dimanche 3 mai 2020

Podcast #31 du 14 avril: l'étude de Gangelt/ les réinfections

L'étude épidémiologique de Gangelt/Heinsberg (le "cluster" allemand)

Korinna Hennig: Parmi les gros titres de ces derniers jours, l’"étude Heinsberg", ou plus précisément "étude Gangelt" du nom de la commune touchée par le coronavirus. Cette commune compte environ 12 000 habitants. On y a mené des enquêtes et présenté les résultats lors d'une conférence de presse. Vous, M. Drosten, avez été interrogé à ce sujet et avez déclaré attendre un article scientifique pour vous prononcer. Quelles questions sont restées sans réponse?


Christian Drosten: Il est vrai que beaucoup de choses ont déjà été communiquées à ce sujet. Il est difficile de se prononcer sur une étude si vous n'avez que les résultats finaux […] Ce n'est pas la seule étude en cours, il y en a un certain nombre dans toute l'Allemagne [dont on attend les résultats].


Korinna Hennig: [Peut-on généraliser à toute l’Allemagne les conclusions d’une étude régionale ?]


Christian Drosten: [...] il est vrai qu'il existe de grandes différences régionales en Allemagne [mais] plus l’épidémie se prolongera, plus ces différences s’estomperont. Tout comme s'estompe lentement en Allemagne la différence entre les tranches d'âge. [Le virus] se diffuse lentement dans les populations plus âgées. [...] 

Plus l'échantillon que vous faites est petit et plus il est probable que ce que vous trouvez n'est pas représentatif. Les auteurs de l'étude Gangelt l'ont également dit dans les reportages. Il a été clairement souligné que ce n'est pas représentatif de l'Allemagne. C'est certainement de là que vient le problème [...]

Korinna Hennig: Un chiffre qui a circulé était celui de 14 % de la population de Gangelt qui serait immunisée. Vous avez déjà dit dans les médias: nous n'avons pas les pré-requis pour vraiment en juger. On parle d'un test qui a une spécificité de 99%, que pouvez-vous dire?

Christian Drosten: J'ai dit - par exemple dans l'interview que j'ai donnée dans le "Today Journal" - que je ne peux pas en douter. Je ne veux pas du tout critiquer cette étude car je n'ai aucune base pour le faire. Il est vrai qu'il a été dit que des tests d'anticorps ont été effectués et ensuite il a été précisé qu'il s'agissait de tests d'IgG. Et il a même été dit que cela avait été fait avec un test ELISA que nous avons validé ici à Berlin. Je le connais donc très bien. Mais je ne sais toujours pas si les tests de confirmation ont été effectués, c'est-à-dire si ce test sérologique était le seul test ou si d'autres tests ont été effectués. [...]

Vous avez vu qu'il est spécifique à 99%, c'est-à-dire que sur 100 tests que vous faites, un seul est faux, un faux positif. On trouve un anticorps, alors qu'en réalité le patient n'a pas d'anticorps. Mais si vous regardez la population réelle à cette période de l'année, vous pouvez voir que le taux de faux positifs est plus élevé, tout simplement parce que nous avons des rhumes à cette période de l'année. Nous avons eu une saison de la grippe jusqu'à il y a un peu plus de deux semaines. [...]



Un épidémiologiste l'a déjà mentionné: il existe également d'autres aspects [à prendre en compte] si vous voulez déterminer la prévalence d'une infection, [à savoir] avez-vous réellement testé des volontaires, avez-vous testé un représentant par famille? Car il y a plus de transmission dans un ménage. C'est pourquoi les résultats d'anticorps provenant du même ménage ne devraient pas vraiment être considérés comme complètement indépendants. Quel facteur de correction appliquer alors? Ce sont là des subtilités statistiques.
Ensuite c'est pareil quand je travaille avec des bénévoles, c'est une réaction très humaine: je suis davantage intéressé par cela, car j'ai un cas positif autour de moi, alors j'y vais, peut-être aussi avec un autre membre de ma famille, et je me laisse tester car je veux savoir si j'ai quelque chose. Si je m'en fous parce que je ne connais personne, alors je n'y vais pas. Cela peut entraîner une distorsion. Je veux juste dire que de telles considérations sont toujours discutées dans les études épidémiologiques. Je suis également sûr que mes collègues de Bonn y ont pensé et qu’ils y travaillent actuellement à une publication scientifique. [...]


PS: un preprint a été mis en ligne le 4 mai 

À propos des réinfections: elles sont improbables 


  [Dans notre étude de Munich-Schwabing], nous avons décrit l’élimination du virus au fil du temps chez neuf patients de Munich. [On a constaté que vers la fin de la maladie] il y a encore un virus. Il est parfois détectable, parfois pendant quelques jours, puis il n'est plus détectable pendant quelques jours. Ce ne sont que des phénomènes statistiques. La PCR ne peut examiner qu'un certain échantillon. […] je l'explique souvent aux étudiants comme suit: vous avez une pataugeoire pleine d'eau avec des poissons rouges. Mais maintenant, avec un seau, prélevez un échantillon de cette pataugeoire, les yeux bandés, il se peut que vous ayez un poisson rouge dans votre seau et parfois non. Cependant, on ne peut nier qu'il y a des poissons rouges dans la pataugeoire. S’il y a beaucoup de poissons rouges et que chaque fois que je plonge un seau, il y a des poissons rouges dans le seau, je me dis: « Aha, il y a des poissons rouges dans cette pataugeoire ». Mais si j'ai de moins en moins de poissons, car c'est la fin de la maladie, il y a de moins en moins de virus dans la salive, ou surtout sur les prélèvements ce qui arrive toujours: je sors le seau de la pataugeoire et il n’y a pas de poisson rouge. Cela peut se produire deux fois de suite. Donc je dis: la PCR a été négative deux fois de suite, le patient est maintenant guéri. Et si je continue de faire des tests à domicile, il se peut alors que le virus soit de nouveau soudainement détectable. Donc au figuré: je prends un seau d'eau et il y a encore un poisson rouge dedans. C'est aussi simple que ça. C'est mon explication de ce phénomène, précisément parce qu'il survient peu de temps après la sortie de l'hôpital.
Et maintenant, la question est de savoir que faire de ce résultat. Je peux vous dire que quelque chose comme ça ne se produirait pas en Allemagne parce que notre culture fait que de tels résultats seraient remis en question assez rapidement. Mais dans la culture asiatique de santé publique, il y a une plus grande rigueur. Je ne veux pas critiquer cela, c'est simplement une différence culturelle. Et si maintenant on déclare qu’un patient qui a été négatif deux fois de suite est considéré comme guéri. [On répertorie ensuite tous ces cas avec minutie: Le patient a été testé deux fois et maintenant il est à nouveau positif]. Et maintenant, reprenons quelques centaines de cas similaires et notons tout cela dans un tableau et écrivons une publication scientifique à ce sujet. Ces publications scientifiques sont maintenant accessibles au public, et maintenant un processus de discussion commence. On a des gens qui lisent ces publications et qui ne connaissent peut-être pas les détails et disent que cela ressemble à une réinfection. Cela est ensuite diffusé dans d'autres canaux, il y a de l'excitation et de l'incertitude.

[Mon avis est que] ce ne sont probablement que des distributions aléatoires à la fin de l'évolution de la maladie, en particulier lorsque vous travaillez avec des échantillons d'écouvillons de la gorge, ils sont parfois positifs et parfois négatifs.


Korinna Hennig: Vous avez mentionné deux études : une de Wuhan, et l’autre de l'hôpital de Shenzhen. Il s'agissait principalement de patients qui n'avaient aucun ou peu de symptômes. 


Christian Drosten: Oui, exactement. Dans une étude, il y a cinq patients sur 55 chez qui cela a été observé. Cette étude est un peu floue car à certains endroits on dit que ce sont des prélèvements de gorge qui ont été analysés et à d'autres endroits, il est dit que ce sont des échantillons des voies respiratoires. Ce sont deux types d'échantillons différents. Nous savons que la sécrétion pulmonaire reste positive beaucoup plus longtemps. Nous pensons également qu’elle n'est pas contagieuse. [Dans notre étude] nous n'avons jamais pu isoler de virus infectieux.
L'autre étude est en fait plus intéressante car elle est un peu plus explicite. 172 patients ont été examinés après leur sortie d’hôpital. Chez 25 d'entre eux, le test a de nouveau été positif, en moyenne après 5,23 jours. On y explique clairement que le critère pour sortir de l’hôpital est d’avoir deux prélèvements de gorge consécutifs négatifs. Or, nous savons que le prélèvement de la gorge est négatif au cours de la deuxième semaine de maladie pour de nombreux patients [alors que] les selles et les expectorations sont presque toujours positives. Et puis on dit que sur ces 25 patients, 24 ont eu des formes sévères. Pour moi, cela signifie que si quelqu'un a un parcours difficile, il sera libéré plus tard. Chez ces patients, nous savons que le virus de la gorge a presque toujours complètement disparu. […] Mais pour 14 d'entre eux, [on les a déclarés de nouveau positifs] d’après les selles, d’où cette confusion ici. Car nous savons que les échantillons de selles restent positifs pendant une longue période. Et pour d'autres cas, c'était un prélèvement de gorge qui a de nouveau été testé positif. Mais un écouvillonnage de la gorge peut également contenir du mucus pulmonaire craché. Vous crachez la substance et elle colle à l'arrière de votre gorge. [Les auteurs ont publié cela] avec une minutie toute asiatique. Je le sais parce que je travaille depuis longtemps avec des collègues asiatiques.[...]
Mais il y a aussi d'autres explications. Ce que nous avons discuté est le plus probable. Mais il existe de simples erreurs de laboratoire ou des erreurs d'échantillonnage. Par exemple, quelqu'un a fait un mauvais frottis. Il n'a donc pas fait de frottis nasopharyngé (passez par-dessus le plancher nasal, puis jusqu'au fond de la gorge avec l'écouvillon), mais il a juste gratté un peu à l'avant de la narine. Puis vous prélevez un autre échantillon plus tard, qui se révèle positif.

Mais il peut aussi arriver que quelque chose se passe mal en laboratoire.[...]


Il y a aussi une autre explication: j'ai observé une fois chez un patient chez qui le virus dans les poumons avait déjà disparu ou presque disparu. Et puis soudain, la concentration de virus est redevenue beaucoup plus élevée, alors que le patient allait de mieux en mieux. C'est bizarre. On pourrait penser que plus il y a de virus, moins le patient se porte bien. Mais il y a une explication : si quelqu'un a des zones pulmonaires qui ne sont plus bien ventilées et qui ne sont pas bien connectées aux voies respiratoires, beaucoup de choses peuvent se cumuler dans les poumons, même des virus morts. Vous avez une zone dans vos poumons où le mucus ne sort pas bien. Et à un moment donné, le patient va mieux et respire mieux, ces zones sont à nouveau ventilées et soudain, ce mucus peut à nouveau être expectoré.


Korinna Hennig: Mais ce n'est plus contagieux. 


Christian Drosten: Ce n'est plus contagieux. Et soudain, le test de laboratoire est à nouveau positif. Parfois, vous voyez des choses comme ça. Mais plus vous voyez et accompagnez des patients au laboratoire, plus vous développez un sixième sens pour ces choses rares. Et c'est toujours la même chose en médecine: ce qui est fréquent se passe souvent et ce qui est rare rarement.