mercredi 13 mai 2020

Infodémie, aérosols, Columbia University, histoires du virus. Podcast #40 du 12 mai 2020

Infodémie

Korinna Hennig: M. Drosten, vous avez signé une lettre ouverte avec d'autres scientifiques et médecins du monde entier, dans laquelle vous demandez aux entreprises derrière les réseaux sociaux de vous soutenir contre ce qui est maintenant appelé une infodémie - ou informations trompeuses sur la pandémie. Quel est votre objectif principal?
 
Christian Drosten: On peut difficilement résumer ce qui circule sur les réseaux sociaux, souvent sous forme de vidéos qui peuvent compter des millions de vues et sont pleines de bêtises, pleines de fausses déclarations. On retrouve aussi des personnes qui ont une formation médicale, des médecins et des professeurs qui racontent des sornettes, alors qu’ils n'ont jamais vraiment travaillé sur ces questions de leur vie, mais que l’on croit à cause de leurs qualifications. Mais ça va plus loin. Il y a de vrais théoriciens du complot qui, bien avant cette pandémie, répandaient des théories complotistes sur des sujets complètement différents et [qui] ne sont tout simplement pas dignes de confiance. Néanmoins, cela continue. [Toutes ces idées sont] très éloignées de toute rationalité - je ne peux même pas répondre à cela, car c'est tellement loin de tout argument qui pourrait être avancé.


Korinna Hennig: Vous avez mentionné que certains avaient des titres universitaires. Ce n'est pas facile pour le profane de faire la part des choses. Nous ne sommes pas en train de parler d'une discussions entre experts, comme par exemple le débat sur les enfants, où un virologue dit que les enfants ont tendance à moins transmettre le virus et l'autre évalue la situation différemment. En quoi est-ce quelque chose de complètement différent?

Christian Drosten: Le sujet des enfants est un débat ouvert pour le moment, où nous manquons de données et où les quelques données, parfois peu solides, qui sont disponibles sont interprétées légèrement différemment par les scientifiques. Mais il s'agit de quelque chose de complètement différent. Ici, par exemple, on a un professeur lambda qui s’exprime en public. Je suis également professeur et je n'oserais jamais faire de déclaration sur les bactéries, par exemple. Je suis virologue et je ne me prononcerais jamais sur un sujet bactériologique, ce qui est presque la même chose pour les gens normaux, mais pas pour un scientifique. Et je n'oserais pas non plus disserter sur un virus autre que le virus sur lequel je travaille. On ne peut pas connaître la littérature et avoir une expertise dans ce domaine que si on est un spécialiste reconnu. C'est la seule raison pour laquelle je m’exprime en public ; non pas parce que je suis particulièrement intelligent ou parce que je parle très bien ou quoi que ce soit, mais parce que je travaille en tant que spécialiste précisément sur ces virus. Et ce que j'entends, de la part d’experts, mais experts dans d’autres domaines, est sans fondement. Ce sont des lieux communs qui ne vont pas au-delà d'une connaissance superficielle, issue de manuels universitaires. Et avec ces connaissances, ils trompent ensuite le public et renforcent les théoriciens du complot, dont certains sont politiquement engagés. C'est irresponsable. 


Korinna Hennig: Donc, un bon outil pour le profane serait de vérifier le domaine d’expertise des personnes qui s’expriment? 

Christian Drosten: Exactement. Mais il faut aussi y regarder de plus près. Comment s'est-il spécialisé? Qu'a-t-il déjà publié sur ce sujet? La communauté de spécialistes en Allemagne ou même au niveau international respecte-t-elle cette personne en tant qu'expert? Si ce n'est pas le cas, ne perdez pas votre temps à regarder une vidéo sur YouTube pleine d'opinions trompeuses et non fondée sur des connaissances scientifiques. 

Korinna Hennig: Twitter veut maintenant signaler les tweets avec un contenu douteux. On peut aussi parler des titres dans les journaux, qui sont formulés avec des points d'interrogation, par exemple, pour qu’on clique dessus. Par exemple, j’invente: les fraises aident-elles contre le coronavirus? Et si vous lisez l'article, la réponse est bien là, non, les fraises ne servent à rien. Mais le titre a déjà établi une connexion dans de nombreux esprits, aussi parce que tout le monde ne lit pas l'article. Pensez-vous vraiment que l’on peut lutter contre ça? 

Christian Drosten: Il s'agit d'un autre type de suggestion qui est utilisé par la presse mainstream. Je ne pense pas qu’on puisse faire quoi que ce soit. J'en ai parlé à plusieurs reprises aux journalistes au cours des dernières semaines. Et ils me disent: Eh bien, c’est un outil pour obtenir des clics sur nos sites Web, et il faut bien que les gens s'abonnent à nos journaux. C'est un phénomène de masse, je pense également que c'est dangereux. C’est en partie pour ça que nous avons une opinion publique divisée en Allemagne. Mais la question est: qui abreuve le journalisme avec ça, pour qu’il en fasse ensuite ces titres abrégés? 

Comment rouvrir les restaurants? La question des aérosols

Korinna Hennig: Penchons-nous sur la vie quotidienne [...] En Basse-Saxe, mais aussi dans d'autres Länder, les restaurants sont autorisés à rouvrir. Il fait plus frais cette semaine, les gens sont assis à l'intérieur en se tenant à distance. Mais des personnes infectées asymptomatiques peuvent également se trouver là, rester assises pendant une heure ou plus, sans tousser, mais en parlant et en respirant. Le politicien Karl Lauterbach a fait sensation dans un talk-show en disant: pensez aux aérosols, pas seulement aux gouttelettes. Quelle est l'importance de l'infection par les gouttelettes et les aérosols dans une telle situation? 

Christian Drosten: Au début, lorsque ce virus est apparu, nous avons pensé qu'il ne se transmettait de façon significative que par gouttelettes, c’est-à-dire par une petite gouttelette qui est libérée lorsque vous toussez ou parlez. Ils ont une taille de plus de cinq micromètres - un micromètre est un millième de millimètre. Ils tombent au sol à environ un mètre, un mètre et demi autour de vous. Puisqu'ils tombent au sol assez rapidement, ils ne peuvent être réceptionnés que par quelqu'un qui est proche de vous. D'où toutes ces consignes de distanciation sociale, des tables éloignées les unes des autres. C'est différent avec l'aérosol. Les particules d'aérosol sont également des gouttelettes, mais elles sont plus petites que cinq micromètres. Et plus elles deviennent petites, plus elles sont légères. Cela signifie que ces particules ne tombent pas si facilement, mais restent dans l'air et parfois longtemps. Ces particules, sont enveloppées d'eau qui s'évapore relativement rapidement, ce qui les rend encore plus petites. Certaines mesurent moins d'un micromètre. Des virus infectieux peuvent également être présents dans ces fines particules d'aérosol. Et l'infectiosité peut durer plusieurs heures. M. Lauterbach a donc tout à fait raison. J'ai lu sur les réseaux sociaux comment il a été critiqué. Les commentateurs ont écrit qu'il ne devait pas aller à des talk-shows, qu'il devait faire attention à son comportement. Mais ce qu’il a dit est absolument correct. M. Lauterbach est un expert médical du SPD. Et il lit vraiment. Ce qu'il dit sur les réseaux sociaux correspond à la réalité. Il est épidémiologiste de formation. Donc, peu importe si on pense qu'il va trop souvent à la télévision. Ce qu'il a dit, c'est qu'il trouve les réouvertures des restaurants problématiques. […]

On a des données sur la transmission d'aérosols dans un restaurant en Chine, publiées dans une étude. Il existe également des résultats sur de nombreuses autres maladies infectieuses - si on sait maintenant qu'il y a un composant aérosol, vous devez également en tenir compte. Et nous le savons maintenant. Nous en avons déjà discuté dans le podcast. Il y a aussi une déclaration de l'American National Academy of Sciences qui dit la même chose. Cette infection a une composante importante de transmission par aérosols. Il y a une étude du groupe de Christophe Fraser, qui modélise également cela, disant que la transmission des aérosols est probablement importante. Selon mon évaluation, non seulement d’après cette étude, mais également sur la base de ce que je vois, mon intuition est la suivante: près de la moitié de la transmission se fait par aérosol, presque l'autre moitié par des gouttelettes et peut-être 10 % se fait par contact (par les mains). Et quand on sait ça, on peut faire des recommandations. 


J'estime qu'il est totalement exagéré d’insister constamment sur le lavage des mains et la désinfection des surfaces. Ce n’est pas une condition pour la réouverture. Que des gens s'assoient les uns près des autres dans une pièce, je pense que c'est dangereux. [Il ne faut pas non plus] dire que tous les restaurants doivent rester fermés, mais on peut dire que comme c'est l'été, on peut utiliser les zones extérieures, qui sont relativement sûres. J'irais jusqu'à dire qu'une distance de deux mètres à l'extérieur n'est probablement pas nécessaire, car le virus, qui se propage par aérosol, se disperse lorsque vous êtes à l'extérieur. J'irais jusqu'à dire que l'on n'a pas à prêter autant d'attention à cette distance sur les terrasses. Et pour l'intérieur, on pourrait dire: fenêtres ouvertes, et avec de la distance, [donc limiter le nombre de couverts]. […] pourquoi ne pas autoriser les restaurants à utiliser les trottoirs? […] 

Korinna Hennig: Si on utilise un ventilateur, cela ne peut-il pas déplacer l'aérosol d'une table à l'autre? 

Christian Drosten: Oui, bien sûr. Mais un renouvellement d'air s'accompagne toujours d'un effet de dilution. J'avais déjà dit ça pour les écoles: ouvrez la fenêtre et placez un grand ventilateur qui souffle l'air vers l'extérieur. De nombreux pubs ont également des ventilateurs au plafond, qu’on pourrait faire marcher lentement, il ne s’agit pas non plus de faire voler votre chapeau. Il ne s’agit pas d’attendre une réglementation sur tout de la part des autorités, ou du service de santé, ou du RKI. À un moment donné, il faut réfléchir un peu, faire appel au bon sens. Mais pour ça, il faut de bonnes hypothèses de travail. Un expert doit alors dire: la transmission se fait par aérosol et par gouttelettes. Oublier de se laver les mains est moins susceptible de transmettre le virus. Ensuite, vous devez suivre ces experts et non pas les attaquer. 

Un R à 1 est inquiétant s'il y a beaucoup d'infections

Korinna Hennig: [Avons-nous en Allemagne beaucoup de nouveaux cas ? Devons-nous être inquiets à cause de l’augmentation du R0?] 

Christian Drosten: Nous sommes dans une situation en Allemagne où nous avons encore relativement peu de nouveaux cas. L'Institut Robert Koch dit: Le R0 a augmenté. Mais en raison de la faible incidence sous-jacente que nous avons en Allemagne, il existe une forte incertitude statistique. Vous devez également savoir que si nous avons peu d'activité infectieuse dans la population, un R0 légèrement au-dessus de 1 a peu de conséquences, alors qu'avec une activité infectieuse élevée, une valeur à 1 est intolérable car ce nombre élevé d'infections reste alors le même. Dans ce cas, les malades s'accumuleront à nouveau dans les unités de soins intensifs. [Je ne comprends pas ces polémiques autour de la fiabilité des chiffres du RKI], nous avons des problèmes de riches en Allemagne. 

Korinna Hennig: la Columbia University a présenté une modélisation des mesures de déconfinement au niveau régional, et ce dans un avenir proche.

Christian Drosten: Un mois, en effet. Aux États-Unis, 25 États ont assoupli les restrictions de sortie fin avril et début mai et on peut se poser la question des conséquences pour le mois qui vient. Vous devez faire certaines hypothèses, comme une fréquence de contact 10 % plus élevée dans la population générale, ou une plus grande fréquentation des magasins. Il existe d'autres données qui sont constantes. Ici, par exemple, le taux de mortalité par infection - différencié selon les groupes d'âge. Et il y a deux hypothèses qui sont calculées. Dans le scénario favorable, on prévoit que d'ici le 1er juin, ce qui est très bientôt, plus de 43000 nouveaux cas et plus de 1800 décès seront signalés aux États-Unis chaque jour. Dans le scénario moins favorable, on a plus de 63000 cas et près de 2500 décès par jour. L'un des principaux messages de cette étude est que nous ne pouvons pas remarquer la lente progression du virus dans une population comme aux États-Unis - parce que son signalement est presque aussi lent […] 


La situation est la même en Allemagne: si nous sommes infectés aujourd'hui, nous serons malades la semaine prochaine. La période d'incubation moyenne est de six jours et jusqu'à ce qu'on soit testé avec communication du résultat, une autre semaine s'écoule en moyenne. Cela signifie 14 jours entre l'infection et la déclaration. Et du début de la maladie jusqu’à l'admission en unité de soins intensifs dans les cas graves, il y a 10 à 14 jours. Cela prend trois semaines entre l'infection et l'admission en soins intensifs. C'est la période de projection de cette étude.[…] Dans les deux scénarios, il s'agit d'une évaluation réaliste, où l'on varie simplement d'un paramètre, la fréquence des contacts. 

Korinna Hennig: Cela signifie que l'hypothèse la plus pessimiste est toujours réaliste, dont nous pouvons tirer des conclusions pour l'Allemagne? 

Christian Drosten: Heureusement, nous sommes dans une situation de départ différente en Allemagne. Les unités de soins intensifs ne seront pas surchargées dans un mois. […] Aux États-Unis, ils n'ont pas ce bas niveau d’infections et rouvrent déjà maintenant. 

Virus déjà présent en décembre en France?

Korinna Hennig: L'aspect de la perception retardée est également un aspect qui joue sur la question de savoir si le virus est peut-être présent depuis plus longtemps que nous ne le pensions. Récemment, des déclarations ont fait état de l'apparition du coronavirus à la fin de l'année dernière en France, après un examen rétrospectif d’échantillons congelés. À votre avis, est-ce plausible? 

Christian Drosten: J'ai vu cette étude, elle vient d'être publiée directement sous la forme d'un article accepté dans une revue spécialisée. J'ai des doutes quant à cette conclusion. Il s'agit d'un patient qui a un peu plus de 40 ans qui avait une maladie fin décembre, une maladie pulmonaire aiguë relativement sévère, et est venu à l'hôpital le 27 décembre, juste après Noël. Aucun diagnostic n'a été posé à ce moment-là et après deux ou trois jours, son état s'est amélioré et le patient a été libéré. Un échantillon de ce patient a été conservé, parmi les 50 échantillons de décembre. Environ la moitié d'entre eux ont été retestés avec la PCR et dans l'un de ces échantillons, celui de ce patient, un signal a été trouvé avec la PCR. Néanmoins, aucun autre test n'a été effectué. Un test PCR doit être considéré comme douteux tant qu'il n'est pas confirmé par d'autres tests PCR qui détectent le virus dans d'autres régions cibles du génome. Surtout dans une découverte aussi importante […] qui réécrit les événements infectieux de cette maladie [...] Si on souhaite publier une conclusion aussi importante, on doit être certain. En plus d'une deuxième ou d’un troisième test PCR de confirmation, il faudrait également un séquençage du virus, c'est-à-dire la détermination de la séquence entière du génome du virus. Vous pouvez le faire lorsque les PCR sont positifs. Techniquement, c'est très facile à faire.
Vous y verriez quelque chose de très spécial, vous auriez alors devant vous un virus qui devrait correspondre à un virus précoce. Parce que ces virus, qui changent avec le temps, sont soumis à une activité de mutation parallèle au fil du temps. Si nous séquençons un virus aujourd'hui, nous pouvons dire de quel mois il est susceptible de dater. Si quelqu'un nous demandait s'il s'agit d'un virus de décembre, je dirais que je peux le dire avec certitude à partir de la séquence.[...]


Ensuite, il faudrait faire autre chose avec un patient qui aurait contracté l'infection en décembre et qui n'est pas décédé, vous devez le tester sérologiquement et prouver qu’il a des anticorps. Il aurait été facile d'appeler ce patient et de lui dire: nous vous demandons de venir faire un test sérologique. Le fils du patient a également eu une infection de type grippal au cours de la période, [on aurait pu le tester aussi]. Mais rien de tout cela n'a été fait […] Je me pose la question: pourquoi quelque chose comme ça est publié? Il y a autre chose qui me rend également sceptique : ils ont utilisé nos tests pour cela. Et on voit que le patient a un signal, un signal faible, et le contrôle positif utilisé dans ce test est incroyablement élevé. Aucun laboratoire de diagnostic normal n'utiliserait une concentration aussi élevée dans une PCR [car] il y a un risque très élevé qu'il saute dans un autre tube à essai. Nous parlons de contamination croisée. […] C'est pourquoi [on utilise] seulement quelques molécules par réaction, afin que ce risque de contamination croisée ne se produise pas. On peut voir ici que les auteurs ne savent apparemment pas manier un contrôle positif. Je dois vraiment dire que je ne comprends pas comment cela a pu être publié, comment des experts ont pu laisser passer ça, car cela a évidemment été évalué. Et je comprends encore moins comment on a pu faire de telles déclarations dans la presse avec ça et perturber ainsi la communauté scientifique. 


Virus né en laboratoire?

Korinna Hennig: Parlons de l'origine du virus. Il y a une théorie très répandue selon laquelle le virus pourrait provenir d'un laboratoire chinois. Des virologues ont dit que c’était un non-sens total. Le séquençage, c'est-à-dire l'enquête sur le génome, donne-t-il vraiment des indices? Est-ce qu’on peut le voir en laboratoire?

Christian Drosten: Il existe des virus étroitement apparentés chez les animaux et vous pouvez globalement échantillonner ces animaux et espérer trouver un proche parent de ce virus. Il y a eu quelques petites études en Chine qui ont été faites. Curieusement, le pangolin est porteur de ces virus. Les séquences qui ont été publiées à partir du pangolin ne me convainquent pas du tout, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il n'y a pas d'origine animale. C'est juste que nous n’avons presque rien testé. En ce moment, on ne sait pas grand-chose de ce virus. C'est comme si on voulait démontrer que le dauphin est lié à la vache. Ils sont liés. Mais nous n’avons jamais examiné de vache, nous n'avons examiné que des chevaux et des chameaux et parfois une souris et des humains. On peut dire que le cheval est génétiquement plus proche du dauphin que l'être humain ou la souris dans de nombreuses parties du génome. Mais le dauphin n'a pas quatre pattes non plus. Vous voyez ce que je veux dire: on est complètement dans le flou [...] en biologie évolutive, vous ne pouvez presque jamais rien prouver. [...] Je ne peux pas encore croire ces conclusions concernant les pangolins parce que nous savons par des bases que tous ces virus de type SRAS sont liés aux chauves-souris, à certains genres ou sous-familles de chauves-souris, les Rhinolophidaen. Et maintenant, une nouvelle découverte intéressante a émergé qui n'est pas si nouvelle pour nous à l'institut, à savoir un site de clivage de la protéase spécifique, qui vient comme une caractéristique supplémentaire à propos de la spéculation sur l'origine. Nous entrons dans cette zone de conspiration, l'origine du laboratoire. Il y a aussi des théories à ce sujet. C'est une propriété supplémentaire de ce virus, qui est toujours mise en avant […] Les scientifiques chinois ont trouvé quelque chose que nous avons déjà vu dans les virus des chauves-souris rhinolophus européens, à savoir une telle fente. Elle est légèrement différente de celle du virus SARS-2 humain, mais très similaire. Cela peut donc se produire de façon naturelle.[…] 


Korinna Hennig: Dans le cadre de cette question sur l'origine du virus, il y a également les déclarations de Luc Montagnier, qui a été impliqué dans la recherche sur le VIH et a reçu le prix Nobel en 2008. Il a dit lors d'une discussion télévisée il y a quelque temps qu'il y avait des séquences de VIH dans le génome du coronavirus, que cela ne peut être fait qu’artificiellement. Cela se voit-il? Et si oui, cette similitude est-elle normale? 

Christian Drosten: Il est difficile pour un virologue de dire qu'un lauréat du prix Nobel de virologie dit n’importe quoi. Mais c'est complètement absurde. 

Korinna Hennig: Parce que vous avez de telles similitudes de toute façon ou parce que vous ne la voyez pas? 

Christian Drosten: Oui, ces similitudes se produisent, mais il y a un consensus parmi les scientifiques pour dire que ce n'est pas le cas ici, à partir d'une prépublication sur ce sujet, qui a ensuite été retirée. Ce sujet est tout simplement clos, même si un lauréat du prix Nobel à la retraite en parle dans un talk-show. 

Quelles mutations?

Korinna Hennig: Je voudrais terminer avec le sujet des mutations car il y a aussi une nouvelle étude de chercheurs américains et britanniques qui peut être intéressante: le virus change-t-il réellement ses propriétés à un moment donné? Cela change-t-il quelque chose aux voies de transmission, au potentiel pathogène et pour la défense immunitaire? 

Christian Drosten: Il y a une étude publiée par un laboratoire d'analyse de séquence très respectable à Los Alamos, USA. Il existe une quantité incroyable d'expertises scientifiques qui traitent de l'évaluation de séquences de toute origine. [… protéine… épitope...] Là encore, je dois dire pour ceux qui sont des experts que je suis en train de beaucoup simplifier […] Cette mutation n'est pas apparue de nulle part et elle n'est pas apparue plusieurs fois à partir de rien. Ce serait quelque chose que les biologistes évolutionnistes appellent une soi-disant convergence. Donc, si la même mutation se produit plusieurs fois dans des origines génétiques différentes à plusieurs endroits du monde - alors on dirait qu'elle est hautement suspecte d'un changement phénotypique qui l'accompagne et d'une sélection forte. Cependant, cela n'est pas montré de manière convaincante ici. En réalité, nous voyons ici que cette mutation est une mutation typique pour une section entière de l'arbre généalogique phylogénétique. Et cette section de l'arbre généalogique phylogénétique s'est développée au cours de l'épidémie. Et que cela se soit produit par accident ou à cause d'un avantage de sélection, nous ne pouvons pas le dire aujourd'hui. Mais il est fort probable que cela se soit produit uniquement par hasard.

Vous pouvez l'imaginer comme un arbre dans un jardin que vous avez taillé il y a de nombreuses années quand il était très petit. Et maintenant, il a deux grandes branches principales qui sortent du tronc, l'une est rabougrie et l'autre est énorme et envahit presque tout l'arbre. Mais cette branche rabougrie n'est pas si rabougrie. Ces virus, qui se trouvent sur la branche rabougrie, ont été trouvés au tout début à Wuhan et étaient plus susceptibles de persister en Chine, et certains d'entre eux ont été exportés aux États-Unis sur la côte ouest. Ensuite, les Chinois ont confiné et ont tué le virus circulant à Wuhan, et les Américains en avaient très peu. Ce qui est devenu la grande branche est ce qui a été transporté à Shanghai avant le confinement. De là, il est allé en Europe. Shanghai est une plaque tournante, c'est une grande ville qui est orientée vers les affaires avec beaucoup de liens avec l'Occident. Les grands foyers européens, surtout l'Italie, puis la France et l'Espagne, sont nés de cette lignée. De toute évidence, le virus a été transporté d'Europe vers la côte est des États-Unis et a provoqué la grande épidémie de New York et de nombreuses sous-épidémies sur la côte est américaine. Comme je le dis maintenant, on peut imaginer que c'est peut-être une coïncidence si cette lignée de Shanghai s'est propagée plus rapidement en Europe [...] Nous ne saurons avec certitude qu'après avoir examiné en laboratoire si cette mutation a une signification fonctionnelle. Une chose peut être dite, les auteurs ont tenté d'analyser si la présence de cette mutation chez le patient est associée à une évolution plus sévère, et ce n'est pas le cas.[...] Il serait important de savoir si le principal virus européen a une activité pathogène plus élevée que le principal virus américain. La grande épidémie de New York, par exemple, a été principalement causée par un virus européen. Mais la grande question est: ce virus est-il plus dangereux que l'autre, l'autre sous-type? Pour le moment, nous ne pouvons tout simplement pas le dire. [...]
 

Korinna Hennig: Mais cela pourrait-il avoir des conséquences pour la défense immunitaire ou un vaccin ? 

Christian Drosten: La mutation qui s'est produite ici n'est pas dans un domaine qui se lie généralement aux anticorps neutralisants. 

Korinna Hennig: Ce sont les plus importants. 

Christian Drosten: Sur la base de cette évaluation, je ne pense pas que cela aurait une quelconque conséquence sur l'efficacité d'un vaccin à venir.

dimanche 10 mai 2020

Les tests. Podcast #29 et #39 des 7 avril et 7 mai 2020

Tester les personnes à risque


Christian Drosten: [Nous ne pouvons pas tester autant que nous le voudrions] Un collègue m'a écrit qu’on vit au jour le jour dans les laboratoires. [Il faut donc] tester là où c'est vraiment nécessaire dans les prochaines semaines. Les trois mesures les plus importantes du moment sont: la restriction des contacts, le port de masques dans l’espace public et l’amélioration de la qualité et de la quantité des tests afin de pouvoir isoler les cas. Nous devons maintenant tester là où c'est vraiment nécessaire.

Korinna Hennig: Dans les hôpitaux?

Christian Drosten: Exactement. Donc le patient et ceux qui y travaillent [...] Imaginons deux personnes en quarantaine chez elles, un étudiant, peut-être dans la vingtaine, et une personne dans la soixantaine. Bien sûr, cette dernière a un risque plus élevé de complications. Et cela nécessite un diagnostic confirmé. Donc, quelqu'un qui a peut-être 60 ans ou quelqu'un qui est plus jeune mais qui est en surpoids et qui a déjà une maladie cardiaque connue serait également à risque. Il faudrait un diagnostic par PCR dans la première semaine [afin que] le médecin de famille puisse appeler tous les deux jours et lui demander: "Comment ça se passe avec le souffle ?"

Korinna Hennig: Parce qu'après une semaine, il arrive souvent que la maladie s'aggrave soudainement.

Christian Drosten: Et qu’on ne veut pas envoyer les patients à l'hôpital trop tard. Ceci est très important […] Dans certaines villes, il y a des « taxi-Corona », un service du service de santé qui se déplace pour prendre un prélèvement et l’apporter au laboratoire. Et qui surveille ensuite le malade s’il est positif, en l’appelant tous les deux jours afin que l’admission à l’hôpital ne soit pas trop tardive. Un tel système de contrôle est extrêmement laborieux et ne peut pas être augmenté de façon exponentielle, alors que la maladie peut augmenter de façon exponentielle.
[...]

#39

Christian Drosten: Actuellement, les politiciens veulent davantage tester les asymptomatiques. Par exemple, dans les maisons de retraite où le risque est élevé. Je ne pense pas que nous ayons vraiment un problème de capacité en Allemagne. Nous avons un problème de logistique : obtenir le test là où il est nécessaire [et nous avons aussi un] manque de personnel.

Korinna Hennig: Est-il judicieux, par exemple, de tester les maternelles et les écoles ; pas les enfants, mais peut-être le personnel, les enseignants, les éducateurs?

Christian Drosten: Vous abordez maintenant le sujet le plus difficile. Les enfants les plus jeunes ne présentent pratiquement aucun symptôme et ce n'est pas un groupe que nous devons protéger contre l'infection. Il s'agit davantage de protéger les contacts familiaux et les personnes qui travaillent dans les crèches et les maternelles. Parce que ce sont des adultes et que certains sont également âgés, ils appartiennent donc à des groupes à risque et d’autres ont des parents qui appartiennent à des groupes à risque.
[...] Il ne s'agit pas d'ouvrir soudainement les crèches et les maternelles, mais peut-être 25% de leurs capacités. [On pourrait faire une sélection du personnel qui serait en contact avec les enfants].


Les tests à diagnostic rapide

Korinna Hennig: Cela s'applique probablement aussi aux enseignants. Nous avons parlé de la possibilité de tester l'antigène dans un épisode précédent. Donc, pour le profane: ce n'est pas un test d'anticorps, mais un test pour le virus directement qui fonctionne sur le principe du test de grossesse, c'est-à-dire avec une bandelette. Pourrait-on utiliser ces tests à grande échelle?


Christian Drosten: Il y a une première étude par un groupe de travail qui a développé un tel test. [Ces tests] sont fabriqués avec un faible niveau de technologie, notamment en Asie, à grande échelle. [Il existe déjà des tests] basés sur la détection d'acide nucléique et qui sont coûteux et qui sont donc réservés aux hôpitaux. Ce dont nous discutons maintenant est une première étude d'un test de faible technologie, qui fonctionne en prélevant un échantillon de votre gorge, puis en mettant cet écouvillon dans un liquide que vous secouez puis vous trempez une bandelette de test dans ce liquide. Et cette bandelette de test est comme un test de grossesse. Avec deux rayures, le test est positif.[…]

Près de 330 échantillons des voies respiratoires de toutes sortes ont été utilisés pour cette étude […] [On a séparé les patients entre infectieux et moins infectieux. Chez les patients infectieux, on a pu détecter du virus dans 75 % des cas] Si cela ne s'améliore pas de manière significative à l'avenir, ce sera un test [qu’on peut utiliser dans] un cabinet médical ou pour le travail de nuit à l'hôpital, où il faut rapidement prendre une décision. Le patient est-il dangereux? Quelqu'un vient aux urgences obstétriques [et] il faut veiller à protéger les autres patients […] Ces tests sont pour cette situation. Ils seront produits en masse en Asie dans quelques semaines, peut-être un mois ou deux. Je suis presque sûr que ça va arriver sur le marché.

Korinna Hennig: Pourrai-je aller moi-même à la pharmacie et faire le test à la maison?

Christian Drosten: Je ne pense pas que nous atteindrons la sensibilité d’un test de grossesse qui montre si vous êtes enceinte trois jours avant l'absence des règles. En aucun cas. Ce n'est pas une situation dans laquelle on peut dire que la PCR peut être supprimée [...]

Korinna Hennig: Mais cela signifie que dans les établissements que vous avez mentionnés, y compris dans les hôpitaux ou les établissements de soins, cela peut servir à protéger le personnel.

Christian Drosten: Je le pense. Il faut être prudent – on peut également tirer des conclusions erronées sur la base d'un tel test. Avec la sensibilité actuelle du test, il s'agit davantage d'un pré-diagnostic de l'infectiosité d'un patient. Je dis aussi consciemment un pré-diagnostic de l'infectiosité. C’est une première évaluation, mais une première évaluation importante. [...]


Les tests salivaires

Korinna Hennig: Nous avons parlé des prélèvements rhinopharyngés. Nous avons entendu, et certains d'entre vous ont peut-être déjà fait un test comme celui-ci, il faut y aller profondément, ce n'est pas agréable. Qu'en est-il des tests salivaires?

Christian Drosten: Oui, il y a aussi quelques nouvelles versions de tests. Mais ils sont tous basés sur des tests PCR. C’est clair. La PCR restera toujours la norme pour l'instant.

Korinna Hennig: Donc vous devez toujours aller au laboratoire?

Christian Drosten: Oui, on a besoin du laboratoire. Mais la question est: faut-il toujours faire un prélèvement aussi fastidieux? Il y a peut-être des auditeurs qui ont eu un prélèvement du nasopharynx, c'est-à-dire par le nez, qui savent que c'est douloureux. Vous avez les larmes aux yeux lorsque vous passez par le nez. Il y a aussi beaucoup de professionnels de santé qui savent à quelle fréquence un tel frottis est mal fait. Il y a autre chose. Ces écouvillons sont un consommable qui non seulement coûte de l'argent mais qui peuvent également être en rupture de stock. [Dans ce contexte, on peut se demander ce qu’il en est avec] des échantillons de salive. Les échantillons de salive ne sont pas courants dans le diagnostic des maladies respiratoires. Mais quelle est la situation avec ce virus particulier? Et cela a l'air incroyablement bon. Il existe trois études [où] les résultats sont globalement les mêmes. Dans un cas - un groupe aux États-Unis - 44 patients ont été testés et 38 de ces patients avaient des résultats positifs aux deux tests (salive, nasopharynx). [En fait, c’était le prélèvement du nasopharynx qui avait le plus souvent un faux négatif] Dans 21% des cas, soit environ un cinquième des patients, la PCR du frottis n'a rien révélé, contre seulement 8% des échantillons de salive.

Korinna Hennig: Parce que le frottis était mal fait ou parce que le virus n'était tout simplement pas présent?

Christian Drosten: C'est exactement la question que vous devez vous poser. De quoi s'agissait-il maintenant? Il est impossible de répondre à cette question, c'est une combinaison de raisons. Donc, parfois, il n'est pas si facile d'obtenir un frottis correct. Cela conduit également à des échecs. Alors qu'un échantillon de salive est simplement un liquide, vous pouvez le retirer.Il y a une autre étude de Thaïlande, avec une approche différente. On a 200 patients dont 21 qui sont réellement positifs. [On a combiné les deux tests et on a trouvé] 19 échantillons du nasopharynx positifs, on en a donc donc manqué deux. Et avec les échantillons de salive des mêmes patients, 18 étaient positifs et on en a manqué trois. Il semble donc que l'échantillon de salive soit légèrement moins sensible […] je suis positivement surpris de la robustesse et de la sensibilité du test salivaire.

Ensuite, il y a une autre étude de Toronto qui arrive à une conclusion similaire. Un groupe relativement important de patients a été testé, et on a trouvé 11 positifs qui en étaient à leur première semaine de maladie (positifs pour les deux tests, gorge et la salive). On a trouvé deux cas positifs de plus avec le prélèvement rhinopharyngé qui ne l’étaient pas avec le test salivaire, et un cas a été trouvé avec le test salivaire qui n'était pas positif avec le frottis. Là encore: pratiquement la même sensibilité, il y a peut-être un peu moins de sensibilité avec l'échantillon de salive. Et c'est également le cas au cours de la deuxième semaine de l'infection. Du huitième au quatorzième jour après le début des symptômes, 13 doubles positifs, cinq qui ne sont positifs qu’avec le frottis, quatre qui ne sont également positifs qu’avec la salive. Et cela commence seulement à diverger à partir de la troisième semaine de symptômes, où le frottis est un peu plus sensible. Je dois dire que cela est vraiment remarquable et, dans les situations où vous ne pouvez pas obtenir d'écouvillon, vous pouvez probablement supposer qu'un test sur un échantillon de salive fonctionne assez bien.
[…]

Quand utiliser les tests sérologiques?

Korinna Hennig: Il existe aussi des tests qui détectent une éventuelle immunité. [...]

Christian Drosten: Au cours de la première semaine, vous devez vous fier entièrement à la PCR. Et ce n'est qu'au cours de la deuxième semaine que les premiers patients commencent à avoir des anticorps détectables. À la fin de la deuxième semaine, de nombreux patients ont déjà des anticorps, et quasiment tous à la fin de la troisième semaine. […] Il y a des faux positifs dans les tests sérologiques pour plusieurs raisons. Pour des raisons techniques, mais il y a aussi un autre problème, [c’est que nous avons tout au long de l'année des anticorps contre d’autres coronavirus], ce qui se produit plus souvent lorsque le patient attrape beaucoup de rhumes, et ces anticorps disparaissent après environ six semaines, 5 à 7 semaines, pour être précis.[...]

Korinna Hennig: On a beaucoup parlé en début de semaine du nouveau test sérologique de la société suisse Roche.

Christian Drosten: Nous avons également d'autres fabricants en Allemagne qui ont également de très, très bons tests. L'un était sur le marché très tôt. Et il y a au moins deux autres fournisseurs qui arrivent maintenant sur le marché, également en même temps que la société Roche. Il est relativement difficile de parler de chiffres ici. Nous avons comparé différents tests dans notre laboratoire, mais ce travail ne fait que commencer et les données de validation que ces entreprises fournissent sont encore en petit nombre. [...] D'un autre côté, il est vrai que ces entreprises qui développent ces tests ont une expertise très élevées qu’on ne peut pas imaginer qu’elles se trompent complètement en développant des tests. [...]

Korinna Hennig: Pour résumer, vous diriez toujours que la PCR dans ses différentes variantes et le test sérologique sont utiles pour une utilisation ciblée, mais que pour un dépistage massif, ils entraîneraient trop de faux négatifs et de faux positifs?

Christian Drosten: Ce que vous abordez, c'est le problème de la valeur prédictive. Chaque test a de faux résultats positifs. Et plus la maladie est courante dans la population, moins il y a de faux positifs, meilleure est la valeur prédictive positive. Actuellement, comme nous avons eu très peu d'activité infectieuse en Allemagne, si un test donne un résultat positif, alors la probabilité que ce résultat soit un faux positif est beaucoup plus grande que si nous testons dans une région à forte prévalence, où la probabilité de base qu'une personne soit infectée est très élevée. Cela signifie qu’un dépistage de masse, pour connaître le taux d'anticorps dans la population serait à revérifier. Vous ne devez pas interpréter les résultats positifs comme tels, mais comme un signal. Afin d'établir un diagnostic, il faut également faire un test de confirmation avec un autre test, qui doit arriver à la même conclusion avec un antigène différent ou idéalement même avec une procédure de base différente.

Je pense avoir déjà expliqué ici qu'un test de neutralisation est ce que je demanderais dans une étude scientifique à appliquer aux échantillons ELISA pré-testés positifs. Si vous testez 1000 personnes et trouvez peut-être 15 positifs, il faut tester ces cas avec le test de neutralisation, ce qui est beaucoup plus complexe. [...] Ce sera différent plus tard, lorsque nous aurons davantage d'infections, la valeur prédictive du test sera devenue bien meilleure et l'incertitude résiduelle d'avoir un faux positif sera devenue beaucoup plus faible.

10 juin: ajout d'une partie de l'interview que je n'avais pas traduite:
Test PCR positif, mais sérologie négative

Korinna Hennig: Une auditrice nous a envoyé un mail, elle était malade, apparemment infectée par le coronavirus, avec des symptômes typiques et un test PCR positif. Et puis après quelques semaines, elle a fait un test sérologique négatif. Maintenant, elle est choquée et se pose des questions sur son immunité.

Christian Drosten: Oui, cela arrive de temps en temps. Il faut se demander si le test PCR était fiable? Nous avons souvent des patients qui déclarent avoir été testés une fois par PCR et ce test n'a jamais été confirmé. Ces patients étaient asymptomatiques, donc la question est de savoir si lors du prélèvement, ou entre le bureau du médecin et le laboratoire, quelque chose ne se serait pas mal passé. Il y a des faux positifs dans la PCR, mais c'est une rareté absolue. Ce qui est moins rare est d’avoir un patient positif et qu’après guérison il n'ait pas d'anticorps détectables. Il y a deux explications : le temps d'attente est trop long, mais cela est peu probable car les premiers patients ont été diagnostiqués en Allemagne en janvier. Et il y a quelques patients qui perdent les anticorps détectables assez rapidement. Ils sont donc à nouveau négatifs, même s'ils étaient positifs avec le test sérologique. Soit dit en passant, cela ne signifie pas qu'ils ont perdu leur immunité, car l'immunité ne se fait pas exclusivement, et peut-être même pas du tout, via les anticorps. Les anticorps sont davantage un indicateur de l'immunité qui existe en arrière-plan, au niveau cellulaire. Bien sûr, ils ont également une fonction antivirale. Pour les experts, je veux [quand même ajouter que] bien sûr, ils y contribuent. Mais si un test sérologique est négatif, cela ne signifie pas que l'immunité est perdue. Cela existe. Certains patients ont des anticorps qui ne peuvent plus être détectés lors d’un test en laboratoire. Et il y a aussi des patients qui ne produisent jamais d'anticorps détectables, cela est très, très rare. Mais j’en connais. Cela s’est vu lors du virus du SRAS, et aussi avec le MERS. Ces patients ont alors des anticorps contre une autre partie du virus, contre d'autres antigènes du virus. Il existe des moyens de détecter ces anticorps, à l'aide d'un autre test. Le médecin peut alors appeler le laboratoire et demander que le sérum résiduel, qui doit être conservé pendant un certain temps pour des raisons légales, soit envoyé à un autre laboratoire pour un autre test, si on a une suspicion d'un faux négatif.

vendredi 8 mai 2020

Les enfants. Podcast #36 #37 #38 des 28, 30 avril et 5 mai 2020

#36 Etude de Wuhan

Korinna Hennig: La question des enfants est un sujet qui intéresse de nombreux politiciens, et surtout les familles. En savons-nous plus sur le rôle des enfants dans l'infection et la transmission ? Pourrons-nous rouvrir les crèches?

Christian Drosten: Oui, il y a eu une importante discussion politique à ce sujet cette semaine et c'est une bonne chose. Il est actuellement très difficile de débattre avec des données scientifiques. Je vais résumer à nouveau la situation.
Nous avons peu d'études de Chine, où l'épidémie a commencé. Mais depuis le début nous savons que les enfants ont rarement des symptômes. Cela ne signifie pas que nous n'avons pas d'enfants infectés. Il y a certainement un nombre important d'enfants non signalés à Wuhan. Il existe une très bonne étude sur les ménages comprenant une personne infectée. Le principal résultat est que seulement 15% des membres du foyer se contaminent, mais c’est une situation où on a dit aux gens d’être prudents, de rester à l’écart des uns des autres. Il a également été constaté, en moyenne dans de nombreux ménages, que le taux d'infection des enfants est exactement le même que celui des autres groupes d'âge. C'est un paramètre important. Mais ce que nous ignorons, c’est à quel point un enfant est infectieux? Il est relativement difficile de déterminer cela dans la situation actuelle sur la base d'études épidémiologiques. Car actuellement nous sommes dans une situation de distanciation sociale, avec des écoles fermées, où les infections se produisent principalement dans la famille. La question est donc: qui amène l'infection dans la famille? La réponse est que c'est probablement le groupe d'âge de la population qui quitte la maison. Au début de l'épidémie en Allemagne et dans de nombreux autres pays, ce sont les adultes relativement jeunes (30 à 45 ans) qui ont été contaminés.

Korinna Hennig: Ceux qui voyagent beaucoup.

Christian Drosten: Exactement, les adultes professionnellement actifs. Dans le cas particulier de l'Allemagne, c’étaient les skieurs. Les enfants ont toujours été au bout de la chaîne de transmission.

[Ce qui fait actuellement l'objet de discussions est de savoir si l'activité infectieuse chez les enfants est la même que chez les adultes.] Une autre observation qui est discutée est qu'il faut absolument examiner les paires de transmission. On peut voir que relativement peu d'enfants sont parmi ceux qui présentent une infection. Et il existe une étude - essentiellement une compilation de données - qui a été réalisée par l'Institut national de la santé publique des Pays-Bas. Il existe une compilation qui décompose les personnes de contact dans les ménages (paires de transmission). Nous savons que le taux est à 15%. Mais comment est-ce réparti entre les classes d'âge? Il y a un graphique intéressant. Cela montre qu'il y a plus de contacts infectés dans les groupes d'âge adulte et pas chez les enfants, et même aucun chez les enfants. Le problème avec cette analyse est que ce n’est statistiquement pas significatif. Il n'y a tout simplement pas assez d'enfants dans cette étude.

C'est le gros problème que vous avez lorsque vous souhaitez examiner des enfants : il y a toujours trop peu d'enfants. Pourquoi? Imaginez, vous êtes infecté et allez dans un centre d'examen ou chez votre médecin. Allez-vous y emmener votre ou vos enfants? Non, bien sûr que non, parce que d'une part les enfants ne présentent aucun symptôme et d'autre part vous ne les traînez pas là où il y a beaucoup d'autres malades. Il y a une chose qui nous manque à cause de cela. C'est de savoir combien de virus se trouve dans la gorge d'un enfant?

Korinna Hennig: On peut bâtir une hypothèse à partir d'autres infections, et l’on sait que les enfants ont toujours une quantité particulièrement importante de virus dans la gorge.

Christian Drosten: Exactement, par exemple avec la grippe, ou également avec de nombreux autres rhumes. Les enfants sont immunologiquement naïfs, le virus peut se multiplier sans fin. C'est pourquoi, lorsque nous mesurons la concentration de virus dans la gorge d'un enfant par rapport à la concentration de virus dans la gorge d'un adulte, nous avons parfois une différence de 10 000. Ainsi, un enfant a 10 000 fois plus de virus dans l'écouvillon de la gorge qu'un adulte. Mais avec cette maladie, nous n'avons pas encore mesuré cela.

[…] Maintenant, nous revenons à la question de savoir s’ils libèrent autant de virus qu'un adulte. Car on ne peut pas demander à des tout petits de porter un masque et de garder une distance de 1,5 mètre. Et que dans les crèches et les maternelles, les enfants sont proches les uns des autres, et qu'ils ne présentent aucun symptôme. Par contre, s’ils sont asymptomatiques, ils ne toussent pas autant et ne propagent pas autant le virus. Et comme ils sont petits, ils ont un volume pulmonaire relativement faible et excrètent également moins lorsqu'ils respirent, toussent ou crient.

Korinna Hennig: En revanche, ils se touchent beaucoup plus au visage.

Christian Drosten: Exactement. Et aussi celui de leurs parents. Je sais aussi qu'il est très important que nous puissions rouvrir les crèches parce qu'il y a des parents qui ne peuvent pas travailler. Dans ce cas, si on rouvre les crèches et les maternelles, il faut que les membres de la famille se fassent tester et restent chez eux si des symptômes surviennent. Vous ne devez en aucun cas rendre visite aux personnes âgées. Quant à l'école primaire, c'est autre chose, car on peut dire aux élèves du primaire que la pause ne se fait désormais qu'à l'extérieur, qu’il y a des pauses différées, de sorte que, par exemple, seulement un quart des élèves se trouve dans la cour de récréation etc.

Korinna Hennig: Qu’en est-il des aires de jeu qui se trouvent à l’extérieur ?
Christian Drosten: On a déjà parlé des aérosols, il y a probablement une part de transmission par aérosol. Par exemple, il a été constaté que dans certaines zones surpeuplées, où de nombreuses personnes ont tendance à s'accumuler, qu’il y a des concentrations mesurables d'aérosols dans l'air. [Mais à l’extérieur, l’air ne stagne pas]. C'est pourquoi il faut profiter du beau temps pour sortir. Sur un terrain de jeux en extérieur, il est possible de laisser quelques enfants jouer en faisant attention. Mais on ne peut exclure une transmission par contact, en touchant une surface. Il faut prendre en considération les dommages collatéraux, si les familles qui sont dans un petit appartement en ville ne peuvent même pas emmener leurs enfants sur une aire de jeux.

[Pour moi, il y a deux choses que l’on peut faire :] des classes de 20 élèves, se tenant à distance, avec un masque couvrant la bouche et le nez. L'autre scénario serait: exactement la même classe avec une fenêtre ouverte et un grand ventilateur souffle l'air vers l’extérieur, porte ouverte. Ce dernier aurait ma préférence.

L'immunité

Korinna Hennig: Je voudrais aborder un autre sujet, celui de l’immunité

Christian Drosten: Je continue de partir du principe qu'il existe une immunité qui peut décliner après deux ans ou peut-être un peu plus. Nous constatons chez certains de nos premiers patients que nous suivons que les anticorps diminuent après deux mois. Mais les anticorps ne sont qu'un indicateur d'une infection passée. Ce ne sont pas les anticorps seuls qui créent et gèrent l'immunité. Je ne dirais pas qu'un test ELISA est une preuve d'immunité. Je dirais plutôt que celui qui est positif a eu la maladie. Ensuite, je continuerais de penser qu’avoir eu l'infection offre une protection. Mais après un certain temps, un an et demi, deux ou trois ans, on peut à nouveau être infecté par le même virus. C’est ce qui se passe avec les coronavirus du rhume. Je ne pense donc pas que ce soit différent avec ce virus. En tout cas, une nouvelle infection se déroulera mieux en cas de réinfection et la personne n’excrétera plus autant de virus, sera moins contagieuse.

[Le danger d’un passeport d’immunité est la] stigmatisation sociale [par des employeurs, des assureurs], et jusque dans la sphère privée - que les gens commencent à montrer leur carte d'immunité et à montrer ou à exclure des personnes de la fête d'anniversaire. Nous devons empêcher ces choses, qui détruiront la société. Je pense que c'est pourquoi l'Organisation mondiale de la santé met en garde contre quelque chose comme ça.

#37étude de Berlin

Korinna Hennig: Les Suédois, qui n’ont pas fermé leurs écoles, ont-ils publié des choses sur les chaînes de contamination ?

Christian Drosten: Je pense que des collègues suédois enquêtent actuellement, mais je ne connais aucune donnée issue de la littérature.

Korinna Hennig: Dans votre dernière étude, vous disposez de données provenant de près de 60 000 Berlinois, dont 6% étaient positifs pour le coronavirus, et vous les avez répartis par tranches d'âges. À quel point ces données sont-elles révélatrices concernant les enfants?

Christian Drosten: Tout d'abord, je dois dire: [ce n'est pas la méthode habituelle de récolte de données pour faire une étude, mais] Il n'y a actuellement pas d'école et de garderie ouvertes. Comme nous testons massivement en Allemagne, on peut rétrospectivement reprendre ces données de laboratoire, et les tests étaient principalement basés sur les symptômes. Les enfants sont peu testés car ils ne présentent aucun symptôme. […] [Nous avons néanmoins suffisamment de données pour Berlin pour pouvoir] déjà analyser les enfants. J'ai analysé les données avec un mathématicien qui travaille pour moi à l'institut, Terry Jones, et nous avons publié un manuscrit scientifique complet. [Notre] analyse statistique dit: Nous ne pouvons pas prouver dans des groupes d'enfants que la concentration de virus dans les voies respiratoires est différente de celle des adultes. Si on regarde les données, il semble que c’est un peu moins pour les enfants. Et si on regarde les valeurs moyennes dans les tableaux, on peut y voir une tendance selon laquelle les enfants ont en moyenne un peu moins de charge virale. [...] Nous avons divisé cela en différents groupes d'âge,jusqu'à dix ans, 20 ans, 30 ans et ainsi de suite. [...] On peut dire qu'il n'y a pas de différences détectables dans la charge virale. C'est ce que dit cette publication scientifique.

Korinna Hennig: Pas même entre les tranches d'âge des enfants? les enfants de maternelle comme les enfants plus âgés du primaire, par exemple?

Christian Drosten: Non, il n'y a pas de différences pertinentes. Il faudrait avoir dix fois plus d'enfants, mais nous n'en avons pas. [On a] 37 enfants de zéro à 6 ans. Pour l'école primaire, de 7 à 11 ans, nous avons 16 enfants, c'est un très petit groupe. Pour l'âge scolaire, nous en avons 74, et d’âge universitaire, 267. Ensuite, plus de 1000 adultes jusqu'à 45 ans, et plus de 2000 personnes âgées de plus de 45 ans. Nous avons testé 60 000 personnes et en avons 3712 qui sont positives. […] [Les enfants de cette étude] ont des symptômes. Mais l'étude inclut également des enfants asymptomatiques. C'est également le cas des adultes, il y en a aussi des symptomatiques et asymptomatiques. Mais les symptômes sont généralement majoritaires.

Korinna Hennig: Mais la proportion de personnes asymptomatiques parmi les enfants est susceptible d'être particulièrement élevée par rapport aux adultes, de sorte que ces résultats ne peuvent être transférables que dans une mesure limitée ou pas du tout?

Christian Drosten: Il faut être très prudent et très critique avec nos propres données. [Dans notre hôpital de la Charité, nous avons accès aux dossiers des patients, c’est à dire une partie des cas sur lesquels se base l’étude] nous avons fait une évaluation spéciale pour les enfants quand nous le pouvions. C'est pourquoi nous avons cherché dans un sous-groupe quand nous le pouvions et avions les données.[…] les enfants malades ont moins de concentration de virus que les enfants en bonne santé. Je peux également expliquer pourquoi il en est ainsi. Nous savons que chez tous les patients au cours de la deuxième semaine de maladie, il y a beaucoup moins de virus, voire pas du tout sur les écouvillons de la gorge. Ceux qui ont des symptômes ont donc une concentration du virus qui est déjà en baisse.

Korinna Hennig: Dans le document que vous avez rapidement écrit, vous avez en fait formulé une conclusion relativement claire: Soyez prudent avec les plans pour l'ouverture complète des garderies et des écoles! Autre question : à quelle fréquence les enfants s'infectent-ils? 

Christian Drosten: Je voudrais souligner que la conclusion de l’étude est: "Les enfants peuvent être aussi contagieux que les adultes". Et c'est en fait ce que nous disons ici: cela se pourrait bien. Cela pourrait être dû au fait qu'ils ont la même concentration de virus. [...] Il y a autre chose: [La présence de virus est corrélée au temps, au déroulement de la maladie] l'infectiosité est en fait fortement limitée après quatre jours, et après une semaine, elle est terminée.
[…] Votre autre question était: si nous disons maintenant qu'ils pourraient libérer le virus aussi bien que les adultes, sont-ils tout aussi réceptifs? Il y a une autre très, très bonne étude qui a déjà été publiée dans "The Lancet". Dans les études sur les familles (1200 à 1300 familles), les enfants sont infectés dans les mêmes proportions que les adultes. Donc, il y en a environ 12, 15%, je ne sais pas exactement, infectés. Maintenant, une autre étude a été réalisée à Shanghai et à Wuhan qui arrive à la même conclusion […] On a cinq patients de moins de 15 ans, et aussi des patients entre 15 et 64 ans, de plus de 64 ans. Des tests PCR ont été utilisés pour voir combien de personnes infectées il y avait. Et vous trouvez 6,2% chez les enfants, 8,6% chez les adultes. Soit dit en passant: 16,3% chez les personnes âgées, il y a donc apparemment une augmentation du taux d'infection.

Korinna Hennig: Pas une grande différence.

Christian Drosten: Pas vraiment une grande différence, exactement. [on a également regardé précisément] qui a des contacts avec qui dans ces familles ou dans des situations quotidiennes, à quelle fréquence ? les enfants ont-ils un certain taux d'infections parce qu'ils sont moins sensibles à l'infection? Ou est-ce parce qu'ils ont moins de contacts avec les personnes plus susceptibles d'être infectées? [On a essayé] de corriger statistiquement toutes ces questions [et il en ressort qu’] un enfant de moins de 14 ans s’infecte trois fois moins souvent qu’un adulte, alors que chez une personne de plus de 65 ans, le risque d'infection est 1,5 fois plus élevé.[...] Mais en même temps, il faut aussi dire que les enfants en garderie et à l'école, ont au moins trois fois plus de contacts intensifs. Ce sont également des considérations qui entrent en compte.

Korinna Hennig: Nous avons déjà parlé du fait que de nombreux jeunes enfants ont tendance à ne pas tousser en raison de l'absence de symptômes. En revanche, quand je pense à mon fils de quatre ans, il chante toute la journée. Il parle incroyablement fort, court au lieu de marcher et respire donc plus fort.

Christian Drosten: Bien sûr, ces différences de comportement sont également importantes. Une dernière chose, [à propos de] cet article dans "Science". La question est posée de savoir si en fermant les écoles, et en maintenant une fréquence normale des contacts dans la population [qu’est-ce que ça change?] Les auteurs disent d'abord très clairement: ça ne suffit pas pour arrêter une telle épidémie. [avec] un taux de transmission de 1,5 (R=1,5), une fermeture complète de l'école pourrait paralyser l'épidémie. Malheureusement, R n'est pas 1,5 dans cette maladie, mais se situe quelque part autour de 2,5. Les femmes enceintes et les nouveau-nés ne sont généralement pas à risque

Korinna Hennig: Il y a quelques rapports isolés de nouveau-nés en provenance de Chine qui se sont révélés positifs après l'accouchement mais n'ont présenté aucun symptôme ou presque. Les femmes enceintes n'ont pas à s'inquiéter?

Christian Drosten: Je ne vois aucune publication, aucune donnée qui changerait ce point de vue pour le moment. Les femmes enceintes sont un groupe à risque spécial pour la grippe, mais ce n'est pas le cas avec cette maladie.

#38 étude de l'Oise

Korinna Hennig: il existe un preprint intéressant concernant la France, une école de l'Oise - lorsque les écoles étaient encore ouvertes. 660 personnes ont été testées pour les anticorps. Enseignants, élèves, mais aussi parents et frères et sœurs.

Christian Drosten: C'est une étude très intéressante. Dans cette région, il y a eu des cas relativement tôt et pendant environ cinq semaines, le virus a pu se propager dans cette école, sans qu’on le remarque au début. Il s'agit d'une situation naturelle. Le nombre d'élèves infectés a été examiné ici, ainsi que de leurs familles, celui des enseignants et des autres personnels. Ici, on a des chiffres de 10,2 et 11,4 % pour les contaminations des frères et sœurs, et des parents. 38,3% des élèves ont été infectés, ainsi que 43,4% des enseignants et 60% des autres employés (personnel de la cantine, gardien, psychologues scolaires). Une chose qu'il faut dire ici, ce n'est pas une école pour petits enfants, ici les élèves ont entre 15 et 18 ans[…] Au moins 40% de toute l'école était infectée. C'est important. Un lycée en ville qui compte 1500 élèves. Si vous avez soudainement 800 nouveaux cas en quelques semaines, alors on peut imaginer que cela conduira à une épidémie.

Je veux dire encore une chose au sujet des 40% qui ont été infectés dans cette école. Sur les 1300 élèves environ - j'ai même noté le nombre, il y a 1262 élèves dans cette école - seuls 326 se sont inscrits pour participer à l'étude. Ainsi, seulement 37% de l'école ont participé à l'étude. Les 1262 n'ont pas tous été testés, seulement 326.

Korinna Hennig: Plus les parents.

Christian Drosten: Les parents aussi. C'était un peu plus, 345. Est-ce un échantillon représentatif? [On pourrait dire qu’on se porte] volontaire pour participer à l'étude parce qu’on a eu des symptômes et qu’on veut savoir si cela vient de cette maladie. Cela aurait tendance à attirer plus de personnes infectées dans l'étude. L'autre point qui pourrait annuler cet effet est qu'il y avait déjà des tests intensifs dans cette école à cette époque. Beaucoup de personnes touchées avaient déjà reçu un test PCR. Alors ils le savaient déjà. [Peut-être que ces deux effets s’annulent], on ne peut pas le dire.
En tout cas, c'est un nombre impressionnant. [Cette situation ne peut pas se reproduire avec les mesures prises actuellement dans les écoles]

Korinna Hennig: Cette étude de l'Oise indique également que les fumeurs ont un taux d'attaque secondaire significativement plus faible que les non-fumeurs. L'Institut Pasteur de Paris l'a publié il y a quelques jours. Cela semble surprenant, car le tabagisme endommage les poumons. À votre avis, est-ce significatif?

Christian Drosten: Je n'en suis pas si sûr. C'est un contraste frappant qui résulte de l'évaluation statistique. Cette étude indique que les fumeurs sont moins susceptibles d'être infectés. Je ne veux pas donner les chiffres ici parce qu'ils sont si contrastés que je pense qu'il doit y avoir une erreur quelque part. Je ne peux pas l'expliquer et je ne veux pas l'expliquer non plus. C’est aux auteurs de le faire. Je suis sûr que si l'étude est officiellement évaluée, les experts diront: attendez, quelque chose ne va pas ici, vous devez revoir ça avec une autre méthode.

Korinna Hennig: Si nous revenons au nombre de personnes infectées, aux taux d'attaque secondaire, il existe maintenant des chiffres circulant sur Internet qui produisent des résultats complètement différents. En Australie, par exemple, il existe des données provenant de 15 écoles. Comment évaluez-vous les chiffres?

Christian Drosten: Ce que nous voyons ici est un exemple de la façon dont la science est actuellement sous pression politique. Dans cette pré-évaluation australienne, par exemple, il a été constaté que 9 élèves et 9 enseignants dans un certain nombre d’écoles étaient infectés, et il n’y en avait pratiquement pas d’autres. Une prise de position a été rédigée à ce sujet, ce n'est même pas une publication scientifique préalable, c'est plus un texte pour le public. [Il faut] encore attendre. Il y aura également un manuscrit scientifique. Ce n'est qu'alors que vous pourrez juger cela. Les politiciens doivent considérer les informations scientifiques et économiques et prendre une décision rationnelle pour la société. Telle est la grande difficulté et la grande responsabilité de la politique.
[...]


étude de Genève

Korinna Hennig: La semaine dernière, nous avons parlé d'un aspect, à savoir les données sur la concentration de virus chez les enfants (étude de la Charité) et vous avez dit qu’il fallait d’autres études. Quelque chose de similaire a été fait à Genève. Cela a-t-il confirmé vos résultats?

Christian Drosten: Oui, il y a une étude d'Isabella Eckerle, qui était dans mon laboratoire à Bonn. [Elle] est maintenant professeur à Genève et continue de faire de la virologie. Ce qu'elle a fait est différent de ce que nous avons fait ici. Elle a examiné 23 cas d'enfants de l'hôpital de Genève ainsi que des cabinets médicaux, entre sept jours et 16 ans d’âge. Il n'a pas seulement été mesuré la charge virale, mais elle a aussi isolé le virus infectieux de ces échantillons en culture cellulaire. Il s'agit d'un très bon critère d'infectiosité réelle. Elle a réussi à isoler le virus dans la moitié (12) des 23 enfants. Et en moyenne, ces enfants avaient une concentration de virus importante - la moyenne est de 1,7 fois dix puissance huit copies par millilitre, ce qui est un avec huit zéros derrière.

Cela correspond également à ce que nous voyons dans nos données. Trois enfants ont moins de trois mois et eux aussi ont une charge virale de plus de dix puissance huit dans un millilitre. Il n'y a donc aucune raison de penser que les enfants ont moins de virus infectieux que les adultes dans la gorge. C'est exactement ce que nous avons trouvé. Mais ce n’est qu'une partie de l'équation. Nous savons maintenant avec une certaine probabilité que les enfants ont un virus infectieux dans la gorge. Je le dis maintenant délibérément dans cette façon, car il ne s'agit pas de dire que c'est exactement le même montant, mais nous n'avons statistiquement aucune raison de penser que le montant est différent. Les données montrent une tendance vers une concentration de virus plus faible, en particulier chez les jeunes enfants. Une telle tendance peut également être observée dans l'étude de Gangelt, mais malheureusement le nombre d'enfants est trop faible. Les enfants y sont sous-représentés. Il faut dire qu'il n'y a aucune preuve scientifique selon laquelle la concentration de virus dans la gorge des enfants est différente de celle des adultes. [...]

Korinna Hennig: La politique demande à la science: pouvez-vous nous fournir des preuves que...? Et la science répond: non, mais nous ne pouvons pas non plus vous fournir la preuve du contraire.

Christian Drosten: C’est ce qu'il faut comprendre en ce moment. Nous avons parlé de l'autre côté de l'équation qui est que les enfants semblent moins s’infecter, comme le montre l'étude chinoise publiée dans Science.[...] Cela correspond également à ce qu’on voit dans certaines cohortes familiales : les tout-petits ne semblent pas du tout infectés. [Mais il est également dit que les enfants ont tellement de contacts mutuels qu'en fin de compte ils s’infectent tout autant]. En tant que particulier, [je trouve que l'ouverture des crèches et maternelles socialement et économiquement nécessaire]. Mais en tant que scientifique, je dois dire: attention, cela peut être une erreur.[...]

Conclusion

Où devons-nous et pouvons-nous ouvrir en premier? En tant que scientifique, on peut faire des recommandations. Nous constatons une tendance dans les données que les jeunes enfants sont un peu moins sensibles à la maladie et que la charge virale des plus petits est moindre, ce qui n’est pas le cas chez les enfants plus âgés. Par conséquent, je dirais que les écoles primaires et les garderies (=crèches et maternelles pour la France) pourraient ouvrir en premier. Cependant, cette ouverture ne doit pas être totale ; garderies réservées à certains groupes de parents, et pour les écoles primaires, la densité ne doit pas être trop grande, en sortant à l’extérieur...

Dans les classes supérieures [il faut éviter les regroupements, donc fermer les cours de récréation et travailler en demi-groupe. En ce qui concerne la visite aux grands-parents, on pourrait tester les enfants avec le test PCR toutes les deux semaines. Bien sûr, on ne peut pas demander aux familles avec une personne à risque d’envoyer leur enfant à l’école. Pour eux, l'école à distance doit se poursuivre].

mercredi 6 mai 2020

Podcast #28 du 6 avril: masques grand public/ désinfection des surfaces

Pourquoi les gens devraient-ils porter des masques ?

Christian Drosten: […] Les conditions de départ ne sont pas réunies dans notre société pour que les gens portent des masques. Certains avanceront l’argument qu’on n’en trouve pas dans les magasins. […] De plus, il n’y a guère de preuves scientifiques pour dire qu'on puisse se protéger avec de simples masques. Il existe bien sûr des masques beaucoup plus protecteurs pour certains groupes professionnels, mais ces masques ne sont pas disponibles en grand nombre et ils ne sont pas faciles à produire rapidement. Par ailleurs, ils ne sont pas agréables à porter […] On peut recommander le port d’un autre type de masque qui protège la bouche et le nez, des masques chirurgicaux simples.


Korinna Hennig: Qu’on peut aussi coudre soi-même. 


Christian Drosten: Exactement, que vous pouvez coudre vous-même. C'est ce qui est publiquement discuté en ce moment. Il n'y a aucune preuve scientifique d'un bénéfice pour l'autoprotection avec ce type de masque, mais il existe des débuts de preuves que cela protège les autres d’une contamination virale. Mais bien sûr, cela suppose que vraiment tout le monde, tout le monde, tout le monde dans la société, dans la vie publique, porte ces masques. 

Korinna Hennig: Il y a aussi de nouvelles études sur les masques.
 
Christian Drosten: Exactement. Il existe des données et des preuves que l’on protège les autres de maladies infectieuses des voies respiratoires [grâce au port de masque]. Ces virus ont des propriétés différentes, il n'a donc pas encore été possible de dire très précisément si tout cela a vraiment un effet retentissant. Mais il y a maintenant deux nouvelles études intéressantes qui sont parues dans les tous derniers jours. Un travail a été publié vendredi dans "Nature Medicine", l'autre est encore au stade de la préimpression - il n'a pas encore été publié officiellement, mais je pense qu'il est également remarquable.

Dans l’étude publiée dans "Nature Medicine", on vérifiait de manière contrôlée ce qu'une personne infectée libérait dans l'air qu’elle expirait, ou même en toussant un peu. Il s'agit d'une étude très fastidieuse, car il est difficile de trouver des patients qui se trouvent dans la bonne phase de la maladie, au bon âge – ici on s’est concentré sur les adultes. Cette étude vient également de Hong Kong, où ils ont beaucoup d'expérience avec le SRAS et sont très sensibilisés à ce problème. Un groupe relativement important de scientifiques vient de mener cette enquête.
[…] un patient a reçu soit une simple protection de la bouche et du nez et l'autre non. Cela a créé deux groupes, l'un avec un masque et l'autre sans masque. Ensuite, on a regardé quel type de virus ils avaient et on a vu que 17 de ces personnes avaient des coronavirus, à savoir des coronavirus du rhume banal. Il s'agit d'une étude réalisée avant l'apparition du virus SARS-2. 43 autres patients avaient le virus de la grippe et 54 patients avaient des rhinovirus. Les rhinovirus sont des virus du rhume commun.
[...] Dans l'ensemble, toutes ces maladies virales [touchent] les voies respiratoires supérieures. En termes d'âge, les patients étaient des adultes jeunes ou d'âge moyen.

Tous ces patients se sont assis pendant 30 minutes – ce qui est long, pas pour un masque, mais pour un contact, cela ne se produit pas si souvent dans la vie de tous les jours que vous vous asseyez près de quelqu'un pendant 30 minutes – et on a construit une sorte de dispositif d'aspiration autour de leur tête. Une sorte d’énorme entonnoir qui, avec une vitesse d'aspiration lente, a recueilli tout ce que ces personnes ont expiré ou toussé, afin de l’analyser en laboratoire.


Korinna Hennig: Ainsi que des gouttelettes très fines qui sont libérées lorsque vous respirez.


Christian Drosten: Voilà. [Mais il faut préciser qu’] une telle frontière entre gouttelettes et aérosols, c'est cinq micromètres de diamètre. Et cette machine collecte séparément les gouttelettes de plus de cinq micromètres et les gouttelettes de moins de cinq micromètres. Donc, cela est séparé dans cette machine. Imaginez: ces grosses gouttelettes de plus de cinq micromètres (et elles peuvent être beaucoup plus grandes, elles peuvent aussi être de 100 micromètres, un dixième de millimètre visibles à l'œil nu) - ce sont les gouttelettes dont nous parlons dans une infection par gouttelettes. En d'autres termes, ce que vous dégagez – en postillonnant, mais aussi lorsque vous toussez ou éternuez - et qui tombe ensuite au sol dans un rayon d'un mètre et demi à deux mètres. Pour le rhume, nous sommes à peu près sûrs que la grande majorité de ces virus libérés dans ces maladies des voies respiratoires supérieures (c'est-à-dire les maladies qui surviennent principalement dans la gorge et le nez) sont dus à ces grosses gouttelettes - et elles tombent simplement au sol. Une grande partie de nos précautions sont basées sur cette découverte.
[Cette séparation est un peu artificielle car en émettant] une gouttelette qui se maintient dans l'air devant moi, elle commence à sécher et elle devient plus petite. Plus elle est petite et plus il est probable qu'elle restera longtemps dans l'air. Mais en même temps, il y a un autre effet : si cette gouttelette devient de plus en plus petite, elle finira par être trop petite pour le virus, qui se dessèchera et ne sera plus infectieux.

[Mais] Nous ne savons pas comment ça se passe avec ce virus. Il y a aussi cette étude dans le "New England Journal", publiée il y a environ trois semaines qui dit que ce virus SARS-2 est toujours infectieux dans l'aérosol pendant environ trois heures. Mais il faut préciser que les auteurs qui ont publié cela ont produit un aérosol viral artificiel avec une très forte concentration de virus infectieux. Personne ne peut être sûr que cela correspond à ce que produit un patient en réalité.


Korinna Hennig: Une situation produite dans un laboratoire est toujours différente de la réalité.


Christian Drosten: Exactement, c'est une situation créé en laboratoire. Et dans cette étude, c’est ce que nous avons. Nous avons cette séparation artificielle de plus et moins de cinq microns. […] Et les résultats de cette étude, clairement, avec ces onze patients infectés au coronavirus portant un masque : chez aucun de ces onze patients on n'a pu détecter de virus plus tard à l'aide de cet appareil

Korinna Hennig: Pas même après 30 minutes? 

Christian Drosten: Sur l'ensemble des 30 minutes. On a tout aspiré pendant 30 minutes. Et dans l'autre groupe, qui comprenait 10 patients, où on a également recueilli [la production d’air, de toux] pendant 30 minutes, mais où aucun masque n'était porté, il y avait du virus dans les gouttelettes, [et] un tiers environ a émis un virus détectable quand ils ne portaient pas de masque. Mais attention, on parle ici de 30 minutes de collecte, ce qui n’est pas une situation courante. C'est une étude qui concerne les coronavirus, qui sont comme le virus du SRAS-2.
Il y a aussi une autre étude (de Singapour), [parue en preprint]. Elle concerne moins de personnes, mais elle a été réalisée avec des patients atteints du SRAS-2, ce qui la rend particulièrement intéressante. Ici, trois patients ont été examinés, l'air ambiant a été analysé sur plusieurs jours. Et chez l'un de ces patients – qui en était déjà au neuvième jour des symptômes, avec encore du virus détectable dans les voies respiratoires, mais pas beaucoup – et rien n'a pu être détecté dans l'air ambiant. Chez deux patients, qui avaient beaucoup de virus dans les voies respiratoires, on a pu détecter du virus dans l’air ambiant. L'un avait des symptômes, l'autre non. Dans les deux cas, il a été possible de détecter à la fois des gouttelettes et des aérosols dans l'air ambiant à l'aide d'un appareil très similaire (ici la limite était de quatre micromètres et non de cinq). Pour moi, c'est une découverte intéressante et remarquable.

Korinna Hennig: Cela signifie qu’on peut envisager, comme le fait la National Academy of Sciences aux États-Unis, que le virus peut également être transmis par expiration normale. C'était encore un point discuté.


Christian Drosten: Exact. Il est possible que lorsqu’un virus se propage par gouttelettes, et que l'air ambiant est sec et chaud, il y ait ce phénomène que les gouttelettes s'assèchent et que le virus reste infectieux pendant un certain temps. Ces gouttelettes sont dans l'air. Maintenant, il s'agit bien sûr de la circulation de l'air intérieur. Je voudrais tout de suite préciser que de nombreux supermarchés et espaces publics ont des systèmes de ventilation qui permettent un renouvellement important de l'air intérieur, de sorte que l'on n'a pas nécessairement à [craindre] que l'air soit maintenant plein de virus, que le virus est dans l'air. Mais il y a ce chemin de transmission d’«infection aéroportée». Dans ce cas, un masque n'aide plus à la transmission de l'air, il faut un masque hautement technique [pouvant] filtrer des aérosols. Mais ce sont des masques qui sont portés dans le domaine professionnel. Cela ne peut pas être recommandé pour la population générale. Il est vrai que la National Academy of Sciences des États-Unis a maintenant déclaré cela plus clairement dans un communiqué: il ne peut être exclu que ce virus SARS-2 puisse également être transmis par cette voie.

Je voudrais dire encore une chose au sujet de l'étude de Singapour, une observation annexe : [on a également analysé des échantillons sur des surfaces] dans 30 chambres d'hôpital différentes, chez 30 patients différents qui avaient tous cette maladie, dans un hôpital de Singapour, sur toutes les surfaces possibles. Soit dit en passant, il faut préciser que dans toutes ces études, on parle toujours d’une détection virale de l'ARN et non de l'infectiosité.


Korinna Hennig: Donc le virus peut être détecté, sans qu’il soit contaminant.


Christian Drosten: Exactement. Un virus desséché contient toujours autant d'ARN , [mais cela ne dit rien de son infectiosité]. Ici, on a retrouvé beaucoup d'ARN sur ces surfaces. Dans les échantillons prélevés au sol, par exemple, plus de la moitié des échantillons étaient positifs pour le virus - ce qui suggère que le virus s’y est déposé [grâce à de grosses gouttelettes]. Mais il y a autre chose d’important à mon avis, c’est que chez ces 30 patients, ces échantillons n'étaient positifs que pendant la première semaine de symptômes. Au cours de la deuxième semaine, alors que les patients étaient encore malades, les échantillons n'étaient plus positifs. Il n'y avait donc plus de virus à la surface, il n'y avait donc plus de concentration significative de virus dans l'air ambiant. […] Ces patients libèrent moins de virus plus tard dans la maladie. Ceci est très important pour le travail à l'hôpital.


La transmission via une surface contaminée
 

Korinna Hennig: [Dans ces prélèvements effectués sur les sols, on a donc retrouvé des traces de virus, seulement il n’était plus infectieux]. Qu'en est-il de la contagion via les surfaces?

Christian Drosten: L'infection via les surfaces a été modélisée dans l'étude de Christophe Fraser, dont nous avons discuté la semaine dernière. Il pense que peut-être 10 % de toutes les transmissions pourraient s’effectuer ainsi. Beaucoup de gens à qui je parle ne croient pas vraiment à une contamination via les surfaces. [...] Dans nos hypothèses actuelles, nous ne supposons pas que ce virus se transmette par les surfaces. Les mesures actuelles pour éviter la transmission visent à exclure la transmission par les gouttelettes – et aussi les aérosols- mais surtout, j’insiste, les gouttelettes. Et les études qui ont été discutées ici, qui ont maintenant été publiées, ne suggèrent pas, même si des aérosols ont été détectés, que ce mécanisme serait prépondérant. Dans les deux études, l'échantillonnage [s’est fait sur une très longue durée, ce qui ne correspond pas à une situation réelle, où] l'air se déplace dans la pièce.


Korinna Hennig: Cela signifie qu’une désinfection des surfaces peut être négligée dans l’espace privé? 


Christian Drosten: Je suis presque certain que cela ne vaut pas la peine au sein de son foyer de traiter toutes les surfaces possibles avec un désinfectant. À l'hôpital, cela est bien sûr différent, car il y a beaucoup de patients et, bien sûr, le virus peut s'accumuler dans une pièce, dans l'air - puis se déposer sur une surface. [...] Donc, ces images de la télévision, par exemple chinoise, où des camions-citernes circulent dans les rues avec du désinfectant, je pense que cela a un effet psychologique pour la population plutôt qu'un effet réel pour contenir la contamination.


Perte de goût et d'odorat


Note de l'auteur de ce blog:
La suite de cet épisode concerne la perte de goût et d'odorat, qui a été documentée dans un preprint iranien, Sur 15000 personnes interrogées (il n'est pas clair si elles ont été testées positives) 10000 personnes ont signalé ce symptôme. Et dans les familles de ces personnes, près de la moitié a également eu ce symptôme.
Une perte de goût ou d'odorat doit alerter et amener à se faire diagnostiquer

dimanche 3 mai 2020

Podcast #31 du 14 avril: l'étude de Gangelt/ les réinfections

L'étude épidémiologique de Gangelt/Heinsberg (le "cluster" allemand)

Korinna Hennig: Parmi les gros titres de ces derniers jours, l’"étude Heinsberg", ou plus précisément "étude Gangelt" du nom de la commune touchée par le coronavirus. Cette commune compte environ 12 000 habitants. On y a mené des enquêtes et présenté les résultats lors d'une conférence de presse. Vous, M. Drosten, avez été interrogé à ce sujet et avez déclaré attendre un article scientifique pour vous prononcer. Quelles questions sont restées sans réponse?


Christian Drosten: Il est vrai que beaucoup de choses ont déjà été communiquées à ce sujet. Il est difficile de se prononcer sur une étude si vous n'avez que les résultats finaux […] Ce n'est pas la seule étude en cours, il y en a un certain nombre dans toute l'Allemagne [dont on attend les résultats].


Korinna Hennig: [Peut-on généraliser à toute l’Allemagne les conclusions d’une étude régionale ?]


Christian Drosten: [...] il est vrai qu'il existe de grandes différences régionales en Allemagne [mais] plus l’épidémie se prolongera, plus ces différences s’estomperont. Tout comme s'estompe lentement en Allemagne la différence entre les tranches d'âge. [Le virus] se diffuse lentement dans les populations plus âgées. [...] 

Plus l'échantillon que vous faites est petit et plus il est probable que ce que vous trouvez n'est pas représentatif. Les auteurs de l'étude Gangelt l'ont également dit dans les reportages. Il a été clairement souligné que ce n'est pas représentatif de l'Allemagne. C'est certainement de là que vient le problème [...]

Korinna Hennig: Un chiffre qui a circulé était celui de 14 % de la population de Gangelt qui serait immunisée. Vous avez déjà dit dans les médias: nous n'avons pas les pré-requis pour vraiment en juger. On parle d'un test qui a une spécificité de 99%, que pouvez-vous dire?

Christian Drosten: J'ai dit - par exemple dans l'interview que j'ai donnée dans le "Today Journal" - que je ne peux pas en douter. Je ne veux pas du tout critiquer cette étude car je n'ai aucune base pour le faire. Il est vrai qu'il a été dit que des tests d'anticorps ont été effectués et ensuite il a été précisé qu'il s'agissait de tests d'IgG. Et il a même été dit que cela avait été fait avec un test ELISA que nous avons validé ici à Berlin. Je le connais donc très bien. Mais je ne sais toujours pas si les tests de confirmation ont été effectués, c'est-à-dire si ce test sérologique était le seul test ou si d'autres tests ont été effectués. [...]

Vous avez vu qu'il est spécifique à 99%, c'est-à-dire que sur 100 tests que vous faites, un seul est faux, un faux positif. On trouve un anticorps, alors qu'en réalité le patient n'a pas d'anticorps. Mais si vous regardez la population réelle à cette période de l'année, vous pouvez voir que le taux de faux positifs est plus élevé, tout simplement parce que nous avons des rhumes à cette période de l'année. Nous avons eu une saison de la grippe jusqu'à il y a un peu plus de deux semaines. [...]



Un épidémiologiste l'a déjà mentionné: il existe également d'autres aspects [à prendre en compte] si vous voulez déterminer la prévalence d'une infection, [à savoir] avez-vous réellement testé des volontaires, avez-vous testé un représentant par famille? Car il y a plus de transmission dans un ménage. C'est pourquoi les résultats d'anticorps provenant du même ménage ne devraient pas vraiment être considérés comme complètement indépendants. Quel facteur de correction appliquer alors? Ce sont là des subtilités statistiques.
Ensuite c'est pareil quand je travaille avec des bénévoles, c'est une réaction très humaine: je suis davantage intéressé par cela, car j'ai un cas positif autour de moi, alors j'y vais, peut-être aussi avec un autre membre de ma famille, et je me laisse tester car je veux savoir si j'ai quelque chose. Si je m'en fous parce que je ne connais personne, alors je n'y vais pas. Cela peut entraîner une distorsion. Je veux juste dire que de telles considérations sont toujours discutées dans les études épidémiologiques. Je suis également sûr que mes collègues de Bonn y ont pensé et qu’ils y travaillent actuellement à une publication scientifique. [...]


PS: un preprint a été mis en ligne le 4 mai 

À propos des réinfections: elles sont improbables 


  [Dans notre étude de Munich-Schwabing], nous avons décrit l’élimination du virus au fil du temps chez neuf patients de Munich. [On a constaté que vers la fin de la maladie] il y a encore un virus. Il est parfois détectable, parfois pendant quelques jours, puis il n'est plus détectable pendant quelques jours. Ce ne sont que des phénomènes statistiques. La PCR ne peut examiner qu'un certain échantillon. […] je l'explique souvent aux étudiants comme suit: vous avez une pataugeoire pleine d'eau avec des poissons rouges. Mais maintenant, avec un seau, prélevez un échantillon de cette pataugeoire, les yeux bandés, il se peut que vous ayez un poisson rouge dans votre seau et parfois non. Cependant, on ne peut nier qu'il y a des poissons rouges dans la pataugeoire. S’il y a beaucoup de poissons rouges et que chaque fois que je plonge un seau, il y a des poissons rouges dans le seau, je me dis: « Aha, il y a des poissons rouges dans cette pataugeoire ». Mais si j'ai de moins en moins de poissons, car c'est la fin de la maladie, il y a de moins en moins de virus dans la salive, ou surtout sur les prélèvements ce qui arrive toujours: je sors le seau de la pataugeoire et il n’y a pas de poisson rouge. Cela peut se produire deux fois de suite. Donc je dis: la PCR a été négative deux fois de suite, le patient est maintenant guéri. Et si je continue de faire des tests à domicile, il se peut alors que le virus soit de nouveau soudainement détectable. Donc au figuré: je prends un seau d'eau et il y a encore un poisson rouge dedans. C'est aussi simple que ça. C'est mon explication de ce phénomène, précisément parce qu'il survient peu de temps après la sortie de l'hôpital.
Et maintenant, la question est de savoir que faire de ce résultat. Je peux vous dire que quelque chose comme ça ne se produirait pas en Allemagne parce que notre culture fait que de tels résultats seraient remis en question assez rapidement. Mais dans la culture asiatique de santé publique, il y a une plus grande rigueur. Je ne veux pas critiquer cela, c'est simplement une différence culturelle. Et si maintenant on déclare qu’un patient qui a été négatif deux fois de suite est considéré comme guéri. [On répertorie ensuite tous ces cas avec minutie: Le patient a été testé deux fois et maintenant il est à nouveau positif]. Et maintenant, reprenons quelques centaines de cas similaires et notons tout cela dans un tableau et écrivons une publication scientifique à ce sujet. Ces publications scientifiques sont maintenant accessibles au public, et maintenant un processus de discussion commence. On a des gens qui lisent ces publications et qui ne connaissent peut-être pas les détails et disent que cela ressemble à une réinfection. Cela est ensuite diffusé dans d'autres canaux, il y a de l'excitation et de l'incertitude.

[Mon avis est que] ce ne sont probablement que des distributions aléatoires à la fin de l'évolution de la maladie, en particulier lorsque vous travaillez avec des échantillons d'écouvillons de la gorge, ils sont parfois positifs et parfois négatifs.


Korinna Hennig: Vous avez mentionné deux études : une de Wuhan, et l’autre de l'hôpital de Shenzhen. Il s'agissait principalement de patients qui n'avaient aucun ou peu de symptômes. 


Christian Drosten: Oui, exactement. Dans une étude, il y a cinq patients sur 55 chez qui cela a été observé. Cette étude est un peu floue car à certains endroits on dit que ce sont des prélèvements de gorge qui ont été analysés et à d'autres endroits, il est dit que ce sont des échantillons des voies respiratoires. Ce sont deux types d'échantillons différents. Nous savons que la sécrétion pulmonaire reste positive beaucoup plus longtemps. Nous pensons également qu’elle n'est pas contagieuse. [Dans notre étude] nous n'avons jamais pu isoler de virus infectieux.
L'autre étude est en fait plus intéressante car elle est un peu plus explicite. 172 patients ont été examinés après leur sortie d’hôpital. Chez 25 d'entre eux, le test a de nouveau été positif, en moyenne après 5,23 jours. On y explique clairement que le critère pour sortir de l’hôpital est d’avoir deux prélèvements de gorge consécutifs négatifs. Or, nous savons que le prélèvement de la gorge est négatif au cours de la deuxième semaine de maladie pour de nombreux patients [alors que] les selles et les expectorations sont presque toujours positives. Et puis on dit que sur ces 25 patients, 24 ont eu des formes sévères. Pour moi, cela signifie que si quelqu'un a un parcours difficile, il sera libéré plus tard. Chez ces patients, nous savons que le virus de la gorge a presque toujours complètement disparu. […] Mais pour 14 d'entre eux, [on les a déclarés de nouveau positifs] d’après les selles, d’où cette confusion ici. Car nous savons que les échantillons de selles restent positifs pendant une longue période. Et pour d'autres cas, c'était un prélèvement de gorge qui a de nouveau été testé positif. Mais un écouvillonnage de la gorge peut également contenir du mucus pulmonaire craché. Vous crachez la substance et elle colle à l'arrière de votre gorge. [Les auteurs ont publié cela] avec une minutie toute asiatique. Je le sais parce que je travaille depuis longtemps avec des collègues asiatiques.[...]
Mais il y a aussi d'autres explications. Ce que nous avons discuté est le plus probable. Mais il existe de simples erreurs de laboratoire ou des erreurs d'échantillonnage. Par exemple, quelqu'un a fait un mauvais frottis. Il n'a donc pas fait de frottis nasopharyngé (passez par-dessus le plancher nasal, puis jusqu'au fond de la gorge avec l'écouvillon), mais il a juste gratté un peu à l'avant de la narine. Puis vous prélevez un autre échantillon plus tard, qui se révèle positif.

Mais il peut aussi arriver que quelque chose se passe mal en laboratoire.[...]


Il y a aussi une autre explication: j'ai observé une fois chez un patient chez qui le virus dans les poumons avait déjà disparu ou presque disparu. Et puis soudain, la concentration de virus est redevenue beaucoup plus élevée, alors que le patient allait de mieux en mieux. C'est bizarre. On pourrait penser que plus il y a de virus, moins le patient se porte bien. Mais il y a une explication : si quelqu'un a des zones pulmonaires qui ne sont plus bien ventilées et qui ne sont pas bien connectées aux voies respiratoires, beaucoup de choses peuvent se cumuler dans les poumons, même des virus morts. Vous avez une zone dans vos poumons où le mucus ne sort pas bien. Et à un moment donné, le patient va mieux et respire mieux, ces zones sont à nouveau ventilées et soudain, ce mucus peut à nouveau être expectoré.


Korinna Hennig: Mais ce n'est plus contagieux. 


Christian Drosten: Ce n'est plus contagieux. Et soudain, le test de laboratoire est à nouveau positif. Parfois, vous voyez des choses comme ça. Mais plus vous voyez et accompagnez des patients au laboratoire, plus vous développez un sixième sens pour ces choses rares. Et c'est toujours la même chose en médecine: ce qui est fréquent se passe souvent et ce qui est rare rarement.

Podcast #10 du 10 mars: les enseignements cliniques de Munich (extraits)

Christian Drosten: Il s’agit [dans cette étude] du plus grand groupe de patients de Munich, à savoir ceux qui ont été traités à l'hôpital de Schwabing. On peut voir plusieurs choses : tout d'abord, que dans la première phase de la maladie, la PCR de la gorge n'est jamais un faux négatif. C’est une question que l’on se posait depuis un moment. Si vous avez un patient au tout début de la maladie, est-il possible de le rater en prenant juste un prélèvement de gorge? Donc non, on ne peut pas le manquer. [Il n’y a jamais de faux négatif avec la PCR. Cette étude prouve que le virus se réplique activement dans la gorge]. Donc non seulement dans les poumons, mais aussi dans la gorge. C'est une découverte complètement nouvelle. [...] Il s'agit désormais d'une constatation officiellement documentée. Maintenant on peut changer les recommandations pour le public avec certitude avec une solide base scientifique. Nous avons aussi trouvé d'autres choses, par exemple que le virus est détectable à haute concentration dans les selles. Cela a été communiqué par la Chine depuis longtemps dans beaucoup de rapports [mais] contrairement aux sécrétions pulmonaires ou aux écouvillons, [le virus extrait des selles] est probablement un virus mort. Peut-être que les sucs digestifs tuent le virus. Peut-être que c'est juste qu'il ne s’y réplique pas très efficacement. Je pense que les sucs digestifs provoquent la dégradation du virus. Il s'agit là encore de preuves scientifiques pour des recommandations officielles, c'est pourquoi de telles études sont importantes. Il y a autre chose que nous apprend cette étude: [on a pu trouver du virus dans les poumons des patients guéris]. Mais après la première semaine, on n’a plus pu isoler de virus vivant dans les sécrétions pulmonaires. Nous pensons que cela est dû au fait que les anticorps se forment lentement et que la réponse immunitaire commence. [Qu’en fait, que le virus que nous avons isolé est du virus tué par les anticorps]. Je choisis délibérément une formulation très simple, mais je pense que c'est facile à imaginer. 

 Anja Martini: Qu'est-ce que cela signifie? 

Christian Drosten: Il s'agit d'une découverte importante car nous allons nous retrouver dans une situation où les lits vont être rares dans les hôpitaux. [Donc on peut faire sortir les malades plus tôt de l’hôpital sans craindre de nouvelles contaminations à l’extérieur. Durant la première phase, à Munich, nous gardions les malades] jusqu'à ce que le test de laboratoire soit négatif deux fois de suite. Ils ont donc passé deux semaines de plus à l'hôpital après la convalescence. Nous devons libérer les lits dans les hôpitaux pour d’autres patients. Une étude en laboratoire comme celle-ci aide les autorités. C’est écrit noir sur blanc : « Après une semaine, il y a toujours un virus, mais ce n'est plus un virus infectieux, pas un virus vivant ». C'est pourquoi vous pouvez libérer les patients. Si vous voulez vraiment être sûr, vous pouvez ajouter une semaine d'isolement à la maison. Mais au moins, le lit à l'hôpital est disponible.

Article de Marc Gozlan à propos de cette étude

vendredi 1 mai 2020

Podcast #24 et #25 des 30 et 31 mars: l’étude de Munich

Christian Drosten: Il existe une étude très intéressante faite à partir des cas survenus à Munich dans une fabrique de pièces automobiles. Il y a deux choses importantes : d’abord le taux de transmission. Là, en plus des transmissions intrafamiliales, nous avons également beaucoup de jeunes qui se sont rencontrés en privé ou qui vivent en colocation. A l’intérieur d’un même foyer, on a eu 10% de contaminations. C’est ce qu’on appelle le taux d'attaque secondaire (« attack-rate »). Les contacts au travail et pendant les loisirs sont peut-être encore plus intéressants pour l'évaluation du risque de transmission dans la vie quotidienne. Il s'agit d'un examen partiel très significatif. Nous avons eu 217 patients ici et onze d'entre eux ont été infectés au cours de cette période, presque tous avec des symptômes. 

15 minutes de conversation en face à face = risque

Anja Martini: Donc tout le monde avait de la fièvre? 

Christian Drosten: Oui, exactement de la fièvre ou des symptômes respiratoires. On a également enregistré des symptômes très légers, comme une irritation de la gorge. En fait, on peut dire tout au long de l'étude qu'un seul patient peut réellement être répertorié comme asymptomatique. Mais il s'est avéré qu’il avait en réalité quelques symptômes. Et il est important de préciser que 5 % de ces contacts dits à haut risque se sont infectés, contact à haut risque signifiant: 15 minutes de conversation en face à face. Un des cas a été contaminé en étant assis dos à dos avec une personne infectée dans une cantine et a demandé à l'autre: "Pouvez-vous me passer le sel?" et ça a été suffisant pour une contamination.

Anja Martini: Il faut donc vraiment garder ses distances, même lorsqu’on mange?


Christian Drosten: Oui, exactement. Nous devons garder nos distances. Nous en avons déjà discuté dans ce podcast. Avec les masques, c'est une mesure très importante. [Dans cette période de tension sur le marché concernant les masques, il est possible] de fabriquer un masque vous-même. C’est une bonne idée. Je protège l'autre contre mon infection qui ne s’est peut-être pas encore déclarée. Parce que je n'en sais rien moi-même. On signale ainsi à son environnement: vous êtes protégé car lorsque je parle, je n’émets pas de postillon. C’est une mesure de politesse. [...]


31 mars 


Contagion entre J -2 et J +5 de l'apparition des symptômes

Korinna Hennig: Monsieur Drosten, que signifie un taux de transmission de 10 % pour le développement de l'infection?


Christian Drosten: Eh bien, les 10 % sont le sous-ensemble des contacts familiaux. Il existe un autre grand groupe, à savoir 5%, constitué des contacts professionnels et de loisirs, à savoir les contacts à haut risque (15 minutes de conversation). Et le taux de transmission dans ce plus grand sous-ensemble est de 5 %. Mais quel est le taux réel? Parce qu’à Munich, on avait à la fois une étude observationnelle, mais aussi une intervention du service de santé. Cela signifie qu’on n’a pas seulement regardé comment les gens s'infectaient, mais on est intervenu, en incitant les infectés à rester chez eux en isolement, ce qui a réduit les contaminations. Avec cette maladie, on peut penser que l'infection commence deux jours avant l'apparition des symptômes. Dès lors, vous êtes contagieux. Et cela s'arrête probablement quatre ou cinq jours après le début des symptômes. [...] Je pense que le véritable taux d'attaque secondaire, la fréquence de l’infection en ayant un contact à risque avec quelqu’un de contagieux, est en fait un peu plus de 10 %, disons 12 %. C’est une estimation. 

Circulation des aérosols

Korinna Hennig: Vous avez décrit une situation qui a un peu attiré mon attention. Vous avez décrit une situation où deux personnes étaient assises dos à dos à la cantine et se sont juste passé la salière. Comment imaginer une telle infection? Les aérosols jouent probablement un rôle. Christian Drosten: Ils ont parlé très étroitement, et se sont probablement tournés l'un vers l'autre. Bien sûr, vous respirez et toussez devant vous, c'est vrai. Mais il y a aussi des mouvements d'air dans la pièce. Et il est vrai qu'un aérosol à gouttelettes moyennes resteront suspendus dans l'air pendant un certain temps. S'il y a un mouvement d’air, l’aérosol est transporté, c'est une situation que vous ne pouvez pas éviter.
Les masques faciaux n'apportent presque rien à l'autoprotection. Il n'y a pas vraiment de données scientifiques. Mais j’ai vu ce matin une publication qui évalue plusieurs études. Les auteurs arrivent à la conclusion qu’il n'y a aucune preuve scientifique que vous pouvez vous protéger avec des masques. Car [l’aérosol passe par les ouvertures sur le côté du visage et que] le tissu n'est pas non plus complètement imperméable à un tel aérosol.


[...]


PS: le thème des masques est développé dans le #28 du 6 avril 2020