jeudi 30 avril 2020

Podcast #17 du 19 mars 2020 à propos de l'étude de Marseille

Anja Martini: Des expériences sont faites à Marseille avec un médicament contre le paludisme. Que pouvez-vous nous en dire?
 
Christian Drosten: La chloroquine est un médicament antipaludique bien connu, et qui n'est pas exempt d'effets secondaires. Nous savons depuis longtemps que la chloroquine agit contre l'ancien virus du SRAS en culture cellulaire. Et cela fonctionne non seulement contre le coronavirus du SRAS, mais aussi contre de nombreux autres virus similaires, comme les coronavirus. La question est, cela peut-il être utile aux patients? On n'a pas pu essayer cela avec l'ancien virus du SRAS car cette connaissance n'a eu lieu qu'après l'épidémie. Mais nous savons dans la recherche que ce n'est pas parce que vous voyez une action d'une substance contre un virus en culture cellulaire que vous pouvez simplement donner cette substance à un patient pour qu'il guérisse. C'est beaucoup, beaucoup plus compliqué. Le médicament doit pouvoir atteindre les poumons où se trouve le virus. Or, nous l'avalons et nous l'avons dans l'intestin ou alors nous le perfusons, et nous l'avons dans le sang. Mais les cellules des poumons, où le virus se réplique, doivent absorber cette substance. [...]
Néanmoins, la culture cellulaire est toujours la première étape dans la découverte de telles substances. [...]
Les virologues ont vu il y a près de 15 ans que la chloroquine pouvait agir. Vous regardez ce qui se passe lorsque vous infectez des cellules avec le virus, ajoutez certaines substances, puis mesurez la réplication du virus dans la culture cellulaire. Parfois, vous pouvez voir que la multiplication du virus diminue soudainement. Fondamentalement, ce n'est qu'une règle de base, mais fondamentalement, il est bon de trouver des substances efficaces dans la culture cellulaire, même dans la gamme nanomolaire basse. [...] Maintenant, bien sûr, la chloroquine est une substance disponible qui peut être essayée. Et cela vient d'être fait à Marseille par un groupe qui a reçu des patients. Et avec un tel essai clinique, la question est toujours: que nous dit cette publication maintenant? Et qu'est-ce qui a réellement été mesuré là-bas?
[...] Malgré toutes les images que nous voyons à la télévision, il faut préciser que la plupart des patients infectés par le virus du SRAS-2 guérissent d'eux-mêmes. [La plupart d'entre eux sans parcours difficile, sans intervention, en deux semaines environ.]
 

[Dans cette étude, on n'a pas tellement pris de cas graves]. Donc, ce que vous avez vu ici est un mélange de cas: des cas bénins, peu de cas graves, et même quelques cas asymptomatiques - on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Dans de tels essais cliniques simples, [on a] un groupe témoin qui ne reçoit pas de traitement et un groupe qui reçoit un traitement. [...] Les patients des deux groupes doivent avoir le même âge, [...] la proportion de personnes légèrement et gravement malades doit être la même dans les deux groupes. Et la question suivante est: quel est le point final? que mesurons-nous maintenant? Quel est notre critère pour savoir si un médicament a fonctionné ou non? Ce que les auteurs de cette étude ont fait: ils ont mesuré la quantité de virus détectable chez ces patients. Voilà donc le critère. Il ne s'agit pas de l'issue clinique de la maladie, mais simplement d'une mesure de la charge virale.
En principe, nous avons maintenant décrit l'étude. Et maintenant, nous entrons dans la zone problématique. [...] La première chose qui a été faite, c'est que la constitution des groupes n'a pas été entièrement laissée au hasard. Ce n'était donc pas une étude randomisée en double aveugle, comme on dit. [Où ni patients ni cliniciens savent qui reçoit la substance]. Cela n'a pas été fait ici. [Ici on a constitué les groupes au fur et à mesure que les gens arrivaient. Il y a donc un groupe de patients de leur propre hôpital]. Et puis il y a d'autres patients qui ont été transférés d'un autre hôpital à qui on n'a tout simplement pas donné la substance parce qu'on n'en avait pas l'autorisation. Et il se trouve que ces groupes sont très différents. Les patients traités sont en moyenne plus âgés (51 ans) que les patients non traités (37 ans en moyenne). C'est une très grande différence. Il y avait également deux patients asymptomatiques chez les patients traités et quatre asymptomatiques chez les patients non traités. Asymptomatique signifie que les patients ne présentent aucun symptôme au moment de leur inclusion dans l'étude. Et vous devez y regarder à deux fois: qu'est-ce que cela signifie quand l'âge est si différent avec autant de patients différents? Cela peut signifier que la méthode de recrutement des patients est très différente qu'il [est plus ou moins facile] d'obtenir un test PCR dans un hôpital que dans un autre. Si c'est plus difficile dans un autre hôpital, alors les patients attendent plus longtemps, ils attendent d'être plus gravement malades. Et ils sont plus âgés en moyenne parce que les personnes âgées tombent plus gravement malades en moyenne.

Vous voyez déjà le serpent se mordre la queue, tout est lié.[...] Nous sommes actuellement dans une situation où il y a deux raisons très différentes d'admission à l'hôpital. Une des raisons est la nécessité d'isoler ceux qui sont infectés. Les patients ne sont donc pas du tout malades, mais le service de santé dit: Veuillez vous rendre à l'hôpital, car le virus est encore rare dans la population et nous voulons l'empêcher de se propager. Et l'autre raison est la maladie. Le patient est malade et a besoin d'un traitement. Ce sont des conditions de base très différentes, ce qui conduit au fait que les patients sont vus à des jours différents. Et [dans cette étude], si vous regardez les symptômes, on voit qu'une sélection des patients a eu lieu. Je réexplique: [On a monté l'étude de telle sorte à faire croire] que le groupe traité avait des conditions de départ pires que le groupe non traité, afin de pouvoir dire: voyez, nous avons traité ici un groupe de patients qui avaient des conditions de départ pires, parce qu'ils sont plus gravement malades, parce qu'ils sont plus âgés et ainsi de suite [...] c'est ainsi que cela est présenté ici: ceux traités sont plus âgés et aussi moins asymptomatiques que dans la cohorte.

Mais il y a un grand mais. Et vous devez en savoir un peu plus sur les patients atteints de cette maladie pour comprendre cela. Et je suis sûr que de nombreux cliniciens qui liront cette étude, ou même des professionnels non médicaux penseront que c'est un très gros message, un très grand message d'espoir avec cette chloroquine. Le gros problème dans cette étude, et c'est la temporalité: à quel jour mesurons-nous si le virus a disparu? Et quel moment choisissons-nous pour faire entrer les patients dans l'étude et à quel moment ils en sortent?


Ici nous avons deux groupes de patients différents, avec des âges très différents: 51 contre 37 ans. Cela m'incite à y regarder de plus près: pourquoi il y a cette différence d'âge? Et puis il n'y a que deux asymptomatiques dans le groupe traité, et dans le groupe non traité, il y a quatre asymptomatiques, alors je me dis que le groupe traité est en fait déjà plus avancé dans la maladie.[...] Cela signifie que nous comparons des pommes avec des poires dans cette étude. Et nous avons ici un problème supplémentaire: ce qui est mesuré ici, c'est la concentration du virus non pas dans les poumons où la maladie survient, mais dans la gorge. Tout au long de l'étude, le virus n'est pas mesuré dans les poumons, mais dans la gorge. Et c'est la plus grande erreur dans cette étude. Nous avons une description très précise d'une cohorte de patients non traités parmi les patients munichois. Et dans le groupe de Munich, nous avons vu comment la concentration de virus dans la gorge et  dans les poumons se comporte au fil du temps. Et nous pouvons dire qu'au début de la maladie, le virus est dans la gorge et qu'il disparaît de lui-même pendant - disons - les dix premiers jours de la maladie. Après cela, de nombreux patients n'ont plus ou peu de virus dans la gorge. Mais cela ne préjuge en rien du comportement du virus dans les poumons, [où il se réplique beaucoup], surtout dans les cas graves. Et nous pouvons également dire que ce que le patient a dans la gorge n'a rien à voir avec la façon dont la maladie évolue ensuite cliniquement. Donc, ce qui est mesuré dans toute cette étude clinique n'a rien à voir avec l'issue de la maladie, ou les symptômes, mais n'est qu'un indicateur sur la façon dont la maladie débute. Pour tous les patients, la concentration du virus diminue au cours de la première semaine, [donc si le groupe traité est plus avancé dans la maladie que le groupe non traité, c'est dans la nature des choses qu'il élimine plus rapidement le virus de la gorge]. Que cela soit dû au fait qu'ils soient traités, cela ne peut pas du tout être dit dans cette étude. Il  en aurait de même si on ne leur avait pas donné de la chloroquine, mais une pilule contre les maux de tête.

Anja Martini: Cela signifie donc que nous devons simplement attendre un nouveau médicament. Il n'y a pas encore grand chose en vue. 


Christian Drosten: [...] je ne veux pas dire maintenant que la chloroquine ne fonctionne pas, [mais on ne peux rien dire à partir de cette étude, à partir de la façon dont elle a été faite]. Des cliniciens de toute l'Allemagne et peut-être du monde entier examineront cette étude et en discuteront, et beaucoup le feront avec peu de connaissances sur l'évolution de la maladie [et vont penser que] c'est totalement convaincant.

mercredi 29 avril 2020

Podcast #20 du 24 mars 2020 étude de Hong Kong (extraits)

Anja Martini: Parlons maintenant d’une étude qui a été publiée qui vient de Hong Kong. Il s'agit du moment où les patients sont infectieux. Que dit exactement l'étude?

Christian Drosten: Il s'agit d'une étude en préprint [nda: cette étude figure maintenant dans Nature medicine]. En ce moment, la publication scientifique est accélérée ; habituellement, le processus d'examen d'une contribution scientifique prend des semaines, voire des mois. Parfois, un scientifique transmet à un journal qui ne l’évalue pas, donc il faut l’envoyer à un autre magazine, qui l'envoie à d’autres scientifiques pour évaluation. Ces examinateurs ont besoin de deux mois, puis les commentaires reviennent. Ensuite, le magazine dit: veuillez retoucher. Et puis les mois passent à nouveau...
Vous ne pouvez pas vous le permettre en ce moment avec cette épidémie. Et c'est pourquoi les articles scientifiques se retrouvent en ligne tels qu'ils ont été écrits sur des serveurs dits de préimpression. Il y en a deux très gros, appelés Bio Archives et Med Archives. Il faut faire un gros tri, car ce ne sont pas des articles scientifiques évalués par des pairs. Il y a beaucoup de choses qui ne survivront pas au processus d'évaluation. Ce que je fais durant mes instants de liberté, c’est de regarder ce qui émerge. Je commente ici les études qui, à mon avis, sont d'une telle qualité qu’elles survivront à un processus d'examen, comme cette étude ici. Elle vient de Hong Kong d'un groupe de modélisation épidémiologique très connu, celui de Gabriel Leung. Quand est-ce que cette maladie devient réellement infectieuse? Avant les symptômes, avec les symptômes ou après les symptômes? L'ancienne épidémie du SRAS était facile à contenir car on ne devenait vraiment infectieux que longtemps après l'apparition des symptômes. 


Anja Martini: Donc, c'était facile de reconnaître si quelqu’un était infecté.

La contagiosité débute avant le début des symptômes

Christian Drosten: Exactement. Et nous avons notre propre étude, qui a été publiée sur un serveur de préimpression depuis des semaines et a fait l'objet de nombreuses discussions, mais qui n'est toujours pas officiellement publiée dans une revue scientifique. Cette étude avait déjà montré que le virus se réplique dans la gorge dans les premiers stades de l'infection et que le virus est détectable par les tests dès les jours un et deux mais qu’ensuite il descend vers les poumons. Donc, plus vous attendez et moins on détecte de virus. Ces auteurs sont arrivés à la même conclusion avec un groupe de 94 cas dans le Guangdong, c'est-à-dire dans le sud de la Chine près de Hong Kong. Donc un groupe plus important que le nôtre (celui de Munich). Ils ont vu que la présence du virus dans la gorge diminuait après premier jour. Cela signifie que le pic se situe avant le premier jour. Ensuite, ils ont fait quelque chose de très intéressant du point de vue épidémiologique: ils ont également examiné les cas de transmission à partir de 77 patients infectés, et ont regardé quel laps de temps il y avait entre le début des symptômes chez une personne et le début des symptômes chez une autre personne (« Serial Interval » en anglais). La médiane est de 5,2 jours, la moyenne de 5,8, c'est donc une distribution quelque peu asymétrique, mais avec des valeurs moyennes très proches, c'est-à-dire que cet intervalle est de 5,2 à 5,8. Et autre chose intéressante: Ils ont également calculé le temps d'incubation: 5,2 jours en moyenne. Ceci est bien sûr intéressant car nous avons ici un phénomène où l'intervalle est pratiquement aussi long que la période d'incubation. Cela signifie que nous avons non seulement un début de transmission le jour du début des symptômes, mais probablement aussi avant cela. [...] le pic de fréquence de l'infectiosité est même une demi-journée avant le début des symptômes, en moyenne. Et dans la masse des infections, il y a probablement tellement de virus (de charge virale) que l’on peut dire que l'infectiosité commence en moyenne deux jours et demi avant le début des symptômes. On peut supposer que 44% des infections ont eu lieu avant que la personne infectée ne soit même malade. 

Anja Martini: Cela signifie que la distanciation sociale est une bonne solution, n'est-ce pas? 

Christian Drosten: Absolument. Bien sûr, cela signifie également que si vous vous enfermez immédiatement à la maison dès l’apparition des symptômes, vous avez déjà infecté d’autres personnes. Cela signifie donc qu'avec les règles normales de protection contre les infections, vous ne pouvez pas contenir cette maladie. Il doit y avoir une distanciation sociale ce qui implique un changement de comportement. Reconnaître des symptômes pour isoler des malades ne fonctionnera tout simplement pas avec cette maladie.

lundi 27 avril 2020

La modélisation de l'Imperial College. Podcast #16 du 18 mars (extraits)

Korinna Hennig: Monsieur Drosten, jetons un coup d'œil aux recherches en cours. L'Imperial College de Londres vient de publier une modélisation, c'est-à-dire une extrapolation ou une prévision du nombre d'infections et de décès en utilisant l'exemple de la Grande-Bretagne et des États-Unis. À l'âge de 60 ans, plus d'une personne infectée sur quatre devrait se retrouver en soins intensifs. Que pensez-vous de ce calcul? 

Les hypothèses de travail du modèle britannique

Christian Drosten: Je pense que c'est une étude très importante. Il s'agit probablement d'une des études à l'origine des décisions politiques du Royaume-Uni. Dans cette étude, des hypothèses sont faites - et c'est toujours le cas dans ces études de modélisation. Dans ce modèle, les plus petits détails ont été programmés. Par exemple, on suppose que la période d’incubation est de 5,1 jours en moyenne, ce qui est certainement exact. On pense que l'infectiosité chez les patients symptomatiques commence douze heures avant le début des symptômes. Je serais également d'accord avec cela. Je dirais presque que ça commence probablement un jour avant le début des symptômes, mais je ne peux le dire que sur la base de données de laboratoire, bien que l'étude sur la contagiosité de Munich suggère quelque chose comme ça. On suppose aussi que les deux tiers de tous les cas sont symptomatiques. Donc un tiers des personnes ne remarquent pas l'infection ou du moins ne la prennent pas au sérieux tant les signes sont bénins. 

Korinna Hennig: Comme un petit mal de gorge? 

Christian Drosten: Oui, voilà. On suppose donc que seulement deux tiers des cas restent confinés à la maison, avec ou sans test. On suppose un taux de mortalité par infection - pas le taux de mortalité par cas, car les personnes infectées passent inaperçues - de 0,9 %. 

Korinna Hennig: Mais c’est un facteur important, les personnes infectées non détectées. 

Christian Drosten: C'est vrai, c'est un facteur important. Mais nous ne savons pas si c'est vraiment un tiers, c'est juste une estimation. Vous pouvez voir à partir de cela que de telles estimations sont courageuses, qu'elles peuvent être complètement fausses et qu'elles peuvent avoir des effets extrêmes à l’issue du calcul. C'est toujours le problème avec les modèles, à certains endroits vous devez paramétrer des estimations. Donc là, vous avez un calcul qui semble extrêmement compliqué, et soudain, il y a une approximation importante: Oui, nous avons demandé à un expert et il l'a apprécié. C'est le problème avec de telles études. Mais passons. Donc, les deux tiers des cas sont symptomatiques, c'est une estimation. La mortalité par infection est de 0,9 %. Dans une autre étude du même groupe, récemment publiée, l'estimation n'était que de 0,6%. Ce sont à peu près les chiffres que nous avons toujours donnés dans ce podcast. Ensuite, ils supposent un taux d'hospitalisation de 4,4% de personnes infectées qui se rendent à l'hôpital. C'est possible. 

Korinna Hennig: Mais cela ne signifie pas en soins intensifs, juste aller à l'hôpital. 

Christian Drosten: Exactement. Et puis ils estiment qu'un tiers de ceux qui vont à l'hôpital ont besoin de ventilation. Je pense que c'est un chiffre élevé. Mais ils supposent également que vous pouvez convertir cela à 1,32% de toutes les personnes infectées. Et c'est peut-être le cas, je ferais moi-même également de telles estimations. Ensuite, on suppose que 50% des patients ventilés mourront dans l'unité de soins intensifs. Cette valeur est calculée en fonction de la structure par âge de l'Angleterre, on suppose ici qu'une très forte proportion de personnes âgées sera concernée par une ventilation mécanique. Je ne sais pas exactement ce qu’il en serait en Allemagne. Mes amis, qui sont des médecins de soins intensifs me disent qu'ils supposeraient que 30 à 40% des patients dans ce cas mourraient en soins intensifs en Allemagne, et non 50%. Mais moi, je ne peux pas me prononcer. Et puis il y a d’autres paramètres auxquels on peut penser ici, il y a des considérations telles que la mise en quarantaine. Donc, supposons qu'il y a un cas dans une famille et que tous les membres doivent rester à la maison pendant 14 jours. Selon l'étude, seulement 50% des ménages y adhéreraient. Je pense que c'est une hypothèse un peu raide. Donc, si vous savez qu'il y a un cas et que le service de santé dit que tout le monde doit rester à la maison, je ne peux pas imaginer que la moitié d'entre eux ne le feraient tout simplement pas. 

Korinna Hennig: Vous venez de faire une petite comparaison concernant les décès, citant vos collègues. Dans quelle mesure pensez-vous que cela est transférable à l'Allemagne? Cette étude porte sur la Grande-Bretagne et les États-Unis. 

Christian Drosten: Exactement. Je pense que c'est assez transférable à l'Allemagne. Je ne pense pas que les Anglais soient si différents de nous. Il existe certaines différences dans le système de santé, par exemple nous avons une très bonne et forte capacité de ventilation en soins intensifs. Et quelle combinaison de mesures devons-nous prendre ? Si on n’isole que les personnes positives, ainsi que toute sa famille pendant 14 jours et qu’on éloigne les plus de 70 ans, mais que le reste de la population continue de vivre normalement et que les écoles restent ouvertes. Dans ces conditions, vous pourriez vous attendre à avoir huit fois plus de cas à ventiler que les capacités. Cela signifie que vous avez une situation italienne. Avec un tri des patients à ventiler. 

Ne pas attendre une immunité de groupe

Korinna Hennig: Donc, ce n'est pas gérable. Beaucoup de nos auditeurs nous ont demandé: Ne serait-il pas logique d'isoler complètement les patients âgés et de permettre aux autres de développer l'immunité collective en attendant? Mais ces chiffres sont clairement contre. 

Christian Drosten: En effet, ils disent donc que vous pouvez oublier cela. Pour que la vie puisse continuer comme avant, seules les personnes infectées et leurs familles sont maintenues à la maison. Et en principe, les personnes âgées de la population sont prises en charge, mais ne doivent pas quitter la maison - et cela pendant trois mois, c'est l'hypothèse ici. Cela ne mène à rien, sauf si vous voulez accepter la même situation qu'en Italie. Et je ne pense pas que nous voulions l'accepter. […] [Dans les faits, actuellement en Allemagne, nous sommes déjà tous à la maison. Les écoles sont fermées et les gens travaillent à la maison. 

Korinna Hennig: Le modèle britannique doit être mis en œuvre sur une longue période] 

Christian Drosten: Plus de cinq mois. Et quelle décision politique prendre ? Faut-il vraiment fermer les écoles et les universités? Il y a les deux variantes dans le modèle, c'est à dire avec ou sans fermeture des écoles, et dans les deux cas vous pouvez retarder les infections, donc aplatir la courbe, comme on dit. Mais avec la fermeture des écoles, c’est beaucoup plus efficace. En lisant entre les lignes, il est clair que la fermeture des écoles est beaucoup plus efficace que la seule mise en quarantaine des familles. [...] [Le message caché de cette étude est qu’il faut fermer les écoles et les universités, puisque les mises en quarantaine des familles ne sont pas respectées par tous.] Et encore plus important: cela doit être maintenu pendant cinq mois. Et c'est extrêmement long, c'est vraiment difficile à mettre en œuvre. Et il est également dit que si on abandonne les mesures au bout de 5 mois, l’infection revient, en tant que vague d'hiver. C'est quelque chose que nous devons absolument éviter, car alors nous n'aurions pas gagné grand-chose. Nous n'aurions que différé le problème dans le temps.Bien sûr, ce décalage pourrait être une victoire si on trouve une nouvelle façon de résoudre le problème.


Un "stop and go" durerait deux ans
 
[est-ce qu’on pourrait imaginer des périodes alternant fermeture puis réouverture des écoles, en attendant un vaccin ou un médicament?]


Christian Drosten: Cela vaut la peine d’y réfléchir: pourrait-on faire quelque chose comme ça? Et ce qui en ressort, c'est que vous pouvez le faire. Le nombre de cas graves peut toujours être maintenu dans une fourchette basse. Mais cela prendrait deux ans, c'est impensable. Le message de cette étude est finalement: nous avons besoin d'autre chose, nous devons faire quelque chose. Eh bien, nous pouvons certainement le faire, aussi en Allemagne. Nous pouvons maintenant vraiment aplanir la courbe et réduire le nombre de cas dans les prochains mois, jusqu’au début de l'été, afin de ne pas saturer le système de soins et veiller à ce que tous ceux qui en ont besoin puissent être ventilés.

Nous pouvons le faire, mais nous devons également trouver autre chose. Nous devons trouver un vaccin ou un médicament à donner aux personnes âgées.


[Ce qui suit est un plaidoyer pour que le circuit d’autorisation de mise sur le marché des vaccins soit simplifié.]

samedi 25 avril 2020

Podcast #35 du vendredi 24 avril: vaccin testé/ immunité préexistante?

Je ne traduirai pas la première partie de l’interview, qui porte sur le fait de savoir si le lockdown a eu une utilité sur le taux de reproduction en Allemagne.
Pour résumer : certains disent que le R en Allemagne était déjà en train de baisser lorsque les commerces ont été fermés (le 23 mars) et jugent que ces mesures étaient donc inutiles. Drosten estime que les gens avaient commencé à rester chez eux avant la mise en œuvre de ces mesures par les autorités, ce qui explique cette baisse des contaminations par chaque individu. Il existe des données de téléphonie mobile qui montrent que la circulation des personnes s’est fortement réduite dès le 9 mars.

Vaccin: premiers essais en Chine

Vaccin testé sur des singes rhésus

Korinna Hennig: Avant-hier, nous avons appris que la première étude clinique de vaccin en Allemagne sur des sujets humains a été approuvée. Mais il y a aussi un projet de vaccin à Pékin qui retient actuellement l'attention. Huit singes rhésus ont été vaccinés puis infectés par le coronavirus, avec un vaccin inactivé. Donc, une procédure très conventionnelle comme pour la vaccination contre le tétanos, non?

Christian Drosten: Oui, c’est vrai qu’il y a des essais depuis longtemps et nous avons maintenant un premier rapport de données sous forme de manuscrit. Cela a reçu beaucoup d'attention. Nous en avons déjà parlé dans ce podcast: Un vaccin inactivé est la chose la plus facile à faire. Vous laissez le virus grandir en culture cellulaire et vous le tuez – ici cela a été fait avec un produit chimique – vous ajoutez un adjuvant et vous le transformez en vaccin. Nous avons dit dans les épisodes précédents qu'il existe certaines craintes lorsque vous prenez un vaccin inactivé : il peut y avoir une sur-réaction du système immunitaire au lieu d'une protection contre la maladie.
[...]
[Faire un vaccin inactivé] n'a pas été envisagé en Allemagne ou en Amérique, car un tel vaccin est considéré comme une chose risquée. De nombreuses autres variantes ont été choisies dès le départ.

Korinna Hennig: Jusqu’à maintenant on a entendu qu’il fallait 12 à 18 mois pour développer un vaccin, est-ce pareil avec un tel vaccin ?

Christian Drosten: Tout d'abord, un vaccin inactivé peut être produit rapidement car le virus est là, tout simplement. Vous avez des isolats de virus. Et l'un des plus grands défis de la production de vaccins dans son ensemble, plus tard, lorsque vous avez un vaccin approuvé, c'est que vous devez faire d'énormes quantités. Plusieurs centaines de millions de doses pour les populations.

Korinna Hennig: Même dans les pays où les capacités sont plus faibles, la production d’un vaccin inactivé est relativement simple.

Christian Drosten: Exactement. Il existe déjà des installations de production pour fabriquer le vaccin contre la polio. Les installations de production sont nombreuses, même dans les pays moins développés. Il existe également d’autres installations de fabrication qui peuvent produire de tels vaccins : en médecine vétérinaire par exemple. Mais il y a aussi de nombreuses objections à cela - de mauvaises expériences qui ont été faites, en particulier avec les vaccins contre les coronavirus, en raison de cette amélioration immunitaire de la maladie.
Néanmoins, une usine de fabrication chinoise, Sinovac, vient de le faire. Cela a déjà été annoncé dans la littérature scientifique, par exemple dans la revue "Science". Nous avons maintenant les premiers résultats. Cette étude décrit les expériences sur animaux qui l'accompagnent pour savoir s'il existe une réponse immunitaire.
Dans cette phase de l’étude, les essais sur les humains sont déjà en cours en Chine. Pourquoi cette décision a-t-elle été prise? Vous pouvez le voir ici dans la publication. Il a apparemment été constaté au préalable sur la base d'expériences sur des animaux que de tels problèmes sur l’immunité ne se posent pas directement avec ce vaccin. On a d’abord observé ce qui s'est passé chez les rongeurs, d'abord des souris et des rats. On voit que ces animaux fabriquent assez bien des anticorps neutralisants. Ces souris ont été vaccinées deux fois, à J0 et à J7, et elles ont vu leurs anticorps augmenter. Et vous obtenez des anticorps neutralisants considérables dans les tests de laboratoire, qui sont vraiment de bonnes valeurs. Mais maintenant, nous savons que les essais avec de telles préparations sur des rongeurs se déroulent toujours très bien. Cependant, cela n'a pas été fait dans cette étude. Aucun rongeur n'a été exposé à une haute dose, pour la raison très simple, c’est que ce virus ne se réplique pas bien ou pas du tout chez les rongeurs.

Korinna Hennig: On n'a regardé que les anticorps.

Christian Drosten: On a cherché à voir si des anticorps apparaissaient. Ensuite, on est allé plus loin et on a infecté un autre animal dans lequel le virus s'est répliqué, des macaques rhésus, des singes rhésus. Quatre animaux ont été vaccinés avec un vaccin inactivé, comme on vaccinerait une personne: aux jours 0, 7 et 14. Donc une fois, puis la semaine suivante, puis une semaine plus tard. C’est ce qu’on fait dans la vaccination humaine avec de nombreux vaccins inactivés. Parfois, les injections se font à J0, puis J14 et deux mois plus tard. Mais ici, les animaux ont été vaccinés à J0, J7 et J14 et on a observé une très bonne production d'anticorps neutralisants dans l'ensemble. Le niveau d'anticorps neutralisants est inférieur à celui des rongeurs, mais ce n'est pas si surprenant. Chez l’humain aussi on observe un faible niveau d’anticorps par rapport à d’autres infections. On a fait un groupe de singes qui a reçu une dose plus importante que l’autre. On a ensuite inoculé une forte concentration de virus, plus importante que celle que nous humains n’obtiendrions dans des conditions naturelles. Le singe a reçu un million d'unités infectieuses du virus avec un tube directement dans la trachée. Cela se fait sous anesthésie chez les animaux. Ce sont des expériences animales très spéciales. Je n'ai jamais observé une telle expérience animale de toute ma carrière, ni même observé. C'est quelque chose pour les spécialistes de la recherche sur les vaccins qui se font en dernier recours. C'est vraiment exceptionnel. C’est pour ça qu’on n’a utilisé que quatre singes. Dans les expériences sur des souris de laboratoire, on utilise un plus grand nombre d'animaux afin de pouvoir avoir des valeurs moyennes.

Korinna Hennig: Mais il y avait un groupe témoin puisque vous avez mentionné huit animaux au début.

Christian Drosten: Oui, c'est vrai. Bien sûr, il existe des groupes de contrôle. Ce qui a été constaté, c'est qu'il y avait une protection claire à la fois dans le groupe qui a reçu une forte dose ainsi que dans celui ayant reçu peu de virus. Les animaux ont ensuite été sacrifiés et disséqués. Cela signifie qu'ils sont tués sous anesthésie et que les poumons sont examinés de près ainsi que tous les autres organes, de sorte que des données précises peuvent être obtenues à partir de ces expériences. Et là, les poumons étaient complètement protégés alors qu'il y avait encore un peu de virus présent. Avec la dose élevée du vaccin, il ne restait plus de virus, pas même un soupçon de réplication virale. Il n'y a pas non plus de signe d'une quelconque amélioration immunitaire en laboratoire. Il y a des signes clairs qui peuvent être obtenus avec des tests de laboratoire, c'est-à-dire certains tests immunitaires sur les cellules immunitaires. Ils ont été faits aussi. Aucune preuve d'amélioration au sens d'une observation d'amélioration dépendante des anticorps, comme cela a été vu dans le passé avec d'autres vaccins anti-coronavirus.

Korinna Hennig: Donc, pas de réaction dangereuse du système immunitaire, de réaction excessive.

Christian Drosten: Exactement. En tant que scientifique, on peut critiquer certains détails de cette expérience. Il y a des aspects secondaires qui sont intéressants. Par exemple, on a regardé: les anticorps neutralisants produits fonctionnent-ils également contre les virus du monde entier? Parce qu'entre temps les virus ont un peu évolué. Oui, ils fonctionnent contre les virus du monde entier. Cela peut également être dit ici. À la fin de cette étude, vous êtes un peu étonné. Je suis sûr que cela suscitera des discussions dans le monde de la vaccinologie, mais aussi dans la société. On doit y regarder de plus près maintenant. Il n'est pas nécessairement plus rapide de fabriquer un vaccin inactivé. D'un virus de semence, d'un virus initial à une préparation qui pourrait ensuite être utilisée pour les premiers essais cliniques après l'expérimentation animale et ainsi de suite, cela prend aussi du temps. Mais c'est le fait que les installations de production d'un tel vaccin soient déjà très largement disponibles dans le monde, même dans des pays moins développés, ainsi qu’en médecine vétérinaire. Cela mérite réflexion.

Korinna Hennig: Cela signifie que les choses pourraient aller rapidement à partir du moment de l'approbation. Nous parlons de production, où l'avantage décisif peut être obtenu?

Christian Drosten: Démarrage d'une très grande production - plusieurs millions de doses, et dans de nombreux pays en même temps. Et pas un vaccin d'un fabricant produit et vendu de manière centralisée à partir de deux ou trois pays. Le savoir-faire pour cela n'est pas un savoir-faire difficile. De nombreux pays en ont la connaissance.

Korinna Hennig: Le vaccin allemand qui a défrayé la chronique avant-hier concerne une variante génétiquement modifiée. Est-il en fait fondamentalement concevable, pour le profane, d’avoir des approches si différentes concernant un vaccin contre le coronavirus SRAS-2?

 Christian Drosten: Dans des pays comme l'Allemagne, il est certain que toute une gamme de vaccins sera disponible à la même période l'année prochaine. Peut-être que les premiers seront disponibles un peu plus tôt que l'année prochaine à cette époque. Je ne veux pas faire de déclarations précises maintenant.

 Korinna Hennig: Mais on espère!

Christian Drosten: Je ne suis pas chercheur en vaccins, ce n'est pas du tout mon domaine. La virologie elle-même est un peu au centre de toutes les problématiques :épidémiologie, modélisation mathématique, recherche vaccinale. Ce sont tous des sujets spécifiques. En tant que virologues, nous pouvons comprendre un peu de tout ça, mais nous ne pouvons pas tout faire. Donc, ici, il y aura différents vaccins. Et ce que nous avons d'abord dans les essais cliniques en Allemagne, c'est l'autre côté du spectre. Ce sont des vaccins à la pointe de la technologie qui ont certainement une perspective. Mais un vaccin inactivé peut être produit partout dans le monde.


Préprint de la Charité sur une immunité préexistante

Korinna Hennig: Jetons un coup d'œil sur votre domaine de recherche. À la Charité, avec votre équipe, vous avez étudié une des grandes questions du moment : pourquoi y a-t-il tant de cas bénins? Et pourquoi certaines personnes ne s’infectent-elles pas malgré un contact étroit avec des personnes infectées? Vous avez examiné l'importance des lymphocytes T régulateurs, qui peuvent jouer un rôle. Donc les cellules sanguines qui servent le système immunitaire. Qu'avez-vous découvert?

Note de l'auteur du blog: je n'y connais strictement rien à tout ce qui va suivre, je me suis contentée d'améliorer le texte généré par Google translate.

Christian Drosten: Oui, il y a une autre discipline, l'immunologie. Ce n'est pas la même chose que la virologie. Nous n'avons que peu contribué à cette étude. C'est en fait le laboratoire d'Andreas Thiel ici à la Charité qui a fait une étude intéressante. Les cellules T auxiliaires ont été examinées pour leur réactivité à ce nouveau coronavirus. Chez les patients qui venaient de survivre à une infection au SRAS-2, on s'attend à ce que non seulement il y ait des anticorps - c'est la réponse immunitaire adaptative - mais également à des cellules T qui indiquent l'immunité cellulaire, et qui influencent et améliorent la capacité à former des anticorps. Ils sont au cœur de la réponse immunitaire. Mais vous ne pouvez pas les mesurer par de simples tests d'anticorps. Ce qui est discuté en public ce sont de simples tests d'anticorps qui peuvent traiter un grand nombre d'échantillons. Mais il est également possible de regarder de plus près la réponse immunitaire adaptative. C'est ce que font les immunologistes en utilisant les cellules T.

Dans cette étude, des morceaux du virus du SRAS-2 sont produits artificiellement en laboratoire - des peptides, disons-nous. Ces peptides sont d'une taille adaptée pour recouvrir certaines structures à la surface des lymphocytes T et être reconnus par ces lymphocytes T pour qu'ils commencent à envoyer des signaux. Ces signaux sont mesurés dans un test de laboratoire. La réactivité de ces cellules T peut en fait être attendue lorsque vous avez cette maladie derrière vous. Ce qui a également été demandé dans l'étude est: qu'en est-il des patients qui n'ont pas encore eu cette maladie? Donc, pour les cellules T qui ont été collectées auprès de patients avant cette épidémie. Et de manière surprenante - ou peut-être pas si surprenante pour ceux qui s’y connaissent -, il a été constaté que 34% des patients ont des lymphocytes T réactifs, bien que ces patients n'aient jamais été en contact avec le virus du SRAS-2. Il est maintenant possible de prédire ces sections stimulant les cellules T d'un tel virus. Et vous pouvez les comparer à des sections similaires dans d'autres virus, en particulier les coronavirus humains responsables des rhumes. Il y en a quatre. Et cela a été fait. En fait, il faut dire qu'il existe de telles sections dans les coronavirus du rhume. Ils pourraient stimuler de telles cellules T et en même temps, elles sont dans une certaine mesure cohérentes entre le coronavirus commun et le virus SARS-2.

Korinna Hennig: Cela signifie-t-il qu'il y a une explication à une immunité préexistante? Si j'ai été infecté par un autre coronavirus du rhume, cela peut-il me protéger contre le SRAS-CoV-2? 

Christian Drosten: Oui, comme vous le dites, c'est tout à fait possible. Il n’est pas possible de dire: Nous avons observé dans notre étude une éventuelle immunité chez 34% des patients, donc 34% de la population est déjà immunisés et peut être retirée des 70 % qui doivent être infectés et que la pandémie est bientôt terminée, hourra !

 Korinna Hennig: Ce serait bien !

 Christian Drosten: Mais ça n’est pas le cas. C'est une erreur typique. Le fait est que nous observons que bien qu'il s'agisse d'un virus dont de nombreuses personnes meurent, il existe également de nombreux cas bénins, voire totalement inaperçus. Nous devons également trouver des explications pour lesquelles ces cas sont si bénins. Une explication pourrait être que les cas bénins peuvent avoir reçu moins de virus au début de l'infection. Ou que dans l'ensemble, ils sont dans une meilleure condition. C'est peut-être vrai. Mais ce dont nous parlons actuellement, pourrait également être ajoutée: il existe une certaine immunité de fond dans la population. Mais cela ne change pas le nombre de patients décédés. Parce que le nombre de patients décédés est une observation de la réalité dans laquelle il existe cette immunité de fond. Nous commençons à connaître cette partie de la réalité.

Korinna Hennig: Mais cela peut être une explication pour l'individu. Donc, si je vis dans un ménage avec quatre autres personnes dans une famille et deux ne sont tout simplement pas infectées, cela peut rester ainsi.

Christian Drosten: Exactement. Même à ce soi-disant taux d'attaque secondaire, c'est peut-être 15% des personnes infectées dans le ménage au cours de la période d'observation. L'une des explications pour lesquelles le reste du ménage n'est pas infecté pourrait être qu'ils ont une immunité de fond. Mais il y a certainement d'autres raisons. Peut-être qu'ils n'avaient pas autant de contacts à l'époque infectieuse. Ou qu'ils n’ont pas reçu la même dose infectieuse du virus. Ou si l'on prolongeait cette période d'observation ils seraient également infectés. Tous ces effets statistiques sont certainement également importants. Il se peut seulement que cette immunité contre les lymphocytes T assure une protection. Par exemple, nous avons récemment discuté de cette bonne étude dans le village italien où la moitié des patients étaient déjà infectés, mais ils étaient complètement asymptomatiques. Là aussi, on pourrait chercher une explication selon laquelle il pourrait s'agir de patients ayant une immunité de fond. Cependant, il faut également dire que cette étude a révélé que les patients symptomatiques et asymptomatiques excrètent et transmettent la même concentration virale, de sorte qu'il est peu probable qu'elle soit liée au processus d'infection. Je dois dire autre chose. Il y a des cas où il y a même une réactivité des cellules T qui est en arrière-plan, qui aggrave au lieu de protéger de la maladie.
On ne peut rien dire pour le moment, c'est juste une observation immunologique très intéressante. On peut maintenant commencer à poser d’autres questions, comme par exemple : si nous avons collecté des cellules T de toute une famille et que le virus arrive, on peut revenir aux échantillons stockés et demander: Il a été infecté, à quoi ressemblaient les cellules T à l'époque? Et l'autre n'était pas infecté. À quoi ressemblaient ses cellules T? C’est un exemple d’approche qui est maintenant possible.

Korinna Hennig: Si je suis dans une famille où le père est infecté, deux enfants peuvent avoir été infectés avec de légers symptômes. Mais pas la mère. Puis-je supposer que si une telle approche est effectivement confirmée, elle ne pourra plus s’infecter? Elle peut ensuite rendre visite à ses grands-parents ou est-ce entièrement hypothétique?

Christian Drosten: C'est possible, mais il est également possible qu’elle soit asymptomatique. Nous pensons que cette réactivité préexistante des lymphocytes T aide même à produire des anticorps particulièrement bien et rapidement. Nous avons également une large gamme de production d'anticorps. Certains patients produisent des niveaux très élevés d'anticorps, et d’autres non, avec la même dose infectieuse. Cette variation pourrait également s'expliquer par une immunité de fond préexistante. Cela pourrait également expliquer la très large gamme de variation des anticorps neutralisants. Il se pourrait que les patients avec des anticorps préexistants génèrent des anticorps neutralisants de manière meilleure et plus rapide.

Korinna Hennig: Mais quand il s'agit de savoir si on est porteur asymptomatique, cela n'a pas été clarifié?

Christian Drosten: Pas du tout. Pas du tout. Je le dis aussi un peu pour éviter que de telles études - y compris cette étude ici - ne soient mal interprétées. On ne peut pas tirer de conclusions quant à l’avenir de la pandémie en Allemagne à partir d’informations scientifiques aussi simples.




vendredi 24 avril 2020

Podcast #34 du mercredi 22 avril: contagiosité/ mortalité/Allemagne/France/mutations

La contagiosité

Korinna Hennig: Je voudrais brièvement évoquer notre dernier épisode d'avant-hier. Nous avons récemment parlé de l'étude concernant l'infectiosité - également d'après vos propres investigations – et la question qui se pose est: dans quelle mesure une personne malade est-elle contagieuse, et pendant combien de temps? Pour vous, c’est clair: les plus contagieux le sont la veille du début des symptômes et pendant quatre jours (ou au plus tard au bout de sept jours), ensuite ils ne sont apparemment plus contagieux. Le virus ne peut alors être détecté que comme matériel génétique. Des questions de compréhension se sont posées, car de nombreux patients ne se rendent à l'hôpital que lorsque les choses vont mal, souvent après une semaine. Et pourtant, nous avons toujours du personnel hospitalier infecté. Quelle nécessite pour eux d'être équipés d'un matériel de protection lors de la prise en charge des patients Covid 19?

Christian Drosten: Cela va de pair dans la mesure où ces enquêtes, auxquelles je fais référence, sont des enquêtes sur les modes de transmission, en particulier dans les familles. Donc dans un environnement normal, pas à l'hôpital. Cela signifie que si vous deviez faire une étude exclusive sur le personnel hospitalier, cela pourrait être un peu différent - j’en dirai plus dans un instant. Donc, cette étude - et ce n'est pas seulement une seule étude, il y a une ou deux autres études qui confirment également pleinement cela, qui disent qu'environ 44% de la transmission se produit avant le début des symptômes et que la probabilité de transmission la plus élevée se situe la veille du début des symptômes. Quatre jours après le début des symptômes le risque de transmission est terminé et quasiment exclu plus d'une semaine après le début des symptômes. Je ne donne délibérément aucun chiffre ici. Ce sont des calculs issus de modèles, dans lesquels probabilités sont calculées.

Maintenant, revenons à l'hôpital: il y a une discussion ouverte en ce moment sur le fait de savoir si un patient intubé est contagieux, s'il l’est au début de l'intubation – cette dégradation de l’état du patient se produit souvent après une bonne semaine – s’il l’est encore après quelques jours ou à la fin de la phase de ventilation. De nouvelles questions se posent dans la pratique clinique car, par exemple, le sevrage du ventilateur peut souvent être effectué dans des services qui ne sont pas au cœur de l'unité de soins intensifs. Là où vous devez maintenant vous habituer à respirer normalement. Il s'agit d'un problème distinct de soins intensifs. Si vous saviez que les patients n'étaient plus infectieux dans cette phase tardive, vous pourriez le faire dans des stations de sevrage spéciales. Nous sommes actuellement en train de refaire des tests sur ces patients. En revanche, le moment où un patient est intubé est probablement le début d'un parcours plus difficile, c'est-à-dire quand un patient est sur le point d'entrer dans l'unité de soins intensifs, à la fin de la première semaine. Pendant l'intubation, il y a une connexion plus directe avec les voies respiratoires profondes, où le virus se multiplie vraiment. Nous pensons que cette procédure médicale d'intubation, par exemple, présente un risque particulier pour le personnel médical, de sorte que vous devez vous protéger. C'est aussi la discussion que nous continuons d'avoir, que la situation d'exposition du personnel médical à l'hôpital est spéciale et que par conséquent des masques respiratoires spéciaux doivent y être utilisés, mais qui ne devraient pas être utilisés à l'extérieur de l’hôpital - en raison des problèmes d’approvisionnement d'une part, mais aussi parce que ces niveaux de protection plus élevés tels que les masques FFP2 et 3 ne peuvent pas être achetés du tout.

Quelles lésions?

Korinna Hennig: Dans tous les journaux, les médias en ligne ou dans les études scientifiques, on évoque des lésions pulmonaires à long terme. Que fait le virus dans les poumons ? Il y a des rapports d'Innsbruck, par exemple, sur des dommages aux poumons. On parle d'embolie pulmonaire, mais aussi d'anomalies neurologiques. «Science» parle également d’atteintes rénales. La recherche étudie-t-elle déjà systématiquement ces cas? Avez-vous une idée? Ou s'agit-il toujours de rapports de cas uniques, mais qui ne sont pas vraiment significatifs? 

Christian Drosten: Non, il y a des études observationnelles cliniques, surtout maintenant. Ce que vous évoquez là, ce sont des histoires assez compliquées. L'histoire des troubles de la coagulation sanguine qui conduisent à de petites zones d'embolie pulmonaire est initialement une observation de la médecine des soins intensifs. Il existe maintenant des études observationnelles, non seulement en un seul endroit, mais dans de nombreux endroits où cela est étudié. Cela conduit à des dommages des tissus pulmonaires en général, et à des dommages plus durables à l'échange de gaz. Vous devez alors vous demander s'il y a des cicatrices ou une fibrose pulmonaire. Cela fait l'objet d'une enquête plus approfondie. Il en va de même pour les conséquences neurologiques. Il existe des preuves que ce virus peut provoquer une encéphalite, une inflammation du parenchyme cérébral, une inflammation des tissus cérébraux. Que fait le virus dans le cerveau? A partir de ces premières observations, on se demande également quels sont les autres phénomènes neurologiques. Par exemple, il a très fréquemment été signalé une perte d'odorat, qui est également un dommage neurologique. Le bulbe olfactif qui atteint le haut du nez fait partie du système nerveux central. En principe, c'est l'extension du nerf olfactif. Et cela fait partie du cerveau. Nous avons une connexion directe entre le cerveau et l'environnement extérieur. Notre anatomie empêche les agents pathogènes d'y pénétrer. Mais un tel virus se propage dans la substance cellulaire. Il existe également des données avec d'autres virus, par exemple avec la grippe, ou le virus de la rage, que l’on soupçonne de pénétrer dans le cerveau par cette voie. En observation clinique, par exemple dans le cadre de coupes anatomiques ainsi que dans le domaine de l'expérimentation animale, on se demande maintenant de quoi il s'agit. Le virus pourrait-il y arriver de cette façon?

Korinna Hennig: Cependant, au moins maintenant, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, n'est-ce pas? 

Christian Drosten: Non, ce sont des observations faites sur de rares cas et qu’on ne peut pas généraliser. Vous voyez ces cas rares et ensuite vous vous demandez si cela se produit aussi de façon atténuée dans les autres cas, ça fait partie des hypothèses dans les études d'observation cliniques. Mais on sait que ce n'est pas le cas chez les personnes qui ont survécu à cette maladie, et il y en a heureusement déjà beaucoup. Ce qui est déjà connu, c'est que cette perte d'odorat peut durer quelques semaines.

La mortalité

 Korinna Hennig: Dans la tête des gens il y a la conviction que le pire est déjà passé. On se demande quand est-ce que les crèches vont-elles enfin rouvrir? Vous avez examiné les chiffres de la Grande-Bretagne, ainsi que ceux de la France, où il y a un nouveau modèle. En Angleterre, le confinement a eu lieu le 23 mars, il y a environ quatre semaines, et l'Office for National Statistics fait état d'un nombre dramatique de morts depuis la première semaine complète d'avril, un chiffre qui n'a pas été aussi élevé depuis 20 ans. Sommes-nous ici en train de parler de surmortalité?

Christian Drosten: Oui, exactement. Nous commençons lentement maintenant à voir la mortalité. Il y a eu beaucoup de déclarations ces dernières semaines selon lesquelles ce virus serait inoffensif, puisqu’on ne voyait pas la mortalité. Et puis la comparaison avec la grippe a toujours été faite. Ensuite, il a été dit qu'en 2017, il y avait une épidémie de grippe aussi grave, avec 25 000 ou 30 000 décès. Cela ne se voit pas encore avec ce virus : nous avons encore moins de 6000 morts. C'est toujours une comparaison molle parce que vous comparez deux choses différentes. Le taux de mortalité est déterminé pendant la saison grippale. Cela signifie que vous voyez combien de personnes meurent normalement en moyenne annuelle. Ensuite, vous prenez précisément cette fenêtre de temps, durant laquelle vous savez que la grippe circule dans la population, et vous comparez avec le nombre de personnes décédées. Ensuite, vous faites la différence est la sur-mortalité est attribuée à la grippe. Ce sont des décès directs dus au virus, mais ce sont aussi des décès dus à la grippe que l’on ignorait car ce sont souvent des personnes décédées à la maison. Dans de nombreux cas, ils étaient déjà malades. Peut-être qu'ils étaient cloués au lit et ils sont morts à cette période. Mais si vous comptez le nombre de décès de ce type, il y en a beaucoup plus pendant la saison de la grippe. Ensuite, vous devez savoir que pour quelqu'un qui est âgé et alité avec des poumons mal ventilés, s'il contracte une infection grippale, la mort peut arriver très rapidement. Cela arrive parfois si rapidement que vous ne remarquez même pas qu'il a une maladie virale aiguë. Même la pneumonie subséquente, bactérienne, peut passer inaperçue. Surtout chez les patients très âgés, cela peut se produire sans fièvre élevée, sans que les soignants s'en rendent compte ou que les membres de la famille s'en rendent compte. Ces cas sont tous inclus. Comme on ne sait pas s'il s'agit d'une infection virale aiguë, il faudrait faire un test, mais cela ne fonctionne pas de cette façon dans la réalité. Ensuite, il y a les cas où on voit que c’est une infection virale aiguë. On fait un test et on sait alors que c'est la grippe. Et apparemment le patient en est mort, peut-être même dans l'unité de soins intensifs. En comptant comme ça, nous avons en Allemagne quelques centaines de cas dans une saison ou peut-être un peu plus de 1000 ou 2000 maximum, vraiment maximum. Et cela est réparti sur toute la saison grippale, entre Noël et quelques semaines après le carnaval. Nous sommes dans une autre saison maintenant.

Il y a cette représentation que vous avez mentionnée, de l'Office de statistique anglais. J'en ai trouvé une autre ce matin, qui pourrait être encore plus intéressante à regarder car elle englobe encore plus de pays qui a été publiée dans le "New York Times". Vous pouvez y voir de jolis graphiques qui montrent la mortalité dans de nombreux pays ; il y a l'Angleterre, mais aussi l'Espagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, la Suède, l'Indonésie (Jakarta) et la Turquie (Istanbul). Là vous pouvez très bien voir comment la mortalité évolue au cours de l'année. Certains d'entre eux ont des moyennes pluriannuelles. On voit comment la mortalité a soudainement augmenté cette année, vraiment rapidement, vous pouvez donc voir que c'est un effet très net qui se produit ici. Dans de nombreux pays, le taux de mortalité actuel double ces dernières semaines. Et toutes ces courbes pointent vers le haut. Heureusement cela ne va pas se poursuivre, car tous ces pays ont mis en place de fortes mesures de distanciation sociale. Nous ne voyons actuellement pratiquement aucune éclosion incontrôlée du SRAS-2. Mais même avec ces mesures drastiques de distanciation, nous voyons que nous n’en sommes qu’au début, dans de nombreux pays. Nous ne pouvons qu'espérer que cela ne durera pas longtemps.


Pourquoi l'Allemagne s'en sort bien


Nous sommes dans une situation particulièrement bonne en Allemagne car nous avons commencé ces mesures de distanciation très tôt. Les politiciens ont besoin de deux critères pour introduire ces mesures. Premièrement, certaines images doivent être vues qui montrent la gravité de la situation, c'est-à-dire le poids écrasant sur les soins intensifs. Cela prend souvent la forme d'images télévisées, où vous vous dites: bien sûr, nous ne voulons pas de cela arrive chez nous. Et puis deuxièmement: le virus est déjà arrivé dans notre pays, il est avec nous, il n'est pas seulement introduit. Nous ne pouvons pas juste fermer les frontières, nous l'avons déjà dans le pays. Dans de nombreux pays, les politiciens ont pris conscience de la gravité car il y avait des morts, de plus en plus de morts. Seulement, ces décès ont lieu un mois après l'infection. Il faut du temps pour mourir. Vous devez être infecté, puis vous êtes un peu malade, puis vous tombez gravement malade. Et vous décédez après un mois. Cela a été le signal dans de nombreux pays. Mais vous aviez déjà perdu un mois. Nous n'avons pas perdu ce mois-ci en Allemagne car nous avons commencé à diagnostiquer très tôt et massivement. Nous avons commencé à Berlin en janvier. Fin janvier, nous avons équipé tous les hôpitaux universitaires de tests. L'Allemagne a été en mesure de tester sur une vaste zone à la mi-février et a de nouveau considérablement augmenté sa capacité en mars. Donc après le carnaval nous ne nous sommes pas contentés de voir qu’il y avait des cas importés. Il y avait un cas au Bade-Wurtemberg à l'époque, importé d'Italie. Un collègue du Bade-Wurtemberg m'a appelé et m'a dit: "Nous n’avons pas seulement ce cas importé. Nous avons commencé dans de nombreux laboratoires à tester le SRAS-2 de manière aléatoire et nous sommes tombés sur un cas qui n’a rien à voir avec le cas introduit." Et là vous réalisez soudainement qu'il circule déjà ici dans le pays. Cela a la même valeur d'information que si nous avions eu des morts, comme en Italie, en Angleterre ou en France. 


C'est pourquoi nous avons un mois de longueur d'avance en Allemagne. Et je regrette de voir que nous sommes sur le point de gaspiller cette avance ici en Allemagne. Si nous regardons où nous en sommes dans le développement de l’épidémie - il existe également une publication statistique - nous sommes parmi les meilleurs pays du monde. Nous sommes l'un des rares pays au monde où les chiffres sont vraiment en baisse. Nous sommes le pays avec la plus grande population et les nouvelles les plus transparentes. Et tout à coup, nous voyons les centres commerciaux qui sont à nouveau fréquentés, où tout le centre ville est à nouveau plein de monde. Pourquoi? Parce que chaque petit magasin de moins de 800 m2 est ouvert. Vous devez vous demander si tout cela a vraiment du sens. Pour une fois, j'exprime un avis ici dans ce podcast.

Korinna Hennig: Les chiffres en provenance d'Angleterre montrent qu’il ne s'agit plus seulement de morts de plus de 70 ans, ce qui est assez dramatique. Pouvez-vous déjà dire que la létalité se glisse dans les groupes d'âge inférieurs?


Christian Drosten: Oui, bien sûr. Ce n'est pas un événement qui ne concerne que les personnes de plus de 80 ans, comme on le pense parfois, mais bien sûr, vous pouvez également voir des cas de décès dans des groupes d'âge plus jeunes.



La situation en France


Korinna Hennig: Si nous regardons maintenant vers l'avenir: quelle est la prochaine étape? Il existe une étude de modélisation réalisée en France qui estime ce que produirait un assouplissement des mesures. Le 17 mars, il y a eu le confinement en France. Le 11 mai, ces mesures devraient être réduites. Le taux de reproduction en France a baissé de manière significative de R 3,3 à R 0,5. Alors, que dit ce modèle?


Christian Drosten: Ce n'est pas vraiment clair pour les prévisions. Il ne s'agit en fait que d'une prévision de la situation à la fin de ces mesures de lockdown. On prévoit que 3,7 millions ou 5,7% de la population française seront infectés d'ici là. Ils auront soit une infection active ou auront déjà traversé l'infection en grande partie. Ce n'est pas un nombre qui signifie une quelconque immunité de groupe. Ça n'aidera pas. La vague d'infections recommencera en France s'il n'y a pas un effet saisonnier très fort et qui n’a pas encore été obervé - il fait encore beaucoup plus chaud en France qu'ici - mais j'espère que le nombre d'infections sera un peu contenu les prochains mois en raison de cette chaleur et de cet effet estival. Même dans les provinces de France les plus touchées, en Île-de-France ou dans le Grand Est, vous n’avez que 12,3 et 11,8% de personnes infectées. Et ce sont des zones où des patients ont été placés dans des trains pour être transportés vers d’autres régions. C'était une situation vraiment catastrophique. Même dans ces provinces, où cette situation catastrophique a existé, le niveau d'immunité ne sera que de 12,3 ou 11,8% à la fin de ce très long lock-out. C'est une modélisation très, très renommée. Je crois donc fermement à ces chiffres. Soit dit en passant, une dernière chose: ce calcul nous fournit également de bonnes informations sur la mortalité. Peut-être pourrons-nous en discuter à nouveau et les mettre en perspective. Mais dans l'ensemble, nous pouvons déduire de cette étude: dans une situation que nous n'avons jamais eue en Allemagne, dans une situation d'urgence vraiment dramatique, même là, l'activité infectieuse n'a pas été si élevée, on ne peut pas parler de contagion massive.

Korinna Hennig: Vous venez de le mentionner. Que disent ces chiffres de la France sur la probabilité d'avoir une évolution sévère ou même de mourir à l'hôpital? 


Christian Drosten: Oui, nous avons ici un travail de modélisation qui inclut également certaines informations supplémentaires de l'extérieur. Entre autres, les taux d’infection sur un grand navire de croisière. Ces données sont ensuite calculées en parallèle et dérivées de celles-ci.

Korinna Hennig: le Diamond Princess?

Christian Drosten: C'est exactement ce que font les modélisateurs épidémiologiques. Pour résumer le résultat de l'étude. On peut dire que 2,6% des personnes infectées doivent se rendre à l'hôpital. Soit dit en passant, tout cela est calculé sans les maisons de retraite qui sont une situation distincte. Nous pourrons en reparler brièvement. Mais dans la population normale, 2,6% des personnes contaminées doivent se rendre à l'hôpital. Nous connaissons maintenant très bien la mortalité de ces cas. Cela ne signifie pas la mortalité des malades, mais bien celles des contaminés. Il s'agit ici de 0,53% de mortalité par contamination. Cela correspond à la gamme d'estimations avec laquelle de nombreux modèles épidémiologiques ont également été réalisés en Allemagne. La plage d'estimation a toujours été d'un demi-point de pourcentage. J'ai toujours dit 0,3 à 0,7 %. Neil Ferguson dit 0,6, 0,7 et 0,9 %, selon la population qu’il modélisait. D'autres modèles épidémiologiques supposent également une telle mortalité par infection. Et ici, vous pouvez le retrouver: 0,53%. La mortalité par infection chez les personnes de plus de 80 ans est de 8,3%. Et sans ceux qui vivent dans des maisons de retraite, où l’épidémie est beaucoup plus grave.

L'Allemagne n'est pas tirée d'affaire

Korinna Hennig: Vous avez dit que cela est relativement transférable en Allemagne. Et si nous regardons ensuite exactement cette composante des maisons de retraite, qu'est-ce que cela nous dirait?

Christian Drosten: Nous avons maintenant reçu des informations en Allemagne selon lesquelles les maisons de retraite sont très gravement touchées. Vous pouvez maintenant le voir dans les statistiques des cas et des décès en Allemagne. Nous avions donc une moyenne d'âge exceptionnellement jeune en Allemagne. Mais maintenant, en plus d'un pic d'environ 50 ans, qui est l'âge médian actuel, nous avons un autre pic dans la population âgée. Cela se traduira par une augmentation du taux de mortalité en Allemagne. Mais pour le moment, nous avons atteint beaucoup d’objectifs en Allemagne avec des mesures peu contraignantes. Tout le monde était autorisé à sortir, les familles étaient autorisées à sortir. En France, il est interdit de quitter l'appartement. Pendant une période, vous n'étiez même pas autorisé à sortir pour faire du jogging seul.

Korinna Hennig: Tout comme en Italie et en Espagne.

Christian Drosten: Oui, exactement. Nous devons comprendre cela. Nous avons réussi à accomplir tant de choses en Allemagne grâce à un lockdown très peu contraignant parce que nous avons commencé tôt, parce que nous avons remarqué notre épidémie tôt grâce aux tests. Lidée est ainsi née, par exemple dans le document de synthèse de l'Association Helmholtz, qu'il est possible d'éradiquer pratiquement l'épidémie en Allemagne avec un chiffre de reproduction autour de 0,2 mais seulement si les mesures actuelles, c'est-à-dire le confinement modéré valable jusqu'à la semaine dernière, avaient été poursuivies pendant quelques semaines seulement. Mais la politique a décidé contre.

Korinna Hennig: Donc, garder les magasins fermés.

Christian Drosten: Exactement, les magasins. Nous ne pouvons pas évaluer l'assouplissement qui vient maintenant. Je pense que la politique l’a fait pour une bonne raison. D'après ce qui vient d'être publié sur l'assouplissement, je peux déjà voir que les détails ont été étudiés et qu'on veille à limiter le nombre de nouvelles infections. Nous l'avons entendu à nouveau dans les discours de la chancelière, qui a également souligné très fortement qu'il fallait continuer à prendre cela au sérieux afin de réduire davantage le nombre d'infections. Je pense que nous devons veiller à rester en dessous de R=1, c'est très important. Nous sommes dans une zone très fragile. Hier, à l'Institut Robert Koch, je n'ai pas vu les chiffres aujourd'hui, mais hier, le nombre était revenu à 0,9. Mais c’est difficile à apprécier, il y a d’autres facteurs comme les retards de déclarations après le week-end, que nous savons maintenant corriger. Mais on ne peut pas tout prendre en compte. À titre d'exemple, je suis tombé malade le week-end de Pâques mais ce n'était pas si grave. J'ai eu de la fièvre mais je ne suis pas allés chez le médecin car c’était le week-end. Ces cas ne seront jamais enregistrés maintenant. Ils ne seront pas contre-corrigés non plus, mais ils existent. Ils sont peut-être à l'origine d'une nouvelle chaîne d'infections.

Prenez les mesures au sérieux Il ne sert à rien de se laver les mains de temps en temps. Ou de mettre de temps en temps un masque. Vous ne pouvez pas faire cela « de temps en temps » si vous voulez que le R en Allemagne reste en dessous de 1. Avec autant d'interprétations individuelles des gestes barrière, je ne serais pas surpris si, en mai ou fin juin, nous nous retrouvions soudain dans une situation que nous ne pourrions plus contrôler, si nous n'y prenons garde. Si vous assouplissez complètement les mesures ou si tout le monde commence à avoir son interprétation des gestes barrière, de nouvelles chaînes d'infection se formeront dans de nombreux endroits en Allemagne et pas seulement dans certains coins de Berlin, Hambourg, du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie du Nord-Westphalie ou d'autres zones à forte prévalence, où quelque chose a été introduit au début. Il y aura beaucoup plus de points de départ pour les chaînes d'infection. Et puis il y a un effet grave, la diffusion croissante dans des population plus âgées ayant un taux de mortalité plus élevés.

Critique d'une étude chinoise sur les mutations du virus

Korinna Hennig: Une autre grande question est: que se passe-t-il si le virus mute? Nous avons parlé de mutations dans un premier épisode, l'épisode huit. C'était le 6 mars. À l'époque, vous nous aviez dit que les virus mutaient toujours. Ils l'ont toujours fait. Jusqu'à présent, nous n'avons aucune preuve que cela modifie les propriétés du virus, par exemple la façon dont il se diffuse. Maintenant, il y a un préprint en provenance de Chine, par des auteurs de Hangzhou et Yichang, qui a examiné onze patients de la première épidémie en Chine. Si nous entrons dans cette étude, quel genre d'indices nous donne-t-elle concernant l'évolution du virus?

Christian Drosten: Oui, malheureusement, cette étude a déjà été largement discutée sur les réseaux sociaux. Elle a attiré beaucoup d'attention internationale. Nous devons en discuter car cela a déclenché certaines conclusions qui ne sont vraiment pas tenables, surtout chez les personnes qui ne connaissent pas bien la virologie. Fondamentalement, c'est le domaine d'étude supplémentaire de la caractérisation des phénotypes. Ainsi, nous pouvons séquencer des virus et obtenir le génome et nous pouvons construire un arbre généalogique et dire quel virus est lié à quel virus. Mais cela ne nous dit rien sur la dangerosité de ces différents virus. Pour cela, nous devons faire des tests en laboratoire. La façon la plus simple de comparer la dangerosité des virus est de les laisser simplement se développer dans des cultures cellulaires et de voir quel virus se développe le plus rapidement. Et si c'est le cas vous devez faire d'autres tests. Par exemple, certains tests sur la défense immunitaire peuvent être étudiés directement en culture cellulaire. Nos cellules ont toutes un petit système immunitaire. Vous pouvez directement intervenir dans les cultures cellulaires pour voir si un virus sait se défendre contre l'immunité de cette cellule. Parfois vous pouvez voir à partir de cultures cellulaires qu'un tel virus peut soudainement faire plus, par exemple, contre ce système immunitaire inné de la cellule. On pourrait en conclure qu'il s'agit d'une indication d'une évolution vers une virulence plus élevée à partir d'un virus. Etude de la mutation du virus Vous devez également utiliser des systèmes de culture cellulaire plus complexes, tels que des modèles du poumon humain. Il existe des modèles de laboratoire où, par exemple, des morceaux de poumon sont infectés qui ont été explantés dans le cadre de la chirurgie du cancer pour les patients. Ou que vous fabriquez une muqueuse pulmonaire artificielle en laboratoire. Et finalement l'expérimentation animale. Le fait que vous regardiez ces virus lorsque vous les comparez dans un modèle animal est-il différent? Cette étude n'a fonctionné que sur la première étape de l'investigation, la croissance comparative dans une simple culture cellulaire. Ce qui a été comparé ici était des isolats de virus, dont chacun avait une connexion avec Wuhan. Ils provenaient de patients qui s'étaient déjà rendus à Wuhan ou qui avaient eu un contact indirect avec Wuhan. Ils ont été collectés dans une phase relativement précoce, du 22 janvier jusqu'au 04.02. Et vous avez déjà une diversité, c'est-à-dire les isolats de virus qui ont été examinés ici, qui couvrent une grande partie de l'arbre viral connu aujourd'hui. C'est ce qui est intéressant dans l'étude. Les auteurs parlent de mutations fondatrices observables. Vous pouvez donc voir certaines mutations dans ces génomes viraux, qui sont au pied de grandes branches de l'arbre généalogique actuel. Vous pouvez donc les retrouver dans des sections de l'arbre généalogique tel que nous le connaissons aujourd'hui. Cela le rend représentatif. Mais ne vous y trompez pas. Il y a eu une évolution supplémentaire dans chacune de ces sections de l'arbre généalogique. Ce n'est pas l'image des virus tels que nous les avons aujourd'hui, mais tels qu'ils étaient à l'époque. Cependant, cela n'a pas été délibérément choisi pour être représentatif, mais plutôt parce que ces virus proviennent directement de Wuhan. A cette époque, il y avait la population fondatrice de tous les virus, à l'époque de la ville. Maintenant, les virus ont été isolés en culture cellulaire, puis ces isolats viraux ont été répliqués pour comparaison et avec la PCR, qui est un test que nous utilisons pour rechercher des virus dans la gorge du patient, nous avons maintenant recherché des virus dans des cultures cellulaires. Bien sûr, vous pouvez le faire. Vous pouvez également rechercher quantitativement. Vous pouvez voir non seulement si le virus se multiplie, mais combien de virus se multiplie. Et la différence qui a été trouvée est jusqu'à 270 fois. Un virus croît 270 fois plus que certains autres virus.

Korinna Hennig: Cela semble menaçant.

Christian Drosten: Cela semble menaçant et c'est exactement comme cela que ça a été communiqué. Vous pouvez déjà voir que les virus sont plus ou moins dangereux. Le virus le plus dangereux croît 270 fois plus. Ceci est ensuite twitté et trouve sa place dans de courts articles de presse, qui ne sont pas nécessairement écrits par des journalistes scientifiques, mais qui sont généralement reproduits dans de courts communiqués de presse. C'est une situation difficile car il faut l'évaluer. Habituellement, ces informations scientifiques sont rendues publiques après que d'autres scientifiques les ont examinées dans le cadre du processus d'examen par les pairs. Je suis souvent impliqué dans la recherche de tels articles, à la fois comme réviseur et rédacteur. Cela signifie que je vois ces mailings dès la première minute et en tant qu'éditeur, vous avez même parfois la décision de dire que nous ne les envoyons même pas pour examen. Nous ne laissons même pas un scientifique le regarder. Cela ne s'est pas produit ici. Nous devons regarder d'abord, qu'est-ce que cela signifie qu'un virus dans une culture cellulaire se réplique 270 fois plus qu'un autre? Vous devez toujours dire: cela dépend du moment où vous regardez. Mais à la fin de la réplication, c'est à peu près à part. Vous ne pouvez pas dire que vous devez examiner la phase de croissance exponentielle, qui n'a été effectuée que dans une mesure limitée dans l'étude. Il existe également des enquêtes statistiques, mais cette valeur multipliée par 270 ne vient pas d'elle, mais provient d'une phase finale où il y a une grande dispersion. C'est le seul problème d'interprétation. L'autre problème d'interprétation est quel est l'état initial? Cela signifie-t-il donc que l'évolution a vraiment créé un virus qui se réplique 270 fois mieux que la moyenne ou le virus normal? Vous ne savez même pas quel est le virus normal. Si vous regardez de plus près, vous pouvez voir qu'il n'y a en fait qu'un écart de 270 fois. Mais cela ne signifie pas que quelque chose a empiré ici. Il se peut également que quelque chose se soit aggravé.

Korinna Hennig: Que signifie le pire dans le cas? Du point de vue des virus? 


Christian Drosten: Les virus subissent des mutations et une mutation est purement statistiquement toujours mauvaise pour le virus. Je peux voir cela à partir des données ici. Ensuite, il y a une autre grosse erreur technique. Ce dont nous avons maintenant discuté est une question d'interprétation. Nous pouvons l'interpréter de toute façon et je ne peux rien faire pour cette étude, cette interprétation, une différence de 270 fois. Vous avez regardé dans une zone où il y a beaucoup de dispersion. Et puis je ne sais pas si c'est une augmentation de la réplication ou simplement une extension de la zone de réplication. Nous l'avons plutôt ici. Nous avons une diffusion de la gamme. Nous ne pouvons pas en dire plus.

Korinna Hennig: Que signifie étendre la zone dans ce cas?

Christian Drosten: Cela signifie qu'ils ne se reproduisent pas tous également.

Korinna Hennig: reproduit 270 fois différemment.

Christian Drosten: Exactement. Ensuite, dans le contexte d'une multiplication exponentielle de virus en culture cellulaire, 270 fois est relativement peu, car nous avons ici une zone de multiplication, donc si nous calculons: que faisons-nous dans la culture cellulaire au début? Qu'est-ce qui sort finalement? C'est de l'ordre de cent mille fois. Vous devez regarder de plus près à 270x. Ensuite, il y a un problème technique avec cette étude. Vous ne pouvez le voir que si vous le connaissez. Les auteurs disent un peu indirectement, combien de virus ils sement, une certaine dose de virus. Mais si vous regardez les diagrammes de cette publication, vous pouvez voir: Même la dose de départ, ce que vous mettez dans la culture cellulaire, oscille entre ces virus individuels d'un facteur 100. Vous pouvez le voir indirectement à partir d'un certain paramètre dans la méthode de mesure utilisée. Vous pouvez voir que ce ne sont pas des expériences propres. Vous avez une très grande fluctuation de la dose de graines, un problème de laboratoire typique. Quand un doctorant vient à moi avec de telles données, je dis que c'est une expérience formidable et intéressante. Mais vous devez tout recommencer car la dose de semences n'est jamais correcte. Ensuite, le doctorant quitte mon bureau un peu frustré et doit refaire deux semaines de travail. En réalité, il savait déjà que j'allais me plaindre. S'il l'a fait une ou deux fois, l'expérience, alors il ne viendra pas me voir bientôt. Mais s'il voit que la dose est mauvaise, l'expérience est lancée dans le bac et recommencée.

Korinna Hennig: Cela signifie que cela ne dit rien en principe. Donc pour tous ceux qui ont lu ça sur les réseaux sociaux et qui disent: Oh mon Dieu, le virus est en train de muter, ça pourrait changer. Cela pourrait changer ses propriétés et aggraver les choses pour nous. Vous ne pouvez pas le dire de cela. 


Christian Drosten: Cette étude ne dit rien dans cet état. On donnera probablement aux auteurs la possibilité de refaire simplement ces expériences. Il existe également de nos jours des revues scientifiques qui publient toutes les conneries. Mais même dans ce cas, un scientifique doit l'examiner si vous voulez discuter de quelque chose comme ça en public. Surtout si vous voulez en tirer certaines conclusions pour la politique ou la société ou la médecine. Vous devez toujours laisser les experts l'évaluer à nouveau. C'est une formation d'opinion scientifique. Malheureusement, certains scientifiques sont très fortement touchés par l'émeute. Ils écrivent quelque chose dans leurs titres qui semble dramatique. Ils présentent leurs données avec drame, sans se soucier des conséquences.