mercredi 29 avril 2020

Podcast #20 du 24 mars 2020 étude de Hong Kong (extraits)

Anja Martini: Parlons maintenant d’une étude qui a été publiée qui vient de Hong Kong. Il s'agit du moment où les patients sont infectieux. Que dit exactement l'étude?

Christian Drosten: Il s'agit d'une étude en préprint [nda: cette étude figure maintenant dans Nature medicine]. En ce moment, la publication scientifique est accélérée ; habituellement, le processus d'examen d'une contribution scientifique prend des semaines, voire des mois. Parfois, un scientifique transmet à un journal qui ne l’évalue pas, donc il faut l’envoyer à un autre magazine, qui l'envoie à d’autres scientifiques pour évaluation. Ces examinateurs ont besoin de deux mois, puis les commentaires reviennent. Ensuite, le magazine dit: veuillez retoucher. Et puis les mois passent à nouveau...
Vous ne pouvez pas vous le permettre en ce moment avec cette épidémie. Et c'est pourquoi les articles scientifiques se retrouvent en ligne tels qu'ils ont été écrits sur des serveurs dits de préimpression. Il y en a deux très gros, appelés Bio Archives et Med Archives. Il faut faire un gros tri, car ce ne sont pas des articles scientifiques évalués par des pairs. Il y a beaucoup de choses qui ne survivront pas au processus d'évaluation. Ce que je fais durant mes instants de liberté, c’est de regarder ce qui émerge. Je commente ici les études qui, à mon avis, sont d'une telle qualité qu’elles survivront à un processus d'examen, comme cette étude ici. Elle vient de Hong Kong d'un groupe de modélisation épidémiologique très connu, celui de Gabriel Leung. Quand est-ce que cette maladie devient réellement infectieuse? Avant les symptômes, avec les symptômes ou après les symptômes? L'ancienne épidémie du SRAS était facile à contenir car on ne devenait vraiment infectieux que longtemps après l'apparition des symptômes. 


Anja Martini: Donc, c'était facile de reconnaître si quelqu’un était infecté.

La contagiosité débute avant le début des symptômes

Christian Drosten: Exactement. Et nous avons notre propre étude, qui a été publiée sur un serveur de préimpression depuis des semaines et a fait l'objet de nombreuses discussions, mais qui n'est toujours pas officiellement publiée dans une revue scientifique. Cette étude avait déjà montré que le virus se réplique dans la gorge dans les premiers stades de l'infection et que le virus est détectable par les tests dès les jours un et deux mais qu’ensuite il descend vers les poumons. Donc, plus vous attendez et moins on détecte de virus. Ces auteurs sont arrivés à la même conclusion avec un groupe de 94 cas dans le Guangdong, c'est-à-dire dans le sud de la Chine près de Hong Kong. Donc un groupe plus important que le nôtre (celui de Munich). Ils ont vu que la présence du virus dans la gorge diminuait après premier jour. Cela signifie que le pic se situe avant le premier jour. Ensuite, ils ont fait quelque chose de très intéressant du point de vue épidémiologique: ils ont également examiné les cas de transmission à partir de 77 patients infectés, et ont regardé quel laps de temps il y avait entre le début des symptômes chez une personne et le début des symptômes chez une autre personne (« Serial Interval » en anglais). La médiane est de 5,2 jours, la moyenne de 5,8, c'est donc une distribution quelque peu asymétrique, mais avec des valeurs moyennes très proches, c'est-à-dire que cet intervalle est de 5,2 à 5,8. Et autre chose intéressante: Ils ont également calculé le temps d'incubation: 5,2 jours en moyenne. Ceci est bien sûr intéressant car nous avons ici un phénomène où l'intervalle est pratiquement aussi long que la période d'incubation. Cela signifie que nous avons non seulement un début de transmission le jour du début des symptômes, mais probablement aussi avant cela. [...] le pic de fréquence de l'infectiosité est même une demi-journée avant le début des symptômes, en moyenne. Et dans la masse des infections, il y a probablement tellement de virus (de charge virale) que l’on peut dire que l'infectiosité commence en moyenne deux jours et demi avant le début des symptômes. On peut supposer que 44% des infections ont eu lieu avant que la personne infectée ne soit même malade. 

Anja Martini: Cela signifie que la distanciation sociale est une bonne solution, n'est-ce pas? 

Christian Drosten: Absolument. Bien sûr, cela signifie également que si vous vous enfermez immédiatement à la maison dès l’apparition des symptômes, vous avez déjà infecté d’autres personnes. Cela signifie donc qu'avec les règles normales de protection contre les infections, vous ne pouvez pas contenir cette maladie. Il doit y avoir une distanciation sociale ce qui implique un changement de comportement. Reconnaître des symptômes pour isoler des malades ne fonctionnera tout simplement pas avec cette maladie.