pandémie à l'époque était si bénigne au niveau de la population, même si le virus semblait relativement dangereux au début.

Maintenant, pour revenir à la grippe, nous continuons d'avoir un déséquilibre entre les enfants et les adultes pour ces raisons. Ainsi, même avec un virus de grippe pandémique, les enfants sont infectés de façon disproportionnée. Même là, on pourrait presque parler de moteur de la grippe pandémique. Cela variera d’un virus pandémique à l’autre. Et pourtant, c'est le cas d’école de la lutte contre la pandémie en épidémiologie des infections. Il y a ici une gradation importante. Cette gradation [est celle] du confinement (containment). On veut empêcher le virus de se propager parmi la population, on veut retracer tous les cas. Puis on passe à l'atténuation (mitigation), c'est-à-dire à l'atténuation par le contrôle, par le contrôle des contacts. Nous le faisons surtout là où le taux d'infection a un impact particulièrement important, c’est-à-dire les groupes à risque. Dans le cas de la grippe aussi, ce sont les personnes âgées [...] J'entends parfois dire que ce modèle de pensée est transféré à ce virus du SRAS-2. [Mais ce n’est pas correct]

Nous avons maintenant de fortes indications que la sensibilité et la participation à la propagation de ce virus SRAS-2 sont beaucoup plus uniformément réparties dans la société, dans tous les groupes d'âge. Ici, tout le monde est en quelque sorte également impliqué et, à cet égard, il n'est peut-être pas juste de dire que tel groupe de la population est le moteur du processus d'infection. Avec le Covid-19, les enfants ne sont pas les moteurs du processus d'infection. Ni les clients des restaurants, ni ceux des opéras, ni les employés des grands bureaux.[...]

Hennig: Cela signifie que ce terme «moteur de la pandémie», [n’est approprié que] si l'immunité de fond est inégalement répartie. Et ce n'est pas le cas avec le coronavirus, car tout le monde est immunologiquement naïf.

Drosten: Exact. En fait, on dirait même que les adultes sont un peu plus réceptifs que les plus jeunes enfants. Selon la façon dont les données sont lues on peut dire: école primaire plus crèche ou simplement crèche sont un peu moins réceptives que les adultes. Cela peut être déduit de certaines études, mais pas d'autres. Mais là, vous pouvez en discuter les détails. Le fait est que ce serait l'inverse qu'avec la grippe pandémique, où l'on s'attend à ce que les enfants soient les vecteurs [...] Je pense que la bonne façon de voir ce processus est plutôt: quel genre de contributions quantitatives avons-nous? Alors, quel groupe de population constitue quelle partie de la population et à quelle partie de la valeur R ce groupe contribue-t-il alors? […] prenons tous les enfants ensemble, c'est peut-être 20% de la population, donc 20% des contacts. Maintenant, nous pouvons ouvrir les écoles, mais en retour, si l'on veut avoir le même effet de contrôle sur l'activité infectieuse, 20% de la population doit supprimer ses contacts.

Hennig: Ce serait une véritable priorisation de l'éducation, à proprement parler.

Drosten: Exactement. Mais les enfants forment un groupe très tangible. Le fonctionnement de l'école est une unité définie, il y a des règles et une compréhensibilité d'une manière qui n'existe pas dans d'autres domaines de la vie adulte, sur les lieux de travail, etc. D'où cette lutte politique, qui d'une part reconnaît combien il est important, pour des raisons de développement, pour des raisons éducatives et pour des raisons de soins, etc., d'avoir un fonctionnement scolaire. D'un autre côté, il faudrait chercher ailleurs où il y a encore des lacunes. Par exemple, ce grand sujet du télétravail. C'est peut-être un point de vue qu'il faudrait clarifier pour que ce débat public soit un peu plus calme. Dire au revoir à cette idée stupide selon laquelle un groupe est le moteur. Inversement, si quelqu'un n'est pas moteur, cela ne veut pas dire qu'il n'est pas négligeable. Nous apportons tous la même contribution au problème.

[...]

Ouvertures d'écoles pendant le lockdown?

Drosten: […] D'un point de vue politique, il faut se demander comment on peut en quelque sorte compenser ce manque d'information, si l'on peut obtenir des données similaires ailleurs [...] Jetons un coup d'œil à l'Angleterre, où les données sont mieux collectées. Je pense que l'essentiel est simplement que vous devez vous débarrasser de ce genre d'argument, [cette] boucle d'affirmation de soi, que les enfants sont exclus du processus d’infection. Au contraire, vous devez dire: c'est là. [...] D'autre part, il y a une valeur très élevée, une valeur idéale, sociale très élevée, on peut presque dire un intérêt juridique très élevé. Et nous devons protéger cela. Nous devons ouvrir les écoles. Même si nous savons que le virus s'y transmet. C'est peut-être la meilleure approche.

[…] Peut-être puis-je ajouter [que] la Charité a également fait une étude qui montre essentiellement le même effet. Où vous pouvez voir: Après le début des vacances d'automne, l'activité infectieuse augmente brusquement. C'était une enquête un peu plus petite, mais vous pouvez déjà le dire: un ou plusieurs élèves infectés se trouvent dans un tiers de toutes les classes. Là aussi, on a lu différentes interprétations à ce sujet dans les médias. Dans certains journaux, il était dit: "C'est super. Peu d'élèves sont infectés."

Hennig: "L'étude de la Charité apporte des preuves", j'ai vu quelque part.

Drosten: C'est un bon exemple de la façon dont la perception des médias est maintenant colorée de la manière la plus variée de toute cette discussion. Pour être honnête, j'aimerais vraiment ne pas continuer à parler de ce sujet scolaire car il y a tellement d'autres types d'expertise qui sont nécessaires maintenant. Il est donc tout à fait juste que les pédiatres disent épidémiologie des infections ou pas, nous voyons les enfants et nous voyons comme ils souffrent. Cela a également des conséquences médicales, à la fois physiques et psychiques. Et en tant que médecins, nous nous intéressons au bien-être de l'enfant dans son ensemble. Les éducateurs, bien sûr, qui réfléchissent à cela de leur côté et qui peuvent également apporter des solutions pour le fonctionnement de l'école, à un moment donné, le virologue est simplement laissé de côté. Ce sujet a maintenant reçu une réponse d'un point de vue épidémiologique.

[...]