Korinna Hennig: M. Drosten, contrairement au printemps dernier, lorsque les images venant d'Italie étaient omniprésentes et que les personnes âgées tombaient gravement malades dans les maisons de retraite allemandes, la pandémie est désormais devenue virtuelle pour certains. On ne la voit plus vraiment. Comprenez-vous cette difficulté [de perception] et que certaines personnes ont le sentiment que tout va bien?
Christian Drosten: C'est dû au paradoxe de la prévention qu’on ne la voie pas pour le moment, du moins ici dans notre propre pays. Quant à le comprendre, eh bien, c'est autre chose. Bien sûr, je travaille beaucoup sur le sujet et je regarde beaucoup à l'étranger. Pour moi c’est assez évident. Ce n'est peut-être pas le cas pour d'autres personnes qui s’occupent d'autres choses dans leur quotidien. Je me demande juste parfois pourquoi vous devez le crier sur les toits. C'est assez audacieux ce que certains disent en public en ce moment. Et on se demande - certains d'entre eux sont aussi des personnes qui ont des fonctions et des responsabilités - si ces personnes ne préfèreraient pas plutôt informer le public ou conseiller les politiciens. Et si telle personne aimerait être citée sur ce qu'elle dit en ce moment, peut-être cet hiver, alors que nous aurons probablement également une situation différente en Allemagne.
Hennig: [Si on regarde la] carte de l'Allemagne, on voit que partout où les vacances scolaires sont terminées depuis un certain temps, les chiffres sont au plus bas, l’effet du retour de voyage s'atténue. Il y a diverses voix, vous l'avez mentionné, qui disent que nous devons être plus détendus. Votre collègue Hendrik Streeck, par exemple, vient de donner une interview optimiste ; le respect des règles AHA (Distanciation, Hygiène, Masque) nous apportera de la sécurité au cours des prochains mois. Il dit qu'un système de feu tricolore devrait être introduit pour montrer la situation dans chaque Kreis. On pourrait ensuite adapter notre comportement ou adopter des mesures en fonction. Pensez-vous que ce soit une considération raisonnable?
Drosten: Tout d'abord, je pense que c’est un peu stupide de parler ainsi de personnes individuelles. Je sais comment c'est parce que les gens parlent de moi, alors que je préfèrerais qu’on me parle. Ou qu’on regarde ce que je dis au lieu de prendre des sources de seconde main ou des résumés. […] Je pense que c'est ce qui se passe avec Hendrik et son interview de ce week-end. On a conclu des choses à partir du titre et des sous-titres. Il a dit: «Il appelle à un changement de politique», ou quelque chose comme ça. Et il a apparemment commencé l'entretien avec une telle déclaration – d’où cette impression qui est restée. Ce qu'il dit alors, dans toute l'interview, est en fait assez logique et beaucoup seraient d'accord avec lui.
Une déclaration clé, par exemple, qui a également été très mal comprise est qu'il a dit qu'il ne fallait pas seulement regarder le nombre d'infections, ce que personne [dans notre domaine de compétence] ne fait. […] Il faut bien sûr examiner des paramètres supplémentaires. Dans son entretien quand il dit qu'on devrait désormais s'intéresser principalement à l'occupation des hôpitaux, ça a également été tronqué. [...] Il faut veiller à ce que peu de gens viennent à l'hôpital car il y a déjà trop de choses en route une fois qu'un plus grand nombre arrive à l'hôpital qu’on ne peut plus défaire. Dans le dernier épisode du podcast, nous avons beaucoup parlé du fait qu'à l'heure actuelle, il n'est pas si facile en Allemagne d'évaluer ce qui se passe réellement dans la population et que les chiffres ne peuvent pas toujours tout refléter de [la réalité]. [...]
Pour le moment, nous avons peu d'infections signalées […] parce que nous avons eu le lockdown. Et parce que les vacances d’été ont fait que la situation est restée sous contrôle. Nous pourrions continuer ainsi. Au printemps, nous avons dit des choses similaires dans les conseils stratégiques. Lors de cette réunion ministérielle à la mi-mars, dont j'étais membre, il n'a pas été recommandé de fermer les écoles. Mais ce que nous recommandions, c'était de regarder au niveau régional. A l'époque, le 12 mars, les écoles de Heinsberg venaient de fermer. Et puis nous avons dit: c'est en fait exactement la bonne approche. Là où vous pouvez actuellement voir qu'il y a des infections, vous pouvez fermer les écoles par précaution - sans que nous sachions exactement en quoi les écoles y contribuent. Lorsque nous sommes sortis de la réunion, les politiques [ont décidé de fermer les écoles dans toute l'Allemagne]. [Cette mesure] a été attribuée aux scientifiques, ce qui n'est pas vrai. […]
Aujourd'hui, nous avons cette situation où ce sont les jeunes qui sont infectés. Leurs symptômes ne sont pas visibles. Peut-être ont-ils également tendance à ne pas être diagnostiqués immédiatement. [...]
Pour le moment, nous devons dire qu'il y a peu d'infections, c'est l'impression générale et ce n'est certainement pas faux pour l'Allemagne pour le moment. Mais cela peut ne pas durer plus longtemps. On le voit dans certains Kreise dans le sud de l'Allemagne. Et il suffit de regarder les pays voisins.
Hennig: Nous avons également eu des cas dans des écoles en Allemagne. […] Il y a des parents qui veulent imposer le masque dans les écoles, y compris en classe - ici à Hambourg, par exemple. L'idée sous-jacente étant : avec des mesures plus strictes, on peut garder l’incidence basse et ainsi créer de très bonnes conditions pour l'hiver. Que pensez-vous d’un tel argument?
Drosten: Que le port général du masque en classe serait un renforcement des mesures qui permet de faire baisser l'incidence à nouveau, je n’en suis pas sûr. Il est certainement vrai que le port du masque en classe réduit le risque en classe. Mais cela ne concernera que cette classe. Et vous devez être prudent. Il y a aussi d'autres logiques bien plus fondamentales, qui disent qu’il faudrait en fait prendre des mesures très fortes dans toute la société pour gagner du temps en vue de cet hiver. C'est certainement épidémiologiquement correct, mais socialement intolérable. Nous sommes dans une bonne position de départ en Allemagne et devons la gérer. Ce qui est plus important, c'est que, premièrement, nous ne nous reposions pas dessus et, deuxièmement, nous n'envoyons pas au public des messages totalement contre-productifs.
Il doit [y avoir une certaine attention] de la part de la population. Dire que "Rien de tout cela n'aurait été nécessaire à l'époque. Avec les connaissances actuelles, nous aurions réagi différemment à l'époque." Nous ne l'aurions certainement pas fait. [On ne peut pas résumer les choses ainsi, à l’emporte-pièce]. Quand on s’exprime en public, on doit réfléchir plusieurs fois à la manière dont ce sera perçu [et repris].
Débat en Allemagne sur la nécessité des mesures, l’IFR, la surestimation du nombre de cas, les faux positifs
Hennig: Je voudrais passer en revue quelques arguments l’un après l’autre. Cette question: à quoi les mesures ont-elles réellement abouti? Des doutes sont exprimés à plusieurs reprises à propos de l'efficacité des mesures. Peut-on les évaluer de manière fiable? Il existe des modèles pour cela. Mais bien sûr, il n'y avait pas de véritable groupe de comparaison (la pandémie sans aucune mesure). C'est pourquoi on dit toujours: on ne le saura jamais, quelle que soit la qualité de la modélisation. Surtout qu’on n’arrive pas à évaluer les mesures individuellement.
Drosten: Nous avons déjà fait tout un épisode de podcast sur ce sujet. Les articles discutés à l'époque s'appliquent toujours. Le fait est qu'en Allemagne, cette discussion est menée à un niveau complètement différent, bien inférieur. Un article comme celui-ci vient d'être publié par un réseau "Evidence-based Medicine" qui ressort des arguments [que je pensais clos] en Allemagne, comme le fait que le Rt était déjà tombé en dessous de 1 avant les mesures de la mi-mars.[...] Il a déjà été dit qu'il existe des données qui montrent que la mobilité de la population était déjà considérablement réduite la première quinzaine de mars. Que l’annulation des grands événements est survenue avant que le Rt baisse et que Rt n'est pas tout. Ce n'est donc pas tout à fait correct mathématiquement, mais pour le dire simplement, le Rt n'est que la première dérivation de ce qui se passe, c'est la tendance. Mais si vous voulez abaisser quelque chose, la tendance doit d'abord être inversée. C'est exactement le but. Donc, tout cet argument est vraiment une négation des principes scientifiques. Il y a maintenant une déclaration intitulée "Médecine fondée sur des preuves", donc j'ai été assez étonné à ce sujet.
Hennig: Un autre argument de cet article, qui est également répété de temps en temps, est: Le «taux de mortalité par infection» est faible, c'est-à-dire la proportion de décès, non liés aux malades, mais au nombre total de personnes infectées. Aujourd'hui, nous constatons en fait que le nombre d'infections a légèrement augmenté depuis l'été. Par rapport à cela, le nombre de décès ne suit pas le rythme. Vous pouvez le voir dans les hôpitaux que la situation n’est pas encore dramatique. Ce serait la preuve que les personnes vraiment en danger sont les personnes âgées et très âgées et que les plus jeunes peuvent en fait pousser un soupir de soulagement? Tel est le raisonnement.
Drosten: C'est un problème à l'échelle de la société. Vous ne pouvez pas séparer complètement les vieux et les jeunes. Cet article aborde également, par exemple, la mortalité infectieuse, en regardant les quatre dernières semaines. Et c'est une contradiction dans les termes. On ne peut donc pas parler d'une mortalité par infection sur une telle période. Vous ne pouvez pas avoir ces données. Et une grande partie des preuves existantes est tout simplement ignorée dans le document. Il existe deux très, très bonnes études qui reposent en réalité sur un test sérologique représentatif de la population et sur de bons chiffres de déclaration déposés par le gouvernement, en Espagne et en Angleterre.
Ce sont deux pays dans lesquels nous avons vu une première vague importante. Nous arrivons ici à la mortalité infectieuse, basée sur des nombres importants et sur des études représentatives de la population. Nous avons un taux de mortalité par infection de 0,9% en Angleterre et de 0,83% en Espagne. Il n'y a vraiment pas grand chose à dire. […] Nous sommes structurés de la même manière en Allemagne qu'en Espagne et en Angleterre (composition d'âge et de cette morbidité). […] Nous avons réussi à contrôler pratiquement notre épidémie. C'est un succès de la science, de la médecine et de la politique. Et maintenant, on ne peut pas prétendre que ce n'était qu'une hallucination. On refuse tout simplement de se pencher sur les pays voisins. C'est audacieux.
Hennig: Un autre point critique - j'en ai également parlé avec Sandra Ciesek la semaine dernière dans le dernier épisode parce que nous avons discuté du grand sujet des «symptômes / personnes infectées asymptomatiques, présymptomatiques» - est la demande de plus de transparence dans les statistiques , c'est-à-dire se différencier en fonction des symptômes.
Drosten: En principe, le RKI le fait déjà. La division en groupes, par âge etc. n'est pas si mauvaise au RKI. Ce serait bien d'avoir cela plus en détail. Mais je me demande si des chiffres encore plus précis conduiraient ces farfelus à utiliser d’autres arguments ou à vraiment arrêter d’être aussi destructeurs. [...] Nos politiques gèrent plutôt bien. Ils ne sont pas tous parfaits, mais au final le résultat est plutôt bon. Et si on regarde le bilan économique, ce n'est pas si mal non plus. Surtout lorsque vous réalisez que la plupart des dommages économiques en Allemagne ne peuvent pas être contrôlés dans une économie d'exportation comme la nôtre. [...] Et pour la partie que nous pouvons contrôler en Allemagne, cela se passe bien. Et pour répondre à ces messages destructeurs disant que rien de tout cela n'était nécessaire, c'est tout aussi intelligent que de dire en cette belle fin d'été qu'il ne pleut pas du tout. Pourquoi sommes-nous inquiets pour l'automne? Pourquoi parler de brouillard, de pluie et de temps brumeux? Regardez à l'extérieur ! Tout va bien, ces dernières semaines ont vraiment été magnifiques !
Hennig: Parce que nous venons de mentionner le réseau Evidence-Based Medicine et cet article, je voudrais encore le citer : ils parlent de «surdiagnostic aveugle», car on ne se limite pas à tester uniquement les personnes présentant des symptômes. Serait-il judicieux de tester uniquement les groupes à fort risque, c'est-à-dire ceux qui ont été en contact avec une personne infectée ou qui ont déjà développé des symptômes?
Drosten: Oui, le terme «groupe à fort risque» vient en fait de cet article et est complètement faux dans ce contexte. Je ne veux pas revenir sur ce papier maintenant. Il y a beaucoup d'erreurs là-dedans, en particulier dans l'utilisation de citations scientifiques, la lecture des articles scientifiques, comme pour le chiffre qui est donné du coût de «qualité de vie ajustée» grâce à des mesures de lockdown. […] On a ici un article sur la médecine par les preuves, où la littérature citée, c'est-à-dire les preuves, n'a apparemment pas été lue du tout. Je me demande pourquoi cela a été publié sans auteurs. D’habitude on a une liste d'auteurs pour les articles d'opinion des commissions et des sociétés spécialisées, parce que les gens qui rédigent qui en sont responsables. […]
[Et cette question des tensions sur les tests, c’est en cours de résolution, pourquoi revenir dessus?] les politiciens ont réagi depuis longtemps, il faut arrêter avec ces accusations. [...] [Et à propos de la validation des tests antigéniques], il s'agit maintenant de questions réglementaires. Il faut trouver un bon compromis entre conformité légale et applicabilité afin que ces tests arrivent là où ils sont nécessaires. Par exemple, à l’entrée de la maison de retraite [...] Et ce n'est qu'un exemple. On ne peut pas utiliser n’importe quel test farfelu.Il y a une responsabilité derrière cela. [Imaginez nous avons] une épidémie dans une maison de retraite avec une mortalité correspondante quelques semaines plus tard [à cause d’un test validé n’importe comment]. C'est pourquoi il faut un bon compromis entre fiabilité, réglementation et rapidité.[...]
Hennig: La question du faux positif n'est pas sans importance pour la question de l'acceptation des tests. Comment traiter ce problème de la probabilité dans la communication? C'est un problème statistique ; nous l'avons déjà mentionné ici dans le podcast. Si la prévalence est faible, c'est-à-dire que le virus est peu présent dans le groupe de population examiné, alors la proportion de faux positifs est plus élevée. Faut-il ajuster la stratégie de test en fonction de l’incidence?
Drosten: Oui, bien sûr. Nous n'avons pas besoin d'entrer dans la théorie des tests ici. C'est ce que font d'autres cercles de la société en ce moment, discutant avec enthousiasme de la théorie des tests sans connaître la pratique médicale réelle. Ils disent: "Il y a des chiffres de spécificité et nous comptons maintenant cela en plus des tests." Et "Toutes les personnes positives en Allemagne, elles ne peuvent pas être réelles, ce sont toutes des faux positifs" – et autres absurdités. Si c'était aussi simple que cela, vous n'auriez pas du tout à étudier la médecine. Et vous pourriez ouvrir un laboratoire.[…] Quand nous voyons un résultat positif en laboratoire, nous avons d'autres informations. Il y a des résultats qui sont si clairement positifs - cela a un aspect quantitatif - vous n'avez pas à y réfléchir à deux fois. Il y a des résultats à la limite du positif qui sont toujours vérifiés. L'échantillon est testé à nouveau etc. Le public ne sait pas toujours ce qui se fait dans les laboratoires. Mais nous n’avons pas cette situation, même avec une faible incidence, où on aurait un certain nombre de faux positifs qui aurait des conséquences sur les statistiques […] Nous faisons des tests supplémentaires etc. Et à propos de la question que vous avez posée: bien sûr, cela serait également évalué différemment en fonction de la situation épidémiologique, c'est-à-dire de la fréquence actuelle de la maladie.
Avantages et inconvénients du test antigénique
Si vous êtes au milieu d'une vague hivernale, vous êtes heureux d'avoir des tests antigèniques et s’ils donnent de temps en temps un faux positif, cela n'a pas d'importance. En termes de sensibilité, ces tests ne sont pas parfaits. Mais ils ont un énorme avantage: ils sont disponibles très rapidement et sur place. Cela est également crucial. Donc le gain de vitesse dans le diagnostic grâce à un test rapide l'emporte de loin sur le gain en sensibilité des diagnostics PCR avec des délais logistiques de plusieurs jours. A quoi sert une PCR très sensible dont je dois attendre le résultat trois ou quatre jours car les laboratoires sont surchargés? Nous ne pourrons pas faire face à un test de masse PCR [avec la vague à laquelle on peut s’attendre]. C'est là que nous allons vraiment avoir besoin de ces tests antigéniques. Et ce dont nous devons discuter ce ne sont pas des contenus de manuels mal compris sur la théorie des tests, la sensibilité, la spécificité et la valeur prédictive, mais ce dont nous devons simplement discuter socialement, du moins politiquement, c'est la réglementation. Nous ne pourrons pas le faire, selon des règles communes, pour valider ces tests comme des «tests à domicile» avant la fin de la vague hivernale de la pandémie. L'effort pour ces études de validation est trop important. Par exemple, des preuves doivent être fournies - je vais le dire ainsi – que le test peut être utilisé par le tout-venant. […] Cela n’est pas réalisable dans les temps.
Prenons un exemple : Un grand théâtre veut permettre une représentation. Et maintenant la question est: pouvons-nous faire ces tests rapides à la caisse? Est-ce possible? Ce sont des choses dont on discute déjà en public. Et puis je dis maintenant, peut-être que les avocats diront - "Ce que Drosten a dit dans son podcast, c'est encore un non-sens total" – c’est possible, mais je le dirai quand même: ce théâtre peut-il employer un assistant médico-technique pendant toute la durée de l'événement pour faire les tests? Ou cet organisateur doit-il engager un médecin de laboratoire? Ou est-ce suffisant qu’un employé de la billetterie suive une formation de deux jours? Ce sont des questions que nous devons - et de toute urgence - débattre au cours des prochaines semaines. Peut-être pas nécessairement en public, mais en politique, dans les coulisses des départements des ministères, des choses comme celles-ci doivent être anticipées. [...]
La pandémie en Afrique
Hennig: C'est une pandémie mondiale. Les auditeurs nous ont demandé d'expliciter la situation en Afrique. En Europe, nous avons toujours tendance à parler de l'Afrique alors qu’il existe plus de 50 pays différents, des réalités très hétérogènes. Mais une chose ressort: dans l'ensemble - à une exception près, dont nous parlerons plus tard - le développement dramatique que beaucoup de pays africains craignaient, semble-t-il, ne s'est pas concrétisé pour le moment, n'est-ce pas?
Drosten: Oui, il semble que ce ne soit pas arrivé jusqu'à présent. Du moins des choses que l'on redoutait au début du printemps quand on projetait certains calculs de modèles, quand on ne savait pas encore qu'il y avait ce très fort déséquilibre en fonction de l’âge dans la mortalité. […] Mais je dois dire: je ne peux pas non plus expliquer la situation en Afrique actuellement. C'est un problème qui m'inquiète vraiment. Je me souviens qu'il y a environ deux semaines, un reportage est passé à la BBC à propos d'une étude en preprint concernant le Kenya. Il s'agit d'une étude de modélisation basée sur des données de laboratoire collectées au Kenya. Une première observation était que le taux de détection en PCR est en fait en baisse depuis juillet. Des tests sérologiques ont été faits, et on a étudié la mobilité. Et au final, à partir d'une modélisation de ces données, on en a conclu que, malgré une résurgence de la mobilité à Nairobi et à Mombasa, deux grandes villes du Kenya, où cette enquête a eu lieu principalement - il y avait un lockdown dur dans ces zones -, le nombre d'infections ne remonte pas. Et la conclusion qui se dégageait des données sérologiques est que l'immunité collective a été atteinte dans ces zones. Ce message m'a époustouflé. Je ne suis pas sûr que ce soit durable. Il s'agit maintenant d'une publication qui n'a pas encore été revue, mais peut-être devrions-nous en parler.
Hennig: [[On teste beaucoup moins] dans de nombreux pays africains. Par exemple au Royaume-Uni, il y a 200.000 tests par million d’habitants. En Tanzanie, par exemple, qui ne rapporte plus de chiffres, 63 tests par million d'habitants. Et un total d'infections détectées dans toute l'Afrique - selon les Centres africains de contrôle des maladies - avec une population de 1,2 milliard d'habitants, de 1,3 million d'infections détectées à travers le continent. Y a-t-il des goulots d'étranglement ? À cause de conflits armés ?
Drosten: Il est impossible de faire des déclarations sur l'ensemble de l'Afrique. Je pense que nous devons nous en tenir à quelques exemples précis. Malheureusement, au cours de ces semaines, nous devons nous accrocher à la littérature scientifique qui est produite lentement. […] Dans l'ensemble, il est clair que les systèmes de déclaration ne sont pas performants. Il suffit d'imaginer: il y a des lacunes extrêmes dans les pays africains en matière d'infrastructure. Par exemple, lorsque vous conduisez d'Accra, la capitale, à Tamale, dans le nord d'un pays comme le Ghana, c'est comme voyager dans le temps. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les cas soient signalés de manière aussi fiable dans tout le pays. Et le Ghana est un pays africain très développé, en Afrique subsaharienne. Il existe bien sûr des situations complètement différentes.
Le Kenya est l'un des pays où existe une très bonne infrastructure médicale depuis très longtemps. Dès le début de l'épidémie - qui a également commencé là-bas en mars – 320.000 tests PCR ont été réalisés jusqu'au 10 août. Il s'agit certainement de l'un des nombres les plus élevés de PCR qui aient été réalisés dans tous les États d'Afrique subsaharienne. Mais par rapport à l'Allemagne, c'est le nombre de tests que nous avons fait en une semaine rien qu'à la fin du mois de mars. Et cela a augmenté en Allemagne. [...] Pendant cette période, il y a eu 24.000 PCR positifs. C'est de l'ordre de sept, huit pour cent - c’est beaucoup.
Si on a une part élevée de positifs, dans une population que l’on teste peu, c’est qu’on teste là où l’incidence est élevée. La seule question est: à quel point ces tests sont-ils ponctuels ? On ne le sait pas toujours avec de telles études. Et quelle part dépend du test? Parce que le nombre de personnes décédées qui est déclaré dépend du test. Nous ne pouvons pas simplement dire dans un pays comme le Kenya que toute personne décédée d'une maladie fébrile, où elle peut ou non avoir eu un peu d'essoufflement, est un cas d'infection par le Covid-19, infection par le SRAS-2. . Vous devez le confirmer en laboratoire. Le nombre de décès confirmés est de 391 dans tout le Kenya au cours de la période d'évaluation. Dans de nombreux pays, cela n'a aucun lien avec la surmortalité. Au plus fort de la pandémie, par exemple dans les pays européens, on peut déjà attribuer une grande partie de la surmortalité au virus. Mais dans les pays africains, c’est relativement peu clair, en particulier dans les pays où peu de diagnostics sont faits.
Peut-on parler d'immunité collective au Kenya?
Hennig: Vous venez de mentionner ce nombre pour le Kenya, également pour Nairobi, les sept à huit pour cent de tests PCR, mais testé là où il y a vraisemblablement de nombreuses infections. On est encore loin de l’immunité collective. Cela signifie que l'on suppose que le nombre de cas non signalés est [très] élevé. Seuls les tests d'anticorps peuvent fournir des informations à ce sujet.
Drosten: Exactement, cela a également été fait dans cette étude. [...] 3000 donneurs de sang ont été testés et leur séroprévalence est ici à la fin de la période d'évaluation de l'ordre de 9% [...] c'est une quantité extrêmement élevée pour des donneurs de sang, qui sont des personnes en bonne santé. Il est également fait référence à une étude menée sur la même cohorte en mai. Une séroprévalence de 5% y a déjà été trouvée. […] J'ai aussi le sentiment qu'un regard critique sur les données de laboratoire fait défaut dans certaines études épidémiologiques. Ce transfert direct de données de laboratoire dans la modélisation épidémiologique peut être problématique. Je soupçonne qu'il y a ce problème dans cette étude. […]
Ici, il est fait référence à une étude sérologique menée sur des donneurs de sang, une étude préliminaire qui a été publiée. Mais si vous regardez le test qui a été utilisé, il s'agit d'un seul test ELISA. Ce n'était pas un test ELISA commercial, mais un test interne. Autrement dit, le protocole d'un groupe de travail universitaire apparemment copié dans un laboratoire africain. Et les chiffres qui en sortent sont : 5 % pour les donneurs de sang.
Mais si vous êtes expérimenté dans la réalisation de tests sérologiques, vous savez deux choses. Une chose est qu'il est relativement difficile, en particulier dans les études sérologiques, de simplement prendre de tels tests comme protocole et de les copier. C'est pourquoi vous voulez toujours acheter un produit industriel qui est fabriqué selon des normes de qualité où il n'y a pas de fluctuations dans la qualité du test. C'est une chose. L'autre est que même si vous utilisez de tels produits industriels pour des tests sérologiques, vous avez souvent une très mauvaise surprise lorsque vous commencez à tester des populations qui n'étaient pas incluses dans la validation. Pour le dire simplement: ces tests sérologiques doivent être étalonnés. Vous faites des études qui testent d'abord des personnes en bonne santé qui ne peuvent pas avoir la maladie. Cela détermine le bruit de fond du test.
Et puis vous dites: Le point d'évaluation, d'où l'on qualifie un résultat de test positif, on le place bien au-dessus de ce bruit de fond. Si nous nous tournons ensuite vers d'autres populations, malheureusement, c'est un problème notoire avec les populations africaines, car il y a constamment d'autres infections dans la population que nous n'avons pas ici. Si nous allons simplement en Afrique avec un test sérologique validé en Europe, sans le revalider au préalable pour ces populations et sans réinitialiser ce seuil de positivité, alors nous voyons souvent beaucoup, beaucoup de résultats positifs qui ne sont pas réels.
Par exemple, ici à mon institut, Felix Drexler vient de faire cela pour un test sérologique commercial pour le virus SRAS-2. Il a utilisé cela en Afrique. Il a vu jusqu'à 20% de faux positifs. Il s'agit d'une étude qui a déjà été examinée par des pairs et acceptée pour publication. Ceci n'est qu'une toute petite étude, une étude technique. Je ne veux pas dire: les tests ELISA en Afrique donnent 20% de faux positifs. Ce n'est pas du tout ce que dit cette étude, et ce n'est pas non plus ce que je dis. Je n'utilise cela qu'à titre d'exemple pour vous rappeler qu'il existe de nombreux pièges dans de telles études de séroprévalence et que vous devez faire très attention si vous voulez vraiment inclure ces données dans les études de modélisation épidémiologique qui aboutissent finalement à des conclusions telles que "L'immunité collective dans ce pays a été atteinte." Parce qu'il faut être lucide sur les implications politiques que cela a.
À l'heure actuelle, l'UE, mais aussi de nombreux autres pays dans le monde, essaie d'obtenir un engagement commun pour garantir aux pays les plus pauvres, les pays du Sud, un accès aux vaccins. [...] Les contrats de fourniture avec l'industrie, [sécuriseraient] un quota de vaccins, en payant également pour les pays plus pauvres via un mécanisme commun. Ce n'est bien sûr pas vraiment politiquement bénéfique quand des études scientifiques apparaissent qui disent: "Mais pourquoi? Le problème en Afrique est réglé depuis longtemps, il y a une immunité collective. Et tout s'est bien passé, presque personne n'est mort."
Qu’en est-il vraiment? Dans ce travail on fait la projection qu’il y a déjà environ 40% de séropositifs à Mombasa et Nairobi - 40,9 et 33,8% [...]. Mais cela se fonde sur ces données sérologiques relativement grossières et sujettes aux erreurs. […] Si tel était le cas, c'est-à-dire si la population d'une grande ville comme Nairobi continuait de faire attention [...], s'ils étaient vraiment immunisés à 40%, alors je serais d'accord. [on aurait là] un niveau d'immunité de la population tel qu’on pourrait parler de protection collective. Ce n'est donc pas 70%. Les auteurs argumentent cela très bien dans l'étude. Je pense donc que ce n'est pas une mauvaise étude. Je trouve juste que le message abrégé est un peu problématique. Les auteurs utilisent cet argument ici, à savoir qu'il s'agit peut-être d'un seuil d'immunité collective parce que vous ne vous mélangez pas librement - revoyez le dernier épisode de podcast dans lequel nous avons discuté du fait que tous les réseaux de transmission ne sont pas toujours disponibles. La population entière n'est pas disponible pour le virus ici et maintenant, de sorte qu'en termes réels, le seuil d'immunité collective est naturellement inférieur à 70 % globalement sur un an. Mais pour plus d’un an, nous avons besoin de 70%. Ici et maintenant, peut-être 40% suffisent pour arrêter la transmission.
Hennig: Parce qu’on continue de bouger à l’intérieur de nos cercles.
Drosten: Exact. Et ce sont les groupes plus éloignés qui sont pris en compte. Alors je peux croire ça. Et [je peux aussi penser] que les taux de détection par PCR sont plus faibles. Mais que ce soit parce que l'immunité collective a été atteinte, je ne sais pas si l'étude fournit suffisamment de preuves à cet égard.[...]
Hennig: Il existe une autre étude sur les anticorps d'une région du Nigéria qui produit des valeurs similaires. Ce ne sont pas les donneurs de sang qui ont été examinés, mais les employés du système de santé, entre autres.
Drosten: Il y a plusieurs études, des premières études, qui sont maintenant en preprint. Et il faut toujours dire: Attention, attention, cela n'a pas encore été évalué. Et en tant que virologue, je rajouterais des précautions supplémentaires. Cette étude au Nigéria, par exemple, a également révélé une séroprévalence de 25,4% dans un pays, le Niger, de mai à fin juin. Néanmoins, il y a quelques anomalies : premièrement, il n'y a qu'un petit nombre de participants examinés (seulement 185 personnes). On peut se demander si 185 personnes peuvent être représentatives d’un pays aussi peuplé que le Nigéria. Le biais de sélection, c'est-à-dire la distorsion de la situation par sélection, est alors particulièrement important ici. Il se peut que l’on ait étudié ces gens parce qu’il y avait des cas sur le lieu de l'enquête. Ou qu’on leur ait dit: "nous faisons une étude scientifique aujourd'hui et tous ceux qui veulent peuvent participer." Et que, bien sûr, viennent ceux qui ont été malades et qui veulent savoir s’ils ont eu cette maladie.
Hennig: Il est dit que certaines personnes présentant des symptômes ont déclaré: "Nous avons eu des symptômes grippaux."
Drosten: Exactement. C'est bien sûr une distorsion de la réalité. Et puis il y a une autre caractéristique chez ces 185 participants : dans la subdivision entre urbains et ruraux, il n’y a aucune différence. C'est très étrange quand on a une épidémie pendant si peu de temps, de mars jusqu'à l'enquête en mai, d’avoir la même prévalence à la campagne qu’en ville. Comment est-ce possible? Les différences entre les zones urbaines et rurales en Afrique sont extrêmes. Comme je l'ai dit, d'après ma propre expérience, lorsque vous partez de l'aéroport en voiture et que vous vous rendez dans l'arrière-pays, c'est un voyage dans le temps.[...] Vous n’avez rien de tel en Europe. Que l'on trouve maintenant le même taux d’infection, je pense qu'il faudrait le vérifier. Et si vous regardez de près ce qui a été fait: un test sérologique avec la méthode lateral-flow, donc un test comme celui dont nous avons déjà parlé dans le passé, basé sur le principe d'un test de grossesse pour les anticorps. Et nous savons que ces tests sont sujets à erreur et qu’ils n'ont pas été validés pour les populations africaines. [...]
Nous pouvons aborder très brièvement une autre étude, qui vient du Malawi. [Le test qui a été utilisé est bien meilleur]. Le personnel médical a été examiné et on a trouvé 12,3% de [séroprévalence]. Au fait, dans l'étude avec le Nigéria c'était 25 %, donc vraiment beaucoup. Ici au Malawi 12,3 %, mais il faut aussi dire que cela a été fait dans un hôpital. C’est du personnel médical qui s'occupe des patients. Ils ont été examinés dans une ville de 800.000 habitants. Et c'est aussi une ville, il faut le dire, qui a une longue histoire coloniale, où il y a aussi beaucoup de voyageurs, où beaucoup de gens viennent de l'étranger, et donc le virus a pu être introduit de cette manière.
Et [concernant] les pays d'Afrique subsaharienne en général: la ville est très différente du pays. Nous avons le phénomène de l'exode rural, ce qui fait qu’actuellement il y a beaucoup de jeunes dans les villes, ce qui fait très fortement baisser la moyenne d'âge en ville. Et cette impression [d’avoir] peu de décès dans les populations africaines peut être due au fait que pour le moment, seules des informations concernant les grandes villes sont diffusées, les études médicales ne sont pratiquement effectuées que dans les grandes villes. […] La ville est juste beaucoup, beaucoup plus jeune.[...]Bien sûr, cela signifie que le virus cause beaucoup moins de dégâts dans les villes. Et nous ne savons même pas ce qui se passe dans l'arrière-pays. Quiconque a déjà vraiment voyagé en Afrique sait combien il y a de personnes âgées dans les villages africains. Les gens là-bas atteignent un âge assez avancé et certains ont des problèmes de santé. Et peut-être que nous n'aurons jamais de chiffres pour les campagnes de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. [Nous ne pourrons donc que l’estimer après coup, avec la surmortalité].
Hennig: Et dans les zones rurales, il y a parfois un problème avec les mesures d'hygiène. [Avec l’eau propre].
Drosten: Beaucoup de choses, beaucoup de choses. Peut-être aussi des choses immunomodulatrices, les infections parasitaires, qui sont extrêmement courantes dans ces populations. Où nous ne savons même pas ce que cela fait si on développe la Covid. Nous avons donc l'immunopathogenèse. Et nous ne savons pas ce qu'un système immunitaire aussi modifié fait dans les poumons au cours de cette infection, par rapport au système immunitaire d'un Européen.
Hennig: Parce que peut-être que les parasites atténuent une réaction immunitaire afin de pouvoir rester dans l'hôte et qu'il y aura à nouveau une violente inflammation.
Drosten: Exactement, parce que peut-être que l'auto-reconnaissance des autres dans le système immunitaire cellulaire est conçue un peu plus généreusement, je l'exprime maintenant en termes très familiers. Les immunologistes en souriront ou seront contrariés que je dise cela - selon leur caractère. [...] Avec l'immunopathogenèse, nous commençons tout juste à comprendre ce qui se passe dans les poumons. Bien entendu, une maladie infectieuse à l'échelle de la population qui a touché chaque membre de la population depuis la petite enfance est quelque chose qui nécessite un ajustement complètement nouveau de toutes les études si l'on veut comprendre cela. Vous ne pouvez pas simplement transposer la situation de l'Europe sur Afrique.
Hennig: Cela signifie que certaines conditions qui semblent problématiques - un système immunitaire déjà attaqué par des problèmes complètement différents dans certaines zones - peut également avoir un effet positif avec ce virus.
Drosten: Absolument.
L'exemple de l'Afrique du Sud
Hennig: 32 000 décès ont été signalés en lien avec le coronavirus pour toute l'Afrique. Peu importe dans quelle mesure on peut parler d’une éventuelle immunité collective, la grande interrogation pour les virologues est déjà: les cas sont moins sévères. Une explication pourrait être l'âge, la structure par âge dans les grandes villes, comme vous l'avez dit, peut-être aussi moins de surpoids. Quels autres facteurs peuvent entrer en considération?
Drosten: Pour être honnête, le principal facteur que je vois en ce moment est le reporting. J'ai des doutes sur le message qui est véhiculé en ce moment. Permettez-moi de vous donner un exemple des raisons pour lesquelles je suis si sceptique. Nous savons qu'en Afrique du Sud, nous avons un très, très bon système de santé publique. De nombreux tests y sont également effectués, certes non comparable aux pays européens, mais tout à fait décents. Et on a maintenant les premières données. [...] Un de mes très bons amis est virologue en Afrique du Sud. Il m'a transmis des données encore meilleures.[…] Il y a un district qui est très bien étudié, c'est la région métropolitaine du Cap. Il faut savoir que le centre de Cape Town a une structure très européenne. Mais nous avons aussi Khayelitsha, l'un des plus grands townships d'Afrique du Sud, avec une population très, très pauvre. Nous avons aussi des taux élevés de prévalence du VIH, tous ces problèmes que connaît également l'Afrique du Sud. Et nous avons de bons chiffres pour cet endroit. Là, on a observé quelque chose d’intéressant, je pense que c’est fiable, une séropositivité de 40% en faisant des études. Ceci est basé sur des examens de suivi des échantillons de sang lors de l'examen des femmes enceintes.
Voilà un bon aperçu d'une population adulte, les femmes enceintes. Elles sont dans une tranche d'âge plus jeune que chez nous, surtout autour de la vingtaine. Et puis il y a les cliniques VIH, qui y sont très répandues, qui sont soutenues par le système de santé publique. Il y a beaucoup de prévalence du VIH là-bas et donc beaucoup de traitements et de patients que vous voyez encore et encore. Et si vous vérifiez les échantillons sanguins pour les anticorps anti-SRAS-2 dans ces sections de la population, vous trouvez une séroprévalence de 40%. C’est la population pauvre. Ce sont des cliniques publiques qui sont utilisées ici. Les plus pauvres ont donc tendance à y aller. La population plus riche est plus susceptible d'être traitée dans des cliniques privées et des cabinets privés.
Ainsi, avec une séroprévalence de 40%, nous observons maintenant que la propagation spontanée du virus devient moindre. Il y a maintenant moins de décès. La propagation s’est faite au cours de l'été, hiver là-bas, [pendant lequel] ce virus s'est largement répandu, en particulier parmi les plus pauvres. Il y a vraiment eu des problèmes de soins médicaux. [...]dans la région métropolitaine du Cap, il y a eu une surmortalité de 3900, 40% de séroprévalence dans une population de 3,7 millions d'habitants pour cette zone urbaine.
Si nous admettons que 40 % d'entre eux étaient séropositifs, alors nous pourrions dire que 1,48 million de personnes ont été infectées durant cette vague au Cap. Mais on a 3900 décès, soit 0,28% de mortalité par infection. C'est un chiffre réaliste, même pour une population européenne. Nous sommes ici dans les intervalles de confiance de l'estimation. Lors de la première vague en Espagne et en Angleterre, nous avions 0,8 et 0,9%. On a là 0,28. Il faut le voir généreusement. J'ai calculé une séroprévalence de 40 %, ce qui est particulièrement vrai dans les couches les plus pauvres de la population. Cela ne s'appliquera probablement pas à tout le Cap. La séroprévalence réelle est probablement beaucoup plus faible. Les scientifiques là-bas en Afrique du Sud disent également que la séroprévalence réelle est probablement plus faible et qu'elle peut être deux fois moins élevée. Alors nous serions dans la gamme de 0,6. Et ce serait comparable aux estimations européennes.
Donc, pour le moment, je ne vois pas pourquoi les populations africaines devraient être moins concernées par les décès, surtout lorsque nous nous rendons compte que la maladie était principalement centrée sur les populations les plus pauvres. C’est pourquoi j’ai du mal à croire que l’Afrique n’est pas concernée.
Hennig: Je voudrais à nouveau poser une question brièvement sur l'Afrique du Sud. Donc, [c’est] parce que nous en savons simplement plus sur l'Afrique du Sud que la situation y est un peu plus dramatique que dans d’autres pays?
Drosten: Je crois et j'espère qu'après cette première vague difficile là-bas, quelque chose a effectivement été réalisé en termes d'immunité collective en Afrique du Sud, en particulier dans la population la plus pauvre, qui n'est pas si bien prise en charge, de sorte que l'on peut compter sur les mesures de précaution, la restriction des contacts qui sont maintenues et sont particulièrement efficaces. La considération très simple, le masque que vous portez, qui n'est peut-être pas totalement efficace, mais l’est particulièrement à cause de l’immunité de groupe.
Ce serait bien, ce serait une très bonne nouvelle. Mais en aucun cas il ne faut en conclure qu’on doit désormais moins se soucier du continent africain en termes de coopération internationale. Au contraire, il faut faire attention maintenant à ce qui se passe là-bas, car on n’en sait trop peu et on peut avoir de mauvaises surprises si on se sent en sécurité sur la base de ces premières études qui apparaissent et qui peuvent être surinterprétées.
Si vous regardez les chiffres de la Johns Hopkins University pour l'Afrique du Sud: 15.447 décès pour près de 650.000 cas enregistrés, soit 2,4% de mortalité par cas. C’est ce qu’on constate également dans de nombreux autres pays du monde sur la base des cas déclarés. Ce n'est pas la mortalité infectieuse, donc ces statistiques sont toujours surestimées. Mais elles ne sont pas faites différemment ici que dans les pays européens. C'est pourquoi j'ai l'impression qu'il serait peut-être imprudent de dire que tout est complètement différent en Afrique. Alors certainement, dans les grandes villes africaines avec une composition par âge particulièrement jeune, oui, il se peut qu’on y voie moins de décès. Mais il n’y a pas que le fardeau des décès.
Inocula faibles de Sras2 = variolisation ?
Hennig: Il reste encore beaucoup de questions sans réponse sur l'Afrique. Enfin, je voudrais à nouveau transmettre une question du public. Quelqu'un qui est cardiologue nous l'a posée. […] Est-il réellement envisageable, demande-t-il, que le système immunitaire [se renforce] si vous êtes confronté à une faible charge virale plus souvent [...] Est-ce possible?
Drosten: Eh bien, c'est concevable. Un article a récemment été publié dans le New England Journal of Medicine. Il ne s'agit que d'un article d'opinion. Mais cela a de nouveau été largement diffusé dans les médias comme une nouvelle découverte scientifique alors que ce n'est pas le cas. L'argument est le suivant: si tout le monde porte des masques, alors en moyenne, tout le monde excrète moins de virus. Ce moins de virus rappelle une mesure connue dans le cas de la vaccination contre la variole, ou variolation, [qui consiste à laisser sécher des pellicules de peau de malades, de sorte que le virus diminue mais ne disparaît pas totalement, qu’on applique ensuite dans une incision]. Et comme il y a peu de virus, beaucoup de gens tombent moins malades et ne meurent pas. [Ils sont] ensuite immunisés. Et maintenant on dit : avec le masque, [...] la dose moyenne de virus transmise est peut-être plus faible et alors l'infection complète ne se déclare pas, mais plutôt une infection superficielle ? Et sans que nous nous en rendions compte, nous sommes soudainement immunisés car nous n'avons que très peu de virus. Il y a des raisons de penser qu'une telle chose pourrait exister. Par exemple, dans un précédent épisode de podcast, nous avons parlé de cette étude suisse sur la séroprévalence, où il y avait des indications que le personnel hospitalier qui est exposé professionnellement n'a indiqué qu'une légère sécrétion d'anticorps IgA sur la membrane muqueuse, alors qu’on ne voyait aucun anticorps dans le sang. Il se peut qu'ils soient partiellement protégés. Et le terme d'immunité partielle a parfois été utilisé par des experts en public, qui n’a rien à faire dans ce contexte. Il appartient davantage au domaine de l'immunité antipaludique. Nous savons qu'il existe une immunité partielle. Cela n'a rien à voir avec une maladie des voies respiratoires. Et avec la variolation, donc la variole, c'est un mécanisme d'infection complètement différent. Vous inhalez déjà le virus, mais ensuite il passe systématiquement par le sang. Je ne veux donc pas écarter tout cela d'emblée. C’est peut-être vrai. Et ce serait génial si c'était le cas.
Hennig: Mais il y a encore beaucoup de subjonctif.
Rester prudents
Drosten: Exactement. C'est donc une belle spéculation académique. Tout cela est bien beau, mais la question est: qui voudrait assumer la responsabilité de traduire cela en lignes directrices? Personne. Et c'est en fait le problème que nous avons pour cet automne et hiver. Après tout, ça fait un moment que nous ne faisons plus un podcast pour les [passionnés] de la virologie académique. Ce serait bien. Au contraire, on se pose toujours la question - et si nous ne le faisons pas ici, alors d’autres le font à notre place - qu'est-ce que cela signifie maintenant? Et alors un message serait rapidement généré qui irait dans le sens de ce que nous avons discuté au début : c’était pas la peine de faire tout ça, on aurait pu le savoir et si tout le monde avait porté des masques etc. Il y a tellement d'objections à formuler. [C’est sans fin]
Mais si [on veut s’y retrouver], alors vous devez dire: quel est l'intérêt de se faire tous ces reproches rétrospectivement, qui sont essentiellement faux de toute façon et qui, cet hiver, seront regrettés par ceux qui portent maintenant ces accusations? Il suffit de regarder les pays voisins. Et puis l'argument reviendra: oui, mais personne ne meurt. Personne ne meurt maintenant, bien sûr, mais le virus doit d'abord se répartir dans les cohortes plus âgées. Et cela prend plusieurs semaines. Et puis ils doivent arriver à l'hôpital et se dégrader. Cela aussi prend plusieurs semaines. [...] Cela ne conduit finalement pas à une nouvelle compréhension des phénomènes.
Nous n'avons aucune preuve que le virus a changé. Nous nous attendions à ce qu'il y ait moins de cas cet été. On sait que les autres coronavirus apparaissent moins en été, que la grippe apparaît moins en été. Et c'est pourquoi nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le fait que l'hiver reviendra.
Drosten: Exactement. C'est bien sûr une distorsion de la réalité. Et puis il y a une autre caractéristique chez ces 185 participants : dans la subdivision entre urbains et ruraux, il n’y a aucune différence. C'est très étrange quand on a une épidémie pendant si peu de temps, de mars jusqu'à l'enquête en mai, d’avoir la même prévalence à la campagne qu’en ville. Comment est-ce possible? Les différences entre les zones urbaines et rurales en Afrique sont extrêmes. Comme je l'ai dit, d'après ma propre expérience, lorsque vous partez de l'aéroport en voiture et que vous vous rendez dans l'arrière-pays, c'est un voyage dans le temps.[...] Vous n’avez rien de tel en Europe. Que l'on trouve maintenant le même taux d’infection, je pense qu'il faudrait le vérifier. Et si vous regardez de près ce qui a été fait: un test sérologique avec la méthode lateral-flow, donc un test comme celui dont nous avons déjà parlé dans le passé, basé sur le principe d'un test de grossesse pour les anticorps. Et nous savons que ces tests sont sujets à erreur et qu’ils n'ont pas été validés pour les populations africaines. [...]
Nous pouvons aborder très brièvement une autre étude, qui vient du Malawi. [Le test qui a été utilisé est bien meilleur]. Le personnel médical a été examiné et on a trouvé 12,3% de [séroprévalence]. Au fait, dans l'étude avec le Nigéria c'était 25 %, donc vraiment beaucoup. Ici au Malawi 12,3 %, mais il faut aussi dire que cela a été fait dans un hôpital. C’est du personnel médical qui s'occupe des patients. Ils ont été examinés dans une ville de 800.000 habitants. Et c'est aussi une ville, il faut le dire, qui a une longue histoire coloniale, où il y a aussi beaucoup de voyageurs, où beaucoup de gens viennent de l'étranger, et donc le virus a pu être introduit de cette manière.
Et [concernant] les pays d'Afrique subsaharienne en général: la ville est très différente du pays. Nous avons le phénomène de l'exode rural, ce qui fait qu’actuellement il y a beaucoup de jeunes dans les villes, ce qui fait très fortement baisser la moyenne d'âge en ville. Et cette impression [d’avoir] peu de décès dans les populations africaines peut être due au fait que pour le moment, seules des informations concernant les grandes villes sont diffusées, les études médicales ne sont pratiquement effectuées que dans les grandes villes. […] La ville est juste beaucoup, beaucoup plus jeune.[...]Bien sûr, cela signifie que le virus cause beaucoup moins de dégâts dans les villes. Et nous ne savons même pas ce qui se passe dans l'arrière-pays. Quiconque a déjà vraiment voyagé en Afrique sait combien il y a de personnes âgées dans les villages africains. Les gens là-bas atteignent un âge assez avancé et certains ont des problèmes de santé. Et peut-être que nous n'aurons jamais de chiffres pour les campagnes de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. [Nous ne pourrons donc que l’estimer après coup, avec la surmortalité].
Hennig: Et dans les zones rurales, il y a parfois un problème avec les mesures d'hygiène. [Avec l’eau propre].
Drosten: Beaucoup de choses, beaucoup de choses. Peut-être aussi des choses immunomodulatrices, les infections parasitaires, qui sont extrêmement courantes dans ces populations. Où nous ne savons même pas ce que cela fait si on développe la Covid. Nous avons donc l'immunopathogenèse. Et nous ne savons pas ce qu'un système immunitaire aussi modifié fait dans les poumons au cours de cette infection, par rapport au système immunitaire d'un Européen.
Hennig: Parce que peut-être que les parasites atténuent une réaction immunitaire afin de pouvoir rester dans l'hôte et qu'il y aura à nouveau une violente inflammation.
Drosten: Exactement, parce que peut-être que l'auto-reconnaissance des autres dans le système immunitaire cellulaire est conçue un peu plus généreusement, je l'exprime maintenant en termes très familiers. Les immunologistes en souriront ou seront contrariés que je dise cela - selon leur caractère. [...] Avec l'immunopathogenèse, nous commençons tout juste à comprendre ce qui se passe dans les poumons. Bien entendu, une maladie infectieuse à l'échelle de la population qui a touché chaque membre de la population depuis la petite enfance est quelque chose qui nécessite un ajustement complètement nouveau de toutes les études si l'on veut comprendre cela. Vous ne pouvez pas simplement transposer la situation de l'Europe sur Afrique.
Hennig: Cela signifie que certaines conditions qui semblent problématiques - un système immunitaire déjà attaqué par des problèmes complètement différents dans certaines zones - peut également avoir un effet positif avec ce virus.
Drosten: Absolument.
L'exemple de l'Afrique du Sud
Hennig: 32 000 décès ont été signalés en lien avec le coronavirus pour toute l'Afrique. Peu importe dans quelle mesure on peut parler d’une éventuelle immunité collective, la grande interrogation pour les virologues est déjà: les cas sont moins sévères. Une explication pourrait être l'âge, la structure par âge dans les grandes villes, comme vous l'avez dit, peut-être aussi moins de surpoids. Quels autres facteurs peuvent entrer en considération?
Drosten: Pour être honnête, le principal facteur que je vois en ce moment est le reporting. J'ai des doutes sur le message qui est véhiculé en ce moment. Permettez-moi de vous donner un exemple des raisons pour lesquelles je suis si sceptique. Nous savons qu'en Afrique du Sud, nous avons un très, très bon système de santé publique. De nombreux tests y sont également effectués, certes non comparable aux pays européens, mais tout à fait décents. Et on a maintenant les premières données. [...] Un de mes très bons amis est virologue en Afrique du Sud. Il m'a transmis des données encore meilleures.[…] Il y a un district qui est très bien étudié, c'est la région métropolitaine du Cap. Il faut savoir que le centre de Cape Town a une structure très européenne. Mais nous avons aussi Khayelitsha, l'un des plus grands townships d'Afrique du Sud, avec une population très, très pauvre. Nous avons aussi des taux élevés de prévalence du VIH, tous ces problèmes que connaît également l'Afrique du Sud. Et nous avons de bons chiffres pour cet endroit. Là, on a observé quelque chose d’intéressant, je pense que c’est fiable, une séropositivité de 40% en faisant des études. Ceci est basé sur des examens de suivi des échantillons de sang lors de l'examen des femmes enceintes.
Voilà un bon aperçu d'une population adulte, les femmes enceintes. Elles sont dans une tranche d'âge plus jeune que chez nous, surtout autour de la vingtaine. Et puis il y a les cliniques VIH, qui y sont très répandues, qui sont soutenues par le système de santé publique. Il y a beaucoup de prévalence du VIH là-bas et donc beaucoup de traitements et de patients que vous voyez encore et encore. Et si vous vérifiez les échantillons sanguins pour les anticorps anti-SRAS-2 dans ces sections de la population, vous trouvez une séroprévalence de 40%. C’est la population pauvre. Ce sont des cliniques publiques qui sont utilisées ici. Les plus pauvres ont donc tendance à y aller. La population plus riche est plus susceptible d'être traitée dans des cliniques privées et des cabinets privés.
Ainsi, avec une séroprévalence de 40%, nous observons maintenant que la propagation spontanée du virus devient moindre. Il y a maintenant moins de décès. La propagation s’est faite au cours de l'été, hiver là-bas, [pendant lequel] ce virus s'est largement répandu, en particulier parmi les plus pauvres. Il y a vraiment eu des problèmes de soins médicaux. [...]dans la région métropolitaine du Cap, il y a eu une surmortalité de 3900, 40% de séroprévalence dans une population de 3,7 millions d'habitants pour cette zone urbaine.
Si nous admettons que 40 % d'entre eux étaient séropositifs, alors nous pourrions dire que 1,48 million de personnes ont été infectées durant cette vague au Cap. Mais on a 3900 décès, soit 0,28% de mortalité par infection. C'est un chiffre réaliste, même pour une population européenne. Nous sommes ici dans les intervalles de confiance de l'estimation. Lors de la première vague en Espagne et en Angleterre, nous avions 0,8 et 0,9%. On a là 0,28. Il faut le voir généreusement. J'ai calculé une séroprévalence de 40 %, ce qui est particulièrement vrai dans les couches les plus pauvres de la population. Cela ne s'appliquera probablement pas à tout le Cap. La séroprévalence réelle est probablement beaucoup plus faible. Les scientifiques là-bas en Afrique du Sud disent également que la séroprévalence réelle est probablement plus faible et qu'elle peut être deux fois moins élevée. Alors nous serions dans la gamme de 0,6. Et ce serait comparable aux estimations européennes.
Donc, pour le moment, je ne vois pas pourquoi les populations africaines devraient être moins concernées par les décès, surtout lorsque nous nous rendons compte que la maladie était principalement centrée sur les populations les plus pauvres. C’est pourquoi j’ai du mal à croire que l’Afrique n’est pas concernée.
Hennig: Je voudrais à nouveau poser une question brièvement sur l'Afrique du Sud. Donc, [c’est] parce que nous en savons simplement plus sur l'Afrique du Sud que la situation y est un peu plus dramatique que dans d’autres pays?
Drosten: Je crois et j'espère qu'après cette première vague difficile là-bas, quelque chose a effectivement été réalisé en termes d'immunité collective en Afrique du Sud, en particulier dans la population la plus pauvre, qui n'est pas si bien prise en charge, de sorte que l'on peut compter sur les mesures de précaution, la restriction des contacts qui sont maintenues et sont particulièrement efficaces. La considération très simple, le masque que vous portez, qui n'est peut-être pas totalement efficace, mais l’est particulièrement à cause de l’immunité de groupe.
Ce serait bien, ce serait une très bonne nouvelle. Mais en aucun cas il ne faut en conclure qu’on doit désormais moins se soucier du continent africain en termes de coopération internationale. Au contraire, il faut faire attention maintenant à ce qui se passe là-bas, car on n’en sait trop peu et on peut avoir de mauvaises surprises si on se sent en sécurité sur la base de ces premières études qui apparaissent et qui peuvent être surinterprétées.
Si vous regardez les chiffres de la Johns Hopkins University pour l'Afrique du Sud: 15.447 décès pour près de 650.000 cas enregistrés, soit 2,4% de mortalité par cas. C’est ce qu’on constate également dans de nombreux autres pays du monde sur la base des cas déclarés. Ce n'est pas la mortalité infectieuse, donc ces statistiques sont toujours surestimées. Mais elles ne sont pas faites différemment ici que dans les pays européens. C'est pourquoi j'ai l'impression qu'il serait peut-être imprudent de dire que tout est complètement différent en Afrique. Alors certainement, dans les grandes villes africaines avec une composition par âge particulièrement jeune, oui, il se peut qu’on y voie moins de décès. Mais il n’y a pas que le fardeau des décès.
Inocula faibles de Sras2 = variolisation ?
Hennig: Il reste encore beaucoup de questions sans réponse sur l'Afrique. Enfin, je voudrais à nouveau transmettre une question du public. Quelqu'un qui est cardiologue nous l'a posée. […] Est-il réellement envisageable, demande-t-il, que le système immunitaire [se renforce] si vous êtes confronté à une faible charge virale plus souvent [...] Est-ce possible?
Drosten: Eh bien, c'est concevable. Un article a récemment été publié dans le New England Journal of Medicine. Il ne s'agit que d'un article d'opinion. Mais cela a de nouveau été largement diffusé dans les médias comme une nouvelle découverte scientifique alors que ce n'est pas le cas. L'argument est le suivant: si tout le monde porte des masques, alors en moyenne, tout le monde excrète moins de virus. Ce moins de virus rappelle une mesure connue dans le cas de la vaccination contre la variole, ou variolation, [qui consiste à laisser sécher des pellicules de peau de malades, de sorte que le virus diminue mais ne disparaît pas totalement, qu’on applique ensuite dans une incision]. Et comme il y a peu de virus, beaucoup de gens tombent moins malades et ne meurent pas. [Ils sont] ensuite immunisés. Et maintenant on dit : avec le masque, [...] la dose moyenne de virus transmise est peut-être plus faible et alors l'infection complète ne se déclare pas, mais plutôt une infection superficielle ? Et sans que nous nous en rendions compte, nous sommes soudainement immunisés car nous n'avons que très peu de virus. Il y a des raisons de penser qu'une telle chose pourrait exister. Par exemple, dans un précédent épisode de podcast, nous avons parlé de cette étude suisse sur la séroprévalence, où il y avait des indications que le personnel hospitalier qui est exposé professionnellement n'a indiqué qu'une légère sécrétion d'anticorps IgA sur la membrane muqueuse, alors qu’on ne voyait aucun anticorps dans le sang. Il se peut qu'ils soient partiellement protégés. Et le terme d'immunité partielle a parfois été utilisé par des experts en public, qui n’a rien à faire dans ce contexte. Il appartient davantage au domaine de l'immunité antipaludique. Nous savons qu'il existe une immunité partielle. Cela n'a rien à voir avec une maladie des voies respiratoires. Et avec la variolation, donc la variole, c'est un mécanisme d'infection complètement différent. Vous inhalez déjà le virus, mais ensuite il passe systématiquement par le sang. Je ne veux donc pas écarter tout cela d'emblée. C’est peut-être vrai. Et ce serait génial si c'était le cas.
Hennig: Mais il y a encore beaucoup de subjonctif.
Rester prudents
Drosten: Exactement. C'est donc une belle spéculation académique. Tout cela est bien beau, mais la question est: qui voudrait assumer la responsabilité de traduire cela en lignes directrices? Personne. Et c'est en fait le problème que nous avons pour cet automne et hiver. Après tout, ça fait un moment que nous ne faisons plus un podcast pour les [passionnés] de la virologie académique. Ce serait bien. Au contraire, on se pose toujours la question - et si nous ne le faisons pas ici, alors d’autres le font à notre place - qu'est-ce que cela signifie maintenant? Et alors un message serait rapidement généré qui irait dans le sens de ce que nous avons discuté au début : c’était pas la peine de faire tout ça, on aurait pu le savoir et si tout le monde avait porté des masques etc. Il y a tellement d'objections à formuler. [C’est sans fin]
Mais si [on veut s’y retrouver], alors vous devez dire: quel est l'intérêt de se faire tous ces reproches rétrospectivement, qui sont essentiellement faux de toute façon et qui, cet hiver, seront regrettés par ceux qui portent maintenant ces accusations? Il suffit de regarder les pays voisins. Et puis l'argument reviendra: oui, mais personne ne meurt. Personne ne meurt maintenant, bien sûr, mais le virus doit d'abord se répartir dans les cohortes plus âgées. Et cela prend plusieurs semaines. Et puis ils doivent arriver à l'hôpital et se dégrader. Cela aussi prend plusieurs semaines. [...] Cela ne conduit finalement pas à une nouvelle compréhension des phénomènes.
Nous n'avons aucune preuve que le virus a changé. Nous nous attendions à ce qu'il y ait moins de cas cet été. On sait que les autres coronavirus apparaissent moins en été, que la grippe apparaît moins en été. Et c'est pourquoi nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le fait que l'hiver reviendra.