dimanche 10 mai 2020

Les tests. Podcast #29 et #39 des 7 avril et 7 mai 2020

Tester les personnes à risque


Christian Drosten: [Nous ne pouvons pas tester autant que nous le voudrions] Un collègue m'a écrit qu’on vit au jour le jour dans les laboratoires. [Il faut donc] tester là où c'est vraiment nécessaire dans les prochaines semaines. Les trois mesures les plus importantes du moment sont: la restriction des contacts, le port de masques dans l’espace public et l’amélioration de la qualité et de la quantité des tests afin de pouvoir isoler les cas. Nous devons maintenant tester là où c'est vraiment nécessaire.

Korinna Hennig: Dans les hôpitaux?

Christian Drosten: Exactement. Donc le patient et ceux qui y travaillent [...] Imaginons deux personnes en quarantaine chez elles, un étudiant, peut-être dans la vingtaine, et une personne dans la soixantaine. Bien sûr, cette dernière a un risque plus élevé de complications. Et cela nécessite un diagnostic confirmé. Donc, quelqu'un qui a peut-être 60 ans ou quelqu'un qui est plus jeune mais qui est en surpoids et qui a déjà une maladie cardiaque connue serait également à risque. Il faudrait un diagnostic par PCR dans la première semaine [afin que] le médecin de famille puisse appeler tous les deux jours et lui demander: "Comment ça se passe avec le souffle ?"

Korinna Hennig: Parce qu'après une semaine, il arrive souvent que la maladie s'aggrave soudainement.

Christian Drosten: Et qu’on ne veut pas envoyer les patients à l'hôpital trop tard. Ceci est très important […] Dans certaines villes, il y a des « taxi-Corona », un service du service de santé qui se déplace pour prendre un prélèvement et l’apporter au laboratoire. Et qui surveille ensuite le malade s’il est positif, en l’appelant tous les deux jours afin que l’admission à l’hôpital ne soit pas trop tardive. Un tel système de contrôle est extrêmement laborieux et ne peut pas être augmenté de façon exponentielle, alors que la maladie peut augmenter de façon exponentielle.
[...]

#39

Christian Drosten: Actuellement, les politiciens veulent davantage tester les asymptomatiques. Par exemple, dans les maisons de retraite où le risque est élevé. Je ne pense pas que nous ayons vraiment un problème de capacité en Allemagne. Nous avons un problème de logistique : obtenir le test là où il est nécessaire [et nous avons aussi un] manque de personnel.

Korinna Hennig: Est-il judicieux, par exemple, de tester les maternelles et les écoles ; pas les enfants, mais peut-être le personnel, les enseignants, les éducateurs?

Christian Drosten: Vous abordez maintenant le sujet le plus difficile. Les enfants les plus jeunes ne présentent pratiquement aucun symptôme et ce n'est pas un groupe que nous devons protéger contre l'infection. Il s'agit davantage de protéger les contacts familiaux et les personnes qui travaillent dans les crèches et les maternelles. Parce que ce sont des adultes et que certains sont également âgés, ils appartiennent donc à des groupes à risque et d’autres ont des parents qui appartiennent à des groupes à risque.
[...] Il ne s'agit pas d'ouvrir soudainement les crèches et les maternelles, mais peut-être 25% de leurs capacités. [On pourrait faire une sélection du personnel qui serait en contact avec les enfants].


Les tests à diagnostic rapide

Korinna Hennig: Cela s'applique probablement aussi aux enseignants. Nous avons parlé de la possibilité de tester l'antigène dans un épisode précédent. Donc, pour le profane: ce n'est pas un test d'anticorps, mais un test pour le virus directement qui fonctionne sur le principe du test de grossesse, c'est-à-dire avec une bandelette. Pourrait-on utiliser ces tests à grande échelle?


Christian Drosten: Il y a une première étude par un groupe de travail qui a développé un tel test. [Ces tests] sont fabriqués avec un faible niveau de technologie, notamment en Asie, à grande échelle. [Il existe déjà des tests] basés sur la détection d'acide nucléique et qui sont coûteux et qui sont donc réservés aux hôpitaux. Ce dont nous discutons maintenant est une première étude d'un test de faible technologie, qui fonctionne en prélevant un échantillon de votre gorge, puis en mettant cet écouvillon dans un liquide que vous secouez puis vous trempez une bandelette de test dans ce liquide. Et cette bandelette de test est comme un test de grossesse. Avec deux rayures, le test est positif.[…]

Près de 330 échantillons des voies respiratoires de toutes sortes ont été utilisés pour cette étude […] [On a séparé les patients entre infectieux et moins infectieux. Chez les patients infectieux, on a pu détecter du virus dans 75 % des cas] Si cela ne s'améliore pas de manière significative à l'avenir, ce sera un test [qu’on peut utiliser dans] un cabinet médical ou pour le travail de nuit à l'hôpital, où il faut rapidement prendre une décision. Le patient est-il dangereux? Quelqu'un vient aux urgences obstétriques [et] il faut veiller à protéger les autres patients […] Ces tests sont pour cette situation. Ils seront produits en masse en Asie dans quelques semaines, peut-être un mois ou deux. Je suis presque sûr que ça va arriver sur le marché.

Korinna Hennig: Pourrai-je aller moi-même à la pharmacie et faire le test à la maison?

Christian Drosten: Je ne pense pas que nous atteindrons la sensibilité d’un test de grossesse qui montre si vous êtes enceinte trois jours avant l'absence des règles. En aucun cas. Ce n'est pas une situation dans laquelle on peut dire que la PCR peut être supprimée [...]

Korinna Hennig: Mais cela signifie que dans les établissements que vous avez mentionnés, y compris dans les hôpitaux ou les établissements de soins, cela peut servir à protéger le personnel.

Christian Drosten: Je le pense. Il faut être prudent – on peut également tirer des conclusions erronées sur la base d'un tel test. Avec la sensibilité actuelle du test, il s'agit davantage d'un pré-diagnostic de l'infectiosité d'un patient. Je dis aussi consciemment un pré-diagnostic de l'infectiosité. C’est une première évaluation, mais une première évaluation importante. [...]


Les tests salivaires

Korinna Hennig: Nous avons parlé des prélèvements rhinopharyngés. Nous avons entendu, et certains d'entre vous ont peut-être déjà fait un test comme celui-ci, il faut y aller profondément, ce n'est pas agréable. Qu'en est-il des tests salivaires?

Christian Drosten: Oui, il y a aussi quelques nouvelles versions de tests. Mais ils sont tous basés sur des tests PCR. C’est clair. La PCR restera toujours la norme pour l'instant.

Korinna Hennig: Donc vous devez toujours aller au laboratoire?

Christian Drosten: Oui, on a besoin du laboratoire. Mais la question est: faut-il toujours faire un prélèvement aussi fastidieux? Il y a peut-être des auditeurs qui ont eu un prélèvement du nasopharynx, c'est-à-dire par le nez, qui savent que c'est douloureux. Vous avez les larmes aux yeux lorsque vous passez par le nez. Il y a aussi beaucoup de professionnels de santé qui savent à quelle fréquence un tel frottis est mal fait. Il y a autre chose. Ces écouvillons sont un consommable qui non seulement coûte de l'argent mais qui peuvent également être en rupture de stock. [Dans ce contexte, on peut se demander ce qu’il en est avec] des échantillons de salive. Les échantillons de salive ne sont pas courants dans le diagnostic des maladies respiratoires. Mais quelle est la situation avec ce virus particulier? Et cela a l'air incroyablement bon. Il existe trois études [où] les résultats sont globalement les mêmes. Dans un cas - un groupe aux États-Unis - 44 patients ont été testés et 38 de ces patients avaient des résultats positifs aux deux tests (salive, nasopharynx). [En fait, c’était le prélèvement du nasopharynx qui avait le plus souvent un faux négatif] Dans 21% des cas, soit environ un cinquième des patients, la PCR du frottis n'a rien révélé, contre seulement 8% des échantillons de salive.

Korinna Hennig: Parce que le frottis était mal fait ou parce que le virus n'était tout simplement pas présent?

Christian Drosten: C'est exactement la question que vous devez vous poser. De quoi s'agissait-il maintenant? Il est impossible de répondre à cette question, c'est une combinaison de raisons. Donc, parfois, il n'est pas si facile d'obtenir un frottis correct. Cela conduit également à des échecs. Alors qu'un échantillon de salive est simplement un liquide, vous pouvez le retirer.Il y a une autre étude de Thaïlande, avec une approche différente. On a 200 patients dont 21 qui sont réellement positifs. [On a combiné les deux tests et on a trouvé] 19 échantillons du nasopharynx positifs, on en a donc donc manqué deux. Et avec les échantillons de salive des mêmes patients, 18 étaient positifs et on en a manqué trois. Il semble donc que l'échantillon de salive soit légèrement moins sensible […] je suis positivement surpris de la robustesse et de la sensibilité du test salivaire.

Ensuite, il y a une autre étude de Toronto qui arrive à une conclusion similaire. Un groupe relativement important de patients a été testé, et on a trouvé 11 positifs qui en étaient à leur première semaine de maladie (positifs pour les deux tests, gorge et la salive). On a trouvé deux cas positifs de plus avec le prélèvement rhinopharyngé qui ne l’étaient pas avec le test salivaire, et un cas a été trouvé avec le test salivaire qui n'était pas positif avec le frottis. Là encore: pratiquement la même sensibilité, il y a peut-être un peu moins de sensibilité avec l'échantillon de salive. Et c'est également le cas au cours de la deuxième semaine de l'infection. Du huitième au quatorzième jour après le début des symptômes, 13 doubles positifs, cinq qui ne sont positifs qu’avec le frottis, quatre qui ne sont également positifs qu’avec la salive. Et cela commence seulement à diverger à partir de la troisième semaine de symptômes, où le frottis est un peu plus sensible. Je dois dire que cela est vraiment remarquable et, dans les situations où vous ne pouvez pas obtenir d'écouvillon, vous pouvez probablement supposer qu'un test sur un échantillon de salive fonctionne assez bien.
[…]

Quand utiliser les tests sérologiques?

Korinna Hennig: Il existe aussi des tests qui détectent une éventuelle immunité. [...]

Christian Drosten: Au cours de la première semaine, vous devez vous fier entièrement à la PCR. Et ce n'est qu'au cours de la deuxième semaine que les premiers patients commencent à avoir des anticorps détectables. À la fin de la deuxième semaine, de nombreux patients ont déjà des anticorps, et quasiment tous à la fin de la troisième semaine. […] Il y a des faux positifs dans les tests sérologiques pour plusieurs raisons. Pour des raisons techniques, mais il y a aussi un autre problème, [c’est que nous avons tout au long de l'année des anticorps contre d’autres coronavirus], ce qui se produit plus souvent lorsque le patient attrape beaucoup de rhumes, et ces anticorps disparaissent après environ six semaines, 5 à 7 semaines, pour être précis.[...]

Korinna Hennig: On a beaucoup parlé en début de semaine du nouveau test sérologique de la société suisse Roche.

Christian Drosten: Nous avons également d'autres fabricants en Allemagne qui ont également de très, très bons tests. L'un était sur le marché très tôt. Et il y a au moins deux autres fournisseurs qui arrivent maintenant sur le marché, également en même temps que la société Roche. Il est relativement difficile de parler de chiffres ici. Nous avons comparé différents tests dans notre laboratoire, mais ce travail ne fait que commencer et les données de validation que ces entreprises fournissent sont encore en petit nombre. [...] D'un autre côté, il est vrai que ces entreprises qui développent ces tests ont une expertise très élevées qu’on ne peut pas imaginer qu’elles se trompent complètement en développant des tests. [...]

Korinna Hennig: Pour résumer, vous diriez toujours que la PCR dans ses différentes variantes et le test sérologique sont utiles pour une utilisation ciblée, mais que pour un dépistage massif, ils entraîneraient trop de faux négatifs et de faux positifs?

Christian Drosten: Ce que vous abordez, c'est le problème de la valeur prédictive. Chaque test a de faux résultats positifs. Et plus la maladie est courante dans la population, moins il y a de faux positifs, meilleure est la valeur prédictive positive. Actuellement, comme nous avons eu très peu d'activité infectieuse en Allemagne, si un test donne un résultat positif, alors la probabilité que ce résultat soit un faux positif est beaucoup plus grande que si nous testons dans une région à forte prévalence, où la probabilité de base qu'une personne soit infectée est très élevée. Cela signifie qu’un dépistage de masse, pour connaître le taux d'anticorps dans la population serait à revérifier. Vous ne devez pas interpréter les résultats positifs comme tels, mais comme un signal. Afin d'établir un diagnostic, il faut également faire un test de confirmation avec un autre test, qui doit arriver à la même conclusion avec un antigène différent ou idéalement même avec une procédure de base différente.

Je pense avoir déjà expliqué ici qu'un test de neutralisation est ce que je demanderais dans une étude scientifique à appliquer aux échantillons ELISA pré-testés positifs. Si vous testez 1000 personnes et trouvez peut-être 15 positifs, il faut tester ces cas avec le test de neutralisation, ce qui est beaucoup plus complexe. [...] Ce sera différent plus tard, lorsque nous aurons davantage d'infections, la valeur prédictive du test sera devenue bien meilleure et l'incertitude résiduelle d'avoir un faux positif sera devenue beaucoup plus faible.

10 juin: ajout d'une partie de l'interview que je n'avais pas traduite:
Test PCR positif, mais sérologie négative

Korinna Hennig: Une auditrice nous a envoyé un mail, elle était malade, apparemment infectée par le coronavirus, avec des symptômes typiques et un test PCR positif. Et puis après quelques semaines, elle a fait un test sérologique négatif. Maintenant, elle est choquée et se pose des questions sur son immunité.

Christian Drosten: Oui, cela arrive de temps en temps. Il faut se demander si le test PCR était fiable? Nous avons souvent des patients qui déclarent avoir été testés une fois par PCR et ce test n'a jamais été confirmé. Ces patients étaient asymptomatiques, donc la question est de savoir si lors du prélèvement, ou entre le bureau du médecin et le laboratoire, quelque chose ne se serait pas mal passé. Il y a des faux positifs dans la PCR, mais c'est une rareté absolue. Ce qui est moins rare est d’avoir un patient positif et qu’après guérison il n'ait pas d'anticorps détectables. Il y a deux explications : le temps d'attente est trop long, mais cela est peu probable car les premiers patients ont été diagnostiqués en Allemagne en janvier. Et il y a quelques patients qui perdent les anticorps détectables assez rapidement. Ils sont donc à nouveau négatifs, même s'ils étaient positifs avec le test sérologique. Soit dit en passant, cela ne signifie pas qu'ils ont perdu leur immunité, car l'immunité ne se fait pas exclusivement, et peut-être même pas du tout, via les anticorps. Les anticorps sont davantage un indicateur de l'immunité qui existe en arrière-plan, au niveau cellulaire. Bien sûr, ils ont également une fonction antivirale. Pour les experts, je veux [quand même ajouter que] bien sûr, ils y contribuent. Mais si un test sérologique est négatif, cela ne signifie pas que l'immunité est perdue. Cela existe. Certains patients ont des anticorps qui ne peuvent plus être détectés lors d’un test en laboratoire. Et il y a aussi des patients qui ne produisent jamais d'anticorps détectables, cela est très, très rare. Mais j’en connais. Cela s’est vu lors du virus du SRAS, et aussi avec le MERS. Ces patients ont alors des anticorps contre une autre partie du virus, contre d'autres antigènes du virus. Il existe des moyens de détecter ces anticorps, à l'aide d'un autre test. Le médecin peut alors appeler le laboratoire et demander que le sérum résiduel, qui doit être conservé pendant un certain temps pour des raisons légales, soit envoyé à un autre laboratoire pour un autre test, si on a une suspicion d'un faux négatif.