mercredi 6 mai 2020

Podcast #28 du 6 avril: masques grand public/ désinfection des surfaces

Pourquoi les gens devraient-ils porter des masques ?

Christian Drosten: […] Les conditions de départ ne sont pas réunies dans notre société pour que les gens portent des masques. Certains avanceront l’argument qu’on n’en trouve pas dans les magasins. […] De plus, il n’y a guère de preuves scientifiques pour dire qu'on puisse se protéger avec de simples masques. Il existe bien sûr des masques beaucoup plus protecteurs pour certains groupes professionnels, mais ces masques ne sont pas disponibles en grand nombre et ils ne sont pas faciles à produire rapidement. Par ailleurs, ils ne sont pas agréables à porter […] On peut recommander le port d’un autre type de masque qui protège la bouche et le nez, des masques chirurgicaux simples.


Korinna Hennig: Qu’on peut aussi coudre soi-même. 


Christian Drosten: Exactement, que vous pouvez coudre vous-même. C'est ce qui est publiquement discuté en ce moment. Il n'y a aucune preuve scientifique d'un bénéfice pour l'autoprotection avec ce type de masque, mais il existe des débuts de preuves que cela protège les autres d’une contamination virale. Mais bien sûr, cela suppose que vraiment tout le monde, tout le monde, tout le monde dans la société, dans la vie publique, porte ces masques. 

Korinna Hennig: Il y a aussi de nouvelles études sur les masques.
 
Christian Drosten: Exactement. Il existe des données et des preuves que l’on protège les autres de maladies infectieuses des voies respiratoires [grâce au port de masque]. Ces virus ont des propriétés différentes, il n'a donc pas encore été possible de dire très précisément si tout cela a vraiment un effet retentissant. Mais il y a maintenant deux nouvelles études intéressantes qui sont parues dans les tous derniers jours. Un travail a été publié vendredi dans "Nature Medicine", l'autre est encore au stade de la préimpression - il n'a pas encore été publié officiellement, mais je pense qu'il est également remarquable.

Dans l’étude publiée dans "Nature Medicine", on vérifiait de manière contrôlée ce qu'une personne infectée libérait dans l'air qu’elle expirait, ou même en toussant un peu. Il s'agit d'une étude très fastidieuse, car il est difficile de trouver des patients qui se trouvent dans la bonne phase de la maladie, au bon âge – ici on s’est concentré sur les adultes. Cette étude vient également de Hong Kong, où ils ont beaucoup d'expérience avec le SRAS et sont très sensibilisés à ce problème. Un groupe relativement important de scientifiques vient de mener cette enquête.
[…] un patient a reçu soit une simple protection de la bouche et du nez et l'autre non. Cela a créé deux groupes, l'un avec un masque et l'autre sans masque. Ensuite, on a regardé quel type de virus ils avaient et on a vu que 17 de ces personnes avaient des coronavirus, à savoir des coronavirus du rhume banal. Il s'agit d'une étude réalisée avant l'apparition du virus SARS-2. 43 autres patients avaient le virus de la grippe et 54 patients avaient des rhinovirus. Les rhinovirus sont des virus du rhume commun.
[...] Dans l'ensemble, toutes ces maladies virales [touchent] les voies respiratoires supérieures. En termes d'âge, les patients étaient des adultes jeunes ou d'âge moyen.

Tous ces patients se sont assis pendant 30 minutes – ce qui est long, pas pour un masque, mais pour un contact, cela ne se produit pas si souvent dans la vie de tous les jours que vous vous asseyez près de quelqu'un pendant 30 minutes – et on a construit une sorte de dispositif d'aspiration autour de leur tête. Une sorte d’énorme entonnoir qui, avec une vitesse d'aspiration lente, a recueilli tout ce que ces personnes ont expiré ou toussé, afin de l’analyser en laboratoire.


Korinna Hennig: Ainsi que des gouttelettes très fines qui sont libérées lorsque vous respirez.


Christian Drosten: Voilà. [Mais il faut préciser qu’] une telle frontière entre gouttelettes et aérosols, c'est cinq micromètres de diamètre. Et cette machine collecte séparément les gouttelettes de plus de cinq micromètres et les gouttelettes de moins de cinq micromètres. Donc, cela est séparé dans cette machine. Imaginez: ces grosses gouttelettes de plus de cinq micromètres (et elles peuvent être beaucoup plus grandes, elles peuvent aussi être de 100 micromètres, un dixième de millimètre visibles à l'œil nu) - ce sont les gouttelettes dont nous parlons dans une infection par gouttelettes. En d'autres termes, ce que vous dégagez – en postillonnant, mais aussi lorsque vous toussez ou éternuez - et qui tombe ensuite au sol dans un rayon d'un mètre et demi à deux mètres. Pour le rhume, nous sommes à peu près sûrs que la grande majorité de ces virus libérés dans ces maladies des voies respiratoires supérieures (c'est-à-dire les maladies qui surviennent principalement dans la gorge et le nez) sont dus à ces grosses gouttelettes - et elles tombent simplement au sol. Une grande partie de nos précautions sont basées sur cette découverte.
[Cette séparation est un peu artificielle car en émettant] une gouttelette qui se maintient dans l'air devant moi, elle commence à sécher et elle devient plus petite. Plus elle est petite et plus il est probable qu'elle restera longtemps dans l'air. Mais en même temps, il y a un autre effet : si cette gouttelette devient de plus en plus petite, elle finira par être trop petite pour le virus, qui se dessèchera et ne sera plus infectieux.

[Mais] Nous ne savons pas comment ça se passe avec ce virus. Il y a aussi cette étude dans le "New England Journal", publiée il y a environ trois semaines qui dit que ce virus SARS-2 est toujours infectieux dans l'aérosol pendant environ trois heures. Mais il faut préciser que les auteurs qui ont publié cela ont produit un aérosol viral artificiel avec une très forte concentration de virus infectieux. Personne ne peut être sûr que cela correspond à ce que produit un patient en réalité.


Korinna Hennig: Une situation produite dans un laboratoire est toujours différente de la réalité.


Christian Drosten: Exactement, c'est une situation créé en laboratoire. Et dans cette étude, c’est ce que nous avons. Nous avons cette séparation artificielle de plus et moins de cinq microns. […] Et les résultats de cette étude, clairement, avec ces onze patients infectés au coronavirus portant un masque : chez aucun de ces onze patients on n'a pu détecter de virus plus tard à l'aide de cet appareil

Korinna Hennig: Pas même après 30 minutes? 

Christian Drosten: Sur l'ensemble des 30 minutes. On a tout aspiré pendant 30 minutes. Et dans l'autre groupe, qui comprenait 10 patients, où on a également recueilli [la production d’air, de toux] pendant 30 minutes, mais où aucun masque n'était porté, il y avait du virus dans les gouttelettes, [et] un tiers environ a émis un virus détectable quand ils ne portaient pas de masque. Mais attention, on parle ici de 30 minutes de collecte, ce qui n’est pas une situation courante. C'est une étude qui concerne les coronavirus, qui sont comme le virus du SRAS-2.
Il y a aussi une autre étude (de Singapour), [parue en preprint]. Elle concerne moins de personnes, mais elle a été réalisée avec des patients atteints du SRAS-2, ce qui la rend particulièrement intéressante. Ici, trois patients ont été examinés, l'air ambiant a été analysé sur plusieurs jours. Et chez l'un de ces patients – qui en était déjà au neuvième jour des symptômes, avec encore du virus détectable dans les voies respiratoires, mais pas beaucoup – et rien n'a pu être détecté dans l'air ambiant. Chez deux patients, qui avaient beaucoup de virus dans les voies respiratoires, on a pu détecter du virus dans l’air ambiant. L'un avait des symptômes, l'autre non. Dans les deux cas, il a été possible de détecter à la fois des gouttelettes et des aérosols dans l'air ambiant à l'aide d'un appareil très similaire (ici la limite était de quatre micromètres et non de cinq). Pour moi, c'est une découverte intéressante et remarquable.

Korinna Hennig: Cela signifie qu’on peut envisager, comme le fait la National Academy of Sciences aux États-Unis, que le virus peut également être transmis par expiration normale. C'était encore un point discuté.


Christian Drosten: Exact. Il est possible que lorsqu’un virus se propage par gouttelettes, et que l'air ambiant est sec et chaud, il y ait ce phénomène que les gouttelettes s'assèchent et que le virus reste infectieux pendant un certain temps. Ces gouttelettes sont dans l'air. Maintenant, il s'agit bien sûr de la circulation de l'air intérieur. Je voudrais tout de suite préciser que de nombreux supermarchés et espaces publics ont des systèmes de ventilation qui permettent un renouvellement important de l'air intérieur, de sorte que l'on n'a pas nécessairement à [craindre] que l'air soit maintenant plein de virus, que le virus est dans l'air. Mais il y a ce chemin de transmission d’«infection aéroportée». Dans ce cas, un masque n'aide plus à la transmission de l'air, il faut un masque hautement technique [pouvant] filtrer des aérosols. Mais ce sont des masques qui sont portés dans le domaine professionnel. Cela ne peut pas être recommandé pour la population générale. Il est vrai que la National Academy of Sciences des États-Unis a maintenant déclaré cela plus clairement dans un communiqué: il ne peut être exclu que ce virus SARS-2 puisse également être transmis par cette voie.

Je voudrais dire encore une chose au sujet de l'étude de Singapour, une observation annexe : [on a également analysé des échantillons sur des surfaces] dans 30 chambres d'hôpital différentes, chez 30 patients différents qui avaient tous cette maladie, dans un hôpital de Singapour, sur toutes les surfaces possibles. Soit dit en passant, il faut préciser que dans toutes ces études, on parle toujours d’une détection virale de l'ARN et non de l'infectiosité.


Korinna Hennig: Donc le virus peut être détecté, sans qu’il soit contaminant.


Christian Drosten: Exactement. Un virus desséché contient toujours autant d'ARN , [mais cela ne dit rien de son infectiosité]. Ici, on a retrouvé beaucoup d'ARN sur ces surfaces. Dans les échantillons prélevés au sol, par exemple, plus de la moitié des échantillons étaient positifs pour le virus - ce qui suggère que le virus s’y est déposé [grâce à de grosses gouttelettes]. Mais il y a autre chose d’important à mon avis, c’est que chez ces 30 patients, ces échantillons n'étaient positifs que pendant la première semaine de symptômes. Au cours de la deuxième semaine, alors que les patients étaient encore malades, les échantillons n'étaient plus positifs. Il n'y avait donc plus de virus à la surface, il n'y avait donc plus de concentration significative de virus dans l'air ambiant. […] Ces patients libèrent moins de virus plus tard dans la maladie. Ceci est très important pour le travail à l'hôpital.


La transmission via une surface contaminée
 

Korinna Hennig: [Dans ces prélèvements effectués sur les sols, on a donc retrouvé des traces de virus, seulement il n’était plus infectieux]. Qu'en est-il de la contagion via les surfaces?

Christian Drosten: L'infection via les surfaces a été modélisée dans l'étude de Christophe Fraser, dont nous avons discuté la semaine dernière. Il pense que peut-être 10 % de toutes les transmissions pourraient s’effectuer ainsi. Beaucoup de gens à qui je parle ne croient pas vraiment à une contamination via les surfaces. [...] Dans nos hypothèses actuelles, nous ne supposons pas que ce virus se transmette par les surfaces. Les mesures actuelles pour éviter la transmission visent à exclure la transmission par les gouttelettes – et aussi les aérosols- mais surtout, j’insiste, les gouttelettes. Et les études qui ont été discutées ici, qui ont maintenant été publiées, ne suggèrent pas, même si des aérosols ont été détectés, que ce mécanisme serait prépondérant. Dans les deux études, l'échantillonnage [s’est fait sur une très longue durée, ce qui ne correspond pas à une situation réelle, où] l'air se déplace dans la pièce.


Korinna Hennig: Cela signifie qu’une désinfection des surfaces peut être négligée dans l’espace privé? 


Christian Drosten: Je suis presque certain que cela ne vaut pas la peine au sein de son foyer de traiter toutes les surfaces possibles avec un désinfectant. À l'hôpital, cela est bien sûr différent, car il y a beaucoup de patients et, bien sûr, le virus peut s'accumuler dans une pièce, dans l'air - puis se déposer sur une surface. [...] Donc, ces images de la télévision, par exemple chinoise, où des camions-citernes circulent dans les rues avec du désinfectant, je pense que cela a un effet psychologique pour la population plutôt qu'un effet réel pour contenir la contamination.


Perte de goût et d'odorat


Note de l'auteur de ce blog:
La suite de cet épisode concerne la perte de goût et d'odorat, qui a été documentée dans un preprint iranien, Sur 15000 personnes interrogées (il n'est pas clair si elles ont été testées positives) 10000 personnes ont signalé ce symptôme. Et dans les familles de ces personnes, près de la moitié a également eu ce symptôme.
Une perte de goût ou d'odorat doit alerter et amener à se faire diagnostiquer