dimanche 1 novembre 2020

vaccination: antibody dependent enhancement, spray nasal. Podcast #62 du 27 octobre [Partie 2]

Hennig: […] Ces jours-ci, cependant, on parle beaucoup des vaccins, car près d'une douzaine de projets entrent dans la phase finale, les tests sur l'homme. Cela donne beaucoup d'espoir. Mais il y a toujours des nouvelles qu'une étude doit être interrompue parce qu'une personne testée est malade à cause des effets secondaires. De telles interruptions sont-elles préoccupantes? Ou est-ce que cela vous rassure parce qu’on peut voir que les normes fonctionnent?

Drosten: Oui, ce n'est pas nécessairement une source de préoccupation au début. C'est parce que nous avons une situation incroyablement dynamique ici. Les études de phase 3 sont en cours et elles sont interrompues pendant quelques jours car il y a une complication. Par exemple, nous avons vu dans les médias la semaine dernière qu'un essai de vaccin, une phase 3 au Brésil, a été interrompu parce que quelqu'un est décédé. Il s'est ensuite avéré que c'était quelqu'un qui n'avait pas du tout été vacciné, mais qui avait reçu un placebo. Si vous vaccinez 30.000 personnes, certaines mourront bien sûr. Si vous aviez tous les groupes d'âge, on aurait 1 % de mortalité par an ou même un peu plus, 1,5 % de mortalité par an. Disons que si nous vaccinons 30.000 personnes en quatre ou cinq mois, combien de personnes mourront? des centaines. Mais ce n'est pas toujours dû au vaccin. Nous pourrions tout aussi bien jouer la Neuvième de Beethoven à 30.000 personnes pendant quatre mois, et certains mourront aussi. Mais pas à cause de la musique, c'est juste que des gens meurent dans chaque population. Et la question que nous devons toujours nous poser ici est celle de la causalité. Était-ce vraiment le vaccin? Il y a bien sûr certaines maladies que vous examineriez de plus près que d'autres. Par exemple, un vaccin est un traitement immunologique. Il y a bien sûr des maladies liées au système immunitaire, qui ressemblent à des maladies auto-immunes etc. On a beaucoup plus de suspicions qu'avec une maladie qui n'aurait rien à voir avec le système immunitaire, c'est par exemple une procédure dans ces études. Parfois, il faut juste du temps pour clarifier quelque chose comme ça. En principe, bien sûr, il est également bon que quelque chose comme ça parvienne immédiatement au public. Pour que le public sache s'il y a un problème quelque part, avec une phase de test d’un vaccin.
 
antibody dependent enhancement

Hennig: Parce que la transparence est importante. Avant l'été, nous avions brièvement parlé dans le podcast et de manière théorique d'un phénomène appelé facilitation de l'infection par des anticorps «antibody dependent enhancement» (ADE) c'est-à-dire des anticorps qui intensifient les infections. En termes simplifiés, cela signifie que les anticorps ne font pas ce qu'ils sont censés faire, à savoir prévenir l'infection, mais plutôt le contraire, permettre au virus d'entrer dans la cellule. Un tel phénomène est également associé aux vaccins. Quel est l'état actuel des connaissances? Y a-t-il des indications que ce problème peut également survenir dans le cadre d'une vaccination contre le coronavirus?

Drosten: Oui, cela est discuté depuis le début. L'ADE est l'un des nombreux phénomènes d'effets des anticorps. Une vaccination crée des anticorps. La question est toujours de savoir si les bons anticorps sont produits, les anticorps neutralisants. Et si leur présence est numériquement dominante par rapport à tous les autres anticorps possibles [...] Une étude est sortie en preprint suggérant assez fortement qu'il existe un problème avec l’ADE. Peut-être devrions-nous l’examiner de plus près, car cela a fait la une des médias anglophones la semaine dernière. Il y a aussi une étude qui vient de Chine, des auteurs de Shanghai et de Shenyang. Ils ont fait une étude où ils ont prélevé le sang de patients qui avaient eu une évolution légère et de patients avec une évolution sévère. Il y a des anticorps dans le sang. Avec la question : est-ce que dans ces anticorps on voit des signes d'un tel effet stimulant de la maladie ou ADE ?

Hennig: En cas de contact avec le virus?

Drosten: Exact. C'est la crainte que des anticorps soient produits avec la vaccination alors qu’on n’a pas été en contact avec le virus. Maintenant vient le virus et au lieu que les anticorps me protègent contre le virus, ils aggravent la maladie. Il existe un exemple célèbre en médecine des infections, c’est l'infection par le virus de la dengue. Peut-être que beaucoup savent que c'est une fièvre tropicale qu’on contracte avec une piqûre de moustique. Ce virus de la dengue est en fait quatre virus complètement indépendants, quatre virus différents. Ils sont liés d'une certaine manière, mais pas suffisamment pour que les anticorps contre un virus protègent contre l'autre virus. Cela signifie que si je suis infecté par la dengue aujourd'hui et que je fais une réaction immunitaire, j'ai ensuite des anticorps. Et l'année d’après j’ai la dengue numéro 2. Et les anticorps qui sont dans mon sang sont contre la dengue n°1, ils reconnaissent un peu ce virus de la dengue n°2, mais ils ne peuvent pas vraiment l'inactiver. Et ce qui se passe maintenant, c'est: l'anticorps ressemble à un Y, les deux parties du haut collent au virus, et la longue partie qui dépasse, le Fc, le fragment cristallisable de l'anticorps, […] rencontre les monocytes, c'est-à-dire les cellules immunitaires - les macrophages en font partie par exemple-. Donc, les cellules qui proviennent de la moelle osseuse et circulent dans tous les organes et qui font un peu de la surveillance des agents pathogènes. Et ces cellules immunitaires ont un récepteur Fc. Ils ont une molécule à la surface qui reconnaît ce Y, ce long bras du Y. Et cela conduit au fait qu'à cause de cet anticorps, le virus est absorbé dans ces monocytes.

Hennig: Parce que l’anticorps colle au virus?

Drosten: Exactement. Ce n'est pas une mauvaise chose au début, cela fait partie de la fonction immunitaire normale. Ce n'est que dans ce cas que le virus essaie de pénétrer dans ces cellules immunitaires. Parce que ce sont les cellules cibles de ce virus. Le virus peut effectuer un cycle complet de réplication dans ces cellules immunitaires et générer une descendance. La prochaine génération de virus émerge de ces cellules immunitaires. Et le facteur de placement est d'environ un sur mille ou un sur 10000, vous pouvez imaginer. Il s'agit d'une infection virale vraiment productive qui a lieu dans ces cellules immunitaires. Ce n'est pas la seule cellule cible, le virus de la dengue a également d'autres cellules cibles dans le corps. Mais ces cellules immunitaires sont l'une des principales cellules cibles.

Hennig: À quelle fréquence cela se produit-il avec les infections par la dengue?

Drosten: Cela nécessite une deuxième infection, puis une troisième et au maximum une quatrième infection ; il n'y a pas plus de quatre virus. Et tout cela est une considération grossière. En réalité, ce n'est pas si simple. En réalité, il y a des effets qui se font concurrence car ces anticorps, ces anticorps hétérotypiques, protègent un peu contre le virus [...] . Il est très clair que c'est possible dans le cas de la dengue.

Ce que nous devons en fait nous demander maintenant, afin de le prédire pour le Sars-2, c'est comment se passe cette infection? Dans cette infection, les cellules cibles sont-elles également ces cellules immunitaires? Et ce n'est pas le cas. Maintenant, parlons de la dernière partie de l’étude, la discussion. Dans chaque étude, on commence par expliquer d'où viennent les auteurs et comment l'idée est née etc. Puis, on dit comment tout ça a été fait, quelles techniques ont été utilisées. Et à la fin, on parle de la façon dont il faut le comprendre: que peut-on critiquer? Où peuvent se trouver des erreurs ? etc. Et maintenant qu’on en parle, commençons par la fin et disons que dans l'infection avec le Sras, ces types de macrophages ne sont pas les principales cellules cibles pour la réplication du virus. Le virus pourrait y entrer pour le développement de la maladie, nous ne le savons pas exactement. On peut en reparler tout de suite. Mais on sait déjà que ce n'est pas ce qui pousse le virus à se multiplier. La réplication du virus a lieu sur l'épithélium, c'est-à-dire sur la couche cellulaire qui tapisse les muqueuses. Le virus veut y pénétrer. Ce ne sont pas des cellules immunitaires, ce sont des cellules épithéliales.

Hennig: Cela signifie que pour une infection complète, le virus doit y pénétrer.

Drosten: Exactement. Pour la production d’une progéniture, c'est-à-dire une multiplication numérique correcte du virus. Dans cette étude, les auteurs se sont penchés sur des échantillons de patients avec une évolution sévère et avec une évolution bénigne, ils ont rassemblé ces échantillons de sang, avec les anticorps, susceptibles de provoquer cette facilitation de l'infection par des anticorps, les ont réunis avec des cellules de laboratoire. Ces cellules de laboratoire sont des cellules qui possèdent un récepteur Fc. Les cellules immunitaires sont là. Mais il existe également des cellules de lymphome dans certains cas. Ce sont des cellules immunitaires malignes dégénérées qui transportent également une grande partie de ce récepteur, de sorte que l'on peut voir ces effets de laboratoire de façon exagérée. Les auteurs voulaient juste savoir si cet effet existe. Il faut dire qu’ils ont provoqué l'effet dans cette étude. Ce qu'ils ont fait ensuite, c'est qu'ils n'ont pas non plus pris le virus du Sras, ils ont pris un pseudo-type. Nous en avons déjà parlé. Un lentivirus, un virus HI qui a reçu la protéine de surface du virus Sars-2 et qui contient encore un gène dit rapporteur, un gène qui émet un signal lumineux après être entré dans la cellule, qui peut être détecté et qui brille. Et ce qu’on a regardé, c'est l'entrée de ces virus rapporteurs et la création d'un signal lumineux dans la cellule, en présence ou non d'anticorps issus du sang de ces patients. Et on a vu que c’était le cas dans 76% des cas graves, et seulement 8% des cas bénins - une différence considérable. Dans les cas graves en particulier, c'est précisément cette capacité améliorée à pénétrer dans les cellules immunitaires que l'on retrouve dans ce système de substitution.

Hennig: Mais ça veut dire, puisque nous sommes déjà dans la critique, qu’en principe tout est basé sur une erreur de réflexion car le virus ne va pas plus loin dans les cellules immunitaires, du moins pour l'infection car il ne s'y multiplie pas.

Drosten: Oui, la chose intéressante ici réside en fait dans la terminologie. On peut parler d’une facilitation de l'infection par des anticorps. Et avec ce concept d'infection, il y a toujours quelque chose comme une activité de reproduction. Une infection, c'est un virus arrive et se multiplie frénétiquement, puis passe du nez à la gorge jusqu'aux poumons, puis il continue de se multiplier à nouveau. Il y a beaucoup de dynamisme là-dedans. Cette dynamique vient du fait que le virus se multiplie dans les cellules épithéliales. Pour ce faire, il doit pénétrer dans les cellules épithéliales. Et ces cellules épithéliales qui sont touchées ne possèdent pas, ou de manière négligeable, de tels récepteurs Fc, de sorte que la présence d'anticorps renforçant l'infection n'est pas vraiment une option ici.

Mais c'est différent avec le concept de maladie. Une maladie ne résulte pas nécessairement d'un virus envahissant les muqueuses. Souvent, nous ne le remarquons même pas. Le virus ne doit pas nécessairement dissoudre les cellules. Parfois, c'est le cas au début, même avec l'infection avec le Sars-2, elle est si forte que c’est la réaction immunitaire qui provoque la maladie. Alors que le système immunitaire élimine le virus, qui se trouve dans les cellules, la masse cellulaire infectée doit également être attaquée par notre propre système immunitaire. Ainsi, nos cellules immunitaires viennent attaquer les cellules infectées par ce virus et les éliminent, causant des dommages à l'épithélium. Et il y a de nombreuses substances libérées qui vont vous faire sentir malade, qui provoquent de la fièvre, les cytokines. Tout cela [est] l'immunopathogenèse, c'est-à-dire le développement de maladies causées par le système immunitaire. La question est maintenant de savoir s'il existe une possibilité que l'effet d'intensification de la maladie passe par des anticorps. C'est l’objet de cette publication.

Hennig: cela signifie que ce n'est pas si pertinent par rapport à la question du développement de vaccins, car il s'agit de: que font les anticorps une fois que je suis infecté? Et il ne s'agit pas d'un double contact avec le virus, c'est-à-dire une fois par la vaccination puis par une nouvelle infection, uniquement au sein de la maladie.

Drosten: Exactement. C'est peut-être un peu [exagéré] dans cette étude, qui présente cet effet comme dominant dans le processus de maladie, même après une vaccination. Il faut être très prudent. Ce que je peux déjà imaginer, la façon dont cette étude est conçue, c'est qu’on regarde des patients avec un parcours difficile. Et là, on trouve souvent des anticorps qui permettent au virus de pénétrer dans les cellules immunitaires. Cela correspond aux observations que nous faisons également. On peut le voir dans les poumons des patients décédés, si on regarde attentivement quelles cellules sont réellement infectées. Par exemple, il y a un très bon travail de la Charité de Berlin sur le sujet. Vous pouvez voir que dans des cas aussi graves, du matériel viral et des protéines virales peuvent également être trouvés dans les macrophages alvéolaires de façon considérable. Ce sont des cellules immunitaires locales dans les poumons. Elles sont toujours là, entrent et sortent des poumons. On y trouve toujours une telle quantité de macrophages. Ils ont le virus, même si le virus ne se multiplie pas vraiment dans ces cellules. L'augmentation active de la population virale ne se produit pas là. Mais ces cellules contribuent de manière significative à la pathogenèse immunitaire. Maintenant, on peut imaginer que si une personne est infectée et qu'elle fabrique des anticorps dans la phase tardive de l'infection, et qu’à cause de ces anticorps, le virus pénètre mieux dans ces cellules immunitaires, et ces cellules immunitaires provoquent en fait la pneumonie proprement dite, la maladie, alors on peut [se raconter] qu’il y a une facilitation de l'infection par des anticorps. Mais avec une vaccination, nous comptons sur quelque chose de complètement différent, avec une vaccination, nous avons les anticorps à l'avance.

Hennig: Et le plasma de convalescence? De nombreuses recherches sont également menées à ce sujet, à savoir un traitement préventif ou aigu avec le plasma sanguin des personnes qui ont survécu à une infection. Est-ce négligeable?

Drosten: Dans de grandes études avec le plasmas de convalescence dans l'infection au Sras, on peut maintenant dire qu'il ne semble pas y avoir un effet de facilitation de l'infection par des anticorps. Il y a toujours des effets secondaires dans de telles études. C'est simplement parce que vous donnez des anticorps, également d'autres personnes. On a donc certains taux de complications et on doit le donner suffisamment tôt. Si cela est administré trop tard, alors souvent rien ne peut être fait pour le patient avec ces anticorps. Mais dans les études qui ont été réalisées, on ne peut pas réellement dire qu'il existe des preuves de facilitation de l'infection par des anticorps.

Hennig: En sait-on vraiment plus sur ce phénomène maintenant, indépendamment du Sars-2, pourquoi les anticorps font-ils cela, dans quelles conditions cela se produit-il, est-ce que cela dépend de l’âge du système immunitaire ?

Drosten: Pas nécessairement. Cela peut bien sûr être lié à ce phénomène de système immunitaire âgé, mais très indirectement. Il y a une explication très intéressante de ce mécanisme dans cette étude dont nous venons de discuter. En effet, on a examiné de près les domaines du virus contre lesquels cet ADE, c'est-à-dire la facilitation de l'infection par des anticorps, […] contre lesquels ces anticorps se dirigent. Et il s'avère que ce sont des anticorps qui sont en fait dirigés contre le domaine le plus important, le domaine de liaison au récepteur du virus, la protéine de surface. En principe, ils pourraient neutraliser des anticorps, mais ils ne neutralisent pas correctement. En effet, ils se lient à la protéine sous une forme qui ne se produit que temporairement au cours de l'infection. Ces protéines sont mobiles, pas comme des blocs de construction, comme vous l'imaginez si vous deviez mettre une particule de virus hors des blocs de construction sur le sol avec ces pointes qui dépassent toutes identiques - ce n'est pas la réalité. Ce sont des objets mécaniques complexes, de la plus petite taille, des objets moléculaires qui ont également des charnières, qui bougent et qui sont constitués de plusieurs pièces. Ces pièces peuvent être déplacées les unes contre les autres, elles peuvent s'emboîter les unes dans les autres, elles peuvent parfois être un peu tordues. Et ces auteurs ont découvert que les anticorps se dirigent contre une protéine de surface tordue, pour parler simplement. Ces anticorps ne surviennent pas chez tous les patients. Ce peut être une stupide coïncidence pourquoi ce patient-là a développé de tels anticorps. Il peut s'agir de variations immunitaires, c'est-à-dire de certaines formes de récepteurs immunitaires que nous avons dans notre système immunitaire et qui diffèrent d'une personne à l'autre. Mais il se peut qu'il y ait certaines inexactitudes dans la précision de l'ajustement de ces cellules productrices d'anticorps qui sont stimulées pour mûrir. Nous avions, je pense, dans l'avant-dernier épisode, parlé du fait que des choses comme un système immunitaire imprécis, un système immunitaire vieilli, pouvaient arriver.

Hennig: Cela signifie, pour résumer: c'est une explication possible pour une certaine forme d'évolution sévère, mais du point de vue de la recherche sur les vaccins, si j'interprète correctement votre évaluation de l'étude, c'est en fait une bonne nouvelle.

Drosten: Je dirais que du point de vue du développement des vaccins, ce n'est pas une nouvelle inquiétante. C'est peut-être une nouvelle intéressante du point de vue de la recherche sur les maladies, pourquoi certaines personnes ont-elles une forme plus sévère et d'autres pas avec l’infection naturelle? Mais la vaccination est autre chose. Dans la vaccination, nous avons des anticorps, et si nous sommes préoccupés par la facilitation de l'infection par des anticorps ou l'amplification de l'infection, nous devrons alors utiliser des anticorps acquis par la vaccination pour que le virus pénètre mieux dans les cellules cibles dans lesquelles le virus se produit, dans lesquelles le virus se réplique. Ce n'est certainement pas le cas ici.

Il y a une autre chose intéressante à dire. Bon nombre de ces découvertes, qui ont clairement montré qu'il fallait se préoccuper des phénomènes d'ADE, proviennent de l'expérience avec d'autres vaccins. Et ces vaccins seront toujours testés sur des modèles animaux. Et dans ces modèles animaux, si vous testez un vaccin sur des macaques, par exemple, vous faites quelque chose de différent de l'infection naturelle, à savoir, vous provoquez une [forte] infection. Donc, vous faites vacciner les animaux et vous voulez savoir si le vaccin est également protecteur. Pour ce faire, les animaux reçoivent une dose exagérée de virus pour montrer que même une dose très élevée est inopérante avec le vaccin. Cependant, ce sont des conditions qui ne se produisent pas dans une infection naturelle. Donc, si, par exemple, on donnait un million de virus infectieux à un singe et que nous-mêmes acquérons peut-être 10 ou 20 ou au maximum 100 de ces virus dans l'infection naturelle, alors c'est une énorme différence, ce qui, bien sûr, changerait également de manière significative l'apparition initiale d'un phénomène ADE. Il faut simplement imaginer que si vous apportez une énorme charge virale à un animal lors d'une infection, alors peut-être qu'à un moment donné, il y aura des cellules immunitaires qui seront infectées et que la production virale pourra avoir lieu. Cela ne s'applique pas au virus Sars-2, car il n'y a pratiquement pas de production virale dans les cellules immunitaires. Mais il y a d'autres maladies infectieuses là où il y a ces zones grises […] et où les modèles animaux pourraient suggérer un phénomène ADE que l'on ne verrait jamais chez l'homme.

Hennig: Je voudrais rester brièvement sur le développement du vaccin avec pour mot-clé «infection naturelle» et dans quelle mesure elle peut effectivement être imitée par un vaccin, c'est-à-dire la réponse immunitaire. Avec les nombreux vaccins actuellement en discussion, la principale question est: que font-ils? ils affaiblissent l'évolution de la maladie ou préviennent également l'infection, ce qu'on appelle l'immunité stérilisante. Quelle est votre évaluation? Y a-t-il un espoir pour de tels vaccins qui ralentiraient complètement le virus en déclenchant une réponse immunitaire qui ressemblerait à une infection naturelle?

Spray nasal

Drosten: Cela ne fonctionnera probablement pas avec les vaccins qui sont actuellement testés. Il s'agit d'une infection de la membrane de la muqueuse, c'est-à-dire du nez et de la gorge puis plus tard des poumons - ou dans le système bronchique, avec plus de membrane muqueuse, les poumons eux-mêmes n'ont pas de membrane muqueuse, mais principalement une infection des muqueuses. Et les muqueuses ont déjà leur propre système immunitaire local. Avec les vaccins actuels, qui sont plus susceptibles d'être introduits dans le muscle, vous n'atteignez pas ce système immunitaire local, pas d'une manière particulière. Là, vous avez plus de l'effet immunitaire général pour tout le corps, c'est-à-dire pour la propagation systémique et aussi pour une partie de la réponse immunitaire générale. Par exemple les anticorps IGA, qui arrivent alors. Les anticorps IGG atteignent également les poumons, par exemple, notamment dans le cadre d'une inflammation naissante. Et c'est ce que font les vaccins actuels, qui protègent probablement contre une forme sévère plutôt que contre l'infection. C'est la chose la plus importante à faire d’abord. Il n'y aura pas de vaccin pour tout le monde au début de toute façon. Bien sûr, il faut fournir un vaccin aux personnes à risque [pour faire disparaître] ce taux de mortalité élevé dans la population.

Hennig: Mais si nous voulons contenir la propagation en même temps ou à un stade ultérieur avec des vaccins, devons-nous accéder directement aux muqueuses?

Drosten: Vous devez absolument le faire. La prochaine génération de vaccins doit également inclure cela. Nous en parlerons certainement plus souvent. Nous introduirons des vaccins à un moment donné. Et nous penserons probablement d'abord aux groupes d'indication, et les quelques personnes qui sont le personnel infirmier essentiel etc, qui doivent bien sûr être vaccinées en premier. [...]

Mais à un moment donné, il faudra se demander: qu’est-ce qu’on fait maintenant? alors que de plus en plus de groupes seront vaccinés, il y aura un désir croissant dans la société de lever toutes les mesures de restriction maintenant et de laisser le virus circuler. Et c'est inquiétant. Nous aurons alors une situation où la plupart de la population n'aura pas encore été vaccinée. Divers secteurs de la société demanderont: cette pandémie est maintenant terminée. Laissons les gens s’infecter, pour le dire crûment. Et on constatera alors qu'avec une augmentation massive du nombre d'infections, même des jeunes sans comorbidités tomberont soudainement gravement malades. En d'autres termes, vous aurez des adultes d'âge moyen en bonne santé, des pères de famille, des mères en soins intensifs, et certains d'entre eux mourront.

Il s'agit d'une situation où il ne peut y avoir qu'une seule réponse de la part de la médecine - à savoir des médicaments. On ne peut pas agir contre la pandémie qu’avec des vaccins. On aura également besoin d'un médicament antiviral. Il est toujours extrêmement important de travailler dessus. Il y a une autre innovation [importante] : les anticorps thérapeutiques. Ce que M. Trump a reçu dans une dose de 8g pour supprimer le virus. La production pharmaceutique va désormais de plus en plus dans ce domaine. Les études cliniques à ce sujet vont également progresser. On peut espérer que ces formes graves pourront être sauvées grâce à l'administration de tels anticorps. Il ne sera pas possible de la donner à l'ensemble de la population à titre préventif car on elle est limitée par les capacités. Cela serait concevable en termes purement théoriques. Des anticorps comme ceux-ci peuvent également être administrés à titre préventif, mais on n’en produit pas assez. On en a besoin pour les cas graves. Et maintenant nous devons parler d'une deuxième génération de vaccins, à quoi ils devraient ressembler.

Hennig: Comment atteindre les muqueuses.

Drosten: Exactement. C'est ce que nous souhaiterions avoir, ce sont des vaccins qui protègent également les muqueuses. Ils aident à stimuler ce système immunitaire spécial, de sorte qu'à un moment donné, si quelqu'un inhale toute une charge de virus par le nez, il ne sera plus infecté du tout, c'est-à-dire qu'il n'aura même pas une forme légère : rien du tout. Le virus est immédiatement freiné dans le nez. Et la bonne nouvelle est que certains des vaccins actuellement testés y parviendraient même. Il existe une étude intéressante qui le prouve. Le principe est connu depuis longtemps, car ce sont des vaccins vecteurs. Donc toujours des vaccins qui sont transmis via un vecteur viral.

Hennig: Un virus porteur.

Drosten: Exactement là où se trouve un virus porteur. Un seul composant du virus Sars-2 est ajouté à ce virus porteur, à savoir la protéine de surface. Ces virus porteurs ont souvent la propriété de pénétrer les muqueuses. Vous n'avez donc pas à l'injecter dans le muscle avec une seringue. En principe, vous pouvez les mettre dans un spray nasal, ils pénètrent dans les cellules du nez et s’y déploient. Mais pour le moment, nous ne savons rien des effets secondaires qu’il faut observer de près. [...] Pour beaucoup de ces vecteurs vaccins nous n'avons pas encore d’expérience sur la muqueuse humaine, bien que nous sachions d'après le modèle animal qu'ils peuvent le faire.

Il y a cette belle étude des USA. Un adénovirus, donc un virus très commun, dans ce cas on a pris un adénovirus 5 […] ce virus du chimpanzé a été choisi pour certaines raisons immunologiques. Ces virus sont étroitement liés aux adénovirus humains. Et vous pouvez également fabriquer de tels vaccins à base d'adénovirus humains. Une entreprise chinoise a fait cela. Une étude complètement différente a été menée avec ce virus adéno-5, à savoir on a infecté des souris par le nez et on a induit une excellente immunité mucosale. En très peu de temps, les souris étaient non seulement immunisées sur le plan systémique, de sorte que des anticorps pouvaient être détectés dans le sang, tout comme avec une vaccination musculaire, mais en plus on a pu voir des anticorps spécifiques de la muqueuse, des anticorps IGA, qui y arrivent du fait de concentrations élevées dans le sang. Et - c'est particulièrement positif - une migration très précoce de cellules du système immunitaire inné puis aussi de cellules du système immunitaire spécifique ou adaptatif épithélial. Même les lymphocytes T à mémoire épithéliale, qui y migrent et y restent. Cela signifie que la muqueuse possède sa propre mémoire immunitaire et est alors spécifiquement protégée contre ce virus.

Hennig: Et une mémoire immunitaire systémique, c'est-à-dire pour tout l'organisme, apparaît de toute façon.

Drosten: Cela se produit également, exact.

Hennig: Cette procédure de pulvérisation nasale, est-ce une nouveauté?

Drosten: Il y a des vaccins où cela est déjà fait. Par exemple, il existe un vaccin en spray nasal contre la grippe qui peut également être utilisé en Allemagne. Cela se fait de plus en plus maintenant. Ces vaccins à muqueuse, à pulvérisation nasale, sont toujours des vaccins génétiquement modifiés, c'est-à-dire des vaccins à virus porteur. Cela n'a pas été reconnu par le règlement depuis assez longtemps pour que cela puisse être fait en toute sécurité. Il y a 15 ans, il y avait encore une grande préoccupation à ce sujet et aujourd'hui, avec le succès croissant de ces vaccins à virus porteur, et maintenant avec cette pandémie de Sars-2, ces vaccins à virus porteur sont assez bons dans les études cliniques. Il a eu un grand succès avec Ebola. [...] Et bien sûr, cela peut aussi marquer le début d'une vaccination contre les rhumes, à l’avenir. Compte tenu des nombreux rhinovirus, plus de 15 virus répertoriés, nous pourrions à un moment donné nous retrouver dans une situation où nous avons des vaccins en spray nasal contre presque tous ces virus, en particulier pour les adultes. Je pense que pour certaines raisons immunologiques, il n'est pas imprudent que les enfants subissent ces infections inoffensives. Mais dans certains cas, ces infections sont tout sauf inoffensives chez l’adulte. Pour l'économie, il faut voir combien de jours d'arrêt maladie sont dus par tous ces rhumes chaque année. Si vous pouviez vacciner contre cela, ce serait un succès incroyable.

Hennig: Mais la protection immunitaire des muqueuses ne dépend pas uniquement de la manière dont le vaccin est administré, c'est-à-dire pas uniquement du spray nasal, mais par voie intramusculaire. Est-ce encore envisageable?

Drosten: Oui, il semble que cette vaccination intramusculaire donne généralement plus de protection contre une forme sévère. Nous ne connaissons pas encore très bien les complications générales de ces vaccins nasaux. Donc, on ne peut pas dire: si c'est si facile, pourquoi ne pas le faire tout de suite comme ça?

Hennig: C’est un peu ça.

Drosten: [...] avec cette disponibilité et cette connaissance croissantes des vaccins à virus porteur, une nouvelle possibilité est apparue. Ces vaccins à virus vecteur permettent d'accéder à une voie de vaccination via les muqueuses qui n'était auparavant pas si facile.

Hennig: J'ai regardé un peu l'étude. Cela ressemble à une succession de réussites. Mais vous l'avez déjà indiqué; y a-t-il d'autres questions ouvertes ou des inconvénients?

Drosten: Il faut d'abord dire que cette étude, telle qu'elle a été menée ici, ne montre initialement qu'une bonne réaction immunitaire chez les souris. Or les souris ne sont pas des humains, leur système immunitaire est très différent. La prochaine chose serait d’avoir des données, au moins chez les macaques, c'est-à-dire dans un modèle de primate. Et puis il faudrait se lancer dans des essais cliniques sur des humains. Et ce qui manque encore dans cette étude, c'est l'infection à [haute dose]. Donc ces souris qui ont été étudiées ici ne sont pas du tout sensibles au virus du Sras. Elles ont donc déjà une réponse immunitaire cellulaire et humorale détectable, c'est-à-dire avec des anticorps. Mais elles ne peuvent pas être infectées par le virus naturel, de sorte que vous ne pouvez pas tester dans quelle mesure elles sont protégées contre l'infection. Mais nous connaissons déjà des exemples avec d'autres vaccins de ce type. Il y a, par exemple, un très bel exemple allemand contre le MERS, le groupe dirigé par Gerd Sutter à Munich, un groupe de virologie vétérinaire qui a mené une étude sur les chameaux avec Hanovre et Rotterdam, par exemple. Et ce virus MERS, il appartient aux chameaux. C’est un pathogène du chameau. Une application nasale a été choisie, ainsi qu'une application intramusculaire. Une vaccination relativement simple a abouti à une immunité quasi stérile chez ces animaux. Quasi car il y a un indice d'une petite réplication de virus encore existante chez quelques animaux, chez d'autres animaux, c'était en fait une réponse immunitaire stérile par pulvérisation nasale. C'est vraiment très encourageant.

Hennig: à propos de cette étude dont nous avons parlé, en phase préclinique. Ce n’est que le début. Oserez-vous faire une prudente prédiction quand de tels vaccins seront disponibles?

Drosten: Bien sûr, nous devrons refaire des études cliniques. Et je pense que cette application intramusculaire de différents vaccins à virus porteur a maintenant été faite sur la base d'une expérience antérieure avec d'autres virus contre lesquels on a vacciné avec le même virus porteur. Les autorités réglementaires ont été très généreuses car vous pouviez toujours inclure ces valeurs d'expérience antérieure. Mais si vous n'avez aucune expérience préalable avec un virus porteur, pour une application mucosale, une application nasale, vous devez d'abord le générer. Cela prendra donc un peu plus de temps. Il serait donc un peu trop optimiste de dire que cette année, nous aurons les vaccins intramusculaires, et l'année prochaine il y aura déjà la vaccination nasale. Je pense que cela prendra un peu plus d'un an.

Hennig: Une perspective à long terme qui fait naître de l'espoir.

samedi 31 octobre 2020

Traçage rétrospectif, bulle sociale, circuit-breaker lockdown. Podcast #62 du 27 octobre [Partie 1]

Korinna Hennig: ralentir la dynamique de l'infection ne fonctionnera probablement pas sans mesures supplémentaires. Du moins, c'est ce que disent la plupart des scientifiques menant des recherches sur le coronavirus. [...] En ce qui concerne la question de savoir où nous en sommes en Allemagne, très débattue, il y a différents paramètres pour mesurer la température de la pandémie, pour ainsi dire. Pas seulement le taux de reproduction, [à cause de la sur-dispersion]. Pas non plus le nombre de nouvelles infections. La structure par âge joue un rôle […] Et pas non plus uniquement les lits de soins intensifs, car il faut du personnel. Maintenant, il y a un autre débat qui tourne autour de l'utilité de prendre des mesures différenciées en fonction de l’âge. Combien de personnes âgées se contaminent, combien tombent malades? En prenant pour critère l’incidence des plus de 50 ans.

Christian Drosten: Oui, c'est un chiffre que j'ai mentionné une fois dans une interview. J'ai fait l'interview en septembre pour "Die Zeit". On m'avait objecté qu’il ne fallait pas trop regarder les chiffres de nouveaux cas, mais qu’il fallait se concentrer davantage sur l'occupation des lits. À l'époque, il n'y avait en fait pas d'occupation en soins intensifs à signaler en Allemagne. C'était une époque où les doutes étaient encore très forts sur le danger de l'infection. Et puis des idées sont apparues en public selon lesquelles vous avez besoin d'un système de feu tricolore. J'ai répondu qu’il y avait un moyen plus simple. L’occupation des soins intensifs est en fait un paramètre [qui apparaît quand] il est presque trop tard. Si on veut une estimation du danger, il faut évaluer différemment les chiffres d'incidence, [en ne prenant] que l'incidence chez les personnes âgées. Parce qu'alors, on sait que le résultat se traduira par de plus en plus d'hospitalisations et de cas difficiles. On peut donc prendre l’incidence des plus de 50 ans, c'est-à-dire les nouvelles infections chez les plus de 50 ans, ou on peut aussi prendre les plus de 60 ans. Mais ce n'était qu'une idée et bien sûr, c'est très simple car ces chiffres sont disponibles. [...] Mais j'ai peur que nous soyons de toute façon arrivés dans une autre phase. Nous pouvons déjà voir que les admissions à l'hôpital jusqu'aux soins intensifs augmentent encore et encore.

La difficile remontée des chaînes de contamination

Hennig: […] Entre un quart et un tiers des infections peut être tracé. L'accent est principalement mis sur les fêtes, notamment en privé. Où me suis-je infecté, nous en avons souvent discuté. Il n'y a aucune transmission connue dans les transports en commun, par exemple, ou dans les supermarchés. Beaucoup disent alors: Eh bien, ce n'est probablement pas un problème majeur. Peut-on réellement conclure que le risque est plus faible?

Drosten: Il y a encore ces considérations techniques. Ainsi, vous pouvez toujours vous dire que vous vous tenez à distance des autres et n’y passez qu'un certain temps. Et il y a un renouvellement d'air. Voilà les considérations techniques. Mais bien sûr, vous pouvez aussi regarder le problème autrement. Et il s'agit des sources d'infection. Alors, où ai-je été infecté? Où sont les clusters? Et puis à un moment donné c'est difficile à dire, si je l'ai été il y a dix jours... Donc, je suis diagnostiqué maintenant, cela fait environ dix jours que j'ai été infecté... est-ce que je me suis infecté dans les transports en commun que je prends presque tous les jours? Bien sûr, les groupes qui s’y constituent sont éphémères, on entre et on sort. Les groupes qui [s’y constituent] ne restent pas longtemps. C'est certainement l'une des explications pour lesquelles on ne peut pas dire que de nombreuses personnes ont été infectées dans les transports publics. Personne ne peut réellement le prouver ou s'en souvenir exactement.

Cela s'applique certainement aussi à d'autres situations. [Comme la gastronomie, ou au travail]. Puis on arrive à la conclusion qu’on ne se souvient que de ce qu’on trouve dans les tableaux [du RKI]. Bien sûr, on se souvient d'une fête de famille. Et il ne faut pas oublier qu'une très grande proportion, environ 70% dans certaines régions, des sources d'infection ne peuvent être reconstituées. Donc on dit "diffus". Mais cela ne signifie pas que l'infection se propage différemment maintenant. Elle se propage certainement encore par clusters.

Hennig: Mais cela signifie que ça reste un angle mort. Ces situations qui ne se produisent pas en grappes parce que vous ne pouvez pas vraiment les mesurer.

Drosten: Oui, on doit faire beaucoup pour améliorer cela. Je ne sais pas si on peut encore le faire dans la situation d'incidence actuelle. Nous en avons déjà parlé. Il faudrait résoudre ce problème soit par voie électronique via l'application, soit via un journal obligatoire. Où on écrirait: où étais-je aujourd'hui? Étais-je dans une situation de cluster aujourd'hui? Qui était là? Et je garde cela à l'esprit si j'ai soudainement des symptômes dans les dix jours. [Afin d’en parler aux services de santé].

Hennig: Peut-être pouvons-nous apporter un éclaircissement au sujet de ce Journal des contacts. Vous avez déjà expliqué dans le dernier podcast [que] les autorités sanitaires de certaines régions ont perdu le contrôle ou sont sur le point de le perdre. C'est aussi le cas dans d'autres pays. Et lorsque les capacités s'épuisent, la question de la stratégie entre en jeu. Peut-être pouvons-nous réellement l'expliquer à nouveau: quand les autorités sanitaires veulent arrêter les chaînes d'infection, elles remontent aux deux ou trois derniers jours afin d'empêcher une personne infectée d'en infecter d'autres. Quelle est la principale différence [avec la stratégie rétrospective]?

Investigation rétrospective des clusters

Drosten: […] Personne ne sait avec certitude si nous nous trouvons actuellement dans une situation où un changement de stratégie dans le service de santé a encore du sens, ou si nous sommes réellement au-delà du but. J'avais déjà fait cette suggestion en août: avec cette sur-dispersion, 20% de toutes les personnes infectées sont responsables que cette infection persiste. Parce que 70 ou 80% des personnes infectées ne transmettent pas le virus. Maintenant, c'est une considération évidente. Quand, en tant que patient nouvellement diagnostiqué, je m'assois en face de quelqu'un du service de santé et qu'ils m'isolent et me demandent: "Avec qui avez-vous eu des contacts?" Ce sont ces contacts qui font actuellement l'objet d'un suivi. Mais s'il n'y a que 20% de chances que j'aie infecté quelqu'un, c'est de l'énergie gaspillée. […] Mais il existe une autre approche pour détecter un cluster. La question est, où ai-je été infecté? Parce que cette infection se produit presque toujours dans un cluster. Si je peux identifier un cluster à travers cette question, alors [on gagne]. Parce que tout à coup, tout un groupe de personnes est identifié, qui sont toutes susceptibles d'être infectieuses à ce moment et qui doivent être rapidement isolées pour éviter de nouvelles transmissions. Dans un cluster de dix, il y en a deux qui transmettront le virus, alors qu'il y en a huit qui ne le transmettront pas.

Hennig: Cela signifie que cela conduirait également à un traçage prospectif plus ciblé, pour ainsi dire.

Drosten: Oui. La conséquence indirecte est alors que le traçage prospectif a lieu à nouveau pour tout ce groupe. A partir d'un certain nombre de groupes, cela garantira que d'autres transmissions seront empêchées. Tandis qu’avec un simple traçage prospectif, c'est-à-dire que la personne juste diagnostiquée est isolée et ses contacts directs sont investigués, il n'est pas certain que nous parvenions à prévenir les infections avec cette approche.

Hennig: Dans quelle mesure la recherche rétrospective des contacts est-elle même possible sur la base de la réglementation? Une question est bien sûr toujours celle des capacités des autorités sanitaires en matière de recherche des contacts, mais il y a aussi la question des procédures juridiques?

Drosten: Oui, c'est certainement le point crucial. C’est pourquoi je suis sceptique quant à savoir s’il peut être fait ou s’il n’est pas déjà trop tard. Parce que cela nécessite des changements réglementaires. L'Institut Robert Koch, par exemple, recommande qu’un traçage de cluster rétrospectif soit associé au traçage prospectif […] Tout cela est déjà présent dans les recommandations du RKI. La raison pour laquelle les autorités sanitaires n'abordent souvent pas ce traçage rétrospectif particulièrement efficace, ou n'osent le mettre en œuvre, c'est qu'il doit y avoir une conséquence si on découvre un cluster source. […]

Imaginons : il y a un groupe de personnes, 25 personnes par exemple, et l'un d'eux a amené le virus. Environ 17 sont infectés et ils sont tous infectés à peu près en même temps. On diagnostique un de ces 17. Et il y en a 16 autres qui en sont au même stade, ils sont tous contagieux à ce moment et il faut les isoler immédiatement. Nous devons leur dire immédiatement: restez à la maison, rentrez chez vous. La question est, est-il autorisé de faire cela quand on est médecin-conseil? Pouvez-vous entrer dans une entreprise, par exemple, et dire qu'il y a quelqu'un qui m'a donné l'information selon laquelle il y a probablement un cluster, maintenant il faut que tout le monde rentre chez lui. On demandera au moins des preuves. Le médecin peut-il prouver qu'il y a un cluster en cours? Idéalement, si on diagnostique trois ou quatre personnes, [cela serait une preuve]. [Il faut donc tester]. Le problème est que ces tests prennent du temps - et nous n'avons pas le temps. Car ce que nous devons faire ici, c'est isoler ces personnes immédiatement, sans délai. Et à ce stade, nous ne pouvons pas aller plus loin que si nous n’avons pas une loi ou un décret disant: S'il y a des soupçons justifiés, l’isolement d'un cluster source doit être effectué immédiatement sans autre test. Et bien sûr, c'est délicat. Cela doit être préparé. Partisans et opposants doivent en discuter. Une décision doit être prise. Ensuite, il faut la mettre en œuvre. Ceci est mieux fait lorsque vous avez le temps. J'ai proposé cela début août. Je voulais provoquer un débat dans la société. Mais maintenant, nous sommes dans une situation différente. On peut prendre un raccourci [avec les tests antigéniques et tester immédiatement tout le personnel d’une entreprise] Et dans les quinze minutes, on sait si on a un cluster. […] Et si seulement deux ou trois de ces tests sont positifs, on sait qu’il faut isoler tout le groupe. Mais je crains qu’il faille là aussi passer par un processus de discussion, impliquant de nombreuses personnes. Prendre ces décisions prend du temps et j'ai le sentiment que nous avons de moins en moins de temps en ce moment compte tenu du nombre de nouvelles infections.

La bulle sociale

Hennig: Vous venez de mentionner le mot-clé de sur-dispersion. La taille des groupes et [leurs réseaux, leurs interactions entrent en jeu]. Chacun peut se demander: que puis-je faire? Le physicien Dirk Brockmann, qui fait également de la modélisation pour l'Institut Robert Koch, l'a clairement indiqué dans un graphique. Si vous divisez un groupe, par exemple, un groupe de yoga de 36 personnes, en deux groupes de 18 ou en quatre groupes de neuf, il est alors évident qu'il y a moins de voies d'infection au sein de ces groupes. Mais si vous additionnez à nouveau tous les groupes à la fin, cela a-t-il un effet? Pour rester avec l'exemple: avec le yoga à 36 personnes, il y a plus de 1200 voies d'infection possibles, et si vous divisez le groupe une fois, il n'y a que 600 voies d'infection, soit environ la moitié. Si vous ne rencontrez que quatre personnes à la fois, ce nombre est même réduit de plus de 90%.

Drosten: Il y a ces effets disproportionnés. Vous pouvez calculer quelque chose comme ça. Si nous imaginons un groupe de 36 personnes et que nous les divisons en quatre. Et il y a un superspreader, dans un cas, il contaminera peut-être la moitié de 36 personnes, voire plus. Alors que dans un plus petit groupe, il ne contaminera que la moitié de neuf personnes, soit environ quatre personnes […]. 
Il y a aussi l'idée de séparations physiques, comme ce que vous avez pu voir dans les classes en Asie, avec des murs en plexiglas entre les tables.

Hennig: Mais cela a-t-il un intérêt, de votre point de vue? Des murs en plexiglas, cela semble un peu simpliste. Aérosols.

Drosten: Oui, bien sûr. Il y a une nouvelle réflexion qui entre en jeu à propos de la contamination par gouttelettes. Mais c'est juste un bon exemple de groupe qui continue d'exister en tant que groupe, en étant compartimenté. Et les voies de contamination ne sont pas une ligne qui serait là ou non, mais c'est aussi une ligne qui peut être épaisse ou mince, de sorte que la transmission peut aussi devenir plus inefficace. Et c'est alors aussi une division partielle en groupes.

Mais au fond, il y a une autre idée derrière cette idée, à savoir l'idée de «bulle sociale». […] Comment concevoir un nouveau lockdown avec les connaissances actuelles ? L’idée qui existe déjà dans certains pays est celle d'une «bulle sociale». Il va falloir tenir un certain temps avec une certaine restriction des contacts. Nous ne voulons pas que tout le monde soit désespéré et déprimé. S'il y a des fermetures d'écoles, les enfants ne pourront pas être pris en charge et à un moment donné, ils vont devenir fous dans l'appartement. Donc on pourrait dire que jusqu'à deux ou même trois ménages pourront toujours se réunir et former une bulle sociale. Et ils sont autorisés à se rencontrer, […] s'entraider pour la garde des enfants, l'un d'eux peut faire les courses pour tout le monde etc. Si les restaurants n'étaient pas fermés, ils pourraient s'asseoir ensemble à une grande table. Mais ils ne devraient avoir aucun contact au-delà de cette bulle sociale. [...] une telle bulle sociale [pourrait inclure] des personnes âgées etc. De telles mesures sont envisageables. Cela revient toujours à ce principe mathématique de division en groupes et à une réduction disproportionnée des possibilités de contacts.

Hennig: Par conséquent, si nous incluons des personnes âgées, c'est-à-dire des groupes à risque, dans un tel modèle, nous vivons bien sûr avec un risque résiduel tant que les enfants vont à l'école normalement et où aucun groupe n'est divisé, par exemple.

Drosten: C'est vrai, tant que les enfants vont à l'école, ce n'est plus une "bulle sociale" à ce stade. On ne peut pas inclure les patients à risque. Ce principe de "bulle sociale" est de toute façon violé lorsque les écoles sont ouvertes.

Hennig: Mais la question de la réduction de la taille des groupes, par exemple en divisant les classes, [et des cours moins longs]

Drosten: Exactement. Il faut chercher des compromis partout. Il est clair que les écoles doivent continuer à fonctionner dans la mesure du possible. En même temps, cependant, il est clair, comme nous le savons depuis longtemps et a été confirmé par des observations épidémiologiques, que le risque d'infection à l'école est le même que le risque d'infection dans n’importe quelle autre situation sociale comparable. […] il faut dire que le port du masque est probablement très important. Une école avant la première vague, en France, bien décrite dans la littérature, où 60, 70 % des élèves ont été infectés en quatre ou cinq semaines. Quelque chose de cette intensité n'existerait probablement pas avec une école complètement masquée. C'est certainement un facteur important qui ralentit, mais ne bloque pas complètement les infections, mais est un point important dans ce processus de recherche de compromis.

Il faut donc y réfléchir maintenant avec le partage en groupes. Par exemple, une classe toujours divisée en deux parties, l'une l'après-midi et l'autre le matin. Ce serait une possibilité. Ou peut-être même diviser l'espace. Une classe divisée en deux salles de classe et l'une d'elles bénéficie d'une diffusion vidéo du cours. […] En ce qui concerne le fonctionnement de l'école, ce sera difficile de procéder. C'est pourquoi il faut mettre en œuvre ce cloisonnement très fort dans une autre partie de la société.

Circuit-breaker lockdown

Hennig: D'autant que de telles idées créatives de division spatiale se heurtent à des limites spatiales dans la réalité. Mais peut-être que cela montre un peu où il y a des opportunités pour simplement développer de nouvelles idées. [...] Personne ne veut d’un lockdown complet, tel est le mantra que l'on entend beaucoup en ce moment, […] Si on se pose la question : quelles mesures n'avons-nous pas encore essayées? une discussion a eu lieu en Grande-Bretagne, puis en Suisse, et ici aussi,[...] à savoir un mini-lockdown temporaire pré-planifié. [...] Cela est actuellement pratiqué au Pays de Galles, par exemple, en Irlande du Nord et dans certaines parties en Écosse. Comment fonctionne exactement un « circuit-breaker » (disjoncteur)?

Drosten: Le terme est explicite. C’est un disjoncteur. Si le stress devient trop important, vous devez faire une pause. Il s'agit d'un lockdown préventif qui présente au départ un avantage: tout le monde sait à l'avance qu'il est limité dans le temps. En principe, on s’est mis d’accord dans la société: [nous allons tout fermer pendant deux ou trois semaines]. Trois semaines est probablement le moment le plus pertinent car vous avez besoin d'un peu plus qu'une période de quarantaine pour cela. [Le bénéfice est alors général] car l'incidence est alors considérablement réduite et, dans certaines circonstances, également réduite pour une longue période. Vous pouvez regagner le territoire que vous avez perdu à cause du virus. Ainsi, par exemple, vous pouvez de nouveau tracer les contacts. […]

Un lockdown n’est pas une situation où on négocie [...] On entend à nouveau un représentant des entreprises dire: "En aucun cas, il ne doit y avoir de lockdown". [On n’est pas dans une situation] où il y aurait d’un côté l’économie et de l’autre la santé. C'est une mauvaise compréhension de la situation. Nous ne sommes pas en position de négociation ici. Nous ne négocions pas avec la santé ici. Au mieux, nous essayons de négocier avec le virus - et on ne peut pas. On ne peut pas négocier avec ce virus. Ce virus oblige simplement à un lockdown lorsqu'un certain nombre de cas est atteint. C’est ce qui se passe alors.

Nous avons quelques pays voisins où ce point a déjà été dépassé […] et nous verrons dans les prochains jours et semaines qu'ils confineront à nouveau, qu'ils le veuillent ou non, malgré tous les dégâts économiques. Et la question avec un disjoncteur est: peut-on trouver un compromis le meilleur pour tout le monde? […] nous voulons faire un lockdown limité à l'avance, où tout le monde peut se préparer et avec une vision de ce qu’il faut atteindre. Nous faisons ça de telle manière à causer moins de dégâts. Par exemple, en le situant pendant les vacances scolaires, puisqu’on laisse les écoles ouvertes. Ou en faisant un calendrier à l'avance où vous dites qu'il suffit d'aller au printemps, jusqu'à ce que la situation s'améliore, jusqu'à ce qu'un vaccin soit disponible, jusqu'à ce que les températures s'améliorent à nouveau, etc. Faites simplement une sorte de calendrier clair pour tout le monde à l'avance: il y aura des restrictions dans telles semaines et elles seront à nouveau levées au cours de telles semaines afin que l'économie puisse planifier en conséquence. C'est en fait - ce qui se cache derrière cette idée, qui est déjà partiellement mise en œuvre en Angleterre, pas encore à l'échelle nationale, mais dans certaines régions, c'est maintenant décidé - c'est l'idée de ce lockdown-disjoncteur (circuit-breaker).

Hennig: En Irlande du Nord, par exemple, ce sera quatre semaines. Les écoles ont prolongé les vacances d'automne. Cela signifie-t-il que vous pourriez également intégrer des mesures graduées?

Drosten: Oui, exactement. C'est exactement le but, l'adoucir là où vous le pouvez[...]. Mais ce qui compte vraiment, c'est de pouvoir planifier.

Hennig: Ce que vous venez de mentionner, un plan à long terme, serait en fait une sorte d'opération on-off [...].

Drosten: Oui, il est vrai que cela a été pris en compte très tôt dans les calculs des modèles. Qu'il ne peut pas être écarté d'emblée de devoir faire quelque chose comme ça dans certaines situations où il y a déjà une incidence de fond élevée, qu'on ne peut réduire qu'avec un tel "circuit-breaker". Pensez à un trajet en automobile. Nous descendons une pente avec un camion lourd et cela ne veut tout simplement pas s'arrêter. [...] Nous savons que nous ne pouvons utiliser les freins que pendant cinq secondes. Quand les utiliser? À un moment donné, vous arriverez à la conclusion qu'il ne suffira pas de le faire une seule fois, mais que nous devons utiliser les freins pendant cinq secondes toutes les x centaines de mètres [...] sinon nous sortirons de la route à un moment donné. Et avec cette image, il est facile de comprendre qu'il est important de savoir dans quelle situation on le fait la première fois. Si nous avons déjà fait pas mal de route, comme c'est le cas maintenant en France, où il y avait une incidence extrêmement élevée, donc notre camion roule déjà assez vite, il ne sera d'aucune utilité de freiner une fois cinq secondes. Il faudra le faire encore et encore. Alors que si nous commençons tout juste à rouler, le camion roule très lentement, donc il pourrait suffire de freiner un bon coup pour être tranquille pendant longtemps. Le camion recommencera alors à rouler, mais tant qu'il n'aura pas repris un peu de vitesse, peut-être serons-nous dans une saison de l'année où il ne sera plus si important de freiner de cette manière.

Heureusement pour l'instant, nous sommes encore dans une situation de faible incidence. Nous devons cela à notre lockdown précoce au printemps - rien d'autre. Il n'y a aucune autre raison pour laquelle nous avons eu cette faible incidence aussi longtemps. Également par rapport à d'autres pays européens, qui sont structurés de manière similaire et qui sont dans certains cas dans une bien meilleure position sur le plan climatique car plus au sud. Nous sommes encore dans cette position favorable. Notre camion commence à peine à rouler et si nous actionnons les freins maintenant, cela aurait un effet très durable. Cela nous ferait gagner beaucoup de temps. Il faut y réfléchir maintenant. Peut-être, pour rester dans la métaphore, on n’aura pas à freiner trop fort et trop longtemps, parce que nous n'avons pas encore une vitesse élevée.

Hennig: Mais la situation est devenue relativement dynamique ces dernières semaines. Y a-t-il des éléments dans la recherche qui peuvent être utilisés pour déterminer le stade dans lequel vous devez le faire pour ne pas être en retard?

Drosten: Il existe des modèles de calculs. Il existe maintenant une publication de la London School qui résume certaines choses. On peut dire: le plus tôt sera le mieux. C’est le plus important. [...] Peut-être que l'Allemagne est à nouveau en bonne position. Parce que nous voyons ce qui se passe dans les pays voisins.

[…] [Le meilleur moment pour réaliser cela est au début de la croissance exponentielle.] […] Un circuit-breaker-lockdown est particulièrement efficace si vous utilisez le temps - en particulier au niveau politique - pour réexaminer certains règlements dont nous avons déjà parlé plus tôt.

Hennig: Pour les autorités sanitaires.

Drosten: Exactement, pour le suivi des cas. […] C'est peut-être la discussion que nous devons avoir ces jours-ci.

[...] [Partie sur les vaccins (à suivre dans un autre article)]


Hennig : Je voudrais vous poser une question personnelle. Nous avons commencé en parlant de l’incidence des plus de 50 ans. Cela m’a fait un peu sursauter [...] vous et moi, par exemple, ne sommes pas si loin de la cinquantaine. Est-ce qu’avec les nouvelles connaissances, ce virus vous inspire personnellement plus de respect ?

Drosten: Quand il s'agit d'une contamination par ce virus, je ne suis pas du tout détendu. Je ne souhaite vraiment pas l’attraper. Maintenant, je ne suis pas quelqu'un qui doit en permanence être dans des foules, je suis dans une situation favorable. Les cliniciens sont dans une situation complètement différente. Ils peuvent difficilement l'éviter. Sauf au moyen d'un équipement de protection individuelle, c'est-à-dire le port constant de masques particulièrement étanches. Bien sûr, vous pouvez le faire pour vous protéger. Je pense aussi que maintenant en ce qui concerne ce processus d'infection, tout le monde devrait se rendre compte, même ceux qui sont encore loin des 50 ans, qu'il y a ces cas soudains et très graves, même chez les plus jeunes. Il y a ce footballeur de 25 ans qui a dû aller en soins intensifs dans les trois jours et est décédé deux jours plus tard. De tels cas existent. Et vous ne savez pas à l'avance si vous faites partie de ces rares cas. C'est pourquoi chacun devrait essayer, dans sa vie quotidienne, de se protéger le plus possible contre l'infection. Cela devrait vraiment être à l'ordre du jour. Surtout éviter les occasions où on peut être infecté, c'est-à-dire les rassemblements de personnes dans des pièces.

Même si c'est une situation qui ne figure pas sur la liste, comme ce qu’on a évoqué, le supermarché et les transports en commun. Chacun de nous va [se retrouver dans une de ces situations], mais je n'ai pas besoin de faire les courses chaque jour, je peux me faire une liste. Même si le supermarché est juste à côté, je peux planifier mes courses et n'y aller qu'une fois par semaine. C'est, par exemple, une mesure importante pour réduire le risque personnel de contamination. Il en va de même pour les transports en commun. Les jours où il ne pleut pas et où il ne fait pas froid, je peux sortir mon vieux vélo de la cave. Et s'il grince, on peut huiler la chaîne... Et enfiler une veste épaisse, même si vous ne l'avez pas fait depuis des années.

Hennig: Ou aller à pied si vous avez le temps.

Drosten: Ou peut-être même aller à pied.

lundi 19 octobre 2020

Avis de la Société allemande de Virologie: pour une action scientifiquement fondée contre la pandémie de Covid-19

texte original: https://www.g-f-v.org/node/1358
références des (notes) en bas de page


19 octobre 2020

Au cours des dernières semaines, nous avons vu dans le monde entier, en particulier chez nos voisins européens, comment le nombre de personnes infectées par le SRAS-CoV-2 a augmenté et continue d'augmenter de manière quasiment exponentielle(1). Alors que l'Allemagne avait jusqu'à récemment une incidence modérée, on y observe désormais également un nouveau début de propagation exponentielle(2). L'incidence à 14 jours en Autriche (133)(3) et en Suisse (230)(4) est déjà nettement plus élevée qu'en Allemagne (47)(5).

La propagation accrue des infections par le SRAS-CoV-2 est due en particulier à des événements privés tels que fêtes de famille, mariages et autres rassemblements. Bien que la majorité des cas d'infection se produisent dans des groupes d'âge plus jeunes, qui sont pour la plupart beaucoup moins concernés par les conséquences du COVID-19 
sur leur santé que les plus âgés(6), nous constatons partout une augmentation des hospitalisations et une progression constante des infections dans les groupes plus âgés(7). 

En raison de la dynamique explosive des infections que nous remarquons dans tous les hotspots d'Europe, il est à craindre qu'au-delà d'un certain seuil, on perde le contrôle du processus d'infection, même dans des régions jusque là non critiques. Si ce seuil est dépassé, le suivi individuel des foyers et des mesures strictes d'isolement ne pourront plus être mis en œuvre et la propagation incontrôlée à toutes les parties de la population, y compris les groupes à risque particulièrement vulnérables, ne pourra plus être évitée de manière adéquate. On peut s'attendre à ce que cela conduise à une surcharge rapide des systèmes de santé, ce qui en Allemagne, par exemple, en raison du manque de personnel de soins intensifs, pourrait déjà être le cas avec bien moins de 20 000 nouvelles infections par jour(8). Cela affectera non seulement le traitement des patients COVID-19, mais tous les soins médicaux.

Nous constatons avec inquiétude qu’à nouveau les voix prônant la contamination naturelle d'une grande partie de la population comme stratégie de lutte contre la pandémie dans le but de parvenir à l’immunité collective 
prennent de l’ampleur. Les signataires de la «Great Barrington Déclaration»(9) plaident pour la levée immédiate de toutes les restrictions à la vie publique et privée, y compris toutes les règles de distanciation et l'obligation du port du masque. Afin d'atténuer la morbidité et la mortalité des groupes vulnérables (personnes âgées, personnes avec comorbidités), la déclaration suggère des mesures de protection spéciales pour ces personnes allant jusqu'à un quasi-isolement («Les retraités vivant chez eux devraient se faire livrer nourriture et autres choses importantes»). 

Nous rejetons fermement cette stratégie, même si nous reconnaissons naturellement le fardeau énorme qui pèse sur la population en raison des mesures drastiques d'endiguement. Les soins de santé dans d'autres domaines non associés au Covid-19 souffrent également des restrictions imposées pour atténuer la pandémie(10,11). Néanmoins, nous sommes convaincus que les dommages qui nous menacent directement ou indirectement en cas d’infection incontrôlée dépasseraient ce fardeau et pourraient conduire à une catastrophe humanitaire et économique. Nous ne sommes pas seuls à partager cette analyse: dans un communiqué publié le 14 octobre dans la revue médicale «The Lancet» («John Snow Memorandum»)(12), de nombreux experts internationaux expriment les mêmes préoccupations et déconseillent fortement de suivre la stratégie de contamination incontrôlée propagée par la Great Barrington declaration.

Une infection incontrôlée entraînerait une augmentation croissante du nombre de décès, car même avec l'isolement strict des retraités, il existe d'autres groupes à risque qui sont beaucoup trop nombreux, trop hétérogènes et aussi dans certains cas non détectés pour pouvoir être protégés activement. Il existe un risque accru d'évolution sévère de la COVID-19, par ex. en cas d’obésité, diabète, cancer, insuffisance rénale, maladies pulmonaires chroniques, maladies du foie, accidents vasculaires cérébraux, après une greffe et pendant la grossesse(13). Une complication possible de la maladie COVID-19 est le syndrome dit «long COVID», qui provoque divers dommages à long terme aux voies respiratoires, aux vaisseaux, au système nerveux ou autres organes, qui réduisent considérablement la qualité de vie, la capacité de travail et probablement aussi l'espérance de vie(14).

De plus, nous ne savons pas encore de manière fiable combien de temps dure l'immunité acquise par l'infection. Il est de plus en plus clair que les infections les moins symptomatiques, telles que celles qui prévalent chez les jeunes, ne confèrent pas une immunité stable(15). Le conseil d'administration de la Société de Virologie soutient donc expressément la position des signataires du mémorandum John Snow et considère que la poursuite de l'immunité collective sans vaccination est contraire à l'éthique et présente un risque médical, social et donc également économique élevé.

Nous respectons les attitudes divergentes défendues par des collègues individuels dans les médias et les réseaux sociaux, car les controverses sont une caractéristique essentielle à la fois de la science et de la démocratie. Néanmoins, le conseil d'administration de la Société de Virologie estime nécessaire de résumer son avis dans cette déclaration qui, à en juger les nombreuses conversations et courriels, représente également l'attitude de la majorité des virologues et médecins membres de notre société actifs en Allemagne, en Autriche et en Suisse.


Le conseil d'administration de la Société de Virologie avec la participation de:


Dr. Marco Binder, Centre allemand de recherche sur le cancer Heidelberg

Prof. Dr. Melanie Brinkmann, Université technique de Braunschweig et Helmholtz Center for Infection Research Braunschweig

Prof. Dr. Christian Drosten, Charité, Médecine universitaire de Berlin

Prof. Dr. Isabella Eckerle, Hôpital universitaire de Genève, Suisse

Prof. Dr. Beate Sodeik, École de médecine de Hanovre

Prof. Dr. Friedemann Weber, Université Justus Liebig Giessen


1 https://www.ecdc.europa.eu/en/covid-19-pandemic
2 https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Situationsb...
3 https://covid19-country-overviews.ecdc.europa.eu (Stand 15.10.2020)
4 Situationsbericht zur epidemiologischen Lage in der Schweiz und im Fürstentum Liechtenstein (Stand 16.10.2020; 8:00 Uhr)
5 https://covid19-country-overviews.ecdc.europa.eu (Stand 15.10.2020)
6 https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(20)30243-7/fulltext
7 https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Situationsb...
8 https://www.aerzteblatt.de/nachrichten/sw/Intensivmedizin?s=&p=1&n=1&nid...)
9 https://www.sciencemediacentre.org/expert-reaction-to-barrington-declara...
10 https://www.who.int/publications/m/item/rapid-assessment-of-service-deli...
11 Bakouny et al. (2020) COVID-19 and Cancer: Current Challenges and Perspectives. Cancer Cell DOI: https://doi.org/10.1016/j.ccell.2020.09.018
12 https://www.johnsnowmemo.com
13 https://www.nature.com/articles/s41586-020-2521-4
14 https://www.bmj.com/content/370/bmj.m2815
15 https://www.nature.com/articles/s41591-020-0965-6

samedi 17 octobre 2020

Allemagne, Barrington, cluster-source, immunité, étude indienne, mutation D614G. Podcast #60 du 13 octobre 2020

L'Allemagne va connaître la même évolution que le reste de l'Europe

Anja Martini: Le nombre de cas continue d'augmenter partout, y compris en Allemagne. Au cours de la semaine dernière, nous avons eu plus de 4000 nouvelles infections en une journée. Non seulement certaines villes envisagent de renforcer les mesures, mais les régions à la campagne signalent également de nombreuses nouvelles infections. M. Drosten, plus de 4000 nouveaux cas, s’agit-il d’un dérapage?

Christian Drosten: Non, je pense que c'est le développement que nous verrons, comme nous le voyons également dans les pays voisins. Nous avons peut-être deux ou trois semaines de retard sur cette évolution. La question est, bien sûr, que penser de cette situation. Je pense simplement que c'est problématique. Je pense que nous aurons des problèmes de plus en plus importants socialement et peut-être de plus en plus de discussions dans un proche avenir. Vous pouvez voir comment se déroule le débat public en ce moment et comment les choses sont déformées dans certains médias. Cela va probablement s'accentuer.

Martini: Que craignez-vous?

Drosten: Je pense qu'il est très difficile pour les politiciens de prendre les bonnes décisions pour le moment. Nous le voyons ces jours-ci avec la discussion sur cette interdiction d'hébergement. […] [Les Länder prennent des décisions] non coordonnées [ce qui crée] beaucoup de discorde. Et certains commencent à s'en indigner en public. C'est l'un des effets. Et d'autres commencent à décrire ce qui se passera, à savoir qu'à un moment donné, le public ne comprendra plus l'intérêt de ces mesures. Et la cohésion dont nous avons absolument besoin, qui a contribué à la bonne réaction au début de la première vague en Allemagne, cette cohésion de la société est de plus en plus menacée.

Martini: Cette interdiction d'hébergement a-t-elle un sens? Un test négatif lorsque je viens d'une zone à risque, est-ce utile? Je veux dire, le test n'est qu'un instantané.

Drosten: La stratégie des tests, leur utilisation et interprétation sont de nouveau discutées jours-ci au niveau politique, puis finalement publiées dans la première nouvelle version. Et cela devra être corrigé ultérieurement. Maintenant, les tests antigéniques entrent lentement en jeu et sont commercialisés. On peut également travailler avec cela. Mais ce n'est qu'une composante. Dans l'ensemble, comme prévu, le virus a continué de se propager géographiquement. En ce moment, par exemple, étonnamment, on peut voir dans l'Emsland... la région d'où nous venons tous les deux. Qui aurait pensé qu'il y aurait une telle incidence [là-bas] ?

Martini: Exactement.

Drosten: Il n'y a pas de grandes villes dans ce coin, mais il y a [beaucoup de contaminations]. [...] Pour le moment, cependant, nous assistons à une accumulation dans les grandes villes, certainement parce que la densité de population est élevée et que la population est jeune. Mais de telles valeurs aberrantes se produiront toujours. Le virus continuera de se propager et, par conséquent, ces mesures locales auront de moins en moins d’effet au fil du temps. Il est d’autant plus important de formuler dès à présent des normes généralement applicables et de ne pas courir après les événements. Nous avons juste une évolution très rapide. Il n'est pas du tout facile pour les politiciens d’adopter les mesures qui d'une part peuvent encore être tolérables, socialement, et qui d'autre part impactent également l’incidence et les nouvelles infections. Tout est à la traîne. Donc, si nous signalons maintenant de nouveaux cas au RKI, cela reflète ce qui s'est passé dans la population il y a sept, peut-être même dix jours.

Martini: Cela signifie que nous courons toujours un peu derrière.

Drosten: Exactement. Et maintenant le grand défi pour les politiciens est de trouver des mesures qui peuvent encore corriger cela. Parce qu’il faut être clair sur le fait que si nous décidions aujourd'hui d’un nouveau lockdown, un lockdown absolu, purement théorique, cela signifierait que les cas continueraient d’augmenter pendant une semaine, voire presque deux semaines. Simplement parce que de nouvelles infections sont déjà en route. Les personnes qui seront signalées la semaine prochaine sont déjà infectées. Certaines d'entre elles ne le savent même pas encore.

Martini: je pense que nous n'avons pas encore vraiment intériorisé cela. Nous voyons que le nombre de cas augmente lentement maintenant. Mais [on constate un peu d’indifférence], les gens veulent sortir, aller au restaurant [...] Et maintenant, prendre des mesures politiques, ce n'est pas facile, n'est-ce pas?

Critique de la déclaration de Barrington

Drosten: Oui, il y a simplement un effet d'usure pour tout le monde. C'est difficile de continuer. Dans le même temps, le problème, en médecine ou dans la société en général, n'est pas encore aussi visible dans les médias. Nous n'avons pas encore de mortalité élevée. Nous n’avons pas encore d'unités de soins intensifs saturées, comme c'est déjà le cas dans d'autres pays, en Espagne par exemple. Et nous avons également des voix fallacieuses dans le débat public. Il y a cet article de scientifiques américains et anglais, qui est vraiment fallacieux. [...]

Martini: L’objectif de cette lettre ouverte est de dire qu’il faut protéger les groupes à risque, [donc] que les personnes âgées afin de donner aux jeunes la possibilité de continuer leur vie. Cette lettre a maintenant reçu un nombre relativement important de signatures. Et le but est d'obtenir une immunité collective plus élevée à la fin. Est-ce faisable?

Drosten: Il y a deux choses qui vont à l'encontre de cette idée. Ces deux choses ont en fait été acceptées par la société au printemps. Premièrement, il n'est pas possible de protéger complètement les personnes âgées. Des situations terribles surviennent. Cela signifierait, par exemple, que les résidences pour personnes âgées devraient être complètement fermées à toute visite. Et toutes les personnes âgées ne vivent pas dans des maisons de retraite. Cela signifierait également qu'au sein des familles, il faudrait complètement interdire les visites. Il est tout simplement inconcevable de mettre cela en œuvre.

Et l'autre chose est qu'il y a aussi des patients à risque dans les groupes d'âge plus jeunes, qui ne sont pas si peu nombreux non plus. Et si vous laissiez se propager cette maladie dans les groupes d'âge les plus jeunes, cela entraînerait également de nombreuses infections dans ces groupes d'âge. Nous avons une pandémie, ici. Nous ne sommes pas immunologiquement protégés contre ce virus. Et la proportion de patients à haut risque dans ces tranches d'âge plus jeunes est si élevée que l'on arriverait à nouveau aux limites du système de soins. Nous aurions un autre type de patient, qui serait socialement perçu différemment. Des jeunes familles perdraient leur père ou leur mère. C’est juste une conséquence complètement différente. Et vous ne pouvez simplement pas laisser cela se propager comme ça.

Martini: Alors, que pouvons-nous faire pour éviter que cela ne se produise, que des unités de soins intensifs soient pleines et des gens tombent malades?

Drosten: Espérons que nous puissions d'une manière ou d'une autre empêcher cela. En ce moment, nous essayons, disons un groupe de scientifiques au fait de la situation et prêts à communiquer, d'informer la société sur la menace. Il est relativement facile d'empêcher cela si on s’y met tous. Et si on le comprend, si on comprend les raisons pour lesquelles on doit faire quelque chose maintenant. Et pourquoi on doit se retenir maintenant, par exemple avec les contacts. Et qu’on peut se rater. Si on attend que de nombreux lits de soins intensifs soient à nouveau occupés, on aura des effets pas faciles à stopper rapidement. […] Il faut réagir assez tôt. Cela fonctionne avec relativement peu de mesures drastiques. Si vous manquez le timing, vous l'avez manqué. Et puis vous n'avez pas à réagir, mais à corriger. Et cette correction, ramer à contre-courant, ça demande un effort incroyable. On a tort de ne pas regarder dans les pays européens voisins, où ce processus est déjà visible, où il n’est en avance que de deux semaines. […]

En Espagne, par exemple, nous voyons déjà des unités de soins intensifs saturées dans les zones touchées. Et ce sont de très grandes zones géographiques. Il n'y a aucune raison de penser que ce sera différent chez nous. Il y a certainement plusieurs raisons pour lesquelles la hausse est plus lente chez nous ; nous en avons déjà discuté, comme la structure familiale, nous avons plus de ménages d'une seule personne. Nous avons une plus grande séparation entre les générations. C'est différent en Espagne. Cela entraînera certainement une croissance plus rapide de l'épidémie là-bas. Mais il se peut aussi qu'il n'y ait tout simplement pas autant de diagnostics qu’ici, de sorte qu’on remarque le tout un peu plus tard, mais c'est le même virus. Nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait que la même chose nous arrivera.

Mesures-barrière, "backward tracing" (trouver la source)

Martini: Cela signifie que si nous faisons attention maintenant et que nous respectons vraiment les règles AHA (distanciation ; hygiène, masque), ventilons correctement, n’allons pas dans des restaurants surpeuplés etc, nous pouvons encore y arriver?

Drosten: La chose décisive est, et il faudrait vraiment le répéter encore et encore, car tout le monde ne l’a pas encore intégré, nous avons besoin de deux mesures combinées. Donc les règles AHA, c'est bien, mais je trouve cette formule presque un peu trop simple. Donc les règles AHA - distanciation, hygiène, masques grand public - c'est certainement une mesure généralement efficace et dont tout le monde se souvient. Et c'est bien. Mais nous avons besoin de quelque chose de plus, à savoir une mesure contre les clusters. C'est la règle de base pour ces maladies qui se propagent avec une sur-dispersion. Nous avons besoin de deux mesures à l'échelle de la société. La première est une mesure que tout le monde suit et qui n'a pas besoin d’être très intrusive, ni à être très efficace pour la propagation du virus. Elle doit être efficace à 20%. C'est certainement la combinaison de la distance, de l'hygiène et des masques. Quelque chose qui s'applique à tout le monde, qui s'applique dans toute la société, qui n'est pas drastique. Et puis, nous avons également besoin d'une mesure spécifique, qui prenne effet partout où des clusters apparaissent.

Et c'est encore une faiblesse en Allemagne pour le moment, et aussi dans le système de reporting, et pas seulement en Allemagne. L'orientation spécifique de l'enregistrement des cas, l'enregistrement de l'activité infectieuse sur le cluster source, c'est-à-dire la question: Où avez-vous été infecté? Nous sommes toujours très axés sur la poursuite des cas. En d'autres termes, nous demandons: ce patient qui a été infecté ici, qui aurait-il pu infecter, à la fois ces derniers jours, avec qui il était en contact, et aussi à l'avenir, il doit rester chez lui pour qu’il n'infecte plus personne.

Mais le moment où nous remarquons cette infection est en fait un moment où la contagiosité est pratiquement terminée. Et les quelques personnes qu'il aurait pu infecter au cours des derniers jours ne sont pas à l'origine du processus d'infection, mais ce qui est vraiment à l'origine du processus d'infection, c'est le cluster source où il a contracté son infection. Car cette infection se propage par grappes. Même si les autorités sanitaires disent qu'il y a un processus d'infection de plus en plus diffus, on ne peut plus reconstituer les chaînes de contamination, alors ce n'est pas une description de la réalité de la propagation du virus, mais une description de l'impression qu’on a dans les services de santé car les gens ne peuvent pas dire où ils ont probablement été infectés il y a sept à dix jours.

Nous avons cela avec d'autres rhumes également. Nous n'avons tout simplement pas cette mémoire. Nous ne pouvons pas nous souvenir dans quelles situations particulières, dangereuses, nous étions il y a sept à dix jours. Le problème, cependant, est que cette situation dangereuse dans laquelle nous avons été infectés il y a sept à dix jours est toujours là. Ce cluster couve toujours. Et sans que personne ne le sache, sans que les cas aient été signalés jusqu'à présent, nous avons ici un cluster source qui frémit. Nous sommes maintenant à ce moment où les remontées de chaînes deviennent de plus en plus difficiles, où les autorités sanitaires disent les unes après les autres: "Nous n’y arrivons plus, Bundeswehr, venez nous aider !" Nous voyons cela dans les médias maintenant. C'est maintenant le moment où cette méthode de travail sur les clusters source doit être mise en œuvre. Parce qu'en ce moment, d’après les statistiques, nous avons l’impression que cela vient des fêtes de famille, des ménages. Cela ne vient pas des situations de travail, des transports en commun, etc.

Martini: D'aller au restaurant.

Drosten: Exactement. Tous ces éléments ne figurent pas dans les statistiques des rapports pour le moment. Les autorités sanitaires disent que ce sont avant tout les situations privées, les fêtes de famille, la maison. Mais regardons maintenant de près ces statistiques de reporting. Et ce que nous constatons, c'est que plus de la moitié de toutes les nouvelles infection ne peuvent pas être résolues. [...] les chaînes de contamination reconstructibles sont minoritaires. [...] Les gens ne peuvent pas dire où ils se sont infectés. D’où cette proposition, que je fais depuis des semaines, que chaque citoyen tienne un journal des situations de cluster. Chaque soir, par exemple, vous pouvez écrire sur votre smartphone, dans votre bloc-notes ou sur n'importe quel morceau de papier, là où vous ne vous êtes pas sentis très à l'aise. Alors aujourd'hui, j'étais dans une situation où j'avais le sentiment qu'il y avait trop de monde, dans une pièce fermée, trop près les uns des autres, même si la plupart portaient des masques. En faisant cela, deux choses se produisent. Premièrement, [...] les gens pourraient se souvenir davantage et dire où ils ont été infectés. Les autorités sanitaires pourraient alors être en mesure d'identifier encore mieux les clusters source. Le suivi des cas serait amélioré. Le deuxième effet est que [chacun] réaliserait plus clairement qu’il se trouve régulièrement dans de telles situations et [qu’en y étant plus sensibilisé, il les évite à l’avenir].
[Si je vais au restaurant] Est-ce que je m'en souviendrai dans dix jours?

Martini: Probablement pas.

Drosten: Sérieusement. Donc si j'ai soudainement de la fièvre, [...] je dirais: "Je ne peux pas dire." Ou je dirais aussi: "Eh bien, probablement à la maison, parce que mon conjoint a aussi de la fièvre. Donc, je me suis contaminé à la maison." Mais je suis aussi allé manger avec mon conjoint, mais comme je ne l’ai pas noté, je ne m'en souviens pas. Je ne veux pas seulement me concentrer sur les restaurants. Il s'agit aussi d'autres situations, de situations quotidiennes, nombreuses dans le secteur du sport, dans le secteur des loisirs, mais aussi la vie professionnelle. Ces lacunes dans les listes seraient ainsi comblées. Par exemple dans la vie professionnelle, il y avait telle réunion [exceptionnelle], et il y avait 30 personnes dans la salle. Tous étaient assis à distance et portaient des masques. […] C’est quelque chose que nous pouvons tous faire. On ne peut pas simplement rester passifs et se dire que le département de la santé clarifiera tout ça si je tombe malade à un moment donné. [...]

Martini: Cela voudrait dire que si nous notions ces contacts, nous serions un peu plus loin.

Drosten: Alors nous serions certainement tous un peu plus impliqués. [...] Nous serions alors plus loin dans le processus de connaissance et d'évitement. Je pense que l'accent est mis ici sur l'évitement. Parce que les politiciens ne peuvent pas régler chaque petite situation de la vie quotidienne - de préférence séparément pour chaque Land- mais à un moment donné, la société doit passer à un mode de participation active. [...]

Stratégie nationale de test

Martini: Et puis chacun pourrait apporter sa contribution. Le gouvernement fédéral veut également prendre une décision cette semaine. Cette fois, il s'agit d'une nouvelle stratégie pour les tests. Il devrait maintenant être moins testé, mais de façon plus ciblée. De votre point de vue, est-ce la bonne voie pour l'automne?

Drosten: Je ne pense pas qu'il s'agisse d'arrêter activement les tests PCR, mais deux choses se produisent. La première est que les tests PCR deviendront moins disponibles à mesure que certains matériaux se raréfient. […] Nous devons bien sûr donner la priorité aux soins de santé. En d'autres termes, nous aurons à nouveau plus de vrais patients qui devront être testés de manière prioritaire, de sorte que de moins en moins de ressources de PCR seront disponibles pour des tests à l'échelle de la société.

Et l'autre effet est que les tests antigéniques arrivent maintenant sur le marché, dont certains fonctionnent très bien, mais qui [...] permettent davantage une évaluation de l'infectiosité actuelle de la personne testée plutôt qu'un diagnostic d'infection médicale.[...] Mais il sera possible de dire que, par exemple, que le patient peut être considéré comme non infectieux pour le jour où le test a été effectué. Et c'est extrêmement important. Par exemple, imaginons à la porte d'entrée d'une maison de retraite où vous pourriez dire: "Ah, ce sont des parents d'un de nos patients ici dans la résidence. Pour aujourd'hui, nous pouvons dire, sur la base du test antigénique, qu’ils ne sont pas contagieux, nous pouvons donc autoriser la visite." Mais cela ne veut pas dire que ces proches [pourront] faire une petite fête à la maison le lendemain. Ces tests antigéniques [ne sont] pas un test de présence de l'infection, mais une évaluation actuelle de l'infectiosité. Mais nous pouvons faire beaucoup avec cela. Parce que cette question sur l'évaluation actuelle de l'infectiosité est également posée à la PCR dans de nombreux domaines. La PCR est en fait hypersensible, la PCR dit que le virus est présent, alors que c'est peut-être si peu de virus que l'infectiosité n'existe plus.

Martini: Si on regarde les tests rapides, cela nous donne un peu plus de liberté de mouvement, n'est-ce pas?

Drosten: On peut l'espérer. La question est le nombre de tests bientôt disponibles. De nombreux pays souhaitent être approvisionnés par les mêmes fabricants. Là aussi, la concurrence sur le marché réapparaît. Mais s'il arrive que beaucoup de ces tests antigéniques soient disponibles dans les semaines et les mois à venir - ils sont également abordables, on peut dire que le prix n'est pas si exorbitant - alors cela ouvrira des portes dans de nombreux endroits. [...]

Immunité des cellules T

Martini: Je veux vous parler aujourd'hui d'un autre sujet qui soulève beaucoup de points d'interrogation, à savoir celui de l'immunité. Il existe une étude sur l'immunité des lymphocytes T, c'est-à-dire nos cellules mémoire dans le système immunitaire. Qu'y a-t-il exactement là-dedans?

Drosten: C'est une étude du domaine dont nous avons discuté il y a deux semaines. Où, pour le dire très brièvement, [on] avait découvert que la réactivité de fond des cellules T, qui se trouve chez les personnes atteintes de ce virus et ne l’ayant pas encore eu, est peut-être non spécifique. Surtout, plus le patient est âgé, […] [plus] la réponse au virus Sars, à une infection Sars, est une réponse dispersée qui n'est pas très ciblée. La raison est à trouver dans la capacité réduite du système immunitaire cellulaire à apprendre dans un système immunitaire âgé. Ici, nous pouvons aller à l’encontre de cela avec cette étude déjà publiée dans "Science".

Il s'agit également d'une étude sur l'immunité des lymphocytes T, qui est un peu plus encourageante. C'est précisément ce qui définit la discussion en immunologie. Il y a telle découverte et telle découverte ; [...] la recherche ne va pas si vite. Vous ne pouvez pas dire que tout ce que nous mesurons avec les cellules T n'est qu'un bruit de fond. On ne peut pas non plus dire qu'en réalité nous sommes tous déjà protégés.[…] Ici, nous avons une étude de très haut niveau et qui a déjà été publiée avec un comité de lecture. C’est une étude réalisée avec des patients qui ont eu ce virus ou pas. On peut voir que les [rhumes à coronavirus passés] semblent transmettre un souvenir. Pour qu'il y ait une telle chose comme une mémoire préexistante au niveau des cellules CD4, c'est-à-dire les cellules auxiliaires de mémoire, peut-on dire.

Martini: Ceux qui se souviennent des infections.

Drosten: Exactement. C'est le département du système des lymphocytes T qui a une fonction d'assistance, c'est-à-dire la médiation entre les cellules présentatrices d'antigène et les cellules, ce qui conduit alors à une réaction immunitaire à maturation, c'est-à-dire qui conduit à l'envoi de l'un ou l'autre des anticorps par les cellules B, des cellules provenant des plasmocytes, ou que des cellules effectrices, c'est-à-dire des cellules T cytotoxiques, des cellules CD8, apparaissent. Il y a ces cellules CD4, les cellules T auxiliaires, au point de commutation, qui forment leur propre mémoire après la fin d'une infection. Et on peut dire ici qu'il y a définitivement un signal remarquable dans les cellules mémoire T de personnes n'ayant jamais eu de contact avec le Sars-CoV-2, contre le Sars-CoV-2. Ainsi, la similitude de ces coronavirus entre eux, le Sars-CoV-2 avec les quatre coronavirus communs, semble être suffisamment grande dans certains composants du virus pour presque anticiper quelque chose comme une mémoire à cellules T préemptive.

Martini: Cela signifie que si j'ai eu beaucoup de rhumes dans ma vie, il se pourrait qu'il y ait aussi quelques coronavirus. Et puis peut-être que je suis un peu mieux protégée ou que ma mémoire à cellules T s'en souvient?

Drosten: Oui, à proprement parler, nous tous, chaque adulte, avons des signes évidents d'une infection passée par l'un de ces coronavirus du rhume. Et chez un très grand nombre de personnes examinées dans cette étude, il était également vrai que leurs cellules T présentaient des signes d'activation au contact des composants de la protéine Sars-2. Elles n'ont donc jamais vu ce virus Sars-2 de leur vie, mais montrent toutes des signes de réactivité contre les coronavirus du rhume. Et là, vous pouvez vraiment tout démêler de telle manière pour pouvoir dire : maintenant, prenons des fragments de protéines contre ces coronavirus du rhume, qui ont également une certaine similitude avec le virus Sars-2, et alors ça dépend de la similitude des fragments de protéines. Alors, à quel point la protéine codée entre le virus du rhume et le Sras-2 est-elle similaire à certains points du génome? Et là où c’est particulièrement similaire, les patients, comme prévu, présentent également une réactivité croisée particulièrement élevée. Et les auteurs en concluent qu'il se peut bien que cette évolution très différente de l'infection au sein d'un groupe d'âge - il y a aussi des patients dans les groupes d'âge qui ne remarquent pratiquement pas qu'ils sont infectés par le Sars-2 et certains qui sont gravement malades - peut être expliquée par le fait qu'il existe également ces différents taux de mémoire des lymphocytes T chez les patients.

Martini: Est-ce que cela signifie que si vous avez eu beaucoup de rhumes, alors vous pourriez être un peu plus résistant ou la maladie n'est pas si grave. Pouvez-vous aller aussi loin?

Drosten: Oui. Il y a maintenant des auteurs qui vont aussi loin en utilisant d'autres ensembles. Il y a une étude que je n'ai délibérément pas évoquée ici, dont nous pourrons peut-être discuter plus en détail dans un prochain épisode […] Mais cette étude comporte tellement de points d'interrogation que je ne l'ai pas préparée. [...] en tant que scientifique, vous devez toujours être critique à l'égard des données. Mais il faut dire qu'il se pourrait bien qu'une infection récente par un coronavirus du rhume nous protège désormais contre une nouvelle infection au Sras-2.

Etude indienne sur les chaînes de contamination


Martini: Si nous regardons de plus près une autre histoire qui nous intéresse encore et encore. En ce moment, il y a les vacances d'automne dans certains Länder, mais ensuite l'école reprend. Les chaînes de contamination. Nous en avons beaucoup parlé: les enfants sont-ils dangereux pour les générations plus âgées? Oui ou non? [...] Il y a maintenant des études qui examinent de plus près les modes de transmission. Une étude qui a évalué très précisément un ensemble de données en Inde. Qu'est-ce qui en est ressorti exactement?

Drosten: Oui, c'est aussi une étude [publiée] dans "Science". C'est une étude intéressante car elle a été réalisée en Inde. Dans un pays où il n'est pas si facile de parvenir à un lockdown. [...] Il est donc probable que durant la période d'évaluation, qui était la première vague là-bas, nous aurons un aperçu de la propagation naturelle de ce virus […] L’étude a été menée dans l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu, deux États de l'Inde qui ont des systèmes de santé relativement bons, où la recherche des contacts a été effectuée avec beaucoup de personnel. Ici, bien sûr, à nouveau en fonction des symptômes. Autrement dit, si un cas survient dans un ménage, il s'agit du premier cas symptomatique. Ce qui s'est passé auparavant ne peut être dit. Mais lorsqu'un cas symptomatique survient, on a généralement tenté de tester tous les membres du ménage en laboratoire dans les 5 à 14 jours suivant le contact avec le cas index. De nombreux cas ont été examinés, du moins dans les statistiques. Il y a eu 263.000 cas index au Tamil Nadu et 172.000 dans l'Andhra Pradesh avec des infections principalement identifiées au Sras-2. Et ils avaient un total de plus de trois millions de contacts, dont chacun était inscrit sur des listes. Vous devez imaginer cela. Il s'agit d'un système de notification massif dans ces pays avec un grand nombre d'employés.

L'étude s'est maintenant concentrée sur 575.000 contacts sur un total de près de 85.000 cas index, avec une documentation épidémiologique complète et des résultats de laboratoire. Un véritable chef-d'œuvre de l'épidémiologie de terrain [...] C'est juste intéressant ce qui en ressort. Par exemple, on peut souligner que le nombre de contacts par cas index (la première personne infectée) est de 7,3 en moyenne. C'est vraiment beaucoup, vous pouvez voir comment la société et les ménages y sont structurés différemment. Il s'agit d'une taille de ménage complètement différente de la nôtre. 0,2 % de tous les cas index avaient plus de 80 contacts. Ce sont de très grands cercles de contact qui ont été suivis ici. Il est également intéressant de souligner que dans le même temps, un peu plus de 70% de tous les cas index n'avaient aucun cas de contact positif dans la région. En d'autres termes, avec ces grands réseaux de contacts, chez 70% d'entre eux on n’a trouvé aucune infection dans les contacts. Cela souligne encore plus à quel point nous avons un effet de sur-dispersion avec cette maladie. À quel point, en Inde, cette maladie se propage en clusters, dans des événements de grande diffusion. Cela continuera d'être le cas en Allemagne. Cette maladie se propage par grappes, ce qui peut également être vu en Inde.

Martini: Cela signifie que ce que nous pouvons apprendre ou voir pour nous de cette étude indienne est l'histoire du cluster. Faut-il vraiment accorder plus d'attention aux clusters?

Drosten: C'est certainement un message très important. Avec cette observation d'un processus d'infection peut-être plus naturel, incontrôlé, nous obtenons cette impression écrasante de la propagation par grappes. Et il y a aussi un contrôle interne intéressant dans les données. Dans cette situation, nous voyons un taux d'attaque secondaire de 11 %, c'est-à-dire combien sont infectés à partir d'un cas index confirmé. C'est la valeur que nous observons également dans nos contacts à haut risque, 15 minutes de contact en face à face. Et nous voyons 5 % pour des contacts à faible risque. Tout cela est très similaire aux nôtres. C'est pourquoi nous devons continuer à espérer que nous verrons également un comportement de propagation par clusters. C'est certainement l'un des messages les plus importants de cette étude. Et l'autre message très important est, tout simplement, que nous pouvons dire que la prévalence de cette maladie se situe principalement dans la même tranche d'âge. Donc, si vous regardez qui a infecté qui ici, [...] les groupes d'âge s'infectent les uns avec les autres parce qu'ils ont beaucoup de contacts sociaux les uns avec les autres.

Martini: Ce que les clusters expliquent, pour ainsi dire. Cela veut dire que les enfants sont avec les enfants, les adultes avec les adultes, et les plus âgés dans leurs groupes plus âgés.

Drosten: Exactement, ce sont les contacts entre les ménages, non pas au sein des ménages, mais dans les classes sociales, dans les différents domaines d'activité de la société.

La mutation D614G

Martini: Nous avons en fait discuté de l’espoir que le virus changerait un peu et que nous pourrions attraper un virus qui ne serait plus si dangereux pour nous, juste un mauvais rhume. [...] Il y a une nouvelle étude à ce sujet, cette fois un preprint, également dans "Science". Qu'ont-ils découvert? Le virus a-t-il changé? Avons-nous toujours le même virus qu’au printemps?

Drosten: C'est intéressant. Il y a toujours des observations de changements, c'est un virus à ARN et il y a beaucoup d'erreurs dans la réplication du génome. Fait intéressant, j'ai eu une question par mail ce matin d'un collègue à propos d’une publication dans "The Lancet" qui n'est pas le papier dont nous voulions réellement discuter maintenant, mais quelque chose dont nous avons discuté dans ce podcast il y a des mois, à savoir une variante de virus dans laquelle l'un des gènes, à savoir le gène 8, a une suppression, Il y avait donc un écart de 382 nucléotides et cela a maintenant fait l'objet d'un suivi clinique. Il en ressort: Peut-être que ce virus est vraiment affaibli. Cela a également été diffusé ici et là sur les réseaux sociaux car il n'a été publié qu'en août. Mais vous pouvez voir comment quelque chose comme ça est souvent mal compris du public.

Il s'agit d'une variante du virus qui a existé quelques semaines au printemps à Singapour, au tout début de la propagation, puis a de nouveau disparu. Avec de tels coronavirus, il arrive encore et encore qu'il y ait un petit accident de réplication amenant à la perte d’un gène qui rend le virus un peu plus virulent, c'est-à-dire un peu plus pathogène. Et ces virus peuvent se propager dans certaines limites. Et apparemment, ils atténuent vraiment la maladie. Malheureusement, dans une pandémie, quand il y a de très grandes vagues d'infections dans la population, ces virus affaiblis disparaissent encore et encore, car le virus non modifié, nous disons le type sauvage, a un avantage de forme physique et se propage mieux, et éradique les virus affaiblis. Il a donc un avantage concurrentiel. Il ne faut pas interpréter de telles publications scientifiques comme quoi le virus s'est affaibli et que, par conséquent, nos lits de soins intensifs resteront vides, même avec beaucoup de cas. Il faut vraiment distinguer entre une élaboration scientifique de quelque chose qui s'est passé dans le passé mais qui ne s'applique plus aujourd'hui et la situation actuelle. Et il se peut aussi que nous devions comprendre ce preprint, dont nous pouvons discuter, sous un éclairage légèrement différent.

Il s'agit du mutant D614G bien connu. Je dois peut-être expliquer à nouveau brièvement. En avril environ, nous avons discuté pour la première fois d’un virus se propageant très rapidement dans le monde, à savoir un virus qui avait un échange d'acides aminés en position 614 de la protéine de surface de la protéine spike. Et il est à noter que cette mutation s'est propagée. Elle a d'abord été remarquée en Europe, peut-être originaire du nord de l'Italie, lors de l'éruption là-bas, puis en Espagne, puis en fait dans toute l'Europe, puis est allée dans le nouveau monde, probablement d'Espagne, d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale, puis Amérique du Nord, principalement sur la côte est, puis dans toute l'Amérique du Nord. C'est cette variante D614G. Et à l'époque, sur la base de la propagation du virus, on soupçonnait déjà qu'il pourrait être plus transmissible car il domine soudainement partout. Il y avait encore un gros point d'interrogation dessus parce qu’on ne savait pas exactement si c'était une coïncidence. En d'autres termes, si certaines lignées virales se propagent simplement par hasard parce qu'elles sont arrivées quelque part par hasard où une épidémie se produit. Et de cette épidémie vient la prochaine grande épidémie. Et si, par hasard, ce virus est arrivé en Amérique du Sud, alors la population fondatrice, comme on dit, du virus y surgit également. Et puis à un moment donné, aucun autre virus n'est arrivé. Vous ne savez donc pas exactement ce que cela signifie si un certain marqueur génétique, c'est-à-dire une certaine caractéristique d'un gène, se propage soudainement géographiquement. Cela peut être une coïncidence. Mais il peut aussi y avoir une raison derrière cela, qui est la capacité de réplication du virus.

Martini: Mais cela signifie toujours que nous avons le même virus.

Drosten: Exactement. Il se pourrait que rien de tout cela ne veuille rien dire. Et ce qui a été fait alors, et c'est souvent le cas en virologie, des expériences ont d'abord été faites avec un système de substitution. On s’est dit: D'accord, c'est la glycoprotéine de surface du virus Sars-2. Il est maintenant relativement difficile de faire des expériences en laboratoire avec ce virus Sars-2. Donc, changer le virus Sars-2, comme je vais expliquer plus loin. Nous prenons un autre virus que nous pouvons facilement changer, ici un lentivirus, finalement un virus VIH, et donner à ce virus VIH la protéine de surface du virus Sars-2 avec et sans ce changement et on observe ce que cela fait au lentivirus. Et puis vous avez eu toutes sortes de découvertes qui indiquaient que ce virus pourrait se transmettre plus facilement et être plus dangereux. Par exemple, on a vu que le nombre de protéines de surface intégrées par particule virale était beaucoup plus grand lorsque cette mutation était en elle.

Bien sûr, c'est le cas, cette protéine de surface n'appartient pas du tout à un lentivirus. Par conséquent, l'incorporation dans cette particule virale est peut-être de toute façon rendue plus difficile. Et les lentivirus en soi n'ont qu'un petit nombre de glycoprotéines de surface, même dans le virus VIH complet, c'est-à-dire que le VIH n'a que très, très peu de protéines de surface par particule virale, il y avait donc encore un grand point d'interrogation sur les résultats. Et maintenant on a en fait un véritable chemin de recherche expérimentale pour la première fois dans le domaine des preprints, sur la base du virus Sars-2 lui-même, via un changement ciblé en laboratoire: Nous avons ce virus en laboratoire. Et maintenant, nous donnons à ce virus cette mutation qu'il a créée, la mutation D614G, artificiellement dans le génome afin que nous puissions comparer deux virus. Un virus, le virus d'origine qui n'a pas cette mutation, puis un virus exactement identique jusqu'au nucléotide. Il n'y a pas un seul changement en dehors de ce changement supplémentaire qui est survenu dans la nature, que nous ajoutons maintenant à ce virus artificiel dans le génome et voyons si cela fait une différence.

Martini: Et où cela nous mène-t-il à la fin?

Drosten: Oui, pour la première fois, c'est vraiment un résultat très clair, où vous pouvez comprendre exactement ce qui a été fait. Il s'agit du groupe de travail de Ralph Baric, un collègue américain qui utilise en laboratoire des techniques très similaires à celles de collègues européens dont nous, à savoir la génétique inverse pour le virus Sras, où vous avez le virus en laboratoire, sous une forme définie, où on peut insérer des modifications individuelles de manière ciblée. Donc pas le processus de mutation naturelle qui peut être observé, une mutation n'est jamais seule, on peut dire: nous avons un virus ici, le virus de type sauvage originel. Et dans le génome de ce virus, nous ajoutons seulement une mutation qui nous intéresse, où nous voulons savoir quel effet elle a. Nous insérons cette mutation dans le génome. Cela a maintenant été fait avec la mutation D614G. Et on a maintenant deux virus que vous pouvez comparer qui sont absolument identiques, à l'exception de cette mutation. Ce que vous faites ensuite est une procédure étape par étape, de la culture cellulaire relativement simple aux modèles tissulaires en passant par des expériences limitées sur les animaux[...] Donc tout d'abord, ces virus ont été comparés dans des cultures cellulaires simples. On a vu que dans certaines cultures cellulaires, mais pas toutes, le virus muté se répliquait mieux. Plus important encore, il se réplique plus rapidement. Mais ce n'est pas quelque chose que vous voyez dans chaque lignée cellulaire. Il est normal que les cultures cellulaires ne correspondent pas. Nous parlons d'effets de lignées cellulaires. Et pour évaluer cela, on est allé plus loin et on a infecté des tissus.

Cela signifie que vous pouvez prélever des tissus de patients lors d'opérations - par exemple dans le cas d'une tumeur, par exemple dans la région de l'oreille et du nez, ou dans le cas de l'amygdalite, de l'ablation des amygdales, où le tissu est retiré de la région du cou, de la membrane muqueuse, ou même en chirurgie pulmonaire, par exemple avec une tumeur, où les tissus sains sont toujours retirés afin que la tumeur soit complètement éliminée - vous pouvez toujours prélever du tissu sain de ces échantillons chirurgicaux et les laisser croître dans le tube à essai en laboratoire, puis infecter avec ces deux virus. Et maintenant vous voyez quelque chose de très intéressant, qui correspond à l'observation épidémiologique. À savoir que le virus muté se développe un peu mieux dans les tissus du nez et de la gorge, mais pas dans les tissus des poumons. Ceci est intéressant car ce virus se transmet par la gorge et le nez. Ainsi, lorsque nous contractons cette infection à Sras-CoV-2, nous sommes infectés par le virus du nez ou de la gorge d'un patient et non par le virus des poumons. Il sort à nouveau par notre gorge et notre nez. Au moins c'est l'hypothèse que nous faisons, ce que nous pensons, parce que ce virus est facilement transmissible, avant même que la maladie ne soit même symptomatique. Nous savons que 40 à 50 % de tous les événements de transmission ont lieu avant l'apparition des symptômes. Nous pensons que tout passe par les voies respiratoires supérieures, le nasopharynx.

Nous avons maintenant un virus mutant qui semble épidémiologiquement être devenu mieux transmissible. Il se réplique dans les tissus des voies respiratoires supérieures, mais pas dans les poumons, mieux que le virus d'origine. Constat d’étape intéressant. Ce que l'on peut également dire, c'est que ce n'est pas comme dans le système pseudo-type du VIH qu'il y a plus de glycoprotéines de surface intégrées, au contraire, la forme des virus et aussi le nombre de glycoprotéines sont complètement inchangés au microscope électronique. Peu importe que la mutation y soit ou non. Les auteurs sont allés encore plus loin, à l'expérimentation animale, ils ont pris le modèle animal le plus simple et pourtant le plus représentatif pour la transmission et la pathogenèse, c'est-à-dire la maladie, et c'est le hamster. C'était déjà le cas avec le virus Sars-1, et il s'est également avéré pour le virus Sars-2 que le hamster tombe vraiment malade, c'est-à-dire qu'il contracte une infection pulmonaire, pas seulement une infection des voies respiratoires supérieures, et on peut même l’utiliser pour mesurer la transférabilité.

Et ce que les auteurs ont fait, c'est qu'ils ont infecté des hamsters et ont fait trois groupes expérimentaux.[…] un groupe n'était pas du tout infecté, un groupe témoin. Et puis deux groupes, un avec le virus parent et un avec le virus muté. On a constaté que les animaux du groupe témoin devenaient de plus en plus lourds au cours de l'expérience. C'est simplement parce qu'ils mangent autant qu'ils veulent. Ce n'était pas le cas des animaux infectés. Ils ont eu une perte de poids plutôt faible, avec les deux virus, le virus parent et le virus de type sauvage. C'est simplement parce que les animaux qui se sentent malades mangent moins. La perte de poids avec le virus muté était très légèrement plus importante, mais la différence était si petite qu'il est impossible d'en faire quoi que ce soit, ou si peu. Et vers la fin de l'expérience, [...] les animaux sont tués sous anesthésie. Ils reçoivent une injection anesthésique, puis ils s'endorment. Et sous l'anesthésie vous tuez les animaux et retirez les organes, faites une dissection. Cela fait également partie du principe des expériences sur les animaux, vous ne les faites pas simplement pour voir ce qui se passe et si rien ne s'est passé, alors rien n'en ressort, mais vous évaluez ce que vous pouvez.

[…] Et ce que vous pouvez voir lorsque vous regardez les poumons, l'organe cible de la maladie, c'est: les poumons - dans les deux groupes, c'est-à-dire dans le groupe avec le virus de type sauvage et le virus muté – sont identiques. Le nombre de cellules inflammatoires ayant migré est le même, tout comme le poids des poumons par exemple. Ces cellules inflammatoires, qui ont un poids, c'est-à-dire que sous la pneumonie, les poumons deviennent plus lourds. Vous pouvez mesurer cela. Et il existe de nombreux autres critères objectivables sur un morceau de tissu qui peuvent être quantifiés. Et ce qont les mêmes dans les deux groupes. C'est intéressant. Apparemment, le groupe avec le virus de type sauvage s'est senti un peu moins malade, ils ont mangé un peu plus. Mais la maladie pulmonaire réelle s'est avérée exactement la même.

Maintenant, on fait une autre expérience, à savoir une expérience de transfert. On prend des paires d'animaux et on les met dans des cages voisines. Donc un animal est infecté, l'autre animal non. Ces paires ont été enfermées dans des cages voisines afin de voir comment ces hamsters s'infectent les uns les autres? Huit paires ont été prélevées pour le type sauvage et huit paires pour le mutant viral et on a vu que tous les animaux de contact étaient infectés à partir du cinquième jour d'observation. En d'autres termes, les hamsters qui étaient assis dans des cages voisines étaient tous infectés par le cas index, c'est-à-dire avec l'animal infecté à l'origine, et testés positifs pour le virus Sars-2. Il y a aussi une différence intéressante le deuxième jour, juste après le début de l'expérience. Au deuxième jour, aucun des hamsters de contact n'a été infecté par le virus de type sauvage, c'est-à-dire que zéro animal de contact sur huit a été infecté le deuxième jour, mais cinq animaux de contact sur huit avec le mutant viral l'ont été. Cela dit, apparemment, la transmissibilité avec ce virus muté n'est pas plus élevée au final, mais plus précoce. Le virus est transmis plus tôt, et susceptible de se répliquer plus rapidement en haut des voies respiratoires supérieures. Cela correspond en fait à cette observation épidémiologique selon laquelle ce virus s'est propagé rapidement. Alors maintenant que cette étude est terminée, nous pouvons en fait dire pour la première fois sur une base scientifique que le mutant D614G a une plus grande capacité à se propager.

Martini: Cela signifie que c'est le seul virus qui est pratiquement en mouvement pour le moment.

Drosten: C'est le virus qui se propage le plus actuellement partout. Et puis, du point de vue de son importance, le constat scientifique de cette étude, il est tel qu'on peut éthiquement justifier de telles expérimentations animales. C'est une découverte très importante pour l'humanité.

Martini: Si vous, en tant que virologue, jugez cela, quelle était l'importance de cette enquête pour vous?

Drosten: Oui, pour moi, c'est une grande part de l’énigme qui a été résolue. Donc, grâce à cette mutation, le virus a vraiment acquis une capacité de propagation plus élevée. Et cela dit aussi quelque chose d'autre, à savoir apparemment, le virus tel qu'il est originaire de Chine n'était pas encore optimal pour se propager parmi les humains. Avec cette mutation, il s'est certainement optimisé un peu plus pour l'homme, adapté à l'homme. Parce que c'est ce que veut le virus. Ainsi, un virus parfaitement adapté à son hôte se propage de manière optimale sans rendre l'hôte plus malade. C'est exactement ce que fait ce virus actuellement. Ce D614G se propage plus rapidement mais ne rend pas l'hôte plus malade. Bien sûr, toujours avec l'avertissement que cela n'a pas été testé ici sur des humains. Nous n'avons que des observations épidémiologiques sur l'homme, mais sur un modèle animal adapté, c'est le résultat.