samedi 13 juin 2020

Groupes sanguins, anticorps, modélisations, masques. Podcast #48 du 11 juin 2020

Korinna Hennig : M. Drosten, dans le dernier épisode, nous avons parlé des mutations et du fait qu'il y a apparemment différentes variantes du virus en circulation qui peuvent être transmises simultanément. La question s'est posée de savoir si nous devions nous attendre à ce que l'évolution du virus ait un impact sur le développement des vaccins. Faut-il constamment adapter le vaccin comme dans le cas de la grippe ?

Christian Drosten : Le développement de vaccins doit toujours tenir compte de l'activité de mutation du virus. Dans le cas de la grippe, il est notoire que le virus "dérive". Cela permet de contourner la protection que le vaccin apporte à la population, de saison en saison ou même par cycles de plusieurs années. C'est une chose dont il faut toujours tenir compte lorsqu'un nouveau virus est introduit. Mais ce n'est pas encore le cas. L'activité de mutation du nouveau virus est encore si faible que nous avons presque toujours des problèmes pour distinguer les virus. Rien ne prouve, par exemple, que des changements sont déjà en cours dans la principale protéine de surface qui invalideraient la protection de l'un des candidats vaccins. Nous en sommes encore loin. Pour voir cela, il faudrait utiliser le même vaccin encore et encore dans une grande population pendant de nombreuses années. En même temps, il faudrait que le virus circule dans la population pour que le virus réagisse, ce qui le soumettrait à une pression de sélection. Le virus lui-même ne répond pas.

Hennig : Mais l'épidémie réagit ?

Drosten : On peut dire que l’activité épidémique va réagir à un moment donné. Mais nous n’en sommes pas là, nous n'avons pas à nous inquiéter.

Hennig : Vous venez de parler de candidats vaccins. Pouvons-nous déjà dire si l'un des principes sur lesquels ils fonctionnent serait un avantage ou un inconvénient?

Drosten : Nous avons des prémonitions sur les candidats vaccins qui pourraient être particulièrement efficaces. Je ne veux pas trop entrer dans les détails car ce n'est qu'une des considérations à prendre en compte lors de la discussion sur les vaccins. La question est maintenant de savoir quel vaccin peut être produit en grande quantité.

Les groupes sanguins

Hennig : Nous en avons déjà parlé, et nous allons certainement reprendre cette question dans le podcast. Alors, passons aux études que nous avons prévues pour aujourd'hui. Nous avons reçu de nombreuses demandes à propos d’une étude d'Oslo et de Kiel, en preprint. Les chercheurs ont apparemment trouvé des indications qu'un cours sévère de la maladie est également lié au groupe sanguin. Le groupe sanguin A positif est plus à risque que les autres. Le groupe sanguin O, en revanche, semble avoir une légère protection génétique. La génétique n'est pas votre sujet principal, mais vous pouvez peut-être nous en dire un peu plus à ce sujet. Le fait que la réponse immunitaire puisse être liée au groupe sanguin n'est pas très surprenant, n'est-ce pas ?

Drosten : En principe, il s'agit de gènes fonctionnels qui codent pour des protéines qui ont quelque chose à voir entre elles dans certains domaines. Nous savons également que la coagulation du sang joue un rôle évident dans cette maladie Covid19. À cet égard, ce n'est pas invraisemblable. L'étude a été réalisée par des groupes de recherche en génétique humaine de premier plan à Oslo et à Kiel. Des données ont été recueillies en Italie et en Espagne, où des épidémies importantes ont eu lieu. Il s'agissait d'un nombre relativement important de patients pour une étude menée aussi rapidement.

Hennig : 4 000 au total.

Drosten : Exactement. Cela se répartit en 835 patients et 1 255 contrôles en Italie et 775 patients et 950 contrôles en Espagne. Il est important de rappeler quel est le but des contrôles. En tant que généticiens humains, nous devons découvrir si les gènes sont peut-être plus fréquents dans un groupe de malades que dans la population normale. C'est ce que nous contrôlons. Nous contrôlons la fréquence du même gène dans la population normale. Un trait génétique a été trouvé dans cette étude. C'est dans un locus génétique qui code pour les groupes sanguins. Ils ont ensuite procédé à une analyse spécifique du groupe sanguin. Dans cette analyse, ils ont constaté que les personnes A-positives avaient un risque plus élevé de développer une maladie grave. Le critère était l’oxygénation. Il existe une mesure du risque, le «odds-ratio». Il est de 1,45 pour le groupe sanguin A (1 étant la situation normale). Et le groupe sanguin 0 : 0,65. [...]

Hennig : Avec un groupe sanguin A positif, il y a une fréquence 50 % plus élevée, peut-on dire cela ?

Drosten : Ce n'est pas directement convertible. Mais on peut le dire pour s’en rendre compte, c'est ce qui ressort de cette étude. Les patients du groupe sanguin A ont un risque plus élevé de souffrir sévèrement de la maladie Covid19, c'est-à-dire d’avoir besoin d’oxygène.

Hennig : Que pouvons-nous déduire d'un tel résultat ? C’est certainement intéressant pour la recherche, mais en tant que patient individuel ? J'ai, par exemple, le groupe sanguin A positif, j'ai revérifié. Mais je n'ai pas trop à m'inquiéter à ce sujet ?

Drosten : Si vous êtes de groupe sanguin A positif, on pourrait penser que vous avez un risque plus élevé d'être plus sévèrement atteint, si vous vous contaminez. Au fait, je suis du groupe sanguin O.

Hennig : On pourrait donc penser que vous êtes mieux loti !

Drosten : Oui, mais on ne peut pas le déduire comme ça directement. Parce qu'il y a beaucoup d'autres facteurs, comme l'âge et beaucoup d'autres maladies. Nous réfléchissons à la question de savoir si la dose infectieuse que vous recevez au début de la maladie peut en déterminer l'évolution. Il y a beaucoup de choses qui sont inconnues aujourd'hui. Dans cette étude, il y a également de nombreux autres facteurs possibles.

Un autre facteur a été trouvé, il s'agit d'un facteur de risque totalement indépendant, une autre mutation génétique à un endroit complètement différent. Donc, ce que vous extrayez des données est un facteur de risque. Cela ne signifie pas que les personnes de groupe sanguin A doivent s'inquiéter de contracter cette maladie. Mais c'est une première constatation intéressante, et souvent, dans les études d'association pangénomique, il n'est pas possible de définir une nouvelle catégorie de patients à risque pour la surveillance épidémiologique, mais cela nous donne de nouvelles connaissances sur la physiopathologie, les effets pathogènes de cette maladie. Comme dans le cas présent, où les auteurs disent que c'est plausible. Les observations cliniques ont déjà montré que des choses comme les facteurs de coagulation du sang, qui sont en partie codés dans ces loci de gènes, jouent un rôle dans la physiopathologie de cette maladie.

Hennig : En d'autres termes, il serait possible de combiner les facteurs de risque dans l'évaluation clinique d'une personne qui en est au début de la maladie et de dire : Nous devons commencer à donner des médicaments plus tôt ? Chez les personnes âgées, par exemple, qui ont une certaine disposition à l'égard du groupe sanguin ?

Drosten : Voilà. Si un clinicien expérimenté lit cette étude, il sera de toute façon inquiet devant un certain profil : plus âgé, en surpoids, atteint d'une maladie cardiaque sous-jacente. Et puis, quand il voit : groupe sanguin A, il serait encore plus inquiet et regarderait de plus près ce patient. [...] Mais cela ne veut pas dire que tous ceux qui sont du groupe A doivent s'inquiéter.

Hennig : Et que tous ceux qui sont du groupe O pensent : de toute façon, ça ne me concerne pas.

Drosten : Exactement.

Les anticorps

Hennig : Donc, comme toujours avec ces détails - il faut les regarder avec beaucoup de prudence. Si l'organisme se défend contre le virus, il forme généralement des anticorps. Même si nous avons appris ici dans le podcast que ce n'est pas la seule réponse immunitaire. Mais elle peut être mesurée par un test et indiquer qui a développé une immunité. Et ici, différents types d'anticorps jouent un rôle: les anticorps IgM, IgG, IgA. Une étude menée à Zurich a examiné la détection des anticorps et a donné des résultats très différents. La production ou non d'anticorps et leur nature dépendent-elles de l'âge et de la gravité de la maladie? Peut-on le déduire de cette étude?

Drosten : Oui, cette implication est faite à la fin de l'étude, où tout est résumé en une synthèse. En principe, il s'agit d'une enquête sérologique. Ici, on a effectué des tests d'anticorps sur des patients et du personnel hospitalier. Pas seulement les anticorps que nous testons normalement avec les tests sérologiques, les IgG, anticorps de l'immunoglobuline G. On a également testé les anticorps IgA, qui est un autre sous-type. Ils sont généralement dans une double conformation. Beaucoup d'auditeurs savent que les anticorps ressemblent à un Y. Là où le Y a sa fourchette, le virus est lié. Dans ce cas, l'anticorps ressemble à deux Y qui sont attachés ensemble au niveau de la tige avec les fourches tournées l'une vers l'autre. C'est à cela que ressemble une molécule d'IgA. On peut aller plus loin. Un certain type de molécule d'IgA se trouve davantage dans le sang. Mais un autre type de molécule d'IgA est particulièrement intéressant dans ce contexte. Ce sont les IgA qui sont libérées dans les sécrétions, sur les muqueuses, la muqueuse nasale. Mais aussi dans la salive ou dans presque tous les autres fluides corporels produits par les glandes. Le lait maternel contient également beaucoup d'IgA sécrétées. Cela a une fonction biologique. Sur les muqueuses, ces molécules d'IgA sont censées éloigner les agents pathogènes sur le lieu d'action. Ceci est le résultat d'une réaction immunitaire spécifique. Nos cellules B sont à l'extrémité de cette chaîne de réaction pour la formation d'anticorps, elles ne fabriquent pas seulement des anticorps IgG dans le sérum. Elles fabriquent également des anticorps IgA, même ceux qui sont sécrétés, sur les muqueuses. Et ce groupe de recherche ne cherchait pas seulement des anticorps IgG normaux, mais aussi des anticorps IgA. Il s'agit d'une longue étude. Il est intéressant de noter qu'ils se sont penchés sur le personnel hospitalier, c'est-à-dire les infirmières, les médecins qui sont en contact avec ces patients.

Hennig : Et ceux qui ont été testés positifs et négatifs.

Drosten : Oui, ils ont également été testés avec la PCR. […] Il y a également la distinction entre membres du personnel hospitalier qui ont eu des symptômes ou pas. Et on voit ce à quoi on s’attend : Ceux qui n'ont pas eu de symptômes et qui ont eu une PCR négative, il n'y a pas d'anticorps IgG. Dans un cas, il y avait des anticorps IgA mesurables. C'est intéressant. Mais lorsque l'on progresse davantage, symptomatique mais PCR négative puis symptomatique et PCR positive, les taux de détection des anticorps augmente, IgG et IgA, comme on s’y attend. Quelqu'un qui produit des IgG produit probablement aussi des IgA.

Hennig : Pour expliquer: ce sont deux anticorps qui ne se forment pas en premier. Les anticorps IgM arrivent en premier, puis s'effacent. Ensuite, il faut un peu plus de temps pour que les IgG et les IgA arrivent.

Drosten : Oui, les anticorps IgM viennent en premier. Cependant, nous avons également une production précoce d'IgA dans de nombreuses maladies, y compris la Covid19. Nous effectuons également des examens sérologiques dans notre laboratoire. Nous faisons parfois ce test d'IgA. On peut donc déjà dire que les patients atteints de cette maladie produisent des IgA plus tôt que des IgG. Pas beaucoup plus tôt - un ou deux jours.

Hennig : Mais les IgA ne sont pas testées dans les tests d'anticorps normaux ?

Drosten : Vous devez faire un test spécial, un test d'IgA. Certaines entreprises effectuent des tests d'anticorps qui contiennent également des IgA. Dans les diagnostics de routine, il n'est pas nécessairement important de les distinguer. Maintenant, cela devient intéressant : nous avons vu qu'il y a une part des personnes exposées qui ont été infectées, que cela ait été confirmé ou non par PCR. Mais il y a aussi des personnes testées négatif qui ne sont pas positives aux deux anticorps IgG et IgA. Mais comme c'est du personnel hospitalier qui s'est occupé de ces patients, on a examiné la question de plus près.

Si vous faites un test spécial où les anticorps sont vraiment spécifiques contre le domaine de liaison du récepteur de ce nouveau virus du SRAS-2 - c'est une partie spécifique du virus qui n'existe pas dans les coronavirus communs. Il faut donc faire attention à ne pas tester des anticorps qui proviennent d'un rhume passé. Une réactivité croisée - nous en avons déjà parlé ici à plusieurs reprises. Cela se fait au moyen d'un test spécifique qui va à l'encontre du domaine de liaison du récepteur. Si les liquides organiques des patients testés sont négatifs, comme le liquide lacrymal car les IgA sont excrétées dans le liquide lacrymal. Les larmes sont un fluide corporel particulièrement propre, contrairement à la salive ou au mucus du nez. Le liquide lacrymal est clair comme de l'eau et peut être très bien traité. On a travaillé avec. Et là, on constate que 15 à 20 % sont positifs aux IgA, selon le résultat du laboratoire, alors qu'ils n'ont pas d'IgG dans le sérum.

Hennig : Ils n'ont donc produit que des anticorps IgA ?

Drosten : Exactement. C'est bien sûr une observation intéressante, que les auteurs interprètent comme je l'interpréterais : Que cela pourrait être le signe d'une réaction immunitaire locale. Nous avons également du tissu lymphatique attaché aux muqueuses où une réponse immunitaire adaptative a lieu. Cela ne doit pas toujours passer par les gros ganglions lymphatiques, où il y a un grand nombre de lymphocytes. Il y a également du tissu lymphatique attaché à la muqueuse. Nous pourrions avoir ici une indication que nous avons une production locale d'anticorps IgA après une infection avortée. Le virus a donc pénétré dans la muqueuse, s'est répliqué, puis s'est arrêté, peut-être grâce à une intervention précoce du système immunitaire inné.

C'est là que certains types de cellules frappent et commencent à stimuler les lymphocytes. Cela a pu en rester aux lymphocytes locaux, qui ont produit une réponse immunitaire locale, y compris des IgA. Et cela a stoppé l'infection virale. Les patients ne se sont peut-être même pas sentis malades, ou juste légèrement. La PCR n'était pas ou plus positive au moment du test. C'est l'interprétation des auteurs. Je suis d'accord pour dire que c'est tout à fait possible. D'autres diraient peut-être : non, je ne pense pas, ce sont probablement des réactions croisées en laboratoire. Mais je pense qu'il pourrait y avoir quelque chose. Et nous cherchons des explications aux nombreux cas bénins que nous observons dans cette maladie. Et c'est certainement l'une des explications possibles. Et peut-être aussi une explication qui, dans ce cas, serait encore plus immédiate que la variabilité du groupe sanguin dans la population.

Hennig : Est-il possible d'en conclure que certaines personnes asymptomatiques se promènent, entrent en contact avec le virus, sont infectées juste un peu, et ne sont donc pas vraiment infectées, mais sont peut-être immunisées contre une nouvelle infection grave ?

Drosten : C'est d'abord une immunité locale ici. Nous ne savons pas exactement dans quelle mesure il s'agit d'une mémoire immunitaire. Mais on peut supposer qu'il existe une certaine fonction de mémoire. Nous savons également qu'avec d'autres coronavirus, nous pouvons être infectés à plusieurs reprises par le même virus. Nous avons une mauvaise mémoire immunitaire avec les infections à coronavirus. Il est donc possible qu'une personne qui a eu un effet transitoire local et [dont] l'infection est terminée pourrait se réinfecter à la prochaine occasion lors de nouveaux contacts. Mais je pense que la probabilité qu'il s'agisse d'une maladie moins sévère est relativement élevée.

Hennig : Les auteurs concluent prudemment que cela pourrait également expliquer les cas bénins chez les enfants. Parce qu'ils ont plus d'IgA dans leurs muqueuses, parce qu'ils ont des infections respiratoires plus fréquentes. S'agit-il d'un système immunitaire plus performant ? Si des anticorps sont formés contre d'autres coronavirus, cela ne devrait-il pas être utile ici aussi ?

Drosten : Les auteurs affirment qu'il y a ici une amorce de réponse immunitaire mucosale. Les lymphocytes y sont stimulés à plusieurs reprises par des infections à coronavirus, comme on en trouve dans les crèches. Cela a certainement aussi des effets de réaction croisée. Ce tissu lymphatique réagit certainement aussi de manière croisée avec les coronavirus apparentés. Il existe des épitopes conservés qui affectent également la stimulation des lymphocytes. Il est tout à fait concevable que l'on puisse en trouver chez les enfants et que la transmission se fasse ensuite chez les parents de jeunes enfants, dans la trentaine par exemple, qui sont constamment réinfectés par ces maladies virales : qu'il y a une certaine pré-stimulation... Les auteurs montrent que statistiquement ces patients IgA-positifs sont aussi, apparemment, souvent des patients plus jeunes. Non seulement les enfants, mais aussi les jeunes adultes.

Hennig : Nous avons déjà parlé des tests sérologiques. Peut-on dire que c'est là une indication supplémentaire pour que ces tests soient considérés avec prudence, car ils ne détectent souvent pas une infection légère parce qu'ils ne recherchent pas les anticorps IgA - du moins la plupart du temps?

Drosten : les tests sérologiques au niveau de la population basés sur l'immunoglobuline G permettent une estimation robuste. Les tests de dépistage des anticorps au niveau individuel sont difficiles. Surtout avec ce test IgA : les auteurs se sont donné du mal ; ils ont intégré des tests supplémentaires pour distinguer les réactions croisées de la réaction spécifique. Tout cela n'est pas possible dans le cadre d'une opération de routine. Nous savons que dans les opérations de routine, chez les patients qui ont subi une prise de sang avant l'épidémie de SRAS 2, qui n'ont pas pu avoir d'anticorps contre le virus parce que le virus n'existait pas à ce moment-là - même chez ces patients, nous trouvons jusqu'à 10 % d'anticorps IgA dans le sérum. Dans cette étude, des tests supplémentaires sont effectués, la salive est examinée et le liquide lacrymal est prélevé. Cela ne se fait pas dans une procédure normale. Cette réactivité n'est pas comparable à celle des IgA dans les tests de routine. Cela n'a pas de sens de demander des IgA dans le sérum lors du test en laboratoire. Et si le test d'IgA est positif, le patient est protégé. Ce serait une conclusion totalement erronée. L'étude vise plutôt à mieux caractériser la réaction immunitaire en général et à étayer certaines observations pathogènes ou à fournir des données supplémentaires pour fournir des explications - comme par exemple tout à l'heure : D'où viennent les formes bénignes? Qu'est-ce qui distingue ces patients ? Une des nombreuses réponses à ce mystère est probablement aussi cette sécrétion d'IgA au niveau de la muqueuse.

Modélisations sur l'effet des mesures de prévention


Hennig : C'est donc une des nombreuses pièces du puzzle. J'aimerais aborder un autre sujet. Au début du podcast, vous avez dit la belle phrase « there is no glory in prevention » (Il n'y a pas de gloire dans la prévention) . Il y a maintenant deux études publiées dans Nature qui tentent d’évaluer le bénéfice de ces mesures? L'une desétudes est celle de l'Imperial College de Londres. Elle a estimé pour onze pays européens comment l'infection se serait développée jusqu'au début du mois de mai si aucune mesure n'avait été prise - de l'isolement des cas au confinement. Ils arrivent à des chiffres énormes. Ils sont partis du nombre de décès rapporté. Pourquoi cette approche? Quelle est son utilité?

Drosten : C'est logique dans la mesure où l'on dispose de l’une preuve en cas de décès. Si une personne est décédée, cela doit être clairement établi et signalé. C'est la même chose dans tous les pays. Alors que le taux de détection par PCR, le nombre de cas confirmés en laboratoire, varient grandement en fonction de la qualité de l'équipement du laboratoire. Lorsque vous comparez des pays, même européens, vous arrivez rapidement à la conclusion qu'ils ont testé différemment. En revanche, la déclaration et l'enregistrement des décès sont à peu près aussi bien établis dans les pays européens. Il existe par contre des différences dans la vitesse de traitement, de nombreux pays sont plus rapides que l'Allemagne, mais nous avons également des estimations assez bonnes pour l'Allemagne. C'est la base de nos calculs ici. Ce qui le sous-tend est le modèle normal de la propagation de telles maladies épidémiologiques, le modèle mathématique. C'est également la base de nombreuses autres études dont nous avons déjà parlé. La seule différence est que nous faisons marche arrière ici. En d'autres termes, combien de décès seraient survenus dans les différents pays si des mesures d'intervention pharmaceutique n'avaient pas été introduites.

Hennig : En fin de compte, les chiffres sont énormes. Pour l'Allemagne, on parle de 570.000 morts sans les mesures. À titre de comparaison : jusqu'au moment de l’étude, il n'y en avait en réalité même pas 7000, c'est-à-dire avec des mesures. Cela semble extrême. En Italie, qui a réagi très tard et a été durement touchée, il y a eu 30.000 morts au moment de l’étude. Ce chiffre vous surprend-il ?

Drosten : Il faut considérer de quel côté on regarde l'étude. Il existe un calcul des décès pour différents pays qui auraient eu lieu si l'épidémie s’était développée librement. Il y a des calculs : 570.000 morts en Allemagne, 470.000 en Espagne, 500.000 en Angleterre, 720.000 en France, 670.000 en Italie. Mais ce sont des chiffres hypothétiques qui ne se seraient certainement pas produits dans aucun de ces pays, car on aurait remarqué qu'une épidémie circulait, et même en l'absence de décisions politiques spécifiques, les gens auraient été plus prudents. La peur serait apparue et les gens seraient restés chez eux, même si personne n'avait expliqué ce qui se passait, et si personne n'avait décidé que les écoles seraient fermées et que les gens ne seraient plus autorisés à quitter la maison. Dans certains pays, c'était le cas. Ces mesures de "lockdown" ont été beaucoup plus drastiques dans la plupart des autres pays européens.

Ce sont des chiffres qui dépendent de la population, mais aussi de la structure par âges. Tout cela a été pris en compte ici. Ce n'est pas proportionnel à la taille de la population ; si c'était le cas, l'Allemagne aurait le plus grand nombre de décès. Mais on peut en déduire d'autres choses intéressantes. Dans cette étude, l'estimation du nombre réel de personnes infectées lors de la première vague a été calculée sur la base du nombre de décès déclarés.

Hennig : Donc les taux d'infection.

Drosten : Voilà, quel pourcentage de la population a été infecté ? En dehors des examens sérologiques, qui ont été effectués ici et là, nous arrivons à une estimation des taux d'infection. Dans les petits pays européens, nous constatons de fortes différences : Autriche 0,7 % de la population, Norvège 0,4 %, Danemark 1 %, Belgique 8 %. Huit pour cent de la population est infectée, c'est énorme ! La Belgique a connu une très grande épidémie, mais sa population est petite. La raison est toujours le moment où les mesures de lockdown ont été prises, que ce soit arrivé tôt ou tard. Nous avons vu dans la presse qu’il y a une discussion en Angleterre, il est dit, y compris par des scientifiques, que si les mesures de confinement en Angleterre avaient commencé une semaine plus tôt, il y aurait eu moitié moins de morts. Et c'est bien sûr grave lorsque de telles constatations apparaissent, lors de l'évaluation rétrospective des mesures politiques.

[...] Ce qui est très intéressant dans cette étude c’est que pour les petits pays, c'est-à-dire moins peuplés, il peut y avoir plus de fluctuations. Il est intéressant d'examiner le taux d’infection des grands pays. Je vais juste les lire : France 3,4 %, Angleterre 5,1 %, Italie 4,6 %, Espagne 5,5 Cela fluctue entre 4 et 5 % environ. C'est très similaire dans ces pays très peuplés.

L'Allemagne, qui a également une structure similaire, a une population infectée à 0,85 %. L'Allemagne est le seul grand pays d'Europe qui se démarque vraiment. Elle compte plus de cinq fois moins de personnes infectées. [...] En Espagne, un pays très peuplé, une énorme étude sérologique a été faite et [les chiffres] concordent à peu près avec les estimations faites ici dans ce modèle. C'est encore un cas dans le domaine de la science où l'on arrive à la même conclusion de deux manières différentes. Le résultat est particulièrement robuste. […] Nous devrions accepter ces chiffres comme un bon reflet de la réalité. Vous pouvez voir ici ce que nous avons atteint en Allemagne grâce aux mesures de prévention.

Hennig : Il existe une autre modélisation de type "what if", c'est-à-dire qu’est-ce qui se serait passé si aucune mesure n'avait été prise. L'étude est réalisée en Californie, pour six pays: les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud, l'Italie, la France et l'Iran. Le calcul n’est pas à partir des chiffres de décès, mais avec une méthode différente. Ils affirment que sans ces mesures, des taux de croissance de l'infection de 38 % par jour auraient été possibles. Dans quelle mesure pensez-vous que cela soit réaliste ? Ils calculent également l'efficacité des mesures prises individuellement.

Drosten : Ces mesures individuelles sont fournies avec des estimations très, très grossières dans cette étude. Par exemple : Quelle a été la contribution de la fermeture des écoles ? On peut difficilement déduire cela de cette étude. Le calcul est fait à partir d'une observation externe, ce qui est courant en économie. Je ne peux pas juger [de cette méthode]. Mais les auteurs eux-mêmes disent où se situent les limites. Par exemple, dans la diversité des [situations]. Par exemple, dans un pays où c'était les vacances scolaires, il est difficile de dire quoi que ce soit sur l'effet des fermetures d'écoles qui ne font que prolonger les vacances de deux semaines. Ces incertitudes sont données ici.

Le résultat est un nombre énorme. Donc, dans ces pays : Chine, Corée du Sud, Italie, France, Iran, USA : à la fin de la fenêtre d'évaluation - c'est-à-dire pendant la première vague - 530 millions d'infections ont été évitées par des mesures non pharmaceutiques. C'est un chiffre énorme. Tout cela est peut-être vrai. Je vois plutôt cela comme une étude complémentaire à l'autre étude dont nous venons de parler, la modélisation anglaise, que je considère comme très étayée. Il y a la comparaison au sein de l'Europe. Nous avons eu des incidences d'infection synchrones dans des pays ayant une structure similaire, nous pouvons donc vraiment évaluer si toutes ces mesures en valaient la peine.

L'effet des masques à Iéna

Hennig : Cette étude californienne a utilisé des méthodes qui sont par ailleurs utilisées pour mesurer l'effet des politiques publiques sur la croissance économique. Nous avons une [autre étude, également d’économistes, qui] se sont penchés sur l'exemple d'Iéna. À Iéna, [les masques sont obligatoires] dans les transports publics et les magasins depuis le 6 avril, tandis que dans la plupart des régions d'Allemagne, ce n'était que le 27 avril. Ils ont créé une sorte d'Iéna « artificiel » pour mesurer l'effet de cette mesure. Les chercheurs affirment que le nombre de cas a été réduit de près d'un quart au bout de 20 jours. Chez les personnes de plus de 60 ans, de plus de la moitié. Cela confirme-t-il ce que vous avez dit?

Drosten : Le port des masques est un sujet particulier qui a été initialement considéré comme peu pertinent de tous les côtés. Même l'Organisation mondiale de la santé a officiellement déclaré : Le port du masque n'aide pas. En même temps, on a constaté qu’en Asie les masques étaient portés, [et que ça portait] ses fruits. Les scientifiques chinois l'ont également dit, le chef du CDC chinois a dit très tôt que selon lui, le port d'un masque est un facteur de succès important dans l'endiguement de la maladie.

Nous avons eu une controverse à ce sujet. Beaucoup ont dit que c'est un énorme échec de la politique qu’en Allemagne les gens ne reçoivent pas de masques. Mais […] il n'y avait pas de masques pour tout le monde, on pouvait faire tout ce qu’on voulait, il n’y avait pas de stocks. Personne ne peut être blâmé pour ça. […] On ne savait pas comment se propageait ce nouveau virus, il n'y avait que des analogies avec la grippe et les données disponibles n'étayaient pas l'idée qu'on pouvait se protéger de la grippe avec un masque d'autoprotection. [Peu de temps après, de manière inattendue, les gens en Europe voulaient des masques].

Il s'est ensuite avéré qu'après une très forte augmentation de l'incidence au cours du mois de mars, Iéna est allée de l'avant et a introduit l’obligation du port de masque à partir du 6 avril. [Cette étude est] une coopération du Danemark avec deux groupes de Mayence et de Darmstadt […] Comme il n'y a pas d'autre ville avec laquelle comparer, on a fabriqué une Iéna modélisée [...] Ce qu'ils ont recueilli est le nombre cumulé de cas ; quelle est le cumul des nouvelles infections 20 jours après l'introduction de l’obligation ? Au début de la période d'évaluation, il y avait 142 cas à Iéna, et après les 20 jours, ce chiffre était passé à 158 cas. Ensuite, un groupe de villes, avec ses caractéristiques structurelles, a été pris en compte.

Hennig : chiffres des infections, soins médicaux...

Drosten : Exactement, c'est-à-dire une structure de population similaire, une structure d'âge similaire, une incidence similaire, etc. différents degrés de similarité. C'est pourquoi ils ont été pondérés différemment dans la composition d'une hypothétique ville moyenne qui ressemble à Iéna.

Hennig : Qui a été formé à partir des villes de Darmstadt, Rostock, Cloppenburg...

Drosten : Exactement, Cloppenburg, Trèves, Kassel - et aussi une petite partie de Heinsberg. Vous pouvez le faire en les pondérant différemment. Les cas ont également été comptés. Ils n'étaient pas 142 comme à Iéna au début, mais 143, presque le même nombre [et] en fin de compte, il n'y a pas eu 158 cas, mais 205. En d'autres termes : une diminution de 23 % pour Iéna. Et pour les plus de 60 ans, l'augmentation a même été inférieure de plus de 50 %, comme vous venez de le dire. C'est remarquable. Il y a cependant une incertitude dans l'interprétation : on a vu que la plus faible croissance des infections a commencé quelques jours seulement après l'introduction de cette obligation. Que la courbe est devenue plus plate à Iéna par rapport aux autres endroits - et cela n’est pas possible.

Hennig : En raison de la période d'incubation.

Drosten : Exactement, il faut au moins dix jours, ou plutôt deux semaines, pour que cela se reflète dans le nombre de cas rapportés. Les auteurs ont trouvé un argument plausible : l'effet d'annonce. Il a été annoncé fin mars que l'obligation de porter un masque viendrait une semaine plus tard. Une analyse des termes de recherche dans Google a été effectuée, à Iéna, où la question "Acheter un masque" était posée et on peut voit à quel point les gens ont été concernés par cela [...] On peut en déduire [que ça a eu] un effet psychologique : cela devient sérieux, nous avons une épidémie dans la ville.

Et il y a autre chose d'intéressant dans l'étude. En raison de cette incertitude, on a comparé autre chose: les Kreise qui avaient une obligation de port des masques à partir du 22 avril, Nordhausen, Rottweil, Main-Kinzig-Kreis, Wolfsburg et des Kreise de Saxe et de Saxe-Anhalt. Là aussi, on a vu une différence dans le nombre de nouveaux cas de 40 % par jour, ce qui est un chiffre très impressionnant. Et c'est aussi ce que les auteurs soutiennent ici. Quel que soit le mécanisme - nous avons déjà parlé des masques : les grosses gouttelettes sont capturées et ne peuvent pas se transformer en aérosol - si elles n'ont d’effet que sur une courte distance ; ce sont des considérations [biologiques]. Mais [...] il faut utiliser des scénarios de contrôle pour identifier les différents facteurs qui auraient pu être spécifiques à Iéna. Peut-être qu'Iéna a une caractéristique qui conduit au fait que finalement, ce n'est pas le port du masque, mais quelque chose d’autre qui a fait que les gens ont reconsidéré les choses, mais cela ne semble pas être le cas. [Cette mesure] a un effet d'entraînement dans d'autres domaines. En raison de la surdispersion de cette maladie, les interventions légères à l'échelle de la population sont susceptibles d'avoir un effet beaucoup plus important sur la propagation du SRAS-2 que pour une maladie qui ne présente pas de surdispersion.

[...] Dans cette situation, l’article de Lloyd-Smith publié dans Nature de 2005 dit: Avec une telle distribution, il est particulièrement efficace, pour l'extinction des chaînes d'infection qui démarrent, d’avoir une mesure peu drastique à l'échelle de la population. Et c'est certainement l'une des meilleures explications de ce que nous voyons ces semaines. Nous avons bien ralenti l’épidémie en Allemagne, le nombre d'infections signalées reste dans la fourchette de 300 à 500. Bien que nous nous accordions beaucoup de liberté, il n'y a pas de rythme exponentiel. [Certainement que les mesures actuelles] conduisent les chaînes d'infection précoces à s'éteindre encore et encore. [Une distribution inégale nécessite] un grand nombre de foyers d'infection dans la population. Porter des masques dans les endroits de super propagation, être à l'extérieur et éviter les grands rassemblements a un effet sur les chaînes de contamination.

Hennig : "Maybe there is glory in prevention" serait mon mot de la fin.

Drosten : On peut le dire comme ça.

Hennig : Professeur Christian Drosten, merci beaucoup, nous reparlerons mardi. Mais il y a un petit changement : nous ne voulons faire ce podcast qu'une fois par semaine. Vous avez beaucoup à faire et le rythme des infections nous donne aussi la possibilité de ralentir un peu sur le front de l'information, n'est-ce pas ?

Drosten : Oui, eh bien, j'ai relativement beaucoup à faire en tant que scientifique, et je n'ai pas l'intention de me lancer dans une carrière de journaliste! Et il est vrai qu’il faut adapter la quantité de nouvelles informations au besoin d'information qui est aujourd’hui très différent de mars et d’avril.