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Korinna
Hennig: M. Drosten, l'application Corona-Warn-App est disponible depuis
la nuit dernière, des semaines plus tard que prévu. L'avez-vous déjà
téléchargée?
Christian Drosten: Je n’y suis pas arrivé ce matin. Mon téléphone portable était déchargé.
Hennig: Mais vous allez l’installer?
Drosten: Oui, bien sûr, je vais l'installer immédiatement.
Hennig: Il y a quelques semaines, nous avons discuté de l'effet qu'une telle application pouvait avoir. Il y a eu l’étude d'Oxford, du groupe de recherche de Christophe Fraser.
Il existe maintenant diverses enquêtes sur la volonté de la population
d'installer l'application. Et ce n'est pas comme si 60% disaient: Oui,
bien sûr, je le ferai. Certains pensent que cela ne marchera pas,
surtout maintenant. 60% était la cible que le groupe de recherche
d'Oxford avait déterminé pour que l'application ait vraiment un effet.
Qu’en pensez-vous? Avec les faibles taux d'infection actuels, cela
vaut-il la peine?
Drosten: Le suivi des contacts doit être
particulièrement efficace, compte tenu de l'incidence actuellement
faible. […] C’est visible dans les statistiques actuelles. Et plus le
traçage est efficace, plus nous pouvons tenir jusqu’à l'automne et
l'hiver. Une telle application de traçage est cruciale car nous savons
que la transmission est rapide et que, dans de nombreux cas, nous
arrivons trop tard avec la remontée des contacts conventionnelle.
Lorsqu'il s'agit d'identifier des contacts possibles, la rapidité est
essentielle. Si les chaînes téléphoniques doivent démarrer, vous perdez
un temps important. Même si une petite partie de la population seulement
installe cette application, cela peut faire une différence décisive
dans de nombreux endroits.
Hennig: Cela peut-il avoir un effet sur le maintien du taux de reproductions en dessous de 1?
Drosten: Oui, c'est exactement ce que je veux dire. Nous maintenons le
taux de reproduction à un faible niveau en gardant une incidence déjà
faible et en évitant que l'infection ne se propage à nouveau par
grappes. L'identification d'un cluster dépend du fait que vous pouvez
identifier rapidement les cas de transmission respectifs - puis
également un tel cluster. Rétrospectivement, cela fonctionne également
pour le suivi, avec la question: Où cette personne infectée a-t-elle pu
être infectée?
Neuropiline
Hennig:
Peut-être encore une fois pour rappeler - également pour cet été:
Toutes ces mesures, l'application, les masques, la distance, nous le
faisons en particulier pour protéger les groupes à risque. Les groupes à
risque sont les personnes âgées, mais aussi les jeunes, par exemple
s'ils souffrent d'asthme, de maladie cardiaque ou de surpoids. Une étude de modélisation est maintenant parue dans le magazine "Lancet Global Health", selon laquelle un cinquième de la population mondiale aurait un risque particulier de développer une forme sévère de la Covid-19.
Nous en savons de plus en plus sur l'évolution clinique de cette
maladie, mais pas encore assez. Il est d'autant plus important que la
recherche se penche sur la question: comment le virus pénètre-t-il dans
l'organisme? Nous avons beaucoup entendu parler du récepteur ACE2,
l'enzyme à laquelle se lie la protéine spike sur l'enveloppe du virus,
ces pointes qui ont donné son nom au coronavirus. ACE2 est le verrou
dans lequel la clé (le virus) entre. Deux équipes de recherche
pourraient maintenant se concentrer sur un deuxième verrou, un autre
récepteur qui pourrait jouer un rôle: la neuropiline-1. M. Drosten, quel
est ce récepteur?
Drosten: Oui, alors il faut s’exprimer avec
précaution ; on n'utilise pas nécessairement le mot récepteur, mais on
dit que c'est un facteur hôte supplémentaire important. Je dirais comme
ça pour l'instant car il n'est pas entièrement clair si le virus est
réellement absorbé via cette molécule neuropiline-1. Certaines des
données expérimentales en parlent. En virologie, il existe d'autres
facteurs hôtes supplémentaires, appelés co-récepteurs, qui ne permettent
pas une entrée directe du virus, mais maintiennent d'abord le virus à
la surface cellulaire et le rapprochent du récepteur réel. Pour
l’expliquer très sommairement. Il existe actuellement deux publications
en preprint, qui seront certainement publiées. Ce sont deux groupes de
recherche qui arrivent indépendamment à la même conclusion. C'est une
molécule relativement répandue sur les cellules du corps mais surtout
dans les cellules à la surface des poumons et aussi dans les cellules du
nez et probablement aussi les sinus. Là s’exprime une molécule qui
s’appelle neuropiline-1. Cette neuropiline-1 possède une certaine
propriété de liaison à [toutes sortes de] protéines possibles. En raison
de sa [morphologie], celle-ci n'est pas particulièrement adaptée au
virus, on peut dire que le virus s'y est adapté dans son évolution -
comme c'est souvent le cas avec d'autres molécules réceptrices. Ici,
cependant, c'est un motif protéique spécifique qui se trouve dans la
protéine de surface du virus SRAS-2. Et cela n'est possible qu'avec le
virus SRAS-2, pas avec d'autres coronavirus de type SRAS ou d'autres
coronavirus. C'est un motif auquel nous pensons depuis longtemps, à
savoir le site de clivage de la furine, c'est-à-dire un motif d'acides
aminés, car un certain type de maturation protéique est possible du fait
de la présence de ce motif. Nous connaissons également cette maturation
protéique dans certains virus de la grippe, dans les virus de grippe
aviaire hautement pathogènes, mais aussi dans de nombreux autres virus
qui utilisent un type similaire de molécule de surface. Il existe un
site de clivage de protéase au niveau duquel une enzyme de traitement
des protéines coupe la protéine. Et cette coupe est nécessaire à la
conception fonctionnelle, à la maturation fonctionnelle de la protéine.
C'est une protéine de surface majeure.
La tâche de cette
protéine est de subir certains changements de forme lorsqu'elle
s'approche de la cellule ou se lie au récepteur, de sorte que certaines
parties de cette protéine peuvent se déplacer librement les unes vers
les autres. Et cette mobilité suppose à nouveau que la protéine soit
coupée en morceaux. Imaginez un carton à découper où on doit d'abord
déchirer certaines zones perforées afin d'en faire quelque chose.
Imaginons donc, par exemple, que nous construisions pantin à partir
d'une feuille perforée. C'est exactement la même chose avec ces
protéines virales. Il y a des parties qui doivent pouvoir se déplacer
les unes vers les autres pour que tout fonctionne. Et ces points de
perforation sont conçus de différentes manières. Il y a cette différence
essentielle entre le SRAS-2 et l'ancien virus du SRAS, ce site de
perforation supplémentaire, le site de clivage de la furine.
Hennig: Mais cela signifie qu'il doit y avoir une interaction entre la
neuropiline et ACE2. S'agit-il d'amarrage? Ou s'agit-il aussi de la
multiplication du virus dans la cellule?
Drosten: On n’a pas de
visibilité sur une interaction entre la neuropiline et l'ACE2. Ce n'est
pas la question. Mais ce qu’on pourrait avoir en vue, c'est que cette
neuropiline reconnaît un certain schéma sur la protéine. Et c'est
exactement ce site de perforation, ce site de clivage de la furine. Soit
dit en passant, de nombreuses protéines qui ont de tels sites de
clivage de la furine se trouvent également dans le métabolisme
cellulaire normal, et ces protéines sont liées par la neuropiline. Il
est également souvent logique que, par exemple, certains types de
facteurs de croissance puissent avoir un effet. Les facteurs de
croissance qui remontent par le sérum, puis pénètrent dans
l'interstitium, c'est-à-dire dans la zone péricellulaire, et se lient
aux cellules qui transportent cette neuropiline, où elles déclenchent
des signaux. Par exemple, cela peut être une information pour la
croissance du vaisseau et de l'endothélium capillaire. Et maintenant, ce
virus a un motif qui lui convient. Et donc il se lie d'abord à la
cellule, en plus de l'ACE2. L'ACE2 est la véritable molécule de surface,
le véritable récepteur du virus. Et les scientifiques des deux études
montrent que la liaison à l’ACE2 est beaucoup plus importante et de
grande portée pour l'entrée du virus. Sans l'ACE2, les choses iraient
très mal. Mais il semble que certains virus pourraient pénétrer dans la
cellule avec seulement cette neuropiline. Mais comme je l'ai dit, cela
marche très mal. Cela seul ne ferait certainement pas du virus un
pathogène épidémique. Cependant, cette disponibilité supplémentaire de
neuropiline, en particulier sur les muqueuses des voies respiratoires
supérieures, aurait pu être le point de changement décisif quant à la
façon dont ce virus du SRAS-2 a acquis cette transférabilité via les
voies respiratoires supérieures et est ainsi devenu finalement un agent
pandémique.
Hennig: Encore cette question: s'agit-il aussi de la multiplication du virus dans la cellule?
Drosten: Oui, bien sûr, il s'agit du cycle de propagation. L'entrée
cellulaire est l'une des étapes les plus importantes du cycle de
reproduction du virus. Et il est rendu plus efficace, le virus peut
mieux pénétrer dans la cellule. Plus de virus à la fois - c'est ce que
vous pouvez imaginer. Par cette présence supplémentaire d'un autre,
disons, facteur d'attachement à la cellule.
Hennig: Nous avons
dit qu’il y a deux études. Une étude vient principalement de Bristol,
l'autre de Munich - avec la participation d'autres chercheurs. L'une des
deux études traite également de la façon dont le virus est transporté
vers le système nerveux central. Nous en avons déjà parlé, les
changements dans l'odorat et le goût indiquent que le virus va dans
cette direction. Quel rôle joue cette neuropiline-1?
Drosten:
Cette neuropiline est clairement prononcée sur les surfaces de
l'épithélium olfactif du nez. Dans le bulbe olfactif, il y a un petit
trou dans le crâne osseux qui est traversé par les fibres olfactives. Ce
serait l'entrée du virus dans le système nerveux central, ce qui est
favorisé par la liaison à ce « récepteur » de neuropiline.
Hennig: Cela peut-il avoir un impact sur la recherche sur les médicaments? Afin de perturber cette interaction?
Drosten: Exactement. En principe, toute nouvelle connaissance
concernant l’interaction d’un virus avec la cellule est toujours une
cible pharmaceutique potentielle. On peut alors envisager de concevoir
ou de cribler une molécule à partir d'une collection de différentes
molécules candidates, ou de cribler pour vérifier si cette interaction
entre le virus et la cellule peut être délibérément perturbée. Une chose
doit être gardée à l'esprit: une molécule comme la neuropiline est
utile pour l'état de base de la cellule et le fonctionnement normal du
corps. Il y a toujours un compromis entre les avantages et les
inconvénients. La question est donc toujours: si vous interrompez une
telle interaction, à quel point perturbez-vous le fonctionnement du
métabolisme normal du corps? Et ces deux études ne fournissent pas
encore de réponse. C'est vraiment au tout début. Il s'agit de recherche
fondamentale, c'est une indication qu'il y a une nouvelle interaction
qui doit être aprofondie maintenant. Seuls les anticorps monoclonaux ont
été testés ici. Vous pouvez aller beaucoup plus loin avec des
substances plus petites qui atteignent mieux ces surfaces qu'un
anticorps. On peut maintenant essayer de faire des études. Tout d'abord,
des études biologiques biochimiques et moléculaires, qu’on peut tester
sur des modèles animaux pour voir s'il y a des effets secondaires.
Hennig:
Des anticorps produits artificiellement pourraient-ils jouer un rôle?
Nous avons déjà abordé le principe de la vaccination passive ici.
Drosten: Oui, c'est une stratégie de base qui est actuellement choisie.
Non seulement ici contre cette neuropiline ou contre le site
d'interaction, mais aussi contre le récepteur se liant à l’ACE2 avec des
anticorps monoclonaux, mais aussi contre la protéine de surface, le
virus directement. De nombreuses études sont actuellement en cours et
des anticorps très prometteurs ont déjà été trouvés et publiés.
Nouvelle vague aux États-Unis
Hennig: Parlons d’un deuxième sujet majeur que nous avons déjà abordé
ici plusieurs fois, celui des enfants. La règle qui s'applique
actuellement en Allemagne est que tout le monde doit retourner à l'école
après les vacances. Cette semaine, il s'agira d’en préparer les
conditions. Vous et moi, M. Drosten, avons des enfants. Mais nous ne le
faisons pas parce que nous faisons un podcast uniquement pour les
parents, mais en vue de l'évolution de la pandémie, de l'épidémie. La
question liée à l'âge n'est pas encore résolue. Pourquoi ce sujet est-il
si important dans la vue d'ensemble?
Drosten: Pour le moment,
en Allemagne, nous nous concentrons déjà clairement sur la prévention
des épisodes majeurs, la prévention des événements de super-propagation.
Nous en avons parlé plusieurs fois. Grâce au traçage des contacts, nous
sommes maintenant en Allemagne dans la situation confortable où nous
pouvons réellement nous concentrer sur la prévention de ces clusters et
nous pouvons à juste titre espérer qu’en étant très attentifs, nous
pourrons traverser l'automne et l'hiver sans entrer dans quelque chose
comme une deuxième vague. En ce moment, il y a des débats publics pour
savoir s'il y aura une deuxième vague, oui ou non. Et dans les débats
plus éclairés à ce sujet, permettez-moi de le dire, on en arrive souvent
à la conclusion que cela dépend de nous. Ce n'est pas une
constante naturelle qu'une deuxième vague arrive et que nous soyons sans
défense contre elle. Nous sommes maintenant dans une situation où nous
pouvons le contrôler.
À ce stade, je tiens également à dire
pour comparer, car on doute toujours toujours beaucoup: nous n'avons
qu'à regarder aux États-Unis, où la situation est très transparente, où
nous n'avons pas ce manque de déclarations de cas, comme au Brésil ou en
Inde où on ne peut que deviner ce qui s’y passe. Nous avons vraiment un
système de signalement actif aux États-Unis. Nous avons environ la
moitié des États américains qui ont connu des restrictions relativement
longues, comme en Allemagne, et certains en ont encore.[...] Et cela a
pris beaucoup plus de temps que chez nous car les mesures ont été prises
beaucoup plus tard. Mais d'autres États ont levé les mesures
relativement tôt, ils ont desserré les freins trop tôt, et le nombre de
cas est immédiatement remonté. [...] Immédiatement, c'est-à-dire avec la
latence attendue de deux à trois semaines après l'assouplissement, les
nouveaux cas montent à nouveau en flèche. [...] Nous sommes dans une
situation sociale très difficile là-bas. Parce que, comme chez nous,
bien sûr, personne ne veut revenir à ces vastes mesures de lockdown et
leurs dégâts économiques.
Alors ce "Le marteau et la danse".
Pourquoi la danse ne fonctionne-t-elle pas? La réponse est sûrement que
l'incidence n'a pas été ralentie au point que les événements de
sur-propagation puissent être ciblés et ignorer les transmissions
individuelles qui ont lieu en arrière-plan. Pour qu’on puisse vraiment
se concentrer sur ces événements de super spreading. Parce que c'est
beaucoup plus tangible et que vous pouvez intervenir très rapidement
grâce à une quarantaine plus importante. Cependant, cette stratégie ne
fonctionne que si les autorités sanitaires sont en mesure de suivre tous
les clusters, et tant que le nombre de clusters dans la population ne
s’est pas multiplié pour être laissé de côté.
Nous ne pouvons
qu'espérer que nous puissions maintenir [cela] en Allemagne aussi
longtemps que possible. Pour le moment, bien sûr, l'été nous aide. Mais à
l'automne, nous aurons un grand changement, à savoir que les écoles et
les garderies devront être complètement rouvertes. Je pense que nous
sommes tous d'accord pour dire que nous ne pouvons pas contourner cela,
pour des raisons sociales. Nous sommes maintenant dans une phase de
test, où on rouvre les écoles juste avant les vacances d'été, et si
quelque chose se passe mal, [on peut y réfléchir pendant les vacances].
On pourrait se retrouver dans cette situation dans quelques semaines. Je
ne l'espère pas. Ce sont des événements en partie stochastiques, donc
c’est une coïncidence statistique si cela se produit ou non. Mais
imaginons que cela soit géré à la légère, avec une situation où en
septembre toutes les écoles sont ouvertes dans tous les Länder, en
classes entières. Nous savons qu'il n'est pas réaliste pour des écoliers
et surtout de petits enfants d'adhérer aux règles de distanciation
sociale, [ou de] porter un masque tout le temps ; cela ne sera tout
simplement pas respecté. Et bien sûr, la question est: qu'est-ce que
cela signifie alors? Et c'est pourquoi nous avons fait plusieurs
épisodes de podcast à ce sujet.
Les enfants: étude israélienne
Hennig: […] ce que nous ne voulons pas, c'est une école qui fonctionne
en on/off, c’est-à-dire qui fermerait complètement avant de faire
revenir tous les élèves. Il faut regarder plus loin: quelles mesures
sont nécessaires pour organiser un fonctionnement relativement normal?
L'une des questions auxquelles on essaie de répondre est la suivante:
dans quelle mesure les enfants sont-ils réceptifs au virus? Comme il y a
tellement d’asymptomatiques, nous ne le savons pas vraiment. Et à quel
point sont-ils contagieux lorsqu'ils sont infectés? Il existe diverses
études, dont une d'Israël
- de plus de 600 ménages avec des résultats de test positifs.
Cependant, on a travaillé avec un modèle stochastique, avec des
probabilités, et non en laboratoire pour comprendre qui a infecté qui.
Comment ont-ils fait exactement?
Drosten: Oui, c'est une étude
purement épidémiologique. Et ce qui vient d'être montré ici, c'est: Qui
dans la famille a commencé à ressentir des symptômes en premier? Et
quand les autres ont-ils eu des symptômes? Et de cela on en a déduit:
qui a infecté qui? Et à partir de là, on peut bien sûr calculer combien
d'enfants ont une infection. Et combien d'enfants ont transmis une
infection. Cela signifie que nous pouvons faire une dérivation et faire
la différence entre la réceptivité et l'infectiosité.
Hennig:
Il s'agit d'une banlieue de Tel Aviv, Bnei Berak. C'est une zone très
densément peuplée. Il y a de nombreuses familles juives orthodoxes, avec
de grands ménages et de très nombreux enfants. Peut-on encore comparer à
notre situation?
Drosten: Je dirais que c'est une situation
d'étude particulièrement bonne à cause des grands ménages. Il faut
préciser que cette étude a été réalisée une fois de plus dans une
situation où nous étions en lock-out. Cela signifie que les enfants ne
sont pas allés à l'école ou à la crèche. Je crois que les écoles étaient
ouvertes peu de temps au début, si j'ai bien compris en lisant. Mais
fondamentalement, on a ce cas: cette étude et d'autres études aussi, en
principe presque toutes les études disponibles, souffrent de l'artefact,
du fait que les enfants ne peuvent être infectés que dans les familles
parce qu'ils ne sont pas du tout allés à l'école ou ailleurs. Ils sont à
la maison. Cela signifie que nous avons des études de transferts
intrafamiliaux. [...] Ici, nous avons maintenant beaucoup de familles
qui ont un plus grand nombre d'enfants. Il y a donc en fait des ménages
d’une dizaine de personnes. Et il y avait beaucoup de ménages de deux
personnes dans la minorité. Et il y a quelques ménages où il y a
quelques enfants en plus, de sorte qu’on se rapproche un peu d'une
situation comparable [à une configuration scolaire].
Hennig: Et
le résultat montre des données différentes pour cette question. D'une
part pour la sensibilité du virus et d'autre part pour la question: dans
quelle mesure un enfant infecté est-il contagieux par rapport à un
adulte? Peut-être pourrons-nous en discuter tour à tour. Les enfants
sont 45 % aussi sensibles au virus que les adultes. C'est le résultat de
l'étude. Est-ce à peu près ce que vous attendiez?
Drosten: Je
dois dire que je n'ai aucune attente en ce qui concerne ce sujet des
enfants. Il est vrai que de nombreuses études indiquent simplement qu'il
semble que nous ayons moins d'enfants infectés. Point. Parfois, cela
est basé sur la séroprévalence ou parfois sur des tests PCR, parfois
uniquement sur les symptômes. Et dans chaque cas, il y a toujours le
gros problème: c'était pendant le lockdown. Il n'y a pratiquement pas
d'observation sans lockdown. Même en Chine, c'était les vacances de
printemps, les vacances du Nouvel An, quand ça a commencé. Christophe
Fraser, un des modélisateurs épidémiologiques de premier plan, a un jour
résumé qu'il n'y a eu probablement qu'une quinzaine de jours à travers
le monde pour observer cette situation. Il n'y a personne à blâmer pour
cela. En tant que scientifiques, nous luttons pour la connaissance et
essayons d'aborder ce problème de différentes manières. Nous avons
discuté d'une étude de Zhang et al.
à un moment dans le passé, qui est maintenant publiée dans "Science".
Et là, on a examiné les matrices de transmission enregistrées avant la
pandémie et on les a mises en relation avec les taux d’attaque
secondaires dans les ménages. Et on a vu que les enfants étaient touchés
aussi souvent que les adultes. Mais si on regarde la matrice de
transmissions et qu’on se demande combien de fois les enfants ont eu
l'occasion de s’infecter, alors on doit dire que les enfants ont
beaucoup plus de contacts. Et on doit expliquer que les enfants sont
moins sensibles à la maladie que les adultes. Et cela correspond
également à ce que l'on trouve ici dans cette étude israélienne. Ici
aussi, les auteurs concluent que les enfants ne sont à 45% aussi
sensibles au virus que les adultes. C'est à peu près le même ordre de
grandeur que dans cette très bonne étude chinoise. Et à cette époque,
j'avais déjà dit: c'est ma nouvelle hypothèse de travail. Et cela n'a
pas changé [...] Au moment où nous avons publié notre étude sur la
charge virale, j'en ai discuté le même jour et j'ai également souligné
que cette étude existe. C'est mon point de vue depuis lors et je trouve
très intéressant que cette étude le confirme.
Mais peut-être
devrions-nous parler ensuite de l'autre côté de l'équation,
l'infectiosité. Quelle quantité de virus peut excréter un enfant? Encore
une fois, nous avons fait une comparaison sur la base de notre étude
sur la charge virale à l'époque et avons dit: Nous ne pouvons pas
documenter cela statistiquement, mais il y a peut-être un peu moins de
virus chez les enfants les plus jeunes. Et puis nous avons fait une
post-analyse statistique avec des méthodes plus fines et avons pu
démontrer cette différence. Dans le cas des plus petits, cela se situe
dans la plage d'un demi-niveau log, soit environ un tiers de la charge
virale. Et ce n'est pas une différence pertinente d'un point de vue
virologique. On a beaucoup d'expérience avec les charges virales pour
l'évaluation des maladies. Et avec un demi-cran logarithmique de
différence, on commence à y réfléchir. Mais la plupart du temps, cela
n'a aucune pertinence clinique. Et puis, dans la révision de notre
étude, j'ai également écrit une discussion très détaillée à ce sujet et
utilisé une analyse de la littérature pour expliquer ce que cela
signifierait par rapport à la transmission de la grippe, où il existe de
bonnes données de Hong Kong sur les transferts dans les ménages. Et la
conclusion est que si cela avait un quelconque effet, une si petite
différence de charge virale serait certainement de l'ordre de moins de
20%. La différence serait de savoir si un enfant infecte dix personnes
ou seulement neuf. Et bien sûr, je pense que tout le monde comprend
intuitivement que ce n'est pas quelque chose qui ferait une différence
pour une décision politique, par exemple. À mon avis, c'est une
différence très mineure.
Et il est intéressant que les auteurs
de cette étude israélienne disent aussi: Selon leurs calculs, les
enfants sont peut-être 85% aussi infectieux que les adultes. Donc, là
encore, il y a cette différence numérique. Nous pouvons vraiment dire
clairement que cela signifierait qu'un adulte infecterait en moyenne dix
personnes et un enfant infecterait en moyenne huit personnes et demie.
C'est aussi simple que cela ici. Est-ce pertinent? Est-ce une différence
pertinente? À ce stade, je dirais, laissez la société et la politique
décider. Et demandons autre chose aux scientifiques. Et si nous devons
ouvrir les écoles, pour des raisons de protection de l'enfance, de
soins, d’employabilité des parents etc, alors bien sûr, vous pouvez
demander au scientifique: que faire maintenant? Quels outils la science
nous offre-t-elle pour contrer ce danger? [...] bien sûr, il y a
beaucoup à faire, par exemple dans le domaine des tests, mais aussi dans
d'autres domaines. Et c'est plutôt à cela que la politique devrait
penser ces semaines-ci, non pas "si" il faut rouvrir les écoles et les
crèches, mais au "comment". Comment sécuriser l'ouverture en automne et
en hiver afin qu'il n'y ait pas d'énormes épidémies. Et idéalement, que
vous n'ayez pas à mettre en quarantaine des écoles entières, mais
seulement une seule classe ici et là.
Hennig: Mais il y a aussi une observation spéciale dans cette étude. Autrement dit,
les enfants de moins d'un an semblent (davantage**) susceptibles d'être
infectés que les enfants âgés de un à quatre ans. Quelle pourrait être
l'explication? Une immunité croisée chez ces enfants de un à quatre ans à cause d'autres virus du rhume?
Drosten: Oui, il y a différentes explications pour ça. Je ne sais pas
du tout si les auteurs le disent si clairement. Mais il y a un modèle
explicatif: Dès la première année de vie, on voit régulièrement des
rhumes chez les enfants. Parce qu'après le dixième, le douzième mois de
vie, l’immunité post-natale a disparu. Cela signifie que les enfants ont
reçu de la mère à travers le placenta [des anticorps]. Et cela dure un
an. […] Puis on pourrait penser qu’on a davantage de coronavirus des
rhumes communs dans les groupes d'enfants. Et une protection croisée
pourrait faire en sorte que les enfants contractent moins ces maladies,
moins cette infection par le SRAS-2.
Et maintenant, on pourrait
imaginer qu’en approchant de l’âge adulte, les rhumes deviennent moins
fréquents, la population est moins protégée et le virus du SRAS-2 a un
impact plus important. Peut-être. Il y a une observation qui ne le
confirme pas. Il n’a pas encore été possible de démontrer que les
adultes qui ont eux-mêmes de jeunes enfants sont moins susceptibles de
contracter le virus du SRAS-2. Parce qu'ils ont tout le temps un rhume.
Les petits les ramènent à la maison et les parents sont constamment
enrhumés et ont plus souvent des infections à coronavirus. Donc,
l’explication est un peu bancale. On pourrait également supposer que des
choses très différentes entrent en jeu. Il n'y a peut-être pas du tout
de protection croisée, au contraire. Les anticorps dirigés contre
d'autres coronavirus aggravent la maladie. Il y a aussi des raisons de
craindre quelque chose comme ça sur la base d'expériences vaccinales,
notamment en médecine vétérinaire. Nous ne savons pas grand-chose sur
les humains, mais les humains ne sont que des animaux.
Cela
signifie que la considération serait complètement différente: les
maladies à coronavirus préexistantes ne nous protègent pas, mais nous
rendent encore plus sensibles. Les enfants n'ont pas autant de maladies
préexistantes et sont donc moins sensibles. Mais les très jeunes
enfants, ayant les anticorps de leur mère, seraient en fait en danger à
cause de l’immunité postnatale. Et c'est pourquoi vous voyez plus
d'infections à coronavirus avec le SRAS-2. Et puis à l'âge adulte,
lorsque ces anticorps (de fond) s'accumulent à nouveau, avec un nombre
croissant d'infections à coronavirus subies dans la vie, nous avons à
nouveau cette prévalence de fond sensibilisante en anticorps. Il s'agit
donc d'une contre-hypothèse qui n'a pas été réfutée. Et cela va occuper
l'épidémiologie et peut-être bientôt aussi la virologie expérimentale
pendant très longtemps. Et nous devons en rester là avec cette
considération. Nous ne pouvons pas expliquer cela. Mais il y a cette
observation intéressante, qui pourrait malheureusement s'expliquer
hypothétiquement de deux manières concurrentes.
Mais peut-être
devrions-nous redire que cette étude, comme presque toutes les autres
études épidémiologiques, laisse de grandes incertitudes. Et peut-être
parler d'une autre observation, la façon dont l’infection se répartit
dans la population. Mais tout d'abord: c'est exactement la même chose
avec cette étude qu'avec de nombreuses autres études d'observation des
familles ou des ménages, on doit d'abord reconnaître le ménage comme
étant infecté, pour l’inclure dans l'étude. Et là encore, comme partout
dans le monde, quelqu'un doit d'abord être testé. Et il n'est pas testé
pour le plaisir, mais parce qu'il présente des symptômes. Cela signifie
que le critère d'inclusion dans cette étude est qu'une personne présente
des symptômes dans le ménage. Si quelqu'un a des symptômes, il a été
testé. Si cela était confirmé, le service de santé est allé
échantillonner l'ensemble du ménage - avec la PCR du prélèvement de
gorge - aucun examen sérologique n'a été effectué.
Dans de
nombreuses autres études, seuls les patients symptomatiques ont été
testés. Et ce qui est particulièrement bien avec cette étude, c'est que
tous les membres du ménage ont été testés, en particulier dans ces
familles nombreuses. [...] Maintenant, bien sûr, nous savons que 80% des
adultes ont des symptômes. Mais les enfants, je dois estimer
grossièrement, peut-être 20, 30, 40 %. En conséquence, la probabilité
qu'une telle enquête commence par un cas grave chez un adulte est bien
sûr très élevée. C’est évident.
Nous avons 150 ménages, qui ne
sont que des ménages de deux personnes. Je suppose qu'un ménage de deux
personnes dans une zone où presque tous les résidents sont des juifs
orthodoxes, [sont] grand-mère et grand-père. Et moins un parent seul
avec un enfant. [...] nous devons juste réaliser que cela entraîne une
coloration inévitable. Une autre chose qui doit être soulignée, [...]
c'est que c’est un groupe de modélisation et non un groupe de chercheurs
de terrain. Mais nous avons également des informations sur les
symptômes ici. Et pour les adultes, tout est très réaliste. 88 % des
adultes testés positifs présentaient des symptômes - à l'aide d'un
questionnaire. Et il y a aussi des symptômes légers. Là, vous pouvez
penser que c’est exact. En revanche, il y a quelque chose de très
visible chez les enfants. 72% des enfants testés positifs pour la PCR
étaient symptomatiques. C'est trop. Cela me dit que les enfants ont été
négligés dans l'étude. Parce que si vous testez autant d'enfants, il y a
512 enfants positifs, il ne devrait pas y en avoir autant.
Hennig: D’après ce que nous savons sur la fréquence à laquelle les enfants développent des symptômes.
Drosten:
Exactement. Et parce que nous ne pensons pas que les parents ont
imaginé les symptômes de leurs enfants, je suppose que ce nombre est 512
trop faible. Les enfants positifs ont probablement été négligés dans
les PCR de ces ménages. Et comment est-ce possible? Très simplement. Ce
sont des études de recherche sur les ménages qui durent des semaines.
Ces ménages ont été étudiés pendant deux ou trois semaines et ont été
échantillonnés. Et nous savons de plus en plus que les enfants ont le
virus dans la gorge, mais tout comme chez les adultes, le virus
disparaît de la gorge au bout d’une semaine. Quand vous avez vu beaucoup
de données sur les enfants, on peut penser que les enfants peuvent même
avoir le virus dans la gorge quelques jours de moins. Cela dit, je
pense qu'il y avait de nombreux cas où vous aviez un adulte présentant
des symptômes au début de l'examen. Et il y avait aussi un ou deux
enfants dans le ménage qui présentaient des symptômes bénins. Mais ils
ont été négligés. L'adulte a donc eu des symptômes. L'adulte est testé.
Vient ensuite le suivi. Jusque-là, au moins sept ou dix jours se sont
écoulés, peut-être même un peu plus. Et les enfants qui ont été infectés
au début peuvent même avoir eu des symptômes. Peut-être ont-ils même
dit au service de santé qu'il y avait aussi des enfants qui présentaient
des symptômes. Peu importe, ils ont tous été testés. Et puis le test
PCR a été négatif.
[...]
Il y a une nouvelle étude qui vient d'être publiée, en Corée du Sud,
dans "Emerging Infectious Diseases", qui montre que, comme les adultes,
le virus est excrété dans les selles pendant une période de temps
considérablement plus longue. Nous l'avons déjà montré dans notre
publication Nature sur le cluster de Munich. Et d'ailleurs, les selles
ne sont pas contaminantes, mais simplement détectables par PCR. Si vous
aviez testé ces enfants dans cette étude israélienne en utilisant un
échantillon de selles, je pense que le résultat aurait été très
différent. Je dirais que [...] les enfants et les adultes sont également
sensibles, probablement aussi infectieux. C'est juste une intuition. Je
ne peux pas l’objectiver. Je peux seulement dire, sur la base de mon
expérience, quand je regarde ces chiffres, et je ne fais pas que
regarder des chiffres sans rien connaître de la maladie, mais je sais
aussi quelle est la cinétique de l'excrétion. Je sais quand le virus se
propage où dans le corps. Je sais comment cela est particulièrement
accentué chez les enfants. Je sais comment fonctionnent ces études sur
les ménages, où il y a des retards, quand sont faits les prélèvements.
Je considère tous ces éléments. Et mon impression générale est: la
différence n'est probablement due qu'au prélèvement dans la gorge.
Vous pouvez prélever au rectum avec un coton-tige, l'enfant ne s'en
aperçoit pas du tout, ce n'est pas douloureux du tout. Et contrairement à
un frottis du nasopharynx, il n'y a certainement pas de pleurs. Il
s'agit en fait d'une excellente recommandation pour de telles études,
qui devraient être suivies à l'avenir. Le résultat aurait été différent.
La situation en Suède
Nous avons un pays en Europe où nous n'avons pas eu de fermeture
d'école, à savoir la Suède. En fait, ce n'est pas tout à fait exact
[puisque le secondaire était fermé]. Et on a su de façon épisodique que
des moitiés de classe étaient malades et restaient à la maison. Même
dans ces jeunes années scolaires. Mais les Suédois l'ont géré
relativement sans souci car les enfants présentent des symptômes moins
graves. Ils ont le nez qui coule, et cela n'a dérangé personne. Mais
maintenant, le réflexe est apparu dans de nombreux pays: nous devons
maintenant voir ce qui se passe avec les enfants. Et le premier réflexe
est: Eh bien, regardons les anticorps. Et le problème est toujours: ces
études d'anticorps, dans lesquelles vous comparez des adultes et des
enfants, ont toujours été créées durant le lockdown, quand les enfants
ne peuvent avoir été infectés qu'à la maison. Et tout ce que vous voyez,
c'est l'activité d'infection dans les ménages, quand les enfants sont à
la maison et ne rencontrent pas d'autres enfants pendant que les
adultes font leurs courses. Qui sont, bien sûr, plus susceptibles
d'avoir été infectés dans leur activité professionnelle ou en voyage,
dans leur groupe d'âge, parmi leurs collègues et connaissances. Et puis
nous voyons ces différences de séroprévalence. Les adultes ont plus
d'anticorps, peut-être deux fois plus que les enfants. Et on se demande:
qu'est-ce que ça veut dire? Et vous devez toujours dire que nous ne
savons pas. Nous ne pouvons pas interpréter cela parce que les enfants
n'avaient aucune chance d'être infectés. Et c'était différent en Suède.
En Suède, les enfants ont eu, je ne veux pas dire la même chance car,
comme je l'ai dit, les écoles secondaires étaient également fermées.
Mais les plus jeunes millésimes avaient une chance égale d'être
infectés. En Suède, le test de séroprévalence a également été
particulièrement bien fait. Et en passant, je veux aussi plaider en
faveur de l'épidémiologie suédois. Le pauvre Anders Tegnell en
particulier est critiqué en tant qu'individu.
Hennig: L'épidémiologiste en chef.
Drosten: Bien sûr, c'est une situation terrible qu'il ait été laissé
seul. Aussi par la politique. Parce que, bien sûr, en tant que
scientifique, il n'a pas pris de décisions seul. Il n'a probablement pas
pris une seule décision, juste conseillé. […] Tout comme nous, les
scientifiques allemands, il n'a jamais donné de conseils politiques en
tant qu'individu, mais toujours dans des groupes consultés par les
politiciens soit simultanément - c'est généralement le cas - soit
indépendamment. C'était comme ça ici en Allemagne. Et pour revenir au
sujet: des groupes comme celui d'Anders Tegnell font des études
épidémiologiques particulièrement bonnes. Nous savons que
l'épidémiologie appliquée est particulièrement bonne en Suède.*
Et une étude sur la séroprévalence dans la population normale vient
d'être réalisée en Suède. […] Nous avons une séroprévalence de 2,9 %
dans la population normale, les 65 à 95 ans, c'est-à-dire ceux qui sont
en fait les plus touchés par la maladie. Cela correspond à ce que nous
voyons et attendons dans les pays européens. Nous sommes même un peu
plus bas en Allemagne en moyenne. [...] Ensuite, la grande et large
population adulte, âgée de 20 à 64 ans, 6,5%. C'est donc beaucoup plus
que chez nous. Deux messages : Premièrement, il y a eu pas mal
d'infections. Deuxièmement: Malheureusement, on est encore très loin de
l'immunité collective. Donc, ce concept suédois, l'immunité collective
jusqu'à la fin du mois de mai, je ne sais pas si vous pouvez le voir de
manière aussi optimiste. Soit dit en passant: la période d'enquête s'est
déroulée du 11 au 17 mai, durant laquelle les échantillons ont été
prélevés. Il s'agit donc d'une véritable étude transversale à un moment
où l'ensemble de l'action ne s'est étalé que sur une semaine. Et la
chose étonnante est: 6,5 % des adultes. Et maintenant pour les enfants
entre 0 et 19 ans: 7,5%. Donc plus que chez les adultes.
Hennig: Mais pas beaucoup plus.
Drosten: Pas beaucoup plus. Ce serait la meilleure ! Mais au moins, ce
n’est pas moins. Et nous devons toujours intégrer le contexte, car
sinon, toute personne capable de lire pourrait prendre une étude
scientifique et la traduire directement en décision politique. Et c'est
exactement ce que nous ne pouvons pas faire. Nous avons besoin de
l'expérience scientifique. [...] Et je dois simplement dire: ce que je
viens d'expliquer ici est mon expérience professionnelle, que j'intègre
ici. Et avec cette expérience, je pense que cette étude suédoise me
pousse à observer de manière critique la réouverture sans restrictions
des écoles après les vacances. Je ne vois pas pourquoi cela devrait être
différent en Allemagne qu'en Suède. Et nous voyons en Suède: Même
lorsque le lycée est partiellement fermé, après une période d'activité
épidémique nous avons même un peu plus de séroprévalence chez les
enfants que chez les adultes. Alors pourquoi devraient-ils être moins
réceptifs ou moins contagieux? Bien sûr, ils ont plus de possibilités de
contact à l'école, c’est clair. Mais nous ne pouvons pas le calculer.
Hennig: Cela signifie que si nous considérons ces différentes approches
de la question de l'âge - sensibilité, infectiosité et charge virale -
ce que vous avez fait dans votre étude, ce qui se produit également dans
l'étude sud-coréenne, alors on peut conclure que ce n'est tout
simplement pas très différent entre les enfants et les adultes.
Drosten: Exactement. En termes de charge virale, notre étude n'est plus
la seule. Il existe plusieurs études qui confirment exactement ce que
nous voyons [et qui] ont parfois des charges virales très élevées chez
les enfants, plus que nous. […] Pour moi en tant que virologue, ces
données sur la charge virale ont été très révélatrices sur la base de
toute mon expérience professionnelle - et tous les autres virologues
cliniques le verront de la même manière. Quelques statisticiens ont
déclaré que ces données n'avaient aucun sens, mais nous voulons
maintenant insister sur la précision de la méthode. [...] Tout cela
appelle simplement à la prudence. En même temps, bien sûr, cela ne
signifie pas que nous ne pouvons pas ouvrir les écoles. Ce n'est pas ce
que disent les scientifiques. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Au
contraire. Je dis oui, bien sûr, nous devons rouvrir les écoles pour des
raisons sociales. Mais je dis aussi que nous devons ouvrir l’œil. Nous
devons absolument faire face à la situation avec des normes
scientifiques et nous assurer de reconnaître très tôt les épidémies
imminentes.
Et peut-être, pour conclure: le rapport de
situation de l'Institut Robert Koch montre un graphique avec une
nouvelle mise à jour environ une fois par semaine, qui compare la
distribution des différentes cohortes d'âge dans la nouvelle incidence.
[...] Et la semaine dernière, il y a eu une situation dans laquelle les
groupes d'âge jusqu'à 20 ans - c'est-à-dire ce que vous considéreriez
généralement comme des enfants et des adolescents, c'est-à-dire les
années d’âge scolaire - se sont maintenant établis à environ 20%
d'incidence. Et c'était complètement différent avant. Nous voyons que
depuis mi-mars environ, cela a augmenté de façon presque linéaire. De
quelques pour cent à 20 % maintenant. Et ces 20% représentent à peu près
la proportion de ce groupe d'âge dans la population. Cela dit, au début
de l'épidémie, nous avions simplement enregistré ce virus dans les
populations d'âge moyen. Et dans les semaines qui ont suivi, ça s’est
propagé dans les groupes âgés ; principalement des flambées dans les
maisons de repos. Cela a été maîtrisé. [...]
On peut dire que le
mouvement de diffusion du virus dans la population est maintenant
terminé. [...] Mais cela pourrait continuer. Si la tendance se poursuit,
nous pourrions bientôt avoir une surreprésentation des enfants. Et dans
cette situation, arriver à l'automne et la reprise de l'école.
Manifestations et propagation du virus
Hennig: Nous avons également eu des manifestations ce week-end, les
manifestations contre le racisme, qui sont des préoccupations
importantes qui ne peuvent être reportées. Et le masque n’a pas toujours
été porté. Cela vous frappe-t-il en tant que virologue lorsque vous
regardez ces deux choses: espérons que cela n'augmentera pas le nombre
de nouvelles infections.
Drosten: Oui, bien sûr. D'après ce que
j'ai lu, il y a moins de contaminations à l'extérieur. Mais l'effet de
tant de personnes au même endroit peut bien sûr jouer, et entraîner la
formation de clusters. Heureusement, nous avons une incidence si faible
en Allemagne en ce moment qu'il est tout à fait concevable qu'un grand
rassemblement de personnes se réunisse sans infection. [...] Et
complètement indépendamment du fait qu'un groupe aussi important de
personnes soit dangereux ou non - je pense que oui - vous pouvez
toujours espérer que, malgré tous les dangers, rien ne s'est produit
parce qu'il n'y avait tout simplement pas de virus du tout.
*
Note de l'éditeur: dans la version originale de cet épisode, Christian
Drosten a fait des commentaires plus longs sur la base de données de
l'étude de séroprévalence en Suède. Une erreur s'est produite dans la
représentation de la sélection d'échantillon. Nous avons donc décidé de
raccourcir ce passage.
** La question de la journaliste disait "moins", mais il s'agit sans doute d'une erreur; dans l'étude en question, on voit que les enfants de 0 à 1 ans sont plus souvent positifs que les autres enfants
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